Névrons Chevronnés

Chapitre 1 : Névron - Musical

905 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 11/11/2025 16:19

[Musical]


Depuis que nous avions triomphé de Sirène, quelques heures auparavant, nous étions tous dans un état d’épuisement tant physique que psychologique. Monoco demeurait confiné près du feu de camp, Lune avait le regard hagard. Elle qui semblait sans cesse d’une rigidité de corps et d’esprit inflexible nous offrait une vision des plus inhabituelles.

Je respectais ce silence nécessaire, ce recueillement en nous-même. La violence de cette confrontation ne s’était pas ressentie fondamentalement dans nos combats et nos affronts, aujourd’hui, mais bien davantage dans ce que Sirène nous a montré, nous a forcé à voir, à regarder. Dans une douceur ferme, elle nous l’a imposée, elle a matérialisé cette vision de nos proches… Ceux pour qui nous sommes ici aujourd’hui, ceux qui ont été emportés trop tôt. Même si la mort n’est plus une source d’effroi, plutôt une compagnie du quotidien, j’ai été chamboulée, moi aussi… Revoir Pierre…

« J’arrête le gramophone, lança Verso en brisant le silence ponctué du crépitement du feu. Est-ce que ça vous convient si je m’installe au piano ? »

Il obtient pour seule réponse quelques hochements de tête lui indiquant qu’il avait leur approbation.

« Puis-je t’accompagner ? », questionna Maelle tandis que l’homme à la chevelure sombre s’asseyait derrière l’instrument.

Verso se décala alors sur la droite afin que la jeune fille pût le rejoindre. Dès qu’elle fut à ses côtés, il lui adressa un sourire. Maelle lui rendit, néanmoins, ses yeux reflétaient sa peine lancinante. Son visage se détendait lentement au son des notes qui s’élevaient atour d’eux, autour de nous.

À moitié allongée sur Esquie, je dodelinais de la tête, emportée par la mélodie produite par les percussions de Verso. Elle se voulait douce, telle une caresse pour nos esprits encore médusés par les mélopées de Sirène. Cependant, je ne profitai guère longtemps de ce répit, ayant repéré une lueur étrangère dans l’obscurité accordée par le chemin de la falaise. En un bond, je m’étais redressée, ma double faux fermement au contact de ma paume qui s’était serrée. L’intrus, quel qu’il soit, pouvait certainement admirer son tranchant depuis sa position baignée d’ombre et de ténèbres. Or, les ténèbres, ça a toujours été une de mes spécialités.

Monoco et Lune, alertés par mon mouvement, eurent à peine le temps de me fixer et d’essayer de distinguer là où se posait mon propre regard que le bras d’Esquie me barra le chemin. Lorsque je levai abruptement un regard inquisiteur sur lui, il secoua doucement la tête.

« Mon amie, personne ne nous veut du mal ici. Attends un peu, et tu verras, Sciel se fera une nouvelle amie, et la nouvelle amie sera amie avec ses amis ! »

Même si Esquie savait me faire rire par-dessus tout, je ne doutais pas de ses paroles. Non, je ne doutais pas des paroles de la créature la plus puissante de l’univers ; je détendais ma paume et ma faux disparut en un instant.

Quelques secondes se furent écoulées quand j’aperçus la présence qui, rassurée par la disparition de mon arme, se dévoilait alors. Je sentis, à l’exception d’Esquie, notre respiration se couper, tout comme s’évanouit le chant du piano. Devant nous se tenait un Névron, je le reconnus facilement, nous venions tout juste de l’affronter dans le Colisée de Sirène. C’était une Ballerine, flottante et gracile. Elle ne paraissait pas hostile contrairement aux autres. Je pensais que seuls les Névrons blancs étaient pacifiques. Celle-ci s’était peut-être égarée ?

J’approchais à mon tour. Esquie avait certainement dit vrai, nous ne courions aucun risque. Alors que je m’interrogeais sur sa présence, je remarquai son masque tourné vers le piano désormais muet.

« Oh, bien sûr ! Verso, je crois que notre… invitée appréciait t’entendre jouer. »

Maelle et lui se retournèrent simultanément. Verso me répondit par un sourire et la mélodie nous enveloppa à nouveau.

C’était cette dernière qui avait attiré la ballerine, assurément grande amatrice de musique. Je songeai alors qu’elle n’avait pas tort, je m’étais moi-même laissée porter par ses ondes apaisantes. La Ballerine, d’une majestueuse beauté, nous offrait ses plus beaux pas, ses plus belles pirouettes.

Je décidai finalement d’embrasser ce moment suspendu, de rendre hommage à la musique de Verso, de faire honneur à notre invitée. Je la rejoignis, déployant mes bras, glissant, sautant, virevoltant à ses côtés. Je saisis la main qu’elle me saisit un instant, sans hésitation. Nous créâmes un enchaînement de mouvements instinctifs d’une grâce sincère. Un langage commun, un échange d’âmes sans nul mot.

Sous le regard d’Esquie, aussi inexpressif que bienveillant, je dansais aux côtés de la Ballerine pendant des heures, m’abandonnant à la joie, jusqu’à ce qu’elle s’envolât vers un autre ciel.


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