Névrons Chevronnés

Chapitre 4 : Névron - Effrayant

1743 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/11/2025 01:09

[Effrayant]


C’était avec confiance que l’expédition s’aventurait davantage sur les Falaises de Rochevague. Depuis leur arrivée sur le continent, ils avaient, à leur grand étonnement, rapidement progressé sur le territoire. Malgré les cadavres des quelques expéditions précédentes, ils ne ralentissaient guère le pas. Ils accomplissaient leur devoir en continuant pour eux, et pour ceux qui viendront après.

Même si l’expédition 75 avançait effectivement sans difficulté perceptible, en grande partie grâce à l’aide des pictos, ils avaient conscience qu’ils ne seraient pas la dernière expédition envoyée sur le continent. Certains se berçaient dans l’illusion d’une potentielle victoire sur la Peintresse, quand d’autres restaient plutôt dubitatifs. Ces divergences n’empêchaient pas l’existence d’une bonne entente au sein du groupe. Poussé par l’élan du capitaine, Maximilien, le groupe soudé n’avait que peu de pertes humaines à déclarer ; ils triomphaient de la grande majorité des Névrons qui leur faisaient obstacle.

Finalement, l’expédition 75 portait l’espoir d’une troupe chanceuse. Jusqu’à maintenant, elle le portait en effet. Seulement, en pénétrant dans les grottes des Falaises de Rochevague, le groupe eut à se scinder. Ce ne fut pas la première fois qu’ils durent se séparer certes, et ils étaient toujours parvenus à se rejoindre sans heurts. Le sous-groupe mené par Maximilien, constatait que la grotte était emplie de Rocher, des Névrons assimilables à d’immenses massues entourées de chaines. À leurs côtés, d’autres Névrons, des Hexga semblaient fort hostiles.

L’autre sous-groupe s’aventura alors dans une ouverture creusée dans la roche, après avoir soigneusement disposé une corde leur permettant de glisser de haut en bas et inversement sans encombre. Les huit membres de la 75 entrèrent dans un furieux combat. C’était ce que conclurent les membres restés aux côtés de Maximilien, tant leurs cris résonnaient avec hargne, avec douleur également.

Quand Maximilien parvint à vaincre le dernier Rocher, le silence l’effraya. Il fit volte-face pour apercevoir son groupe attroupé autour d’un membre. Le capitaine retrouva avec une peine marquée Albert, une plaie hémorragique au niveau de l’abdomen.

« N’y allez pas, pas en bas, soufflait-il dans un râle. Une Chevalière d’Or…

– Non, tiens bon Albert, s’exclama Mia en comprimant sa blessure, comme elle le pouvait.

– Albert, est-ce que Valentine… » parvint à articuler Maximilien avec peine, sans pouvoir finir sa phrase.

Un hochement de la tête confirma ses craintes à Maximilien : Valentine, ainsi que tout le sous-groupe, furent décimés par cette Chevalière. Ils n’avaient jamais rencontré ce type de Névron auparavant, aussi concluaient-ils qu’il était trop puissant pour eux, du moins pour le moment.

Albert s’était éteint dans les bras de Mia. La jeune femme contenait avec peine ses sanglots. Maximilien, lui, avait le regard hagard. Tout n’était pas parfait dans leur expédition, néanmoins, perdre huit membres d’un coup était un deuil bien trop lourd à porter pour le capitaine, surtout celui de Valentine.

Dans cette portion de grotte vidée de ses ennemis, les membres de l’expédition respectaient ce silence funeste. Chacun savait que le capitaine venait douloureusement de perdre sa fiancée. Ce fut un autre membre qui vint rompre ce silence.

« Pour ceux qui viendront après. Eugénie, Myriam, Alain, Françoise, Damien, Albert, Flora et Valentine ont affronté l’ennemie avec bravoure, avec cette férocité que nous avons tous dans cette expédition 75, déterminée à avancer toujours plus loin, ce que nous avons fait avec brio. Nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner maintenant. Nous devons poursuivre notre chemin, pour les honorer, pour les citoyens de Lumière, et pour nous mettre à l’abri nous-mêmes. Une fois que nous serons sortis d’ici, nous pourrons dresser le camp. Là seulement, nous pourrons permettre à nos cœurs meurtris de s’abandonner à leur tristesse. »

La volonté d’Orphée était d’une solidité indestructible, ne laissant sa sensibilité se traduire que par le filet de larmes qui humidifiait légèrement ses yeux d’un bleu intense. L’ensemble des membres de la 75 avaient attentivement écouté les propos du jeune homme à la longue chevelure blanche, réunis en un chignon. Maximilien fut le premier à acquiescer verbalement, reconnaissant du sang-froid d’Orphée. Ce dernier avait permis de redonner l’élan du courage à l’expédition, aux côtés de la rage profonde qui habitaient certains.

Ils s’engouffrèrent davantage dans la grotte pour se confronter peu après à des ramifications. Dans un large soupir teinté d’un agacement palpable, Maximilien ordonna que les dix membres se séparassent en cinq binômes. Ils se rejoindraient à ce point précis, marqué par le bandeau d’Albert, dont le 75 était brodé avec soin.

Orphée s’embarqua dans la ramification la plus à gauche, accompagné de Mia. L’obscurité et le calme qui régnaient provoquèrent de nombreux frissons qui remontaient le long de leur échine. Les gouttes s’écrasaient au sol, dans des flaques déjà formées dont l’humidité était particulièrement désagréable pour les membres de l’expédition. Dans ce deuil si lourd, nul n’avait le cœur à parler.

Alors que le binôme s’avançait dans la ramification, ils s’approchaient d’une sinuosité. Au loin, ils distinguèrent une lueur vacillante. Le regard d’Orphée croisa les iris noirs de Mia. Un cri abominable retentit subitement. Simultanément, la terre avait fortement tremblé sous leurs pieds. Restait-il des Hexga au sein de ces ramifications ? De concert, ils se précipitèrent en arrière. D’autres hurlements déchirants leur parvinrent tandis qu’ils se perdaient au cœur du dédale.

Orphée avait déjà juré à plusieurs reprises. Ils avaient croisé les cadavres de Gabriel et Célia, de Fantine et Tatiana. Le binôme parvint à une échappatoire, donnant sur la mer. Ils retrouvaient les falaises.

Le jeune homme n’avait plus de juron assez puissant pour exprimer l’atrocité de la situation. Sur un pont de roches gisait le corps sans vie de Maximilien. Franz, qui l’accompagnait, était introuvable. La nuit réduisait leur perception, seulement, ils en étaient désormais persuadés. Ils étaient seuls.

Mia s’effondra sans un mot. Orphée demeura alerte à juste titre : l’étrange lueur vacillante semblait sortir des tréfonds ténébreux de la nuit, s’intensifier et s’approcher. Il se plaça en bouclier humain devant Mia, ayant fait l’hypothèse qu’il avait éventuellement face à lui la fameuse Chevalière d’Or si destructrice.

Derrière Mia, s’étant faufilé dans l’ombre, un Hexga les surprit. De toutes ses forces, il abattit sa massue gigantesque sur le pont de roches. Ce dernier commença alors à s’effondrer sous les pieds du binôme qui tenta de bondir de l’autre côté. La jeune femme y était parvenue, rassemblant ses esprits. Elle était dorénavant inatteignable du Hexga, le pont fut entièrement détruit par l’impact.

« Orphée ! », s’époumona-t-elle, se dirigeant vers le précipice provoqué par l’anéantissement du pont.

Le jeune homme, quelque peu sonné, était parvenu à s’accrocher à une faille dans le mur rocheux. Il leva le regard pour distinguer plus haut, difficilement malgré la nuit, Mia. Soulagé de savoir sa dernière camarade dans une meilleure position que la sienne, un soupir lui échappa malgré sa situation.

« Attrape ma main, Orphée ! », lui hurlait la jeune femme.

Orphée, bien conscient qu’une distance trop importante les séparait, tendit son bras. Il demeura interloqué lorsqu’il ressentit le contact de Mia. Seulement, sa surprise s’accrut lorsqu’il ressentit que la main qu’il l’avait agrippé s’accompagnait d’une nouvelle main. Il saisit immédiatement qu’il ne s’agissait guère de Mia. Ces mains l’attrapaient d’une si puissante poigne, témoins d’une force démesurée. Démesurée, la taille de ces mains l’était également, elles avaient enveloppé ses deux bras avec aisance.

Le jeune homme retrouva le contact des roches à ses pieds après avoir eu l’impression de flotter un moment. Il eut à peine le temps de répondre à l’étreinte de Mia qu’il distinguait alors une lanterne. Une seconde s’alluma, suivie d’une troisième et de multiples autres.

La créature se dévoilant à eux eut fait pâlir n’importe quel membre d’expédition. De nombreux bras s’amalgamaient autour d’une cape informe sous laquelle il était possible de distinguer un crâne, celui-ci semblant fixer le binôme de ses sombres orbites vides. Les bras se mouvaient dans tous les sens, principalement ceux libres de lanternes.

Le binôme fut pétrifié par une telle vision. Un des bras du Maître des Lampes se dirigea vers eux. Le mouvement n’était aucunement brusque, aussi Orphée conserva son immobilité. Le bras du Névron s’approcha davantage. Il fit présent à Orphée et Mia de cette lampe.

« Merci », souffla Orphée sans comprendre le geste du Névron.

Celui-ci les considéra encore quelques instants. Un combat contre eux ne l’intéressait point. Le Maître des Lampes appréciait les assauts égaux. Ce reste d’expédition en ruines méritait un brin de lumière plus que de la cruauté.

Une lanterne s’éteignit. Une seconde perdit son éclat, suivi d’une troisième et de toutes les autres. Le Maître des Lampes s’effaça.

Orphée et Mia, éclairés et réchauffés par la chaleur dansante de cette lanterne, se fixèrent sans un mot. Ils étaient les derniers survivant de l’expédition 75.

« Pour la 75 », glissa Orphée, partageant dans son regard la flamme qui brûlait dans la lanterne qu’il venait de saisir.

« Pour ceux qui viendront après », répondit Mia, le regard embrasé.

Ils franchirent les limites des Falaises de Rochevague peu de temps après pour installer leur camp, hisser leur drapeau un soir de plus.


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