Névrons Chevronnés

Chapitre 3 : Névron - Axon

722 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/11/2025 22:11

[Axon]


« Qui suis-je sans l’art… ? Qui suis-je sans vous… ? »

Ces mots prononcés d’une voix grave et profonde, résonnaient entre les murs de l’atelier de Renoir.

Il plongea les doigts dans sa chevelure grise tout en soupirant. Ce soupir, bien qu’il fût sonore, n’avait été entendu de personne. Dans cet atelier, la seule présence qui occupait l’espace était celle du vieil homme.

Pourtant, il fut un temps où cet atelier s’animait des voix de l’ensemble de la famille Dessendre. Comme Renoir pouvait regretter l’alchimie de leurs cinq vies réunies dans la même pièce.

« Leurs rires si sonores lorsqu’ils s’inventaient toutes sortes d’histoires me manquent tant… Je préfèrerais encore entendre les éclats de colère lors de leurs désaccords dans leurs créations que ce silence assassin », pensait-il, fixant sans but l’ébauche de son dernier tableau.

Renoir se saisit machinalement de son pinceau et, comme à son habitude lors de ses réflexions, il le remua dans l’eau. Le peintre grommelait dans sa barbe en observant les poils du pinceau se mouvoir si aisément dans son verre. Les ondulations l’hypnotisaient, devenaient si familières, lui rappelant sans cesse l’Axon créé à la suite de cette image. Sirène. L’image de sa femme se superposa à cette gracieuse vision. Aline, cette peintresse à l’éternel talent, sa muse !

Dans le cœur de l’homme blessé se mêlèrent nostalgie et colère. Voir ainsi sa femme dépérir, si impuissant devant cette situation… Oui, lui aussi souffrait du décès si tragique de leur fils, de Verso. Être le premier à parvenir à avancer dans le deuil tout en voyant Aline et Alicia sombrer et Cléa le fuir dans un esprit de vengeance l’isolait d’autant plus dans cette souffrance. Verso n’était plus, perdre sa femme et sa fille à cause de ce maudit tableau qui les consumait lui était inenvisageable.

« Verso… Fils, mon cher fils… tu es parti alors que nous avions encore tellement à dire… Je t’en prie, aide-moi à sauver ta mère et ta sœur d’une perte certaine… , murmura-t-il, les paupières closes, serrant fermement son pinceau. Qui est-il, en quoi Verso est-il Verso ? »

Le pinceau de Renoir s’agita nerveusement sur une nouvelle toile.

« Verso… Celui qui garde la vérité par des mensonges… Tout ce que Verso prononce, c’est à demi-mot, en demi-teinte, peu importe la couleur. Que chaque mot soit dans la nuance de cette couleur, ni blessant, ni réjouissant, seulement présent. Silencieux dans cette présence, suivie pourtant d’une absence des plus bruyantes.

Devrais-je dépeindre ta discipline, ta rigueur d’un trait franc, droit et épais ? Et l’accompagner ainsi, çà et là, de jolies courbures pâles ? Elles s’accorderaient à ta volonté de te plier à tout pour correspondre à ce que les autres voulaient de toi. Penses-tu que je n’avais pas observé ton amour pour la musique bien plus dense que celui de la peinture ? Jamais tu n’aurais avoué une telle vérité, non, oh jamais ! Jamais tu ne blesserais Aline, elle aurait tant de peine à cette idée, n’est-ce pas ce que tu pensais ? Elle qui t’aime tant, dont tu es le favori, son petit ange. Sa perfection.

Ton visage Verso, comment peindre ton visage… ? Ton visage ? Mais quel visage ? Mon fils, tu ne seras jamais un vrai artiste s'il y a toujours un masque entre toi et le spectateur, surtout quand le spectateur, c'est toi. Comment esquisser l’éclat de tes yeux, les courbes de tes lèvres, si toi-même tu refuses de les regarder, de les voir, de les connaître et de te les avouer ? Tu protèges les autres pour mieux te détruire mon cher fils. Comment choisir la couleur embrassant la palette de tes sentiments, quand la tornade chromatique s’empare de tes émotions ? »

Renoir laissa sa main retomber sur sa cuisse, une larme roulant sur sa joue, envahi par son monologue intérieur.

« Oh mon fils, mon cher fils… Je les peindrai tous, tous tes Visages. »

 


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