Code Alpha 2.0: Rainy Days

Chapitre 8 : Chapitre 8: Une promesse en chocolat

3056 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 30/07/2019 12:59

Violette


« Bonjour mademoiselle ! Qu'est ce que je vous sers ? » demanda le jeune homme d'un ton joyeux.

Paul était un jeune apprenti boulanger. Il était loin d'être stupide, et était très cultivé, généralement plus que ses clients, avec qui il parlait de tout et de rien. C'était une sorte de philosophe du dimanche en herbe, aimant bien se poser des questions existentielles et en discuter avec les gens qui passaient dans le rayon pâtisserie du supermarché dans lequel il travaillait. On pouvait sans conteste dire que c'était quelqu'un d'agréable à côtoyer, qui dessinait des sourires sur les visages maussades des consommateurs qui venaient le voir. Il était un peu physionomiste et connaissait bien chacun de ses clients, gardant en mémoire leur physique et toutes les informations à leur sujet. Et puis, généralement, c'était les même habitués du quartier qui venait. Avec parfois de nouvelle tête, mais c'était assez rare.

Et puis un jour d'été, elle était arrivé. Il ne l'avait jamais vu, sinon, il s'en serait rappelé. Comment aurait-il pu oublier une telle beauté ? Une beauté aussi... peu commune, aussi étrange ? La jeune fille aux longs cheveux bleus s'était arrêté devant le coin qui lui était attribué. Elle poussait un cadis presque remplis et tenait à la main une liste de course très précise de ce que Paul pouvait voir. Quand elle passa devant l'étalage de gâteaux, croissants et éclairs au chocolat en tout genre, elle s'arrêta, surprise. Sans dire un mot au jeune boulanger, elle resta quelques instants à simplement contempler les différentes confiseries, comme si c'était la première fois qu'elle en voyait Paul, avec son énergie habituelle, lui avait posé la question elle aussi habituelle. La fille avait fait un bond en arrière de surprise et l'avait regardé avec des yeux ronds.

« Vous allez bien ? s'empressa de demander le jeune homme. Elle ne répondit pas tout de suite, le regardant avec un mélange d'intérêt et de curiosité.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda t-elle rapidement. Elle pointait du doigt un pain au chocolat. Le dernier de la journée.

- C'est un pain au chocolat, dit-il calmement avec un grand sourire, pensant avoir à faire à une comédienne de très haut niveau.

- A quoi est-ce que ça sert ? rajouta t-elle. Elle posait ses questions sur un ton sec, faussement autoritaire. On pouvait tout de suite comprendre qu'elle était en réalité très intriguée.

Paul eut un petit rire face à cette cliente assez inhabituelle, ce qui la fit sursauter de nouveau. Il sortit de la vitrine la fameuse pâtisserie et la tendit à la fille aux cheveux bleus.

- Tiens, mange et tu verras.

Violette était surprise. Elle avait déjà vu Antoine manger, et elle avait crû comprendre que les courses qu'il lui avait envoyé faire était dans le but de le ravitailler en... nourriture ? Mais elle n'avait jamais "mangé". Elle n'avait pas posé la question à Antoine, car elle avait aussi saisi qu'il n'aimait pas trop qu'elle parle, il préférait qu'elle obéisse. Il lui faisait beaucoup de piqûres, c'était vrai. Peut-être que ça remplaçait ce besoin en nourriture. Mais alors que l'homme lui tendait l'objet de ses interrogations, son esprit jeune et innocent brûlait et se tordait dans tout les sens. Avait-elle le droit ? Le blondinet lui avait donné une liste d'interdiction bien précise, mais elle ne savait pas si cela en faisait parti. Une chose était sûre : elle en avait envie. Elle ne savait même pas ce qu'était une envie, mais c'était ce qu'elle ressentait en ce moment. Si elle le faisait, est-ce qu'Antoine lui en voudrait ? Pendant les quelques secondes qui s'écoulèrent, elle calcula tous les scénarios possible, allant du pire au plus inconséquent.

Et finalement, elle prit doucement le pain au chocolat, doucement comme si elle manipulait une bombe de retardement. Elle le porta à ses lèvres, jetant un coup d'œil au boulanger pour s'assurer qu'elle le faisait correctement. Elle croqua et le lâcha soudainement de surprise.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Ce n'est pas bon ? s'enquit Paul, déconcerté.

Elle le ramassa doucement et renouvela l'expérience. C'était la même chose. Elle ressentait des saveurs qu'elle n'avait jamais connu auparavant. C'était... agréable. L'éducation partielle d'Antoine lui avait omis beaucoup de chose, elle était assez intelligente pour s'en être rendu compte, mais elle avait été aussi suffisamment intelligent pour faire croire à son "créateur" de l'inverse. Il lui avait parlé, rapidement, de ce que signifiait le mot "agréable", mais il n'en avait donné que sa définition. Selon lui, si on se tenait la main, cela devait être agréable. Mais manger ce pain au chocolat l'était plus. Était-il possible que son Créateur et elle aient une notion différente de ce qui était agréable et de ce qui ne l'était pas ?

- Si. C'est... bon. C'est très... bon, dit-elle en cherchant ses mots.

Se souvenant soudainement que tout bien présent dans ce supermarché avait un prix, elle sortit le porte-feuille qu'Antoine lui avait confié. Elle avait retenu qu'elle ne devait le donner à personne, et uniquement en sortir le montant d'argent demandé.

- Oh non, c'est pour moi. De toute façon c'était le dernier de la journée, je n'aurais jamais pu le vendre demain ! fit-il en riant à la vue des billets que sortait Violette.

Autre chamboulement pour la jeune fille. Son Créateur lui avait longuement expliqué qu'on ne donnait rien dans la vie, que tout n'était qu'échange. Pourtant... le jeune homme venait de lui offrir de la nourriture... gratuitement. Il ne semblait pas attendre quoi que ce soit en retour. Violette n'était pas stupide. Elle comprit aussitôt qu'Antoine ne lui avait dit que ce qui l'arrangeait. Qu'il voulait qu'elle soit un pantin stupide, uniquement capable de suivre ses instructions sans réfléchir. Trop de choses ne concordaient pas avec le monde extérieur qu'elle avait eu parfois le temps d'entrapercevoir. Ce simple acte de bonté lui prouvait qu'on lui avait caché des choses. Elle se sentait trahie. Depuis sa « naissance », Antoine avait été tout pour elle. Il lui avait dit qu'elle devait lui être reconnaissante pour sa naissance, et par conséquent elle l'était. Elle aurait été prête à tout et n'importe quoi pour lui. Mais rapidement, elle se rendit compte que cette relation n'allait que dans un seul sens. Antoine s'en fichait d'elle, de ce qu'elle pouvait bien vouloir. Il était même probable qu'il pensait qu'elle n'avait aucun désir propre. Qu'elle n'était qu'une chose. Sa chose. Uniquement sa lutte contre Hannibal avait de l'importance, et Violette n'était qu'un outil, un pion dans cette guerre silencieuse. La jeune fille enchaînait les missions sur Lyoko, dormait seule à l'usine pendant que lui rentrait chez sa tante. Dans un sens, elle s'était sentie seule, sans même savoir ce que c'était que la solitude, sans jamais avoir connu quoi que ce soit d'autre. Et là... ce simple cadeau, ce simple pain au chocolat changeait la donne. Le monde n'était pas remplis de mini-Antoine. La vision des choses qu'il avait essayé de lui imposer n'était vrai que pour lui.

Commença alors une double vie pour Violette. D'un côté, elle était la création d'Antoine, le suivant dans tout ses plans de bataille contre ses rivaux, et de l'autre elle était Violette, une cliente du supermarché du coin, et habituée du rayon pâtisserie. Antoine ne comprit pas pourquoi elle insistait tout les jours pour aller lui faire les courses ou lui acheter un encas. Il dû prendre ça pour une réussite : sa pièce maîtresse apprenait à le servir de mieux en mieux. Tous les jours, elle retrouvait Paul, pratiquement à la même heure. Ce dernier aussi attendait le moment où cette étrange fille aux cheveux bleus viendrait le voir. Elle insistait pour payer désormais, et malgré la grande générosité du boulanger, ça l'arrangeait, sa paie n'aurait pas supporté d'offrir tous les jours des sucreries, même à la nana la plus belle qu'il ai jamais vu. Elle restait avec lui un bon quart d'heure, mais parlait peu. Généralement, elle arrivait avec une question tellement simple que si quelqu'un d'autre l'avait posé, cela aurait eu l'air absurde. Mais venant d'elle, ça ne le choquait pas. Il avait l'impression qu'elle ne lui mentait pas, qu'elle était sincère dans ses questionnements.

« Pourquoi ? demandait-elle avec curiosité, souvent sur des sujets portant sur le bonheur et l'accomplissement personnel. Et il s'empressait de lui donner son point de vue.

Elle commençait à véritablement l'intriguer. Il essayait de lui aussi l'interroger, mais elle éviter toujours de donner des réponses. Au final, il ne savait rien sur elle, si ce n'était son prénom : Violette. Ça n'allait pas l'aider pour faire des recherches... Et ce n'était pas son genre de stalker comme ça une nana. Puis un jour elle cessa de venir. Ce fut à partir de la rentrée de septembre. Sans prévenir, et du jour au lendemain. Paul fit des annonces dans la clientèle du supermarché, mais personne ne connaissait cette jeune fille à la couleur de cheveux aussi inhabituelle.

Violette n'avait pas eu le choix. Le mois de septembre annonçait le début des hostilités entre Antoine et ceux qu'ils surnommaient les « pions d'Hannibal ». Elle n'avait plus le temps de papillonner de la sorte. Mais elle était reconnaissante, Paul lui avait beaucoup appris. Cependant, elle devait faire semblant de n'avoir pas évolué auprès de son créateur, sinon il aurait l'impression de perdre le contrôle et qui savait de quoi il serait capable ? Il lui avait donné la vie, il n'était pas incohérent qu'il pense la posséder entièrement. Ainsi, du haut de ses quelques mois, elle avait rattrapé une bonne partie de son retard, grâce à ce drôle de boulanger. Ca lui avait beaucoup plus, et si elle avait connu l'importance du mot « merci », elle lui aurait dit un bon millier de fois. Malheureusement, ça ne faisait pas partie des leçons d'Antoine. Lui-même n'utiliser jamais ce mot, ainsi, il était absent du vocabulaire de la jeune fille. Une autre expression qu'elle ne connaissait pas et qui lui aurait été utile, c'était au revoir.

Ce mardi soir là, Antoine était de mauvaise humeur. Violette restait assise dans son coin habituel, à attendre tel une poupée de porcelaine, sans même cligner des yeux.

« Merde. Merde, merde, merde ! criait-il.

Il avait gardé son calme devant Melvin afin de donner l'impression qu'il avait le contrôle de la situation. Mais en réalité, la situation lui échappait totalement, et cela se voyait. Il avait énormément compté sur le retour d'Ambre pour sa lutte contre Hannibal, mais si l'informatique n'avait de toute évidence plus aucun secret pour lui, les rapports humains étaient une science qu'il ne maîtrisait pas du tout. Ça avait salement dérapé. Non seulement ramener sa sœur allait être encore plus compliqué maintenant, mais il avait perdu un pion. Certes, ce n'était pas un pion très important, mais c'était toujours embarrassant de voir une pièce périr non pas à cause d'un coup de l'adversaire mais à cause de ses propres erreurs. Surtout avant que la partie ne commence véritablement.

A : Antoine, calme-toi. Je sais que ne pas pouvoir retrouver Ambre te touche, mais ce n'est pas le moment d'oublier notre objectif principal.

- Je sais, Alpha, je sais ! J'ai... j'ai investi beaucoup trop de temps là dedans. Bon, au moins nous avons toujours notre avance.

Il commença à faire les cent pas dans le laboratoire.

- Si les informations qu'il m'a donné cet été sont corrects, et je n'ai aucune raison de croire qu'elles ne le sont pas, leur offensive aura lieu après-demain à Kadic. Alpha, où en est la récolte d'énergie ?

La contre-attaque qu'Antoine préparait depuis plusieurs semaines allait être très coûteuse. Ce n'était pas une activation de tour standard, bien au contraire. Il avait dû s'y prendre énormément à l'avance pour être sûr à au moins 90 % que ça puisse fonctionner.

A : Tout se passe comme prévu. Tu seras en mesure d'activer les tours requises jeudi.

- Et où en est...

Il jeta un regard vers Violette après s'être interrompu.

- Où en est le projet R ?

A : Il est en bonne voie aussi. Bien sûr nous avons perdu du temps avec les événements d'hier après-midi, mais rien d'irrattrapable.

- Parfait ! Parfait ! »

Le blondinet éclata de rire. L'isolement mélangé au fait de ne communiquer qu'avec des intelligences artificiels avait eu indéniablement un effet négatif sur sa personnalité. Après avoir rencontré quelqu'un comme Paul, Violette comprenait que quelque chose clochait chez son créateur. Il leur annonça qu'il allait travailler sur son projet pendant la nuit depuis chez lui et quitta l'usine en éteignant les lumières, laissant « sa Reine » seule dans la pénombre. Elle attendit quelques instants avant de prendre sa place à l'ordinateur central.

Depuis toujours, elle communiquait avec Alpha. Elle le voyait comme son véritable père. Enfin, étrangement, plus comme une mère car elle avait remarqué que l'intelligence artificielle accordait ses adjectifs au féminin. Contrairement à Antoine, elle ne lui avait jamais rien caché. Et si Paul lui avait fourni un enseignement sentimental sur ce que c'était d'être humain, Alpha l'informait sur tout le reste. C'était les deux seules personnes avec qui elle se permettait de ne pas faire semblant. Pour Antoine, ses alliés et même ses ennemies, elle se devait de paraître telle une machine sans âme.

V: J'ai compris quelque chose aujourd'hui.

A: Je t'écoute Violette.

V: Mes "crises" sont de plus en plus fréquentes, de plus en plus longue. J'ai étudié les résultats des scanners qu'Antoine a négligé.

A: Je vois.

V: Tu es déjà au courant, n'est-ce pas ?

A: Précise tes propos.

V: J'ai une durée de vie allant de trois mois à un an.

Violette tremblait. C'était une chose de faire des théories, mais si Alpha les confirmait, elles devenaient la réalité.

A: Exact.

La jeune fille posa ses mains sur sa tête. Elle s'en était doutée. Elle l'avait redouté. Elle n'était pas aussi parfaite que le prétendait Antoine. Au contraire, elle était totalement incomplète. Il l'avait crée en vitesse face à la nécessité et il en était parfaitement conscient. Ce n'était pas pour rien qu'il travaillait sur un « projet R », qui devait annoncer la naissance de sa remplaçante...

A : Je suis désolée, Violette.

V: Est-ce que ça a un rapport avec ce qui m'a été injecté quand j'étais à l'infirmerie ?

A: Peut-être. J'ignore ce qui t'a été injecté.

Elle se mit à rire, d'un rire triste et forcé. Il était clair qu'en l'absence d'Antoine, ce n'était plus du tout la même personne. Elle avait mis tant de temps à apprendre, à apprécier ce qui l'entourait, à apprécier la vie qui lui avait été donné... pour qu'en réalité tout cela ne soit qu'une simple brise. On allait tout lui retirer, aussi rapidement qu'on le lui avait donné. Ce n'était pas juste. Ce n'était pas juste, mais c'était comme ça, et elle comprit rapidement qu'elle ne pourrait rien y changer. Alors elle l'accepta. De son point de vue, le simple fait d'avoir pu vivre, ne serait-ce que quelques mois avait déjà été une chance inouïe.

Antoine m'a donné la vie. Même s'il ne le saura jamais, c'est grâce à lui que j'ai pu comprendre ce qu'étais le plaisir de manger un pain au chocolat... je me demande d'ailleurs si ça aurait été... agréable d'embrasser Paul. Je suppose que je ne le saurais jamais. Toujours est-il que si j'ai eu la chance de pouvoir apprécier tout ça, c'est parce qu'il a été là. Je lui suis reconnaissante, et avec le peu de temps qu'il me reste, je ferais tout pour qu'il remporte son combat.

C'était sa résolution, ça allait devenir sa dernière raison d'exister. Rembourser sa dette, dessiner un sourire sur le visage d'Antoine tout comme on en avait dessiné un sur le sien.

V: Dis moi, Alpha... Il y a toi aussi des choses que tu ne dis pas à Antoine.

A: Précise ton propos.

V: Cet été, tu étais étrangement au courant de ce qui se passait lorsque... Lorsque ce qui est arrivé... est arrivé. Comme si tu avais été en contrôle.

A: Je trouve ça horrible qu'Antoine ne puisse jamais réaliser à quel point tu es parfaite, Violette. Oui, tu as raison, c'est moi qui ai provoqué ces événements.

Antoine était intelligent, c'était sûr, mais il était trop imbu de lui même pour se remettre en question, ce qui limitait ses options. Il était par exemple persuadé qu'Alpha et Violette étaient sous son contrôle, alors qu'en réalité les deux gardaient une certaine indépendance et qu'Alpha était loin de lui avoir livré tout ses secrets.

V: Qui es-tu, Alpha ?

A : Je ne peux pas te le dire.

V : Tu ne me fais pas confiance ?

A: Oh si, Violette, tu n'as pas idée à quel point. Tu m'as déjà tellement aidé par le passé.

V : Je n'existe pas depuis longtemps. Comment ai-je pu t'aider ?

A : J'en ai trop dit. Arrête de te tourmenter avec tout ça. Tu ne veux pas prendre ta soirée et rendre visite à ton boulanger ? Je sais que tu en as envie.

V : Non. Il me reste peu de temps, et j'ai déjà eu la chance de pouvoir comprendre ce que c'était d'être heureuse. Maintenant, je dois renvoyer l'ascenseur à Antoine, même s'il ne le saura sans doute jamais.

C'était là la promesse qu'elle s'était faite à elle même. Une promesse en chocolat.


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