Code Quantum : les voyages oubliés

Chapitre 6 : 9 octobre: le portfolio

1700 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/11/2023 15:59

Chapitre 6:


9 octobre, le portfolio


Alors que nous traversions un New York embrumé par la fatigue du matin, cheminant de bus en métros, mon camarade invisible et moi-même faisions le point sur les éventuelles raisons du meurtre qui allait arriver prochainement dans mon appartement.

Bien entendu, Al assurait la majeure partie de la discussion: peu importe les époques, les gens ont toujours eut du mal à savoir comment réagir en me voyant parler "tout seul".

Je n'avais seulement côtoyé Herbert qu'une poignée de minutes, mais il se dégageait de lui une telle fougue et une telle joie de vivre que je ne pouvais me résoudre à imaginer un crime passionnel. L'argent caché dans la boîte à biscuits pouvait attiser des convoitises, c'était certain. Juan, et son commerce de morphine, semblait être une indéniable source de conflit. Et pour finir, le quartier et le quotidien de Paco pouvaient également réserver leur lot de surprises.

-Le rapport d'intervention est assez sommaire, ajouta Al désabusé, debout au milieu de l'allée du bus, imperturbable, une tasse de café à la main. Une bavure policière n'est pas à exclure.

Il portait les mêmes vêtements que la veille. Pour lui aussi, la nuit avait dû être courte. Je n'osais pas lui demander quelle heure il était pour lui.

Le soleil ne s'était pas encore levé, les rues sombres étaient presque désertes, mais les transports en commun charriaient déjà une foule considérable. Sans que cela ne le dérange, Al était sans cesse traversé par des passagers montant et descendant aux arrêts successifs tandis que nous approchions du Lebanon Hospital.


Dieu merci, Paco n'était pas infirmier, mais aide soignant. J'ai déjà été vétérinaire, m'occuper d'animaux ne me posait aucun problème, mais prodiguer des soins à un être humain avec ma mémoire défaillante, ça n'aurait pas été la même chose.


Ziggy, l'ordinateur en charge du projet Quantum, nous avait communiqué les plans du bâtiment, et nous nous dirigions vers mon service.

Comme le laissait présager l'extérieur massif et austère du bâtiment, ses installations étaient vétustes. La peinture des murs s'écaillait par endroit, certains néons étaient grillés et, sur leur brancard, quelques patients dormaient dans les couloirs.

Délaissant l'effervescence de la réception à l'aide d'un ascenseur fatigué, je suivi Al dans les étages du Lebanon Hospital.

En dépit de sa rude apparence, le Lebanon était une machine bien huilée. Une fiche m'attendait à l'entrée des vestiaires me détaillant le programme de ma journée.

Ainsi, après avoir signifié ma présence au bureau des infirmières, j'entamai rapidement la première tâche de ma journée : la distribution du petit déjeuner.

Sans faire preuve de dédain à son égard, les collègues de Paco ne semblaient pas avoir une grande considération pour lui. Il était là, faisait partie du décor et s'acquittait du boulot qui lui était confié.

Pas invisible, mais presque.

C'est du moins l'impression que ce début de matinée me donnait. Il fallait dire que les médecins étaient aux abonnés absents et les infirmières en sous-nombres.


Disparaissant de nouveau derrière sa porte lumineuse, le devoir accompli, Al était parti se reposer après mon passage aux vestiaires. Ils étaient mixtes, et espérant y croiser quelques infirmières, Al avait tenu à m'y accompagner sans même feindre autre chose que son voyeurisme libidineux naturel. Mon invisible ami avait bon fond, mais de mauvais réflexes, et lorsqu'il s'agissait des femmes, il perdait tout sens commun et, parfois même, toutes dignités.

Heureusement pour son karma, les vestiaires étaient vides.

Cependant, s'il avait eu un aperçu plus précis de ce que me réservait cette journée, il serait resté.


Poussant tranquillement mon chariot sur lequel tintinnabulaient tasses et couverts, je fus accueilli à bras ouverts par l'une des dernières patientes du service.

Seule dans sa chambre, une grande brune enfumait les lieux de la cigarette à demi consumée qu'elle serrait entre ses longs doigts fins. À en juger par les cadavres s'entassant dans le cendrier, l'interdiction de fumer l'inquiétait à peu près autant que sa santé.

La cinquantaine énergique, de grands yeux pétillants sombres cadrés de distinguées pattes d'oies, elle était aussi fine et enivrante que la tige sur laquelle elle tirait.

Elle me lança :

-Haaa! Le voilà, mon artiste !

L'espace d'une seconde, j'en aurais oublié "qui" j'étais. Je ne pû articuler qu'un malhabile :

-Heu oui, c'est moi.

Un rapide coup d'œil à la liste accrochée à mon chariot m'apprit que je faisais face à Madame Turner (et qu'elle prenait son café noir, accompagné de deux petits pains au lait). Son tailleur et son attitude m'indiquaient qu'elle était sur le départ. Ça, et la valise ouverte posée sur son lit fait au cordeau.

-Comment allez-vous ce matin Madame Turner?

Je me faisais l'effet d'un gosse pris de béguin pour sa nouvelle institutrice.

Les poings sur les hanches, elle secoua la tête :

-Je te l'ai déjà dit Paco: appelle-moi Page.

-Bien, Madame Turner.

La brune eût un rictus amusé puis sa montre à quartz émit une discrète sonnerie. Elle en pressa deux petits boutons pour la faire taire et me saisi par l'épaule, me tirant vers elle. Nous nous sommes alors posté face à la fenêtre. Son impatience était palpable :

-Il est huit heures, il ne va pas tarder.

A l'extérieur, le soleil matinal étendait les ombres des bâtiments sur les rues et reflétait ses rayons revigorés sur les nombreuses vitres de New York.

Je ne compris ce qu'on attendait qu'en le voyant.

Apparaissant de derrière un obèse château d'eau, sur ses rails perchés, la masse grisâtre du métro cheminait à vive allure. Terminant cette triste chenille métallique, des motifs colorés ornaient le dernier wagon : mes motifs colorés.

Ce n'était pas un wagon abandonné finalement.

A la vue de l'imposant mot GHOST surplombant les passant, la patiente trépigna d'une excitation difficilement contenue :

-Ça, c'est vivant ! Ça, c'est percutant !

Elle ajouta en plongeant ses yeux dans les miens :

-Ça, c'est de l'art !

Électrisée, elle leva son index puis se pencha entre le lit et la petite table de chevet d'où elle sortit une grande pochette pour me la donner. C'était une large pochette verte fermée de deux élastiques. Elle était épaisse et tachée de peintures. Quelques coins de feuilles en dépassaient.

-Qu'est-ce que c'est ?

Elle fronça légèrement les sourcils :

-Ton portfolio !

J'eus un petit sourire gêné :

-Mais oui bien sûr.

-Il fait vraiment que tu viennes avec moi en Californie ! S'emporta Page, elle décompta sur ses longs doigts : je pourrais t'avoir un atelier, un espace de création, tu pourras exposer !

Je ne l'écoutais que d'une oreille. Était-ce là un différent possible entre Herbert et Paco ? Était-ce une raison suffisante pouvant mener à une altercation ? La théorie du crime passionnel ne me plaisait pas. Non, ce ne pouvait pas être ça. Je décidais de trancher cette question avant que les théories de Al ne prennent le dessus sur ma réflexion :

-Il faut que j'en parle avec mon compagnon.

Le mot me sembla presque maladroit. "Compagnon". L'étaient-ils seulement ?

Perplexe Page se pencha vers moi :

-Herb? Je ne comprends pas... Aurait-il changé d'avis ?

Elle marqua à nouveau une pause. Visiblement Herbert était au courant et soutenait l'idée. Je résumais mentalement la situation, essayant de synthétiser les non-dits : Page était une mécène s'étant pris de passion pour l'art de Paco et Herb soutenait l'idée d'un départ à l'autre bout du pays. La théorie du crime passionnel tenait de moins en moins la route.

Après l'avoir rassuré sur la situation autant que faire se peut, considérant la maigre masse d'information à ma disposition, je pris congé. Je laissai donc Page face à son café noir et ses petits pains.

Elle me rappela néanmoins que je devais, sans faute, la retrouver le lendemain à son hôtel afin de lui "montrer mes œuvres". Herbert et Paco avaient prévu de lui montrer quelques graffitis. J'allais en conséquence devoir jouer les guides touristiques.

Je laissais ces préoccupations pour plus tard pour me consacrer sur la tâche suivante sur mon planning : terminer l'inventaire de la pharmacie.



La pièce était petite, les boîtes nombreuses et la supervision absente. Pas étonnant que Paco ait pu sans mal faire disparaitre quelques boîtes de morphine. Ce que j'avais fermement décidé de ne pas réitérer, dussé-je subir la colère de mon frère. Du frère de Paco, pour être précis.

Inquiet que j'étais en quittant mon appartement au petit matin, j'en avais oublié de prévoir quoi que ce soit pour le repas de midi. La faim faisait grogner mon estomac, j'allais sous peu devoir me mettre en quête du réfectoire.

Cerné par les étagères, la faim et l'ennui, je m'appliquait consciencieusement à ma tâche lorsqu'une voix familière m'interrompit :

-Salut beau gosse.

À genou au milieu des boîtes, je levais les yeux pour voir dans l'encadrement de la porte :

-Herb!

Sa silhouette était découpée par les néons du couloir, il semblait rayonner, tout souriant de m'avoir trouvé.

Il portait une veste en jean par-dessus un vieux t-shirt. Était-ce moi ? Était-ce Paco? Mais je lui trouvai fière allure.

-J'ai eu du mal à te trouver, la vieille Ratched au comptoir là-bas a failli appeler la sécurité ! Annonça entre hilarité et bravade.

-Mais qu'est-ce que tu fais ici?

Il leva dans la lumière un petit sac de papier craft dont s'échappé un alléchant parfum. Herbert annonça comme si c'était l'évidence même :

-Il est midi. Allez laisse ça. On va manger.

Le cœur de Paco s'emballa légèrement dans ma poitrine.

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