Code Quantum : les voyages oubliés

Chapitre 7 : 10 octobre 1983, le dernier jour

1523 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 07/12/2023 18:34

Chapitre 7:

10 octobre, le dernier jour



La nuit avait été courte, une fois de plus. C'était donc fatigué, et sans regret de l'être, que nous arrivions dans le hall du St Regis Hotel.


La veille au soir, Herbert était venu me rejoindre après mon service. Sous la lueur des lampadaires et des étoiles, nous avons déambulé dans le jardin botanique, avalés des hot-dogs débordants d'onions et de moutarde et parlé une bonne partie de la nuit.

J'avais enfin pu faire connaissance avec celui que j'étais venu sauver : un jeune homme avec des rêves de voyages plein la tête et l'envie de bien faire.

L'année précédente, il avait fait la promesse à sa mère, sur son lit de mort, d'être un homme honnête.

Il s'y attelait chaque jour.

Passant d'un petit boulot à un autre, Herbert s'était découvert une passion pour la littérature depuis qu'il avait décroché un petit job dans une bouquinerie du Bronx.

Il riait fort, aimait Paco profondément et avait la vilaine manie de donner des surnoms à tout le monde.

-Je t'avais dit que c'était une Princesse, bougonna Herbert.

On aurait pu croire que la fatigue cumulée au long trajet de métro que nous venions d'entreprendre jouaient sur le moral de mon ami. La vérité, c'était que le faste du grand hall du St Regis le mettait mal à l'aise.

Pour être honnête, je l'était également.

Madame Turner avait glissé un mot au portier qui nous avait laissé passer à l'extrême condition de ne pas quitter le hall et de nous tenir tranquille.

Assis sur des chaises à la soie rembourrée, nous nous donnions du courage à grand renfort de remarques assassines :

-Tu crois que ta peinture tiendrait sur le marbre? Me demandait Herb, une once de défi dans la voix.

-Sur la moquette, c'est certain.

Des colonnes immaculées semblaient s'élever depuis les fondations mêmes du bâtiment, soutenant l'édifice et sa suffisance. Derrière le comptoir de marbre, les employés en uniformes rouges nous surveillaient du coin de l'œil. Nous, deux gosses des quartiers pauvres en haillons. Entre pitié et jugement, nous subissions le regard des mondains.

Je comprenais sans peine l'obsession de Paco pour les yeux.

La peinture sous mes ongles, le t-shirt usé "I love NY" de Herb et nos jeans troués dépareillaient singulièrement au milieu des brushings impeccables, des costumes cintrés et des épais visons qui ornaient les résidents du St Regis.

-Regarde-la celle-ci, me glissa Herb à l'oreille. Elle porte un animal crevé sur le dos et pourtant elle se considère mieux que nous.

La vieille bourgeoise nous lança un regard condescendant. Herbert ne pu se retenir plus longtemps et lança :

-Et bonne journée Davy Crockett!

Par chance, Madame Turner arriva à ce moment-là. Se plaçant devant Herb, comme pour le subtiliser à la vue de la rombière, dont la remarque résonna dans le hall :

-Quelle honte: cet établissement perd de son standing...

Herb salua Page d'un sourire crispé.

-Le taxi nous attend, annonça-t-elle froidement.

Elle représentait un monde à l'opposé du nôtre. Elle en était consciente, aussi se garda-t-elle de toute remarque.


Dans le taxi, le ton s'adoucit. Elle avait une visible affection pour Herbert et Paco. Herbert le lui rendait bien. Ce fut lui qui prit la tête de notre expédition artistique au travers les rues de New York lorsqu'elle nous demanda quelle direction prendre. Je l'en remerciais intérieurement : sans Herbert, j'aurais bien été incapable d'indiquer les spots de Paco.

L'absence d'Al commençait à m'inquiéter. Je n'avais pas eu de nouvelles de mon ami depuis bientôt vingt-quatre heures…


...


Pour notre dernier arrêt, notre carrosse aux teintes moutarde nous déposa dans une zone industrielle à l'est du Bronx.

Il s'empressa de repartir, nous souhaitant bon courage tout en nous conseillant d'éviter le metro pour le retour.

Page avait tout de la touriste en vadrouille : son Nikon autour du cou, un sac Hermes hors de prix en bandoulière...

Je n'étais pas convaincu des talents de garde du corps d'Herbert et moi-même et, dans son petit tailleur chic, Page avait tout de la victime en devenir dans ce coin sinistre. En réalité, le coin était sinistre en dépit des efforts de certains à vouloir lui donner des couleurs.

Nous arrivions dans une large cour, cadrée par de hauts bâtiments gris, aux nombreuses vitres cassées brillant sous les rayons qui perçaient aux travers les nuages sombres.

Ornant les murs, de nombreux messages et dessins venaient contraster étrangement l'ensemble. Une nuance d'espoir a l'image de cette végétation qui pointait au travers les gravats qui tapissaient le sol.

Des aplats de fluo, des mélanges de teintes, des cris lumineux, des créatures fières, grotesques, mais gigantesques, des messages d'amour, de colères…

La vie s'étalait littéralement sur la surface de cette friche industrielle. La jeunesse refusant le monde triste et terne que leur avaient abandonné leurs aînés.

Les espoirs d'une génération prenant appui sur ceux, déçus, de leurs prédécesseurs.

Rien d'étonnant à ce que la foule soit restée sourde à ce cri : il résonnait sur les échecs de leurs choix, de leurs vies, de leurs histoires.


Nous suivîmes Herb le Grand et pénétrions l'un des bâtiments par une porte défoncée.

-Vous allez voir Page, annonça-t-il fièrement. C'est son plus grand tag !

Puis il me lança un regard complice, avant de préciser :

-On en a passé du temps ici.

Durant un court instant, je fût bien peiné de n'avoir malheureusement aucune idée de ce à quoi mon compagnon faisait référence.

Notre guide nous avait déjà emmenés sur plusieurs "spots": un réservoir, une carcasse de voiture... Toujours les mêmes motifs, les mêmes messages : Ghost, des corps entrelacés et ces yeux...

Et chaque fois, Page mitraillait de son appareil photo.

-Pour la postérité, disait-elle, visiblement ravie.


Notre couloir allait déboucher sur une grande salle lorsque les voix se firent entendre: nous n'étions pas seuls.

Une forte odeur de peinture flottait dans l'air.

Un petit groupe était en train de peindre à la bombe par-dessus ce que j'identifiais rapidement comme étant l'œuvre de Paco : une fresque arc-en-ciel autour de laquelle dansaient d'énormes yeux. Malheureusement, le petit groupe était en train de la recouvrir avec des messages bien moins positifs. Herbert fut le premier à réagir, ramassant une canette écrasée et la lançant sur l'un des vandales.

-Salauds !

Son cri résonna contre les murs lézardés.

Ils étaient cinq, et parmi eux, portant sa veste en jean, il y avait :

-Juan?!

Cherchant où aller sa loyauté, mon grand frère ne trouva rien de mieux pour se justifier que :

-C'est notre squat ici Paquito !

J'aurais voulu lui demander pourquoi, prendre le temps de discuter, mais le leader de la petite troupe, un large punk, hurla :

-Chopez-les!

Il ramassa une barre de métal. Ses trois compagnons l'imitèrent, ramassant dans les décombres pierres et tessons de bouteilles. Juan fut le seul à ne pas se mettre en position offensive :

-Barre-toi Paco! Me hurla-t'il.

Instinctivement, j'obéis, m'engouffrant à nouveau dans le couloir, à la suite de Page.

De nouveau dehors, essoufflé, je me retournais, fixant la porte, espérant voir Herb ou Juan.

Une fine pluie commença à tomber.

La lueur déclinait. Page, qui avait pris une bonne avance, revint vers moi. Elle me saisit l'épaule :

-On ne peut pas rester là !

Je ne pouvais me résoudre à quitter les lieux. Cela m'était inconcevable.

Le destin ne m'en laissa pas le choix.

Un coup de feu résonna derrière les vitres brisées.

Le temps sembla se suspendre.

Une poignée d'oiseaux quittèrent le toit du bâtiment alors que la vibration raisonnait toujours dans la cour.

Un picotement familier parcouru alors mon corps, puis l'énergie du saut quantique m'emportât.


Quitter les lieux n'était pas la chose à faire, et celui qui tirait les ficelles là-haut me le fit comprendre d'une manière assez simple.

Un léger vertige, suivit à nouveau par les picotements électrostatiques et j'étais de retour dans le bâtiment. Le coup de feu résonnait à nouveau.

Juan était couché sur un tapis de gravats, une main plaquée sur son épaule droite, un filé de sang passant entre ses doigts.

L'arme toujours pointée vers le frère de Paco, le punk tonna :

-Je t'avais dit de ne plus t'interposer !

Juan avait très certainement voulu empêcher ses camarades de nous suivre.

Nous ? Qui étais-je si je n'étais plus dehors ?

Entouré des trois autres lascars, je cherchais des indices du regard, un reflet, n'importe quoi.

Mes yeux se posèrent sur mon t-shirt usé "I love NY".

-Oh bravo...

Je venais de prendre la place d'Herbert.

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