Malispier, «La Princesse et son dragon », traduction du russe
Chapitre 7 : Comment être heureux ?
2332 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 13/12/2025 13:21
Deux ans passèrent depuis.
La grossesse s’était avérée difficile, pour ne pas dire compliquée.
Ah, ces mages noirs ! Au lieu d'un seul enfant, les jeunes mariés en eurent trois ! Qui aurait pu imaginer que les bébés issus d'une éprouvette magique se multipliaient comme des petits pains ? Sarah ne le savait pas, Aaron non plus, et le sorcier n'en avait rien dit. Et pour couronner le tout, au lieu des neuf mois habituels, la princesse avait souffert pendant douze mois !
Une envie indescriptible de destruction, un amour pour certains aliments et pour l'or sont les compagnons de toute grossesse — il parait.
Le dragon et ses proches avaient souffert tout autant : la princesse exigeait sans cesse toutes sortes de curiosités.
Tantôt elle voulait voir comment on dépeçait les pauvres sirènes, tantôt elle voulait sentir le gâteau fraîchement préparé à base de paille et de sciure...
Arthur devint chauve à plusieurs reprises de peur. L'instinct de survie de sa maîtresse était complètement désactivé. Retirer du plafond Sarah enceinte et dont la force avait soudainement décuplé, s'avéra plus difficile qu'il ne l'avait imaginé.
Mais ce n'était pas le plus difficile. Lorsque la princesse se mit à cracher du feu et à marcher à quatre pattes en protégeant le trésor, le chevalier perdit quelques dents... Heureusement, les sciences magiques modernes permettent de résoudre facilement ce genre de problème.
Les ailes qui avaient temporairement percé la peau douce de Sarah avaient également causé des soucis, c'est pourquoi Guenièvre avait attaché sa Maîtresse à son poignet avec une longue corde.
Il ne valait même pas la peine de mentionner la conquête du pays voisin à l'aide d'une armée de concombres animés.
Cependant, il faudrait voir le bon côté des choses ! La guerre s'était avérée fructueuse : le couple avait officiellement pris le pouvoir dans le nouveau pays, et les parents de la princesse, avec leur générosité habituelle, avaient offert à leur fille des terres fertiles.
Seule la recherche d’une sage-femme spécialisée en dragonologie n'avait pas posé de problème. Sur les conseils de sa mère, Sarah s'était adressée à une vieille sorcière qui avait fait de cela son bizness. Un bizness peu lucratif, mais un bizness quand même.
Au moment de l'accouchement, tout le continent trembla ! C'était ce qu'Aaron avait écrit dans son journal intime. En réalité, Sarah avait simplement abattu quelques murs du palais et causé des brûlures à la sage-femme qui avait demandé un prix exorbitant pour son travail. Et elle l'avait bien mérité ! Il ne faudrait pas dépouiller les pauvres familles royales.
Le dragon accompagnait sa femme pendant l'accouchement : il courait d'un côté à l'autre dans un champ préparé à l'avance, poussait des soupirs d'horreur et parfois des hurlements plus forts que la princesse. Mais cela ne dura pas longtemps. Lassée de la panique de son bien-aimé, Sarah l'assomma d'un coup accidentel, comme elle l'assura.
Maintenant, deux ans plus tard, tous ces souvenirs faisaient rire la reine, qui était parfois tentée de renouveler cette expérience difficile. Mais la princesse chassait rapidement cette idée, sachant que ni elle ni son mari ne pourraient supporter deux ou trois enfants supplémentaires. Et le problème n'était pas du tout la quantité d'or nécessaire.
Assise dans son fauteuil à bascule et appréciant le bruissement des feuilles, Sarah était sur le point de sombrer dans un doux sommeil. Ces derniers temps, elle avait de moins en moins de temps pour se reposer. De nombreuses choses exigeaient son attention, et l'ex-princesse s'y consacrait entièrement, tirant le maximum de son corps fatigué.
Élever des enfants était une tâche complexe, pour ne pas dire titanesque. Surtout lorsque vos petits chéris avaient hérité du sang fougueux des dragons.
Après l'accouchement, Sarah regardait ses bébés avec des yeux remplis de joie et d'amour universel, rêvant de les voir grandir lentement, mais de manière si intéressante... Elle n'était pas effrayée par leurs cris bruyants ni par les incendies fréquents. Ni le fait que les vêtements avec une ouverture pour la queue coûtaient une fortune. La reine n’éprouvait qu’une envie — caresser leurs écailles douces et profiter de chaque instant, car les enfants grandissaient vite.
Mais le destin en avait décidé autrement.
Un matin, en entrant dans la chambre des enfants, Sarah fut stupéfaite : au lieu de trois bébés potelés et appétissants dans leurs berceaux, elle trouva des petits dragons âgés d'au moins cinq ans, dispersés un peu partout dans la pièce ! Et leur croissance, hélas, ne faisait que s'accélérer.
Une génération précoce, sans aucun doute.
Une vie tranquille pour la reine ? Même pas en rêve ! Un rugissement retentissant se fit entendre derrière elle.
Sans même tressaillir, Sarah se retourna et remarqua que le plus âgé des triplés, Sulfus, avait enfoncé ses puissantes dents dans le bois. Il serrait les mâchoires avec force et arrachait sans pitié d'énormes morceaux d'écorce malléable.
Sulfus tenait tout de son père. Contrairement aux deux autres, il était couvert d'écailles de la tête aux pieds, et son adorable museau de dragon hantait les cauchemars de la nounou. Une flamme vive fit cligner des yeux à Sarah... Ah, cette soif de destruction de la jeune génération...
Une voix de petite fille résonna dans ses oreilles :
— Petite maman ! Tu sais ce que Sulfus a fait ?!
La petite princesse Ingrid, plongea depuis les hauteurs sur les genoux de la reine. Sarah caressa tendrement les boucles rousses de sa fille, évitant les petites excroissances en forme de cornes. Cette petite tornade ailée continuait à voler dans le palais, bien qu'elle se soit déjà fait une dizaine de bosses.
— Madame ! s'écria Guenièvre qui venait d'arriver. Attention, derrière vous !
Sans regarder, Sarah se balança pour éviter Sulfus qui lui avait sauté dessus par-derrière et attrapa le voyou par le col.
— Petite maman, ils ne m'écoutent pas…
Un deuxième garçon, Adrien, s’extirpa de sous la jupe de la servante, tenant une énorme queue dans ses mains.
— Ingrid a encore barbouillé le plafond avec de la peinture, et Sulfus... a mangé un oisillon...
— Vilain rapporteur ! s'écria Ingrid en s’élevant brusquement des genoux de sa mère.
— Vilain rapporteur ! grogna Sulfus en se dégageant de l'étreinte de Sarah.
Le manège fou se mit à tourner à toute vitesse. Les autres enfants coururent après Adrian, qui n'avait pas hérité des dangereuses caractéristiques du dragon. Ingrid s’était empressée de lui sauter depuis les airs, tandis que Sulfus, à quatre pattes, l’approchait par le côté.
— Un… commença à compter Sarah.
Adrian se défendait péniblement contre son frère et sa sœur, agitant sa queue comme une sorte de massue.
— Deux...
Sulfus se cabra en entendant la voix calme, mais effrayante de sa mère. Les autres enfants se mirent également en alerte.
— Trois...
La triade se retrouva instantanément devant leur mère.
— Où est votre père ? demanda Sarah, se relevant avec l'aide de Guenièvre.
Les enfants échangèrent du regard, mais ne répondirent rien : seule Ingrid esquissa un sourire gêné. Sulfus recracha un morceau d'écorce encore fumant.
Les enfants causaient beaucoup de problèmes, mais le chaos qui les suivait partout semblait, pour une raison inconnue, plutôt mignon à tous les habitants du palais.
Ingrid dessinait sans cesse sur le plafond, attrapait des oiseaux pour les donner à manger à son grand frère et se battait à mort avec chaque lustre. Sulfus détruisait sans pitié les arbres en faisant dessus les dents qui sortaient et incendiait tout ce qu'il voyait... Le sang du dragon exigeait la destruction.
Sarah essayait d'éduquer ses enfants en suivant un livre populaire dans certains cercles, mais elle abandonna rapidement cette approche lorsqu'elle comprit qu'elle lisait un manuel destiné aux dompteurs de cirque. Pourtant, certains conseils étaient judicieux...
Étonnamment, seul Adrian grandissait en enfant calme et équilibré... Seuls les plans visant à faire s’écrouler l'économie, consignés dans son journal intime, troublaient Sarah. Et non, elle ne se faufilait pas dans la chambre de son fils la nuit pour connaître tous ses secrets. Le petit partageait lui-même parfois ses idées absurdes avec sa mère.
— Et où est Arthur ? demanda la reine en prenant sa fille dans ses bras.
— Arthur ! Où est-il ? s'écria Ingrid.
— Arthur m'a fui ! Quel lâche ! ricana Sulfus.
— Arthur est parti pour Camelot ce matin, mère, répondit enfin Adrian. Il y a des chevaliers de Rodin là-bas.
— De la Table Ronde ? demanda Sarah.
— Non ! s'écria Ingrid en montrant à sa mère l'écusson sur sa robe. Rondin !
Sur le tissu du petit patch, on pouvait voir la représentation d’un Rondin, un poisson doré peu connu. Ah, ce rebranding ! Parfois, la reine avait l'impression que l'inexplicable obsession d'Arthur pour les changements de nom ne lui apporterait rien de bon.
— Alors, où est votre père ? demanda Sarah une nouvelle fois.
— Dans la salle du trésor... avoua modestement Adrian.
Sulfus lui donna un petit coup de coude dans les côtes.
Ils arrivèrent à l'antre du dragon sans Guenièvre. Pendant tout le trajet, Ingrid resta dans les bras de sa mère, mais chaque fois qu'elle passait sous un lustre, elle luttait contre l'envie de s'attaquer à ces luminaires innocents. Sulfus, quant à lui, eut le temps d'enflammer deux rideaux neufs.
La quantité d’or dans la réserve diminua. Les pièces ne tombaient plus en cliquetant dans le couloir. Mais ce n'était pas surprenant. Les enfants exigeaient des investissements. Littéralement. Tous, sauf Adrian, ils grignotaient l'argent comme s'il s'agissait d'un pop-corn récemment inventé.
Le dragon apparut devant les yeux de la reine. Il s'était étalé maladroitement au centre de la pièce et respirait difficilement.
— Chéri ? Sarah posa sa fille par terre. Tu dors ?
Mais sa question était stupide. Le désordre qui régnait dans la tanière parlait de lui-même. Près du museau rouge du lézard, des débris de colonnes jonchaient le sol ici et là.
Aaron ouvrit péniblement les yeux et adressa un sourire forcé à sa femme.
— Ma chérie...
— Ils t'ont encore assommé ?
Écartant sans peine les énormes rochers, la reine s'approcha de son bien-aimé.
— On ne l'a pas assommé ! s'écrièrent Sulfus et Ingrid.
— Ça, c’est écroulé tout seul... Adrian s’accrocha à la jupe de Sarah d'un air coupable.
Aaron, voyant que sa femme commençait à s'énerver, se dépêcha de sauver la situation. Sarah n'aimait pas que les enfants se fassent du mal entre eux ou à quelqu'un d'autre, et punissait donc sévèrement tous les trois en les privant de friandises.
— Je l'ai juste touchée accidentellement avec ma queue...
— Oui, c'est la faute de papa ! Sulfus soutint fièrement son père.
— Et pas du tout la nôtre, oui, oui ! Ingrid atterrit sur la tête d'Aaron.
— On l'a juste enflammée, commença Adrian en comptant sur ses doigts.
— Frappée cinq fois, jeté des pierres trois fois, et deux...
Les regards menaçants de son frère et de sa sœur le firent taire.
— Oui, c'est la faute de papa... confirma Adrian.
Une fois par semaine, ni plus ni moins, Aaron était assommé par ses propres enfants. Sarah était constamment irritée par ce comportement, mais elle ne pouvait rien y faire. Elle considérait toutefois comme une petite victoire le fait que les garnements aient cessé de le faire par eux-mêmes et se soient mis aux forfaitures accidentelles.
Les livres disaient qu'il s'agissait d'une lutte inconsciente pour le territoire avec un individu plus fort.
La reine s'assit sur la montagne d'or à côté de son mari. Sulfus et Adrian grimpèrent lentement sur le dos de leur père.
— Il faut trouver un exutoire à votre énergie… soupira Sarah.
— Chérie, et si on pillait le pays voisin ce week-end ? suggéra Aaron en frottant son nez contre le dos de sa femme.
— Des vacances en famille ? s'enthousiasma-t-elle. Excellente idée, mon chéri.
Les enfants avaient également apprécié l'idée.
— Piller ! Détruire ! s'exclama Sulfus en riant.
— Tous les chevaliers sont à moi ! s'exclama Ingrid en rougissant. Ils dansent si joliment dans les robes de maman !
Sarah resta bouche bée. Ces dernières semaines, elle n'avait cessé de se demander où avaient bien pu passer toutes ses plus belles robes.
— Et moi, je veux le trésor... sourit Adrian.
Un sentiment de plénitude envahit le cœur de la reine. Il y a quelques années encore, elle était enfermée dans son palais, comptant les jours et les minutes, espérant rencontrer le prince charmant. Et maintenant, elle planifiait des vacances en famille... Avec qui ? Avec un dragon.
— Je t'aime, Aaron.
— Moi aussi, ma chérie.
L'attaque contre le royaume voisin fut programmée pour samedi, mais c'est une tout autre histoire.