A la rescousse !

Chapitre 1 : Introduction

1457 mots, Catégorie: K

Dernière mise à jour 13/07/2021 16:50

Milly Farewell, les yeux rivés vers l’immense écran argenté, illuminé par le projecteur, affichait une mine crispée. Ses doigts se promenaient sur l’accoudoir de son fauteuil, arrachant littéralement le cuir qui s’y trouvait, morceau par morceau. Jenny Whiteford, assise à côté d’elle, se mordillait la lèvre inférieure. Elle ne pouvait empêcher sa jambe droite de trembler comme un marteau-piqueur. C’est à ce moment précis que les aventures de Cuphead et Mugman à travers les Iles Aquarelle devaient prendre fin, avec la projection de ce tout dernier épisode. Et Milly et Jenny ne pouvaient rater ça pour rien au monde.

Jenny avait terminé l’école quelques heures plus tôt, et s’était empressée de rejoindre Milly, qui travaillait dans le centre-ville. De là, elles prirent la direction de leur cinéma préféré, le Mondial Royal Cinema. A dire vrai, ce n’était pas tant pour sa piètre qualité que Milly et Jenny avaient leurs habitudes dans ce cinéma miteux, mais bien parce que c’était le seul cinéma de Chicago qui acceptait les noirs et les blancs, sans aucune distinction. C’était sans nul doute l’unique endroit dans lequel Milly et Jenny pouvaient se retrouver sans souci pour partager leur passion commune.

Au fil du temps, le vieux projectionniste un peu bourru était même devenu leur ami. Ainsi, il avait pris la décision de leur offrir un ticket gratuit chaque semaine, et ce malgré les comptes du cinéma complètement à sec depuis la crise de 29. Et ce jour-là, le vendredi 28 mars 1930, c’était leur jour de chance. C’était d’autant plus le cas qu’il y avait très peu de monde dans la vieille salle décrépie. Seuls un jeune homme roux d’une quinzaine d’années à l’allure d’un livreur de journaux et une mère accompagnée de ses deux enfants en bas-âge se trouvaient avec eux dans la salle obscure.

Après la projection de plusieurs dessins animés, dont un épisode des Silly Symphonies de Walt Disney, la dernière bobine s’était enclenchée pour laisser apparaître la célèbre introduction de la série des courts-métrages Cuphead, assortie de son jingle que Milly et Jenny adoraient chanter à tue-tête :

« Well, Cuphead and his pal Mugman

They like to roll the dice

By chance they came on Devil's game

And gosh, they paid the price

(Paid the price)

And now they're fighting for their lives

On a mission fraught with dread

And if they proceed

But don't succeed

Well, the Devil will take their heads »

 

Les autres studios étaient talentueux, certes, mais aucun d’entre eux n’arrivait à la cheville du Studio MDHR, qui avait créé de toutes pièces Cuphead et Mugman et tous les habitants des Iles Aquarelle. Et selon Milly et Jenny, même Mickey Mouse ne pouvait rivaliser avec eux.

À la suite de leur traversée épique au sein des trois parties des Iles Aquarelle, Cuphead et Mugman venaient enfin d’atteindre l’entrée du repaire du Diable. Ils avaient récupéré tous les contrats pour lesquels le Diable les avait mandatés, et avaient même vaincu son bras droit, le Roi Dédé, en traversant au passage les terribles épreuves du Casino. Désormais, un seul ennemi les attendait. Sous les yeux émerveillés de Milly et Jenny, les deux frangins pénétrèrent dans la demeure du Diable et se retrouvèrent face à face avec le Malin, un être vil et cruel, aux cornes aussi longues que sa malveillance. Assis sur son trône imposant, il dominait les deux frères, arborant un rictus inquiétant.

 « Voyez-vous ça, dit le Diable, en s’adressant au plus courageux des frères, tu en as fais du chemin ! Non seulement tu as éliminé ce bon à rien de Roi Dédé, mais je vois que tu détiens mes pactes d’âmes ! Donne-les-moi et joins-toi à moi. »

« Jamais il ne les donnera, marmonna Milly, en se rongeant les ongles.

— Non, c’est impossible, ajouta Jenny en chuchotant. »

Les deux amies retinrent leur souffle, espérant un combat des plus acharnés entre le Diable et ces deux petites têtes de porcelaine. Mais alors qu’elles s’attendaient à entendre un « non » ferme de la part de Cuphead, ce dernier brisa définitivement leurs espérances comme on briserait une assiette sur le sol. Il accepta. Milly et Jenny se regardèrent droit dans les yeux, complètement estomaquées. Puis, leur regard se porta à nouveau vers l’écran, pour découvrir avec horreur le sort réservé à leurs personnages préférés.

 « Maintenant tu m’appartiens ! lâcha le Diable. Et on va s’amuser comme des fous ! »

Leur dessin animé favori prit fin dans un véritable capharnaüm horrifique, amplifié par un orchestre affreusement dissonant : Cuphead et Mugman, les yeux rouges comme le sang, ricanaient dans les flammes de l’Enfer au côté du Diable, qui tenaient ses mains jointes par le bout des doigts devant lui. Un rire sardonique se dessinait sur le visage du premier frère, tandis que le second d’entre eux dévoilait les quelques dents qui lui restaient encore derrière son sourire machiavélique et carnassier.

Soudain, un cercle noir se referma sur eux et l’écran s’obscurcit définitivement, avant de laisser place à un générique d’une mélancolie absolue.

« Quoi ? s’écria Milly, emplie de déception. C’est tout ?

— C’est pas vrai ! renchérit Jenny. Il doit forcément y avoir un souci. »

Alors que Milly et Jenny tentaient encore d’encaisser ce dont elle venait d’être témoin, la jeune mère à la robe fleurie, accompagnée de ses deux enfants en culotte courte, quitta la salle en quatrième vitesse, en grommelant des insultes à l’encontre du studio. Une fois parvenue à la porte du cinéma, la pauvre femme désemparée tentait encore d’essuyer leurs larmes. Les filles se tournèrent vers le jeune homme qui hurlait de rire, comme un vrai démon. Plié en quatre, il fut tout de même capable de se diriger vers la sortie, laissant Milly et Jenny seules avec leurs doutes et leurs incompréhensions.

Jenny se tourna en se mettant à genou sur son fauteuil, puis posa ses coudes sur le dossier avant de placer ses mains en porte-voix

« Monsieur Nebbercracker ! cria Jenny à l’intention du projectionniste. Je crois que vous vous êtes trompé de bobine !

 — Non, attends ! s’écria Milly, en tirant sur le bas de sa robe pour l’alarmer. Regarde ! »

Jenny se repositionna face à l’écran, qui s’illuminait à nouveau, comme si le film venait à peine de reprendre. Mais les deux amies comprirent rapidement que quelque chose clochait lorsque l’intertitre d’un autre dessin animé se projeta sur l’écran. Le cartoon en question s’intitulait A la rescousse ! et était réalisé par le Studio MDHR, lui aussi. Mais ce qui frappa le plus les deux jeunes filles fut le nom des personnages principaux : Milly et Jenny.

« C’est une blague ? s’étonna Jenny.

— Si c’en est une, ce n’est pas drôle répliqua Milly. Dans tous les cas, ça ne me dit rien qui vaille. »

Soudain, les deux jeunes filles ressentirent comme un courant d’air venant directement de l’écran. Un simple courant d’air qui gagna furieusement en intensité pour se transformer bientôt en une bourrasque infernale. Milly et Jenny se sentirent mystérieusement happées par la tornade qui se déchaînait au cœur de la salle, et qui les attirait invariablement vers l’écran. Les deux jeunes filles se firent peu à peu soulever hors de leurs fauteuils, mais elles s’y accrochèrent tant bien que mal, en agrippant les repose-têtes de toutes leurs forces.

« Qu’est-ce qui se passe ? hurla Jenny, pour tenter de couvrir le son de la tornade.

— Aucune idée ! » répondit Milly, d’une voix fébrile.

Elles tinrent bon pendant quelques secondes, avant que Milly ne lâche finalement prise. Jenny, dans un geste désespéré pour rattraper son amie, desserra son étreinte à son tour pour lui tendre la main et s’enfonça dans les méandres de l’écran, en poussant un long cri qui résonna pendant une éternité.

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