A la rescousse !

Chapitre 2 : Un pacte avec le Diable

2488 mots, Catégorie: K

Dernière mise à jour 13/07/2021 17:06

Au cours de leur traversée fracassante, le vortex gagna en énergie jusqu’à devenir une tornade enflammée, depuis laquelle elles furent éjectées. C’est ainsi que le voyage chaotique de Jenny à travers l’écran s’acheva sur le postérieur de son amie, qui gisait juste en dessous d’elle, étendue sur un sol en marbre reluisant. Le souffle coupé, Milly tenta de protester sous le poids de sa jeune compagnonne. Malgré ses lamentations, cette dernière mit bien plusieurs secondes avant de finalement se relever en vitesse, les joues rougies par la honte. Cependant, la honte n’était pas la seule explication à cette soudaine coloration : la chaleur du lieu dans lequel elle venait d’arriver était tout bonnement insupportable. Un fourneau d’une intensité suffocante semblait habiter l’endroit, un Enfer bouillonnant les entourait de toutes parts.

« Ah ! Voilà mes invitées ! » s’écria une voix rauque, avec une pointe de sadisme.

Milly, encore sous le choc et à terre, releva doucement la tête vers l’être dont émanait cette voix si particulière et si familière, avant de manquer de défaillir à la vue de celui qui les attendait. Jenny fixa pendant quelques instants leur hôte, dont le regard magnétique et hypnotique prenait par moment des reflets de pupilles serpentines. Le Diable en personne, posté sur son trône majestueux, toisait les jeunes filles, avec un large rictus gravé sur le visage.

Il n’était pas seul : à ses côtés se tenaient plusieurs diablotins violets, qui voletaient au-dessus de lui, de façon désordonnée. A sa droite, sur l’accoudoir du trône, une corneille étaient posée-là, si immobile que Jenny crut à une statue. Son regard respirait la sagacité, en même temps qu’une certaine touche d’espièglerie. A sa gauche, un personnage qu’elles connaissaient bien se morfondait dans un bien mauvais état. Le bras droit enroulé dans une écharpe, la tête cubique recouverte d’un bandage, la veste violette en lambeaux, ce vieux Roi Dédé semblait avoir vécu la guerre.

Si Jenny et Milly comprirent immédiatement qu’elles venaient d’atterrir sur l’Ile Aquarelle, elles se demandaient encore comment cela était possible. En revanche, ce que toutes les deux ne réalisèrent qu’une fois que leurs regards se furent croisés, après que Jenny eut aidé son amie à se relever, c’est qu’elles avaient subi une légère transformation. Ou plutôt une adaptation. Devant cette découverte surprenante, les deux jeunes filles ne purent retenir un hoquet de surprise en voyant ce qu’il était advenu l’une de l’autre : des traits de crayons noirs et des dessins à l’aquarelle avaient remplacé leur peau et leurs vêtements. Bien que tout semblait à sa place sur leurs corps respectifs, chaque détail paraissait exagéré : leurs visages avaient pris des proportions irréalistes ; leurs robes, leurs bras et leurs jambes ne faisaient plus qu’un, réunis par des coups de crayon maîtrisés, séparés uniquement par la peinture de différentes couleurs qui constituait désormais tout leur être.

« Qu’est-ce qui t’es arrivé ? s’exclama Milly, avant de reculer à la vue de Jenny.

— Et toi, donc, qu’est-ce qui s’est passé avec ton corps ? rétorqua son amie de toujours, avec un certain effroi. »

Milly et Jenny se tournèrent alors vers celui qui les avait amenées ici, et parlèrent d’une seule voix.

« Qu’est-ce que vous nous avez fait ? lâchèrent-elles en hurlant.

— Holà, du calme ! Je n’ai rien fait du tout ! répliqua le Diable, en posant ses immenses mains velues sur son torse, comme pour se dédouaner. J’ai seulement demandé à ma voyante, Madame Cornelia ici présente, de vous amener à moi. »

Madame Cornelia opina simplement, sans bouger un autre muscle que celui de son cou. Il se dégageait de cette corneille aux plumes d’un noir absolu une aura mystique inexplicable, renforcée par son accoutrement bariolé, composé d’un chemisier blanc et d’une cape et d’une robe d’un rouge sombre aux saveurs de Bohème. Un bandana rouge aux motifs psychédéliques complétait l’ensemble.

« Qu’est-ce que vous allez nous faire ? demanda Jenny d’une voix craquelée et faible, en joignant les mains dans ce qu’elle croyait être sa dernière prière.

— Moi ? s’étonna le Diable, en levant l’un de ses sourcils, agrandissant dans le même temps son autre œil de plusieurs centimètres. Absolument rien, je vous l’assure. Vous, en revanche, vous allez devoir travailler pour moi. 

— Comment ça ? » s’enquit Milly. 

Sans rien dire, le Diable étendit soudain son cou sur un longueur inimaginable. Ce qui ressemblait désormais à un serpent se dirigea vers les airs avant de redescendre, et de se placer derrière les deux jeunes filles, frappées par cette difformité anatomique. Le visage du Diable se trouvait à présent entre les deux pauvres filles bien effrayées. Il les regarda tour à tour, avec la même expression qu’un loup salivant devant des brebis, en sifflant grâce à sa langue fourchue.

« Eh bien, il se trouve que j’ai désespérément besoin d’argent » expliqua-t-il. 

Tout à coup, la tête du Diable s’envola à nouveau, en suivant son cou qui se rétracta jusqu’à revenir à sa position initiale.

« Et je sais comment vous pouvez m’aider à en trouver. »

En lâchant ces paroles, il mit ses mains devant lui, apposant les extrémités de ses doigts les unes contre les autres, avec un rictus mortel.

« Pourquoi on ferait une chose pareille ? » demanda Milly, non sans une certaine fougue.

Le Diable fronça les sourcils, tapotant désormais les extrémités de ses doigts les unes après les autres, comme emportées dans un mouvement de vague continu.

« Sans doute parce que je détiens quelqu’un qui vous est cher. »

De son doigt poilu et crochu, il désigna la boule de cristal qui se trouvait juste devant Madame Cornelia. D’un coup de patte, la voyante agita la fumée à l’intérieur de la boule, pour y révéler une bien triste vision : Sage Samovar, le tuteur de Cuphead et Mugman, les mains fermement attachées par une chaîne.

« Sage Samovar ! » crièrent les deux jeunes filles à l’unisson.

Il était retenu dans une grotte, au sein de laquelle des cratères immenses crachaient des flammes en arrière-plan. En sus de ce supplice infernal, des diablotins s’en prenaient à lui, voltigeant au-dessus, en lui jetant des pierres. Il protestait, crachotant de la fumée par le bec verseur qui lui servait de nez et par la coupelle au-dessus de sa tête, mais les diablotins reprenaient de plus belle.

Soudain, la fumée masqua la terrible image et la boule redevint un voile de mystère.

« Parce que si vous ne le faites pas… » ajouta le Diable, laissant sa phrase en suspens. 

Le Diable se mit alors à regarder derrière Milly et Jenny. Suivant son regard, les deux jeunes filles aperçurent deux silhouettes étranges, dissimulés derrière les colonnes du palais, dont seuls deux yeux rouges étaient visibles. Leurs mains gantées se posèrent lentement autour des colonnes, telles les griffes d’un monstre caché sous un lit. Tout doucement, comme des prédateurs, les deux silhouettes se révélèrent face à la lumière rougeâtre des volcans.

Soudain, les deux jeunes filles eurent la désagréable impression de se retrouver dans leur vieux cinéma de Chicago, devant la fin de leur dessin animé préféré, et cela leur faisait mal au cœur. Les deux stars du show claudiquaient en effet vers elles, traînant leurs pieds, laissant couler une traînée de bave au sol comme de pauvres chiens enragés. Cuphead et Mugman n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes.

« … mes nouveaux amis s’occuperont de vous et aussi… de toutes les Iles Aquarelle au passage », termina-t-il, en achevant sa phrase par un rire démoniaque.

Milly et Jenny se mirent à déglutir, pétrifiées par la peur.

« Qu’est-ce que vous attendez de nous ? » demanda Jenny, les larmes aux yeux.

D’un simple claquement de doigt, le Diable fit apparaître une clepsydre de la taille d’une statue grecque au centre de la pièce. Elle n’était pas composée d’eau ou d’un autre liquide, elle contenait littéralement de la lave en fusion, comme tout le paysage qui entourait le palais du Diable. Milly fronça les sourcils, interloqué par cet objet surprenant, dont elle ne connaissait guère l’utilité. En s’appuyant sur les accoudoirs de son trône, leur hôte se releva avec prestance, et se mit à faire les cent pas tandis qu’il expliquait son projet.

« Il existe trois lieux mystérieux remplis d’or cachés au fin fond de trois îles différentes, réparties autour des Iles Aquarelle. Des endroits oubliés ou inexplorés, pour la plupart. Chacune de ces sources de profits est gardée par trois personnes différentes, qui n’ont malheureusement jamais accepté mes invitations au casino et à qui je n’ai jamais pu soutirer un seul cent. Et il est temps que cela change. »

Le Diable cessa soudain ses allers et retours dans la grande salle du trône, et se pencha vers les deux jeunes filles, en les fixant avec ses grands yeux jaunes.

« Je vous propose donc un marché : vous me ramenez tout cet argent et en échange, je vous rends tous vos amis ! C’est simple comme bonjour !

— Comment être sûr que vous tiendrez parole ? s’enquit Milly.

— Voyons, ma petite, je tiens toujours parole ! Pas vrai, Roi Dédé ? »

A l’annonce de son nom, le bras droit du Malin, qui n’avait soufflé mot depuis leur arrivée, ne réagit pratiquement pas. Il se contenta de hocher la tête et de répondre par un simple « Oui patron ».

« Vous voyez ? s’exclama le Diable, en montrant ses mains l’air penaud, comme pour marquer l’évidence de la réponse. Et c’est un homme de confiance qui vous l’affirme, je puis vous l’assurer ! »

Sans attendre une seule seconde, le Diable croisa les bras et tendit alors ses mains vers les deux jeunes filles, qui eurent un léger mouvement de recul. Il fixa tour à tour Milly et Jenny dans le blanc des yeux.

« Alors ? lâcha enfin le Diable. Marché conclu ? »

Les deux amies échangèrent un regard totalement désemparé.

 « Euh, vous nous excusez une petite minute ? » demanda doucement Milly, en levant l’index.

Rapidement, elle se retourna en prenant Jenny par l’épaule, sans même laisser au Diable le temps de donner son avis.

« Je ne sais pas si on devrait lui faire confiance aussi facilement, lâcha Jenny à Milly en chuchotant.

— On n’a pas vraiment le choix, fit remarquer cette dernière. Si on veut changer la fin de l’histoire en sauvant Cuphead et Mugman, on doit lui obéir.

— Oui, tu as sans doute raison, concéda Jenny. Mais comment on va s’y prendre ?

— On trouvera bien une idée en chemin ! »

Milly était comme ça : elle ne se posait pas trop de questions et arrivait pourtant toujours (ou presque) à se dépêtrer des pires situations. Jenny, de son côté, avait toujours été un peu plus réservée. Leur relation fonctionnait ainsi depuis toujours. Dans un geste de désespoir, elles firent face au Diable et acceptèrent donc le marché en serrant chacune l’une de ses mains. Dès l’instant où leurs peaux se touchèrent, un hideux sourire prit place sur la bouche du Diable.

« Parfait ! s’exclama-t-il. »

Il se recula et se tourna alors vers la fameuse clepsydre. Le Diable était tellement grand qu’il dut s’accroupir pour se mettre à son niveau. Et d’une seule pichenette, fit trembler toute la clepsydre dans un bruit cristallin qui résonna dans tout le palais. Une goutte de lave entama lentement sa descente, suivie de près par plusieurs de ses congénères.

« Je vous laisse trois jours. Faites en sorte d’y arriver à temps, ou bien notre marché sera caduc.

— Trois jours seulement ? s’égosilla Milly. Mais ce n’était pas prévu dans notre contrat !

— Maintenant, ça l’est ! »

Sans crier gare, le Diable asséna un puissant coup de pied contre le sol, qui se mit à trembler, comme si le marbre se dérobait sous elles. Les deux amies se placèrent solidement sur leurs appuis, prêtes à tout ce qui pourrait arriver. Enfin c’est ce qu’elles pensaient. Une chaleur insupportable habitait désormais le sol luisant, qui commença à prendre une teinte orangée. La terre arrêta soudain de trembler pendant un instant. Milly et Jenny se sentirent alors étrangement soulagées, avant qu’une soudaine et violente éjection de magma ne les projetât vers le ciel, hors de la caverne.

Durant leur ascension, Milly et Jenny hurlaient à pleins poumons, battant des bras pour tenter de garder l’équilibre. Elles finirent par voler tellement haut dans le ciel qu’elles eurent une vue imprenable sur toutes les Iles Aquarelle. Pendant un instant, ce fut comme si le temps se suspendit. Chaque détail sur ces minuscules Iles paraissait insignifiant, vu d’aussi haut. Milly et Jenny pouvaient observer la fête foraine, le centre-ville et même la petite chaumière de Sage Samovar.

Mais arriva le moment où la gravité les força à redescendre, le moment où les deux amies se retrouvèrent en chute libre vers l’immensité bleue qui entourait les Iles. Le vent fouettait leurs visages avec une telle intensité qu’ils se déformaient. Tous leurs organes étaient prêts à s’échapper de leurs corps esquissés. Plus elles tombaient et plus les Iles s’agrandissaient dangereusement face à elles, jusqu’à ce que Milly et Jenny ne touchassent finalement la surface de l’eau, en s’aplatissant littéralement comme des crêpes sur du béton.

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