L'histoire que l'on veut écrire.

Chapitre 11 : Le Palais des Papes

Chapitre final

1405 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 16/12/2019 11:29

« Maestro, vous avez toujours la pièce d’Al Rahim, la pièce des fils de Mithra ! »

Au bout de trois jours, ils avaient atteint Avignon et y étaient installés depuis une semaine, mais sans le moindre espoir encore d’entrer dans le Palais des Papes.

Au désespoir à voir Leo dans cet état tantôt d’extrême excitation, tantôt d’abattement par manque de sommeil, Nico, de sa voix timide, avait osé rappeler cette pièce magique que Leonardo avait récupérée à l’issue de la bataille d’Otrento et de la victoire contre les Turcs.

Leo leva les yeux de son dessin.

« Cette fichue pièce, râla Zo. Moi, je ne fais confiance à rien de ce qui peut venir des Fils de Mithra !

  • Je n’ai jamais essayé de m’en servir, même pas pensé un instant, dit Leonardo.
  • Elle permettait à votre mère de vous voir et même d’être vue de vous. Vous nous avez souvent dit que les apparitions étaient matérielles.
  • Oui, mais ma mère et Al Rahim avaient des dons de magie, Nico !
  • Oui, mais… avaient-ils des dons innés, ou bien était-ce la pièce qui les leur donnait ? Je comprends que vous répugniez à l’utiliser, mais l’ignorance du sort de Girolamo est pire que tout. Moi-même, elle me ronge.

Leo se leva d’un bond et se mit à faire le tour de la table à laquelle ils avaient pris place. L’auberge était pleine à craquer, il gênait le service, mais ne s’en rendait même pas compte. Soudain, il jeta les bras au ciel :

  • Oui ! Oui ! C’est le seul moyen de découvrir s’il se trouve dans le Palais et même où exactement !
  • S’il y a des galeries de rats dans cette putain de forteresse, c’est là qu’il faut chercher, murmura Zo, ce qui lui valut un regard bleu banquise de la part du plus jeune de ses compagnons. Il dit, tout haut : je suppose qu’il y a des geôles, non ?
  • Oui, mais j’ose espérer que son parent lui réserve un meilleur sort qu’à n’importe quel inconnu. » dit Leo, dans un soupir.

Mais à ce moment-là, Lucrezia de’ Pazzi revint de la banque de son oncle avec d’autres informations. Elle avait appris que le Duc de Sona, Giovani della Rovere, cousin et ami de Girolamo avait un différend très profond et une querelle assez violente avec son frère, Giuliano, l’Archevêque d’Avignon et prélat du Pape, et que ce dernier s’emparait de la moindre occasion pour se venger et porter des coups.

En outre, comme beaucoup d’autres, il avait entendu les rumeurs selon lesquelles Sixte IV avait été assassiné par le Comte Riario et de cela aussi, disait-on, Giuliano della Rovere voulait se venger, car il devait tout à Sixte.

Selon les suppositions du parent de Lucrezia, oui, le Comte était traité différemment, mais en aucune manière mieux que les autres prisonniers.

« Je vais tenter d’utiliser cette fichue pièce sur-le-champ ! décida Leo.

  • Je vous accompagne, Maestro.

Leo prit Nico par les épaules et plongea son regard vert dans les yeux de son ancien élève :

  • Je vais bien !
  • Non, je ne crois pas. De toute façon, j’ai besoin de savoir, moi aussi !"


***


Le geste était venu de façon naturelle. Dès qu’il avait pris la pièce, c’était comme si elle lui avait dicté par voie du toucher la marche à suivre pour activer ses pouvoirs.

Assis en tailleur sur le plancher de leur chambre, Leo la posa à plat sur la paume de sa main droite et la recouvrit du plat de l’autre main pour imprimer un mouvement circulaire de plus en plus rapide. Ensuite, il la jeta devant lui; sur le sol.

Dès que la pièce fut libérée, tournant sur sa tranche si vite qu’on ne distinguait plus ce qu'elle était — étoile tombée du ciel ou flammèche échappée à l'âtre —, les yeux de Leonardo se révulsèrent. 

Il était à l’intérieur du Palais.

Un homme à l’air bienveillant, revêtu de la Magna Cappa de soie rouge, dînait en compagnie d’autres gens d’Eglise à une grande table somptueusement décorée et garnie.

(Ce n’est pas ce que je veux voir, bon dieu !)

Les hommes discutaient des finances de leurs évêchés, de leurs terres et semblaient s’amuser beaucoup des dernières nouvelles en provenance de Lyon. 

« Mais qui est donc cet homme qui nous regarde, assis devant votre superbe tapisserie, Eminence ? Il est terriblement rebutant ! demanda l’un des convives en désignant du doigt un côté de la pièce que Leo ne pouvait voir. Ne vous altère-t-il pas l'appétit ?

  • Il Nous l'ouvre, Monseigneur de Rosier. Cette chose informe, c’est Notre cousin, déclara l’Archevêque, un bâtard de feu Notre oncle, Notre bienfaiteur, le Saint Père Sixte IV, qui fut — comme vous le savez sans doute — lâchement assassiné.

Leonardo sentit ses jambes fléchir.

  • Il est en bien triste état, si je puis me permettre. 
  • Oh ! ne vous inquiétez pas : le corps humain a des ressources. Nous le nourrissons comme un oiseau, mais prenons soin de l’abreuver. Nous lui laissons profiter des parfums de notre table pour lui donner une leçon dans l’espoir de l’élévation de son âme, tombée bien bas, j’en ai peur. 
  • En quoi l’est-elle, Votre Eminence ?
  • Eh bien… Nos espions Nous ont rapporté qu’on le soupçonne en plus haut lieu d’avoir abandonné sa charge de Capitaine de la Garde Pontificale pour fuir en compagnie de quelques sorciers et sodomites notoires de sa connaissance dans le but de leur éviter le bûcher. N’est-il pas vrai, mon cousin ? Tenez ! Voyez comme il crache encore, ce serpent ! »

Tous poussèrent des exclamations outrées et enchaînèrent sur les dernières bonnes histoires des débauches qu’eux-mêmes avaient dû arbitrer et punir.

Profitant de cette diversion, Leo, qui n’était pas sûr encore de n'être visible que de celui qu’il cherchait, se faufila derrière les colones en direction de l’endroit que l’Archevêque de Toulouse avait montré du doigt.

Bien sûr, il savait que lui seul avait pu voir Al Rahim, le magicien des Fils de Mithra, lors de ses visites, mais lui, Leo, n’était pas magicien !

« As-tu perdu la tête ? reprocha le murmure éraillé de Riario.

Leo sursauta :

  • Mon dieu, Rio, que t’ont-ils fait ?

A le voir, on s’étonnait en effet que le Comte pût encore parler. Ce n’était qu’un cadavre gris, affaissé comme un sac sale contre la tapisserie brodée de laine, de soie et d’ors.

  • Que fais-tu là, bon sang, Artista ! S’ils te voient…
  • Je ne suis visible que de toi.

Les traits de Girolamo se figèrent :

  • Tu as utilisé la pièce d’Al Rahim !
  • Oui. J’avais besoin de savoir où ils te gardent.
  • Ici lors des repas, sinon, dans la Tour de Trouillas, près des cuisines.
  • Et ils t’affament, ces sales porcs ! Ecoute, je ne sais pas combien de temps peut durer ce prodige, donc il faut que je te dise d’abord que nous essayons de trouver un moyen pour te tirer de là…
  • Non ! Non, il ne…
  • Chut ! Qui vient le plus souvent voir l’Archevêque ?
  • Ses… ses physiciens, mais…
  • Qui d’autre ?
  • Son banquier…
  • Connais-tu son nom ?

Girolamo fit non de la tête et cela semblait lui coûter un effort.

  • Qu’importe, nous trouverons. Leonardo s’assit à côté du prisonnier et le prit dans ses bras : pour le temps qu’il me reste, je veux te tenir ainsi, Rio. » Sa voix le lâcha. 

Une larme s’écrasa sur sa main, pas l’une des siennes. 

L’arrogant et dangereux Comte n’était plus qu’un enfant qui pleurait de ce moment de tendresse inespéré.



Je sais, c'est un peu rose bonbon, mais ça m'arrive, de temps à autre.

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