L'histoire que l'on veut écrire.

Chapitre 10 : Eclaireurs

Chapitre final

1430 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/12/2019 22:11

« Bien sûr, je le protègerai ! »

C’est ce qu’il avait promis avant de prendre la route avec Nico. L’ambiance, en sa présence, était vraiment trop tendue. Après deux jours de voyage, Girolamo avait suggéré de partir en éclaireur avec Nico, pour laisser aux autres l’occasion de voyager sans entendre sans cesse la petite musique grinçante de la rivalité. Leonardo et Da Peretola avaient besoin de se retrouver seuls. Enfin, pas tout à fait seuls tout de même, le Comte n’était pas confiant à ce point-là et avait en secret confié à Lucrezia de’ Pazzi une mission de pacification, de surveillance, pour le cas où la discussion s’échaufferait.

Et maintenant, ça !

« Nico ! Dis quelque chose. Parle-moi !

Pas encore une parole distincte, juste une plainte :

  • Hmmf !
  • Nico, je vais te tirer de là, promis !
  • Hm… souffle…
  • J’arrive. »

En ce moment, il gommait d’un trait épais les récriminations qu’il nourrissait parfois envers ses fonctions de soldat et émissaire de Rome car elles lui avaient appris à prévoir les embûches, tout ce qui pouvait survenir lors de ses nombreuses missions. « Calme, Dante, on va remédier à ça ! » dit-il en flattant l’encolure du cheval tout en prenant une longue corde dans le sac à selle. 

De retour au bord du puits - heureusement presque entièrement asséché, il noua la corde à la poutre à laquelle était fixé le treuil et fit un noeud de chaise à l’autre extrémité. Il y glissa le pied, comme dans un étrier et entreprit la descente.

Par bonheur, dans cette plaine, le puits n’était pas profond. Sa corde était suffisamment longue. Il fut rapidement à la hauteur de Nico, l’eau lui arrivant à la taille.

« Je… c’est sûrement une ou deux côtes, murmura ce dernier. J’ai un peu de mal à respirer…

  • Mal ailleurs ?
  • Non… c’est étrange, mais je crois que je n’ai rien de cassé
  • Bien… Il faut remonter assez vite, le fond des puits dégage des exhalations nocives. En voyant l’air surpris de son jeune compagnon, il expliqua avec un sourire : récits de guerre. 
  • Vos hommes sont aussi stupides que moi ?
  • La France n’est pas seule à posséder des puits de pierre sèche mal entretenus, ou abandonnés, comme celui-ci. Tu ne pouvais pas prévoir. Allez, voyons si tu peux t’accrocher à ton cheval de fortune ! De lever les bras va te faire souffrir, mais il n’y a pas d’autre solution. 

Il se courba pour aider Nico à nouer les bras autour de son cou et les jambes à sa taille… Les idées égrillardes surgissant parfois aux moments les moins opportuns, Nico ne put réprimer un bref éclat de rire, qui le punit aussitôt de cette incorrection en torturant ses côtes.

  • Si le Maestro nous voyait !
  • Pas le moment des images grivoises, Machiavelli ! gronda Riario, avec cependant un sourire dans la voix… Allez, on y va !
  • Vous savez, c’est la deuxième fois que …
  • Clauditis, insolens ! Je ne peux pas rire en ce moment, ou nous tombons tous les deux. »

Nico se concentra donc sur une image du paysage qui l’attendait dehors et sur la perspective de l’air frais qu’il respirerait dix mètres plus haut. Le souffle lui revenait déjà. Il supposa qu’il avait surtout été coupé par la peur et par une certaine angoisse de se savoir enfermé. Dans son enfance, l’un de ses précepteurs avait l’habitude de le punir en l’enfermant dans une armoire, il en conservait une forte détestation pour les pièces exiguës. Il évita de penser à l’effort que devait fournir le Comte pour les hisser tous deux à bout de bras. Nico n’aimait pas être une charge, ni au propre, ni au figuré. C’est ce qui l’avait encouragé à quitter la maison si jeune pour entrer en apprentissage chez Verrocchio, qui l’avait ensuite « prêté » à Leonardo… de manière définitive s’avéra-t-il.

Enfin, Riario reprit pied hors du puits et s’agenouilla pour permettre à son cavalier de descendre… « J’ai l’impression de lire de l’ironie dans l’oeil de mon cheval ! plaisanta-t-il en aidant Nico à s’adosser contre un arbre tout proche. Je vais te chercher de l’eau… Tu t’es salement écorché les mains et le visage ! 

  • J’ai dû essayer de ne pas tomber tête la première, je me souviens des parois coupantes, c’est vrai… M.. Merci, Girolamo ! » Il avait encore du mal à utiliser ce prénom. C’était un peu familier tout de même.

Pour toute réponse, l’homme lui donna trois tapes amicales sur l’épaule et s’en fut chercher l’outre à eau. Nico espéra qu’il penserait également au vin, il avait soif. *

C’est alors qu’il décrochait les deux outres que huit hommes surgirent de derrière les fourrés, épées et poignards en main en criant : « Plus un geste, Comte ! » 

Désarmé et trop mal en point pour tenter quoi que ce soit, Nico assista, impuissant, à l’enlèvement de son compagnon de voyage et - une bouffée de rage et de détresse mêlées, le disaient - surtout son ami.


***


Les trois autres le trouvèrent attaché au tronc de l’arbre, en pleurs. Larmes de colère et de douleur, car les hommes n’avaient montré aucun égard et avaient malmené ses bras et serré la corde beaucoup trop fort.

Zo, les yeux exorbités, le visage en feu :

  • Ce fils de pute ! Qu’est-ce qu’il t’a fait ?

Leo, hagard, livide, les yeux brillants :

  • Où est Rio ?

Seule Lucrezia se précipita vers le pauvre Nico pour le libérer et s’inquiéter de son état. Il nota ces réactions et lui sourit.

Il fit le récit des événements et conclut… « Il a pris mon cheval et m’a laissé Dante. Il a bien fait, ces sales types étaient de vrais sauvages.

  • Ils n’ont rien dit qui pourrait permettre de deviner où ils l’ont emmené ? demanda Lucrezia.
  • Non, mais il m’a semblé voir des croix sur leurs capes, un peu comme celle qui est cousue sur la veste de Girolamo.
  • Giuliano della Rovere, l’archevêque d’Avignon !
  • Le cousin de Rio ? s’étonna Leo. Que peut-il bien…

Lucrezia nettoyait les écorchures de Nico, il était à présent tétanisé et cramoisi, elle fit mine de ne pas s’en apercevoir :

  • Si vous voulez mon avis, votre départ de Florence en même temps que le… congé de Girolamo n’est pas passé inaperçu. Rome va certainement vouloir le remettre sur le droit chemin de la discipline. 
  • Il faut voyager plus vite, atteindre Avignon au plus tôt !
  • Ouais, tout pour le monstre préféré de Maître Da Vinci ! Il y a d’autres planètes dans ton système solaire, je te signale… Nico n’est pas capable de voyager vite, mais tu as oublié, bien sûr.

Le jeune homme retrouva ses mots et foudroya Zo :

  • Si, je le peux ! Il suffit de me faire un bon bandage, mes côtes sont justes fêlées, je n’ai que des égratignures et je ne laisserai pas tomber mon ami !

Zo ébouriffa sa crinière noire dans un geste rageur :

  • Retour au Nouveau Monde, on va encore une fois bousculer les plans pour mademoiselle Riario !
  • Tu suis les plans prévus, trancha Leo, je ne veux pas subir tes jérémiades plus longtemps ! Puis, se tournant vers Lucrezia : vous pouvez endurer la route à ses côtés ?
  • Je crois que je le pourrais… mais nous ne serions pas trop de trois s’il s’avère que Girolamo est prisonnier. Quatre seraient mieux... mais je ne vous crois pas disposé à nous aider, Monsieur da Peretola, je me trompe ? 

On devinait la réprobation sous l’intonation, Zo en fut déstabilisé :

  • Je ne risquerais même pas une égratignure pour ce chien, il a voulu me tuer à deux ou trois reprises, mais Leo et Nico tiennent à cette incarnation de Satan. Donc, je vous suis… et je me tais. »








* On ne buvait pas d’eau lorsqu’on voyageait à l’époque, car elle transmettait évidemment de nombreuses maladies. 



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