L'histoire que l'on veut écrire.

Chapitre 9 : Pour être l'ami de Leonardo.

Chapitre final

884 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/11/2019 17:11

Quand on veut rester longtemps l’ami de Leonardo da Vinci, comme Zoroastre, il faut s’armer de patience, de dévouement et de vigilance. 

De la patience et du dévouement, car il vous traitera comme un serviteur, sans même remarquer que cela vous blesse, quand il est en phase de fièvre créative. Zo se rappelait de nombreuses occasions où, affaibli ou blessé, Leo l’avait malgré tout envoyé chercher aux quatre coins de Florence des objets dont il avait besoin ou déterrer un corps dans un cimetière humide et glacial. Après coup, quand ses idées naviguaient sur une mer plus calme, il était charmant, amoureux, facétieux… Mais ne pensait même pas à vous inclure un tout petit peu dans le tableau de sa victoire. La dévotion de Zo et Nico allait de soi, il était le Maestro, ils étaient son public idolâtre.

De la vigilance, il en fallait plus encore. Leo était distrait, n’avait aucun sens pratique et, quand il lui prenait une tocade pour quelqu’un, outrageusement confiant. Il donnait et donnait alors sans compter, se livrait sans le moindre filet de protection.

De toute évidence, ses déboires avec Lorenzo le Magnifique et Lucrezia Donati ne lui avaient rien appris, puisqu’il s’abandonnait corps et âme à la passion de son ennemi juré d’autrefois. Nous avalons tous des mensonges quand notre coeur a faim.

Zo en tirait une leçon sur lui-même : même si Leo était fou à lier, il serait toujours son héros et cela voulait dire qu’il était plus fou encore.

Mais le danger suivait Riario comme son ombre, si Zo ne prêtait pas attention, qui d’autre le ferait ? Pas Nico, lui aussi tombé sous le charme…

« Je suis une très mauvaise idée, mais aimez-moi quand même » 

Satan !

Alors, il préféra s’installer dans le box voisin de celui qu’occupaient Leo et Riario, contre la cloison de planches. La bête venait de goûter au sang, il valait mieux

s’assurer que ça ne lui avait pas rouvert l’appétit.

Bien sûr, qu’il redoutait ce qu’il allait entendre ! Mais sa tranquillité d’esprit était à ce prix…


Riario, dans ce murmure éraillé qui électrisait cet idiot de Leo :

« Chi siete voi che contro al cieco fiume fuggita avete la pregione etterna ?

  • Qui êtes-vous, vous qui, marchant contre le cours du fleuve des tourments, avez fui la prison éternelle ? La voix de Leo
  • Chi v’ha guidati, o che vi fu lucerna, uscendo fuor de la profonda notte che sempre nera fa la valle inferna ?
  • Qui vous a guidés ? Qui a osé porter devant vous un flambeau téméraire pour vous aider à sortir de la profonde nuit dans laquelle est plongée à jamais lavallée de douleurs ?
  • Son le leggi d’abisso cosi rotte ? o è mutato in ciel novo consiglio, che, dannati, veni a mi grotte ?
  • Les lois de l’abîme sont-elles donc rompues ? Ou bien le ciel a-t-il tellement changé ses augustes décrets, que vous autres, âmes condamnées, vous puissiez approcherde ce séjour ?… Dante, le Purgatoire, chant 1. J’avais oublié la beauté de ce passage !
  • Il nous va plutôt bien, tu ne trouves pas ? Mais laisse-moi me charger de verser le sang, Leo. Toi, tu es un artiste, tuer te répugne. Moi, j’y suis habitué.
  • Tu t’engouffres à chaque fois un peu plus loin sur le chemin de ton propre enfer, laisse-moi faire à ta place une partie du parcours… Je veux suivre ton ombre partout où elle ira, faute de pouvoir marcher à tes côtés.
  • Ce n’est pas mon ombre, Artista, c’est la noirceur au coeur de moi-même… Ils ont brisé la partie la moins dangereuse de ma personne, ils m’ont arraché les ailes en oubliant que j’avais des serres. 
  • Alors… Alors, laisse-moi te rendre des ailes, tu sais que j’ai tours rêvé de voler.»

Un sourire, des chuchotis de tissu, deux souffles enlacés en un seul soupir… 

Zo se boucha les oreilles des deux mains. 

Ne pas entendre ça. Juste les battements révoltés de son propre coeur et le sang furieux dans ses artères. 

Tout, mais pas ça. 

Pas ce rappel des nombreuses fois où il avait vu les regards des deux adversaires s’accrocher, se perdre l’un dans l’autre; pas ce souvenir du jour où il avait vu

les larmes dans les yeux de Leo tandis que l’autre priait sur la tombe de son esclave, ce jour où il avait compris que le désir n’était pas seul à régner sur son ami.

Merde ! Il s’agissait bien de ce salopard de rejeton du Pape, qui ne comptait plus ses victimes, qui torturait au besoin et sans en montrer le moindre déplaisir.

Mais Nico avait sans doute raison : le feu avait toujours été là et il ne fallait pas l’oublier si on voulait affronter le Comte… Ne pas oublier non plus que l’affronter

c’était aujourd’hui mettre en jeu l’amitié de Leo... et ça, il n’oserait pas.

C’était à pleurer !


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