L'histoire que l'on veut écrire.

Chapitre 8 : On ne badine pas avec le diable.

Chapitre final

1307 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/11/2019 16:41

L'homme, Carlo Lulli, se faufila dès cette nuit-là dans la partie de la cale réservée aux chevaux. Il voulait surprendre Riario et avait réveillé deux de ses hommes à tout faire, toujours avides de gains, pour l'aider au cas où le Comte se fâcherait de cette intrusion. Lulli était né dans le monde du pouvoir, il connaissait la réputation de Riario. "Il n'a pas vraiment besoin d'arme, disait-on de lui, il est une arme, forgé à le devenir depuis sa plus tendre enfance." D'ailleurs, après a conjuration contre Lorenzo il Magnifico et toutes sa famille, il avait échappé à la vengeance de tous — des Medici, des Citoyens de Florence et même de Sixte, son père, le représentant de Saint-Pierre en personne. Des bruits circulaient, on chuchotait qu'il l'avait étranglé de ses propres mains. Et malgré tout, il était encore là, main armée de Rome, encore à la tête de bon nombre de soldats prêts à lui sacrifier leur vie...

Leonardo entendit les plaintes de l'escalier de bois, les bruissements dans la paille et réveilla son compagnon assoupi.

"Un mot avec vous, Monseigneur ? cria Lulli, comptant sur la surprise.

Mais Girolamo se leva calmement, froid et pragmatique, comme il l'avait toujours connu :

  • Ce n'est pas très prudent de venir dans cette partie de la cale avec une torche, Monsieur Lulli. Sortons d'ici.

L'autre ne put cacher sa surprise, ni un soupçon de fierté :

  • Vous m'avez reconnu ? dit-il en suivant le Comte.
  • J'ai suffisamment fréquenté le Vatican et les membres de la conjuration des Pazzi pour reconnaître le secrétaire du Cardinal Salviati, ne croyez-vous pas ?

Leo s'était levé pour les suivre, mais Girolamo l'en dissuada d'un geste de la main.

  • Merde, ça sent l'embrouille, estima Zo, je parie mon cheval que cette vipère papale est en train de nous jouer un tour à sa manière, bien gluante et alambiquée !

Il cracha dans la paille. Leo leva les yeux au ciel, Nico soupira :

  • Oui, après nous avoir prévenus du danger... Ca coule de source !
  • Oui, eh bien, je suis désolé pour les choses horribles, insultantes, dégueulasses et VRAIES que je peux dire en passant si ça blesse vos petits coeurs naïfs, mais je les pense !
  • Zo, si on essayait d'en parler calmement, suggéra Nico.
  • N'en rêve même pas, intervint Leo, j'ai déjà essayé.

Mais Niccolo voulait au moins tenter de recoller les morceaux de son ami que l'alliance des deux autres semait derrière elle petit à petit. Il faudrait de la patience, car Zo était comme une horloge déréglée, qu'il faudrait d'abord démonter pièce par pièce avant de la recomposer.

Ce dernier reprit, à son adresse :

  • D'ailleurs, explique moi... Comment toi, toi qu'il a torturé dès votre première rencontre, tu peux prendre la défense de cette merde endimanchée ?
  • Il est comme le Maestro, j'ai eu envie d'en savoir plus.
  • Comme Leo ? Je rêve ! Ce serpent des enfers est plus froid que les cadavres qu'on déterrait autrefois... et il pue pareil... à l'intérieur.
  • Il n'est pas froid, il s'en donne l'apparence, c'est différent... A l'intérieur, il brûle, moi je le sens !
  • Oui, ben... dommage que ça ne le consume pas !"

A ce moment-là, il y eut du remue-ménage du côté des escaliers... Des cris étouffés, des pas décidés. Riario reparut en compagnie de Lulli, qu'il poussait de la poitrine et du genou, tandis que d’un bras autour du cou, il lui maintenait la tête. Le poignard du Comte à hauteur de l'oreille, l'homme gémissait, s'empêchait de crier sa terreur.

"Dis-leur ce que tu m'as proposé. Dis-leur qui t'envoie !

  • Je... Pardon, signori, pardon, je n'avais pas le choix...
  • Parle !
  • Je... j'ai per... perdu tous mes biens quand le cardinal est tombé en disgrâce... Lorenzo di Medici m'a ruiné et... et je me suis tourné vers le Pape et la Sainte Eglise pour regagner du prestige, je... Je participe à la chasse aux hérétiques de toutes sortes. J'ai appris votre manoeuvre pour épargner...
  • La liste !

L'homme sortit un message cacheté de dessous son pourpoint et le tendit à Leonardo, le plus près de lui.

  • Que reçois-tu en échange de ce service ? insista le Comte
  • Rien encore, Monseigneur... J'ai obtenu la promesse de mon retour en grâce...
  • Bien ! Voyons si tu peux compter sur Dieu pour te la donner !"

Et avant que les autres aient pu deviner la suite, Riario libéra le cou de son otage pour lui trancher la gorge. Zip ! D’un coup.

Trois hommes inhalèrent de surprise ou d'effroi, une femme s'avança dans la pénombre et les regarda tour à tour, un léger sourire aux lèvres :

  • Ce larbin vous aurait vendus pour un faux ducat. Il n'avait ni discernement ni honneur... Elle essuya la lame de sa rapière sur sa robe avant de la rengainer.
  • La Signorina de' Pazzi est venue me prêter main-forte pour maîtriser ces trois larbins de l'Archevêque Cosimo... Malgré la guerre et l'invasion française, il semblerait qu'ils ne veulent rien lâcher des affaires courantes !
  • Je suis la dernière fille de Guglielmo de'Pazzi, le seul que mon oncle Lorenzo ait épargné.
  • Je croyais que vous vous appeliez Alizette ? s'étonna Zo.
  • J'emprunte la vie d'une homonyme pour voyager en paix. On n'aime guère les femmes trop indépendantes dans la famille et on me prépare un mariage qui ne me convient en rien. Je fuis, comme vous.

Zo, toujours sous le charme de ce regard d'elfe, s'avança pour un baise-main qui fit sourire la grande dame brune :

  • Mais... nous nous sommes déjà rencontrés, je crois, Monsieur Da Peretola !
  • Hier, Madame ! Pas encore ce matin... Bon, maintenant je suppose qu'on se débarrasse du corps ? "Là où Riario passe, les hommes trépassent", comme au bon vieux temps !

Il lança un regard plein de lames acérées à son ennemi juré, mais le Comte s'était déjà tourné vers Leonardo.

  • Bien ! Je vous retrouve dès demain, je suppose ? sourit Lucrezia. Je dois rejoindre ma dame de compagnie, elle risquerait de réveiller tous les passagers si elle s'apercevait de mon absence.
  • Merci pour votre aide, Signorina, fit Leo, avec une révérence.

Girolamo prit à son tour la main de la dame pour lui baiser les doigts :

  • Merci, Lucrezia. Votre secret sera bien gardé.
  • Je le sais... Mais, Girolamo, vous étiez moins cérémonieux autrefois, quand vous me contiez des histoires de fées pour égayer nos rencontres!

Il lui fit un clin d'oeil :

  • Vous aviez huit ans. Le message passait alors sans besoin de cérémonie.
  • Vous étiez mon prince charmant !

Il rit :

  • Je le savais... Les enfants sont si inconscients du danger !
  • Oh ! ... Vous trouvez ?

Sur ce, elle adressa un signe de tête à la ronde et leur tourna le dos pour regagner le pont.

  • Quelle femme ! murmura Niccolo.
  • Oui. Il vaut mieux savoir se défendre quand on est une jeune femme dans un monde d'hommes, dit Riario, les Pazzi étaient loin d'être tendres.
  • Elle me fait penser à...

Mais Nico s'arrêta net: il était difficile encore de prononcer le prénom de celle qu'il avait aimée, qu'il avait laissée à Florence, dans le lit de Lorenzo de' Medici.

  • Est-ce que le... "prince charmant" va nous aider à balancer son offrande au diable par-dessus bord, ou est-ce qu'il faut qu'on s'en charge pour lui ? demanda Zo.
  • Je vais avec toi, dit Leonardo.
  • Nico et moi porterons les deux autres... il est certain qu'ils ont moins profité de la vie, ils sont maigres comme la Semaine Sainte !
  • Dixit notre ascète !" taquina Leo.


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