L'histoire que l'on veut écrire.

Chapitre 7 : La belle dame de Florence

Chapitre final

1374 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/11/2019 14:20



La dispute fut étouffée dès que Nico et Riario franchirent le pas de la porte, mais les deux autres rangeaient leurs couteaux.

On en avait donc été là !

Zo gagna l'extrémité de l'écurie, Leo se tourna vers son cheval, qu'il se mit à bosser avec un peu trop d'énergie.

Girolamo passa derrière lui d'un pas très lent tandis que Nico rejoignait son vieil ami Zoroastre.

"Ne viens pas trop près, prévint celui-ci, c'est l'enfer à l'intérieur et ça pourrait t'éclabousser !" Nico fit un signe de la tête et attacha lui aussi toute son attention aux soins de sa monture.

Le maestro et Zo s'étaient disputés bien des fois par le passé, mais jamais encore les couteaux n'avaient été tirés. Pas en sa présence en tout cas.

Il devinait, bien entendu, quel avait été le sujet de la discorde, mais non ce qui avait pu pousser les deux amis à dépasser les limites.

Il jeta un regard en direction des deux autres compagnons, à l'autre bout de l'appentis, muets eux aussi.

Jamais silence n'avait été plus lourd.

Sur un signe du Comte, il dessella son cheval, regagna la porte et sortit avec lui.

" Vous croyez que c'est bien prudent de les laisser seuls ?

  • A toi de me le dire... Je n'ai jamais fait le moindre effort pour connaître ton ami Di Peretola.
  • Eh bien, en l'état des choses, je n'oserais plus faire de pari.
  • C'est bien pour ça que nous allons rester à proximité. Prêt pour une première leçon d'épée ?
  • Oui.

Ils s'éloignèrent un peu. Le Comte admira le ciel et les voiles du crépuscule, respira un bon coup à pleins poumons...

  • Bien... D'abord quelques échanges pour voir où tu en es. A partir de là, je pourrai t'enseigner quelques petites choses si nécessaire.
  • Oh, ce sera nécessaire, croyez-moi sur parole !
  • Experientia docet ! (On apprend par l'expérience !) Allons-y. Aux armes, Nicolo Machiavelli !"

Le jeune homme avait eu raison de le dire, il avait beaucoup à apprendre... Sa posture, son positionnement, ses coups, tout était à l'image de ce qu'il avait été trois ans auparavant, quand le Comte avait fait sa connaissance : impulsif et naïf.

Au bout d'une dizaine de minutes d'exercice, il dit :

"Ton physique et ta psychologie ont évolué mais pas ta façon d'affronter l'adversité... Même dans un combat pour la forme, tu dois absolument t'imaginer un enjeu, c'est lui qui t'empêchera de te battre comme un roquet qu'on vient de bousculer. Quand tu auras donné une image à ton combat, tu ne réagiras plus pour toi-même mais pour ce qu'elle représente et tu calculeras tes gestes comme tu réfléchis, en prévoyant les coups et en mesurant les tiens, pour t'épargner et pour leur donner plus ou moins de force selon le stade de la lutte...

  • Mais... si je me bats, c'est bien pour blesser mon adversaire, non ?
  • Oui, mais ne compte pas le tuer sur-le-champ ! Il peut être plus fort que toi et dans ce cas, tu dois éviter de miser tout sur tes premiers coups...
  • Fffuiii ! Une pause, Monsei... Girolamo. Je ne peux pas encore réfléchir, parler et me battre en même temps. Bon sang, il faut croire que vos excès d'hier ne sont déjà plus qu'un lointain souvenir !

Le Comte prit à dessein un air rêveur :

  • Oh, pas si lointain que ça, non... "

Et Nico fut pris d'un fou-rire tel que son compagnon se joignit à lui.

"Bon sang de crapaud, qu'est-ce qui leur prend ? ronchonna Zo en gagnant à son tour la porte, d'où Leonardo avait regardé les deux combattants avec un léger sourire.

  • Ils renforcent leur amitié. Il va falloir t'y faire, Zo !" conclut-il avec une petite tape à l'épaule de son ami.


***

Tôt le lendemain matin, ils atteignirent Otranto, où on leur annonça qu'aucun bateau ne partirait pour Nizza avant deux jours et qu'ils auraient bien plus de chance de s'embarquer à Genova.

Leonardo avait espéré éviter Gênes, port attitré de Florence, mais il y avait urgence, plus vite ils gagneraient Nice, puis la Provence, plus grande serait la sécurité de Zo.

Et ce qu'il redoutait arriva. Tout à coup, là, devant eux sur le quai, plus visible qu'une pierre précieuse au milieu de gravats, une jeune femme attendait elle aussi de pouvoir embarquer et Zo était en train de lui faire une cour à sa manière, enthousiaste, flamboyante.

"Alizetta de Pazzi ! dit Girolamo à ses deux compagnons. Elle doit épouser un baron de Provence..."

Malgré les cris des pêcheurs qui vendaient leurs produits, malgré les éclats des marins, la voix de Zo leur parvenait, plus enjouée que jamais. "L'un de vous devrait aller le prévenir, les Pazzi sont à la recherche de reconnaissance auprès de toutes les autorités, dont celles de l'église. S'ils peuvent dénoncer un fuyard et redorer ainsi leur blason, ils ne s'en priveront pas !"

Tandis que Nico se chargeait de cette difficile mission, les deux autres embarquèrent avec les quatre montures. "Pas question de laisser Dante voyager seul !" avait décrété le Comte.

"Quelle idée d'appeler ton cheval Dante ! remarqua Leo dès qu'ils furent dans la cale. Après tout, il a bien été exilé pour avoir refusé l'ingérence de Rome en Toscane...

  • Je venais de relire La Divine Comédie quand j'ai acheté ce cheval... le début d'une période bien agitée, pour toi comme pour moi.
  • Notre descente aux enfers à nous.

Ils s'assirent dans la paille, le plus près possible des animaux, en attendant le retour de Nico et Zo.

  • La mort de ma cousine a dû être un drame pour toi, dit Girolamo, j'ai vu souvent, dans vos regards, combien vous vous aimiez.

Leo se mit à triturer un brin de paille :

  • Entre Lucrezia et moi, ça a toujours été une drôle d'histoire, tu sais. Nous savions tous les deux que nous nous aimions, mais nous étions assez réalistes pour connaître de nos priorités... Nous passions derrière elles... Pourquoi te détestait-elle ?
  • Pourquoi ne m'aurait-elle pas détesté ? J'étais présent quand mon père a volé l'identité du sien et a brisé les vertèbres de sa jeune soeur. Puis, je me suis servi d'elle pour espionner Lorenzo de Médicis...
  • Je sais, elle t'a craché à la figure, elle m'a raconté la scène.
  • Elle te l'a dit ? Elle ne l'a jamais reconnu devant moi, jamais admis que j'avais tenté de les épargner... Soudain, c'était un autre poids de moins sur le coeur du Comte. Je ne pouvais rien contre cet homme à ce moment-là... il venait de me sortir du monastère où je vivais depuis toujours, j'avais un trop grand appétit de vivre enfin dans le monde pour me rebeller. Enfin, j'avais une charge et surtout... surtout une identité.
  • Hm ! Je connais la faim de reconnaissance des enfants reniés. Si Andrea n'était pas devenu un père pour moi, j'aurais moi aussi tout fait pour conquérir le respect et un peu d'amour du mien... Ah ! Voici nos compagnons.
  • J'ai payé le capitane, nous ne sommes plus obligés de sortir d'ici avant demain, dit Nico.
  • Il vaut mieux pas. Est-ce que Alizetta Pazzi a appris quelque chose de notre expédition ? demanda Leonardo, soucieux.

Zo posa une main sur l'épaule du jeune homme :

  • Attends, je traduis avant que tu ne répondes : est-ce que ce cacoglotte de Zo a su fermer sa grande gueule devant la dame ?
  • Tei ipsum nosce ! (Connais-toi toi-même) murmura Riario.
  • Je te conchie, Comte de mes deux. Et non, je n'ai rien lâché. Demain après-midi on aura traversé la mer de Gênes, elle se rendra en Provence en litière, à la rencontre de son futur mari."



Mais le lendemain, tout ne se passa pas comme prévu, car à la suite de la dame avait embarqué un ancien serviteur de Francesco Salvati, que Leonardo et surtout Girolamo avaient souvent croisé avant qu'il fût pendu pour conjuration aux murs du palazzo Vecchio... et ce serviteur les avait reconnus.






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