L'histoire que l'on veut écrire.

Chapitre 22 : Printemps

Chapitre final

856 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 11/04/2020 15:29

Elle gravit les escaliers en silence, la jeune Suzanne à son bras, puis se retourna pour regarder s’éloigner ses quatre compagnons de voyage.

Un an passé avec ces inconnus avait fait d’eux des frères, bien plus aimés et aimants que les siens.

Les larmes coulaient sur ses joues sans qu’elle y pût rien. Sans elles, d’ailleurs, la peine s’accumulerait et lui creuserait au coeur un nid d’amertume dont elle ne voulait pas. La nostalgie peut être belle, l’amertume ne l’est jamais et tue toute jeunesse en vous.

Elle voulait être d’un peu d’eux quatre à l’avenir : audacieuse comme Leonardo, pondérée comme Nico, généreuse comme Zo et tendre comme Girolamo.

« Tendre ? s’étonna Suzanne.

— Oui. Sous la glace et la neige poussent les fleurs du printemps, dit-elle, le froid ne les atteint pas.

— Oh ! Je n’avais pas vu cela sous cet angle, c’est vrai. » dit la jeune fille, le regard lointain.

Lucrezia venait de vivre l’année la plus exaltante de sa jeune vie, à découvrir des campagnes et des villes en toute liberté, sans personne pour lui rappeler qu’elle n’était qu’une fille.

Il était agréable, ce pied d’égalité !

Elle était douce comme un duvet, la camaraderie.

Elle apprendrait cela à son élève, se montrerait pour elle aussi précieuse que ses frères de route.

« Venez ! Rentrons, dit-elle, que ma peine ne vienne pas assombrir nos premières heures ensemble.

— Vous me raconterez votre équipée, n’est-ce pas, Signorina de’ Pazzi ?

— Oui, et à travers elle un peu d’histoire, de géographie et de folie… il ne faut pas négliger la douce folie : elle brise des carcans et ouvre des perspectives. »


***


Oui, bientôt le printemps serait là et la tendre campagne française tentait déjà de le leur faire entendre. Mais les quatre cavaliers lui fermaient leur coeur.

En laissant Lucrezia, ils tournaient une page, fermaient un chapitre et faisaient à rebours le chemin de leur vie.

Rien d’exaltant ne les attendait chez eux.

Toujours plus pragmatique, Nico avait cependant déjà dressé le bilan de cette année et, dans un silence de veillée funèbre, clama soudain : « Nous rentrons bien plus riches que quand nous sommes partis !

Zo branla du chef avec force :

— Pour sûr ! Notre altesse a dépensé une petite fortune à payer toutes les satanées taxes de passage et à nous nourrir, Leo n’a pas peint une coccinelle en un an, mes bottes et mes culottes ne tiennent plus que par le fil des coutures et toi tu ne retrouveras sans doute pas ton emploi à…

— Sans cette aventure, tu pourrais très bien être en train de te morfondre au Bargello en attendant le bûcher, Leo végéter à Florence, où toutes les faveurs vont à présent à Botticelli, Girolamo être marié pour raisons diplomatiques et moi me perdre dans de sombres conflits de propriété terrienne ou autres… Au lieu de ça, le maestro a inventé une nouvelle machine et noué avec le Comte une liaison à toute épreuve, toi, Zo, tu as perdu des oeillères et gagné une plus grande estime de toi-même et moi, j’ai vu que mon avenir était dans la philosophie et la diplomatie… Je veux m’attacher à la cour d’un homme que j’admirerai et développer ce que j’ai appris à Florence pendant l’absence de Lorenzo. Je trouve que j’ai bien mené avec Vanessa la barque de la régence.

— Nico, si ça n’est pas un bilan positif, je renonce à comprendre, sourit le Comte, et tu n’as probablement pas tort. En ce qui me concerne, je suis bel et bien promis à Caterina Sforza depuis une éternité et je suggère même que vous répandiez pour moi la nouvelle de ma mort : je ne me sens aucune attirance pour la béatitude matrimoniale. Allez savoir pourquoi !

— C’est vrai que j’ai perdu la Florence que j’aimais, renchérit Leo. J’ai envie d’autre chose et je compte bien aussi aller au bout de ma guerre contre les Fils de Mithra. Pour ça, il me faudra parcourir et fouiller une grande partie de notre pays et même de la France, puisque c’est là que nous les avons retrouvés. Je compte m’y atteler tout en continuant à dessiner. Il regarda tout à tour Girolamo et Rio : j’aurai besoin d’hommes à mes côtés, bien sûr : une enquête ne se poursuit jamais seul.

— Pour éviter ce putain de bûcher, je serai donc aussi mort que notre seigneurie et tu te farciras l'enquête avec deux cadavres ! décida Zo.

— Vous voyez bien ! triompha Nico. Tout dans la vie dépend de l’histoire que l’on veut écrire, pas de celle qui serait écrite pour nous, truffée de fautes et d’anachronismes ! »

C’est ainsi que leur parvint enfin la petite musique d’un printemps précoce, dans les sourires sur le visage des trois autres.



FIN


 

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