Des fragments de Riario

Chapitre 1 : Sensations

Chapitre final

608 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/01/2020 17:27

Et soudain sa main sur ma poitrine, au réveil, me confirme que j’existe, que je ne suis plus cette coquille vide, cet instrument qui hantait les luxueux hôtels et fréquentait les ruelles pour accomplir sa tâche morbide.

Son toucher ressuscite une personne en moi qui n’existait plus, juste un tissu de principes, de mécanismes et d’habitudes.

Le goût, l’odorat, tout me revient.

Je vis.


***


Le couteau dans son étui me fit d’abord courir un frisson dans le dos, aussitôt suivi d’une nausée. Mon père reconnut cette réaction, m'affirma que je m’y habituerais et m’incita à le prendre en main. 

En effet, le contact avec le bois de son manche, dense et riche d’énergies changea cette répulsion en apaisement... Il me parlait. Pas dans le second degré de l’expression très usitée aujourd’hui, “ça me parle !”. Non, dans le sens premier des termes. Il transmettait à ma paume une douceur prodigieuse. 

Le frisson et la nausée firent place à une certaine volupté mêlée d’assurance… Sans le savoir, je laissais derrière moi celui que j’avais été jusqu’alors.


***


Les portes, dans ses yeux, ne sont jamais fermées. Il te laisse entrer en lui pour lire ce qu’il ressent et ce qu’il pense. Il laisse filtrer de lui sa colère, sa tristesse, son empathie — infinie. Il t’aime au premier abord, à toi de voir si tu veux qu’il en soit ainsi. Ses yeux questionnent, il est curieux de toi. Ses yeux caressent ou titillent, il veut te séduire. Ses yeux pleurent si tu souffres.

C’est ça, l’amour de Leonardo. Et si tu y restes insensible, ne te cherche pas au fond de toi-même, c’est que tu es déjà mort.


***


J’ai tant de choses à expier que j’étais sans cesse en quête de châtiment. Ma conscience étouffait la pulsion de vie qui habite tout être. Aucune humiliation, aucune des brutalités que distribuait mon père ne pesait assez dans la balance pour l’équilibrer. Il me fallait en chercher plus.

Et je les haïssais tant, ces gens toujours à la recherche de bien-être et de plaisir ! J’y voyais un orgueil infondé, une autosatisfaction de paresseux, qui sans rien avoir accompli ou risqué estimaient que tous les bienfaits leur étaient dus. 

Ils étaient humains, voilà tout, alors que je me voulais le bras armé de Dieu. L’orgueil était de mon fait, non du leur.


***


Regarder Leo créer est une expérience exaltante. 

Ne cherchez pas son regard, il n’est plus là, il se fixe sur un objet impalpable, visible de lui seul, dont il démonte les mécanismes jusqu’au plus menu.

N’espérez plus son attention, il est tout entier absorbé dans ses gestes et dans un dialogue avec sa création.

Il ne mange plus, ne dort plus et sème partout des feuillets, des vêtements, des fruits entamés aussitôt oubliés.

Il parcourt l’espace à la vitesse d’un courant d’air et cette énergie, au passage, vous laisse la peau électrisée.

Il est fébrile et pourtant précis, épris de son oeuvre et furieux, amoureux et détaché, tellement vivant que l’implosion le guette. 

Il est plusieurs hommes à la fois et je me gronde d’être polyandre, car je les aime tous, en lui, quand ils se jettent sur moi pour user un peu de leur dangereuse ardeur. 


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