Pourquoi es-tu Riario !

Chapitre 3 : Un ami, un diamant.

1646 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/03/2020 21:49

Tommaso Masini, aussi connu sous le nom de Zoroaster da Peretola, était plus qu’un second et garde du corps pour Girolamo Riario. Il l’avait rencontré alors qu’il servait d’homme-à-tout faire à Leonardo da Vinci, toujours occupé par mille entreprises en même temps, les unes plus abracadabrantes que les autres.

Un jour, las de courir la ville et la campagne environnante pour le peintre, Tommaso avait mis de côté son antipathie innée pour tout qui portait un titre et s’était rapproché de Girolamo, avait ouvertement déclaré qu’en dehors du crime aucune tâche ne le rebutait et fait comprendre en finesse qu’il était tout disposé à prendre un poste à ses côtés. 

Assez psychologue, le Comte avait vu les qualités de franchise et de dévouement qui se cachaient sous ses airs d’insouciant et l’avait engagé.

En dix ans de collaboration étroite, l’amitié était née et s’était renforcée. Tommaso était à présent le seul à tout connaître du bras droit du Pape. Il avait pansé des blessures physiques — beaucoup — et psychologiques — un bon nombre — et avait désappris au Comte la rigueur monastique qui n’était plus aujourd’hui qu’une commode façade à glacer le sang des plus peureux, une arme préventive qui avait sauvé pas mal de vies.

De son côté, en plus de gages, Tommaso avait reçu du Comte le respect que Leonardo avait trop souvent oublié de lui témoigner. Contrairement au peintre, Girolamo ne tenait jamais son dévouement pour acquis et même, il le consultait dans certaines circonstances avant de prendre une décision. 

L’expérience que le pick-pocket avait des êtres humains lui était précieuse, à lui qui n’était sorti du monastère où il avait été élevé que pour entrer à l’académie militaire et de là dans l’organisation hyper-hiérarchisée d’un père qui refusait encore de le reconnaître publiquement comme son fils.

Dès qu’il avait regagné la somptueuse Villa Della Rovere, à cinq kilomètres du centre-ville, Girolamo avait invité Tommaso à l’attendre devant la fontaine pour faire une promenade dans le parc après le debriefing du Pape, qui avait lieu chaque jour, quoi qu’il arrive et quelle que soit l’heure.


Il poussa un long soupir en entrant dans la maison en direction de la bibliothèque.

« Alors, Riario, qu’avez-vous appris de cette soirée ? l’apostropha Della Rovere quand tous ceux qu’il appelait « ses cardinaux » furent réunis.

À l'occasion, il usait d’un humour froid, toujours condescendant et quand ce surnom de « Pape » lui était parvenu aux oreilles, il avait tout de suite promu ses lieutenants au rang de « Cardinal ».

« Qu’ai-je appris, Monsieur ? Ma foi, pas grand chose, sinon que les Medici n’ont pas leur égal pour recevoir et organiser une fête… le feu d’artifice…

— Ne faites pas l’imbécile devant toute la cour, Capitaine Général, vous perdez votre temps et le nôtre pour rien. Vous savez que j’ai les ressources nécessaires à vous délier la langue… même s’il paraît qu’elle n’était pas trop étroitement nouée ce soir !

Il rit grassement et tous les autres avec lui.

Par réflexe, Girolamo se tint un peu plus droit encore, le muscles du dos si tendus qu’ils lui faisaient mal. D’un geste tout aussi machinal, il se mit à gratter le dessus de sa main gauche. Manière de rester au aguets et de ne laisser aucune pensée, aucune mimique, aucun geste autour de lui le distraire ?

— Je vois. Vous parlez de ma conversation avec Leonardo da Vinci et Will Graham…

— Leonardo da Vinci ne m’intéresse plus pour le moment, vous le savez bien. Son nom même m’insupporte et je vous prierai de ne pas me lancer l’image de votre… initiateur à la figure à tout bout de champ. L’A-GENT-DU-F-B-I ! cria-t-il, détachant lettres et syllabes.

— Will Graham, donc.

Girolamo cadenassa un sourire inopportun, dangereux. Il adorait faire languir ce tyran impatient, même si ce n’était guère raisonnable. D’ailleurs, Giovanni, adossé à une bibliothèque monumentale à la droite du grand patron fronça les sourcils et lui adressa un « non » discret de la tête.

— En finirez-vous, ou bien dois-je faire sortir les fouets à barbelés ?

— C’est que… il n’y a pas grand chose à raconter, voyez-vous.

— Alors faites-moi un portrait robot, puisqu’il est évident que vous n’avez guère conversé !

Il pianotait sur son grand bureau de chêne foncé, le Comte se résigna :

— Will Graham, 1,80 m, trente-cinq ans, signe des Gémeaux. Formation à Quantico jusqu’à il y a environ cinq ans après trois ans d’études de biologie. A suivi tous les cours et réussi les épreuves en vue de devenir agent mais s’est vu refouler sur le fil en raison d’instabilité psychologique. C’est ce que les Américains appellent un empath, un empathe — il ressent en les intégrant véritablement, le sentiments et motivations d’autrui. Il se consacre donc au métier de formateur au sein du bureau fédéral. Jack Crawford le recrute il y a trois ans comme profiler dans l’enquête dite de l’éventreur de Chesapeake, qui débouche sur son arrestation et sa mise en examen pour les meurtres en question. Suite à une enquête plus approfondie, il est disculpé et retrouve son poste aux côtés de Crawford.

— Hm ! C’est bien tout ?

— Si vous avez deux heures devant vous, je peux vous parler de sa relation problématique et ambiguë avec le véritable meurtrier, Hannibal Lecter, qui se trouve avoir été son psychiatre.

— Non, ça suffira pour le moment. Mais creusez, Riario et n’oubliez surtout pas à qui vous devez allégeance.

— Comment le pourrait-on ! dit le Comte, en libérant un peu le sourire jusque là sous verrous.

Le visage de Della Rovere se décomposa, il se leva, poings serrés, puis désigna la porte :

— Sortez !"

Girolamo claqua les talons, fit une brève courbette et obéit.

D’habitude, il ne jouait pas ainsi avec le feu — plus ses interventions au conseil étaient brèves, mieux il se portait.

Mais d’habitude, il n’avait pas ce sentiment de toute-puissance factice.

D’habitude, il n’était pas amoureux.

Il rejoignit Tommaso à la fontaine, un large sourire aux lèvres, au bord du rire.

« Ce n’est pas souvent que je te vois de si bonne humeur, remarqua son ami, surtout au sortir du debriefing !

— Zo, j’ai bien peur d’être devenu idiot.

— Non, ça, tu n’est pas ! Versatile, emporté, taciturne, retors, direct, cruel, tendre…

— Stop ! 

— Mais idiot, ça, non.

— Je suis pourtant passionnément amoureux d’un homme que j’ai rencontré pour la première fois ce soir… enfin, hier. Il est deux heures du matin… Viens, on marche…

— Mais… amoureux ? Tu veux dire comme dans « amour » ? Battements, emballement, béatitude et tout le putain de cortège ?

— Zo !

— Oui, bon, je sais. Mais je suis trop surpris pour surveiller mon verbiage.

— C’est un ami de Leo.

Tommaso leva les yeux au ciel :

— Tu m’en diras tant !

— Un ami du FBI.

Zo s’arrêta net et, blême comme la lune, le souffle court, lui saisit le bras :

— Rio, tu me fais marcher, hein ?

— Là, en ce moment, oui… même si tu ne suis plus les règles de la marche.

Il avait toujours ce grand sourire alors que la mine de Tommaso se décomposait de seconde en seconde :

— Ne plaisante pas ! Girolamo, non ! Enfin… Un gars du FBI ? Tu... tu sais que ça veut dire la mort, hein ?

— Oui.

— Et… ?

— La mort, oui, mais après une vie, enfin ! 

Tommaso décrivit plusieurs petits cercles, tantôt bras au ciel, tantôt les mains sur la tête, enserrant son cerveau électrisé :

— Combien de putain de vie, bon sang ? Deux jours ? Une semaine ? Quelques heures ?

— Ne sois pas triste, mon ami, pas alors même que les beautés du monde se sont pour la toute première fois insinuées en moi ! Cet homme est un cri, oui, mais aussi un diamant brut et toute la lumière d’une vie entière.

— Ouais ! Et le cri et le diamant brut en toi l’ont reconnu, c’est ça, hein. ? Si en plus il ne redoute pas de verser le sang de temps à autre , je te dis « t’as gagné mon pote, tu viens de trouver ton jumeau ! »

Girolamo en perdit le verbe et le dévisagea.

— Allez, reprit son ami, cours vite annoncer au Pape que tu viens de lui dénicher un autre toi-même ! Merde, Rio, il va vous faire payer ça au centimètre carré de chair, tu le sais, ça, hein ? Tu l’as vécu… tu veux lui faire vivre ça aussi, à ton diamant brut ?

— Je suis partant pour risquer le coup, fit une voix du côté d’un massif de buddleia.

Riario reprit pied : 

— Will ! Vous… tu es fou ! Comment t’es-tu glissé jusqu’ici ?

— Les chiens n’ont jamais rien pu me refuser, même pas les molosses… Je devais venir.

Et comme la nuit entre eux s’était faite intime, Zo dit :

— Bien… Euh, je vous laisse. Mais je vous conseille de disparaître quelque part au plus vite. Et réfléchis bien, Girolamo, tu l’embarques avec toi. »

Mais il savait que les notes basses de sa voix n’y feraient rien. Il savait reconnaître les hommes prêts à tout, prêts à tout perdre, il en avait côtoyé quelques uns.

Laisser un commentaire ?