Pourquoi es-tu Riario !

Chapitre 2 : Run to you.

1492 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/03/2020 23:15

Sous son masque de tigre , Giovanni della Rovere n’avait pas perdu une goutte de la scène qui venait de se dérouler entre son cousin Riario et Will Graham. Il avait vu les regards, les sourires, remarqué le registre plus sourd de la voix de son cousin et noté le léger tremblement de l’agent du FBI.

Contrairement à l’oncle Alessandro, il connaissait des hommes bien plus de choses que leur simple utilité. Le Pape ne se souciait dans la vie que de sa propre volonté. Le reste l’intéressait si peu que sans ses conseillers il n’aurait pas remarqué bien des pièges plus subtils.

Certes, rien de ce qui touchait à la stratégie ou à la valeur utilitaire de ses troupes ne lui échappait, mais des rouages des sentiments et des pulsions humaines, il voulait rester aussi ignorant qu’un nourrisson. 

Même ses propres vices ne méritaient pas plus d’attention de sa part qu’une feuille morte dansant au vent d’automne : ils surgissaient, il y remédiait au plus vite et voilà tout. Il mangeait sans goûter les mets, se baignait plusieurs fois par jour sans plaisir, juste pour déjouer la maladie et consommait les adolescents à forte dose, mais pour se débarrasser au plus vite d’une fringale sexuelle gênante.

Giovanni se rappelait l’époque où le très jeune Girolamo était en suite chargé de les faire disparaître « mais le plus humainement possible, Riario. Nous ne sommes pas des bourreaux ! » À l’âge de vingt-cinq ans, il avait enfin osé refuser ce rôle, mais cela lui avait coûté cher. Très cher.

En repensant à cette époque, Giovanni hésitait, soudain.

Sans pouvoir affirmer qu’il l’aimait, il ne détestait pas son cousin, or, de rapporter à Alessandro ce qu' il venait d’entrevoir lui vaudrait à coup sûr d’autres sanctions ou chantages de la part de son père.

D’un autre côté, il s’agissait ici d’une question de sécurité — sauvegarde de l’organisation, mais aussi de sa propre personne, car Giovanni n’osait imaginer ce qu’il risquait si son oncle venait à apprendre qu’il lui avait tu une telle information.

Pourtant, au lieu de se fâcher comme les feux de l’enfer et de distribuer les ordres habituels de régler sur-le-champ la question par le fer, Della Rovere posa une main pacificatrice sur son bras : « Du calme, Giovanni, dit-il avec un vilain sourire. Nous sommes les hôtes de la plus prestigieuse maison de Florence, profitons des avantages que cela nous promet, ne troublons pas la fête. Et si, pour une fois, Riario trouve un peu de plaisir dans la transgression, qui sait, là aussi, quel bénéfice nous pourrions en retirer, hm ? »

Giovanni demeura surpris d’abord, dépité ensuite d’avoir joué ce rôle de délateur pour rien et enfin carrément furieux contre Will Graham. Qui était-il pour venir se mêler de police italienne ? Qui était-il pour aborder ainsi, d’emblée, un fils de Rome, le bras droit de l’homme le plus puissant d’Italie ? Depuis quand la vermine se permettait-elle de regarder les puissants droit dans les yeux ?

Nourrissant ainsi, verre après verre, sa propre haine, à minuit, il ôta son masque en se jurant d’avoir la peau de ce Graham.


***


Le nez en plein ciel, l’émerveillement de l’enfance pour un temps retrouvée, Will, Leo et Riario admiraient le feu d’artifice côte à côte. Par moment, on y voyait comme en plein jour sur la Piazza della Signoria. Le profiler en oubliait la main posée sur son épaule, omettait de se regarder de l’extérieur comme trop souvent, pour se juger sans indulgence, d'analyser, en somme, sans complaisance, ce que d’autres pouvaient voir de lui en ce moment.

Et même quand il en reprit conscience, cela lui parut si naturel, cette proximité de deux parfaits étrangers, qu’il se surprit à se sentir bien dans sa peau !

Il se tourna vers Leo, souriant de découvrir ce à quoi ressemblait un Will Graham détendu, puis vers Riario.

« Pero chi i miei disiri avran vertute. contra ‘l disdegno che mi da tremore. »* murmura ce dernier avant de se pencher vers lui pour l’embrasser avec tendresse.

Non ! Non, cela ne pouvait pas être. Il ne pouvait pas une nouvelle fois perdre pied et laisser ses sentiments se fractionner comme l’avait fait son esprit deux ans plus tôt !

Mais ses lèvres répondaient au baiser.

Il ne pouvait pas à nouveau, même sous une autre forme, s’abandonner à la volonté d’un autre, comme il l’avait fait alors !

Mais sa langue goûtait la bouche du Comte.

Il en ressortirait brisé, comme alors, complètement désorienté et de nouveau en grand péril !

Mais il étreignit Riario et se colla à lui pour puiser à cette force inouïe qui l’habitait…

« Mon oncle te réclame, Girolamo ! »

L’homme était bâti comme une tour de garde et toisa Will, dégoût et intense colère affichés.

Riario lui dit à l'oreille : « Nous reprendrons cette passionnante discussion. Ne quitte surtout pas Florence avant cela. » Il lui caressa la joue de l’index avec le premier sourire authentique de la soirée, de ceux qui se lisent aussi dans les yeux, puis suivit l’autre homme d’un pas décidé.

« "Sors-moi d’ici", hein ? taquina Leonardo.

— Je… je reste persuadé que c’était le mieux à faire… maintenant plus que jamais ! Je suis perdu, Leo. Cet homme est l’ennemi juré de Crawford et du FBI et je viens de torpiller des années de reconstruction de moi-même !

— Oui, mais... le regrettes-tu vraiment ?

Will regarda autour de lui et au loin sans rien distinguer de la foule bigarrée, sourd aux chants et cris de toute sorte :

— Le pis est là : la réponse est non… et voilà ce qui arrive quand tu mets en présence deux tordus empathiques : une spirale infernale vers la catastrophe ! »


***


J’entends déjà le grognement avide de Jack : « Alors, Will, qu’avez-vous découvert ? »

Que Will Graham, le sombre Will Graham n’est pas tout à fait lui-même en ce moment, Jack. Pas du tout !

Et qui est-il, d’ailleurs, cet inconnu qui refuse obstinément un baiser à son ami le plus proche qui le lui demande depuis des années, mais qui s’en va, sur une rébellion de ses sens, sur une sympathie soudaine, goûter au palais d’un parfait inconnu ? Qui plus est, un adversaire !

Un meurtrier…

Encore !

Déjà, je cache Hannibal au FBI après avoir mis en scène un faux suicide après avoir tué avec lui ce dingue de Dragon Rouge…

Tiens, je peux parler ! Lequel de nous trois, là haut sur la falaise était le plus fou ? Un mythomane, un cannibale et un flic qui nage entre deux eau avec une telle fascination pour Lecter qu’il lui sauve la mise à chaque fois… enfin, quand il ne tente pas de le tuer.

Mais non, ce n’est pas de la folie. Je le sens comme je l’ai senti en présence d’Hannibal : Riario est un frère de nature…

Ça existe, une âme frère ?

Le docteur Lecter est un frère d’intellect, le Comte… Avec lui, on est plus proche de la chair et du coeur que des mind games dont Hannibal se nourrit… enfin, quand il n’a pas d’humain frais à consommer.

Merde !

Et malgré tout ça, malgré tous ces points noirs sur ma liste et les feux qui clignotent « attention, danger », je n’ai jamais été aussi près de toucher le bonheur pur, éblouissant. Je n’ai jamais, pas une seule fois de ma vie, eu autant envie de vivre ce qui viendra ensuite.

Bon sang ! mes veines charrient du feu d’artifice, du champagne, de la mousse de Marshmallow !

Ha ha ! J’ai les quinze ans que je n’ai pas connus…

« I’m gonna run to you, I’m gonna run to you , cause when the feeling’s right I’m gonna … » **

Là, j’ai envie de serrer Leo dans mes bras, de lui dire qu’il a raison d’entretenir coûte que coûte une joie de vivre que je découvre si tard. Il faudrait des millions de Leonardo sur cette foutue planète…

Pas de chance, il est unique.

Alors, qu’attends-tu pour faire. ce que lui ferait, Will Graham ?

« I’ve got my mind made up, I need to feel your touch… » **

J’y vais !


* D'un poème de Dante Alighieri : " J'espère que mes désirs auront vertu, de vaincre ce dédain qui me fait peur."

** De "Run to You" de Bryan Adams.

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