LES TEMPS D'AVANT

Chapitre 12

1776 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/05/2020 21:54

Nico distinguait à peine la silhouette sombre à travers une brume orangée tachetée de gris. 

Il y avait des rires, lointains. 

Il avait mal à la tête. 

Dans son esprit, il écarquillait les yeux, mais il savait que dans la réalité ses paupières étaient juste entrouvertes. 

Il avait horriblement chaud. 

Quelque chose lui piquait les jambes et les bras. 

Il se redressa sur un coude, tenta de s’asseoir. Le vertige l’obligea à se recoucher.

Il étendit la jambe gauche trop brusquement. Ses orteils se heurtèrent à quelque chose de dur. AWWW !

« Vas-y doucement, dans un premier temps, jeune Nico. Tu viens tout de même de dormir dix-huit heures d’affilée !

Cette voix… Mon dieu, non !

— Comte Riario ? Qu…Qu’est-ce que vous m’avez fait ? Je suis où, là ?

— On dit “où suis-je“, Nico ! Je t’ai enlevé, j’en ai bien peur… Chut ! Oui, je sais, c’est très mal. N’use pas ton énergie à m’insulter, je t’assure que ça ne changera rien à la suite des événements.

Nico tenta de crier :

— Pourquoi ? À quoi pourrais-je bien vous servir ?

L’homme était assis, jambes reposant sur une caisse, et se préparait un plateau repas de fruits et de pain. Nico se mit à saliver… Il était en short de pyjama et T-shirt, on l’avait donc surpris dans son sommeil sans doute et il n’avait plus mangé depuis près de vingt-quatre heures.

— Pour l’instant, tu n’es qu’un appât. Je pense avoir bien choisi : il n’était pas question que je fasse ça à notre douce Vanessa et je ne supporterais pas ce grossier merle de Masini, même en cage et transpercé de multiples flèches et lames !… Ah ! Signora Cereta ! Avez-vous déjà vu un ange de près, dites-moi ?

La silhouette qui s’avançait était plus nette déjà, la brume orangée se dissipait. Une grande dame blonde en pantalons corsaires et chemisier gris s’essuyait le front du dos de la main :

— En effet ! C’est bien un ange, Girolamo.

Sa voix souriait, admirative.

— Ne vous en approchez tout de même pas de trop près : dans dix minutes il pourrait être furieux.

La voix du Comte était moqueuse, Nico sentait effectivement un petit noyau de colère grossir au creux de son estomac. Mais il ne le montrerait pas. Il savait combien les colères enfantines étaient risibles, et qu’était-il d’autre aux yeux de cet homme dangereux qu’un gamin inoffensif ? 

Par malheur, sa logique semblait hors service, enrayée par la peur, il menaça :

— Leo viendra me chercher !

— Mais j’y compte bien, dit Riario, dans un rire, pour quelle autre raison serais-tu ici ?

L’homme se leva et chuchota quelques mots à sa compagne, qui lui répondit tout bas qu’il devrait plutôt tenter de dormir. Il disparut du champ de vision de Nico, elle glissa l’assiette qu’il avait préparée au prisonnier et promit, avant de s’éloigner à son tour : 

— Ce ne sera pas long, jeune homme. Dès que votre ami sera arrivé, vous serez à nouveau libre de vos mouvements… »

Après quelques essais supplémentaires, il parvint enfin à rester assis. Son regard avait retrouvé toute son acuité. Il découvrit son environnement.

Il se trouvait dans une cage, sur un lit de paille, comme un vulgaire lapin dans sa garenne. Tout autour et au-dessus de lui, la toile d’une grande tente vert kaki. Sur des tables, des ordinateurs, des livres, des pierres…

Un camp de fouilles archéologiques !

Il devait être en Sicile.

Oui, Leo le trouverait aisément et ferait d’une pierre deux coups : le récupérer et capturer ce salopard de Comte pour Lucas !

Il sourit, but à la gourde que la "Signora“ lui avait passée et mangea de bon coeur.


***


Giovanni della Rovere avait reçu pour mission d’avertir Leonardo du sort de son jeune ami dès son retour de Palerme.

Par bonheur, l’oncle Alessandro avait décidé de se retirer quelques jours dans sa villa de Rome, il ne serait de retour à Londres que dans deux jours.

Son épouse étant désormais sortie de l’hôpital avec une assurance de sa guérison, plus aucune tâche ne semblait oppressante à Giovanni. Il avait vraiment craint pour sa vie et de se savoir éloigné d’elle pour le bon plaisir de son sadique d’oncle lui avait donné par moment des envies de tout risquer pour le simple plaisir de tordre le cou au pacha.

Comparé à ce sentiment d’impuissance et d’angoisse, plus rien ne pouvait l’ébranler.

Il venait de mettre le peintre au courant de l’enlèvement et, gigantesque dans le petit bateau de l’artiste, il le regardait réfléchir à une parade, chercher désespérément une issue autre que celle proposée. Il en avait vu des centaines comme lui, affolés comme un chat dans un sac ou encore les yeux hagards fixés sur un objet quelconque, prisonniers de la panique.

Leonardo avait promis à l’instant de tout révéler de l’existence des fouilles de Catane si on ne lui rendait pas Machiavelli.

« Si vous tenez à votre jeune ami, je ne ferais pas ça, Da Vinci : mon cousin serait impitoyable, je vous le garantis, dit il. Il peut se montrer souple à l’occasion, mais révélez ces fouilles à mon oncle et vous verrez pourquoi Girolamo est le numéro deux de Forza. Il se bat dans tous les domaines comme sur le terrain : il est vif, précis et brutal… Rien à voir avec l’être faible et docile que vous avez cru voir en lui.

— Je… De quoi… Oh ! je vois, vous parlez de mon allusion de l’autre soir… Admettez qu’il y a de la faiblesse dans votre obéissance aveugle ! dit Leo en le regardant droit dans les yeux.

— Nous avons nos raisons, que vos vingt-cinq ans vous empêchent de deviner… Allons, soyez réaliste, jeune homme : vous rendre en Sicile est la seule chose que vous pouvez faire pour récupérer Niccolo Machiavelli. Il lui tendit une carte. Contactez-moi à ce numéro dès que votre décision sera prise, mais ne tardez pas : dans deux jours, le pacha sera de retour et je ne pourrai plus assurer une parfaite transmission de nos arrangements à Giro.

Leo fronça les sourcils en entendant ce diminutif :

— Vous semblez avoir de l’affection pour lui.

— De partager les mêmes expériences et adversités renforce les liens qui existent au préalable… Girolamo est mon parent et nous avons les mêmes ennemis, mortels et autres… » 

Il coupa court à toute autre intrusion de la part de ce curieux en le saluant d’un bref signe de tête et il sortit.


Dès qu’il eut fait de la place, Fausta réapparut.

« La robe, la coiffe et tout ! »

« Cherche ! Cherche, Artista ! »

« Un trésor. La vie de milliers de gens. Ma vie ! »

« Cherche-moi ! »


***


Laura n’eut aucun mal à reconnaître les deux gaillards qu’elle attendait à l’aéroport. Le grand, environ un mètre quatre-vingt dix, en veste voyante ouverte sur une poitrine très poilue et barbe triomphante et le fameux Leonardo, grands gestes, plutôt débraillé lui aussi, cheveux mi-longs en désordre et barbe de trois jours.

Elle se surprit à sourire intérieurement avant même que d’ôter ses lunettes noires pour leur faire un grand signe de la main.

Ils s’approchèrent, sourcils froncés, fermés comme le plus prestigieux de chantiers de fouille, mais elle avait vu bien d’autres épreuves dans sa vie et dit, tout sourire en leur tendant la main : « Je suis la directrice du chantier à Catane, Laura Cereta.

Ils acceptèrent malgré tout la main tendue, mais Tomasso commenta, acerbe :

— L’amie de notre très chère majesté reptilienne, donc !

Cela la fit rire et elle rétorqua :

— Et vous devez être Tommaso Masini, ce mal-embouché de primate ?

Il sembla amusé, elle jugea qu’il n’était donc pas entièrement dépourvu de qualités.

— Je suppose que c’est de bonne guerre, dit-il, avec un clin d’oeil… On vous suit, beauté !

Elle le prévint, l’index sur sa poitrine :

— N’essayez pas le charme voyou avec moi, monsieur Masini, je n’y suis guère sensible… Mais c’est gentil à vous de l’avoir tenté, dit-elle avec un clin d’oeil en retour.

Ils a suivirent sans plus un mot et montèrent dans le tout-terrain.

— Girolamo devait venir en personne, mais j’ai mis une bonne dose de somnifère dans son Perrier... Votre jeune ami se porte bien, mais il s’ennuie et sera content de vous voir… ne serait-ce que pour pouvoir sortir enfin de sa cage.

— De sa cage ? s’offusqua Leonardo.

— Vous auriez préféré qu’on le lie à un poteau, comme des sauvages ?

— Quel besoin y avait-il de l’empêcher de se déplacer ? Votre chantier se trouve au milieu de nulle part… c’est du moins ce que j’ai cru voir sur la carte satellite !

Laura se gara sur le bas-côté, chose tout à fait interdite le long de l’autoroute :

— Vous avez vu le chantier ? dit-elle, plus pâle, se retournant vers lui.

— Seulement parce que je sais qu’il existe, rassurez-vous. Il faut vraiment le chercher pour détecter les bâches kaki dans cette immense superficie de même ton.

Elle mit le clignotant et s’engagea à nouveau sur la route :

— Vous m’avez fait peur ! Ce serait vraiment le plus mauvais moment pour se faire repérer par la Forza. Nous sommes sur le point de mettre au jour une deuxième pièce… Vous allez adorer Fausta, Leonardo. Un artiste comme vous saura…

— Je pense que je ne pourrai jamais aimer Fausta, Signora Cereta, elle empoisonne mes nuits depuis dix jours.

— Oh ! Vous aussi ? C’est bien la preuve qu’il existe de la magie là-dessous : les collaborateurs du chantier et moi-même dormons comme des bébés, voyez-vous : seul Girolamo subit ces insomnies.

— Pauvre garçon ! commenta Tommaso… Vous croyez que ça lui passerait avec un bon gros baiser bien mouillé sur le front ?

Laura éclata de rire :

— Vous me plaisez bien, monsieur Masini !

— Vous voyez ? » triompha-t-il dans le rétroviseur.



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