LES TEMPS D'AVANT

Chapitre 13

1958 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/05/2020 22:07

"Où est Vanessa ? voulut d’abord savoir Nico.

— À Londres. Il fallait que quelqu’un qui connaisse suffisamment la routine du pub reste sur place pour guider nos remplaçants, dit Tom. Est-ce que cette merde t’a maltraité ?

— Non, je n’ai manqué de rien. Ici, c’est le centre de tout, un genre de QG, j’ai toujours eu de la compagnie. En plus, comme il est insomniaque, il est resté ici les deux nuits d’affilée.

— Ouais… eh ben, condoléances, gamin !

— Oh, il n’est pas ennuyeux. Au contraire. »

Laura Cereta revint, prit la clef de la cage dans un tiroir et le libéra.

Il faillit tomber en s’extirpant de cet espace restreint, mais elle le soutint ; « Doucement, bel ange ! Tu n’as pas encore tes ailes, tu te rappelles ? »

Il lui sourit. Elle aussi était venue lui tenir compagnie de temps à autre.

Elle fit ensuite sortir le couple d’enseignants florentins afin de laisser aux amis l’intimité nécessaire à leurs retrouvailles. Dès qu’elle fut partie, Leo demanda à Nico qui elle était, il leur dit ce qu’elle avait bien voulu lui confier en concluant : « C’est une sacrée bonne femme : il faut voir comme ils lui obéissent !

— Tu crois qu’elle et Riario… Tom fit un geste explicite, Nico rougit un peu.

— Je dirais que non… Mais elle, elle est amoureuse, je pense. Ça se voit dans ses regards et ça s’entend au ton de sa voix.

— Ils t’ont dit ce qu’ils avaient découvert ? demanda Leo.

— Je sais juste que c’est fabuleux. Ils ont promis de me le montrer en même temps qu’à vous. »

Ils firent ensemble plusieurs fois le tour de la tente, tournant autour des tables pour rétablir la circulation dans les jambes de Nico, puis le Comte apparut, accompagné de Laura.

La température ambiante tomba d’un coup tandis qu’il se retrouvaient face à face, de part et d’autre de la table, celle des repas, au centre de la tente.

« Da Vinci, dit Riario, froid comme les pôles, vous êtes venu avec votre animal de compagnie ? Vous n’avez pas tort : qui sait jamais quel carnage ils vont faire quand on les laisse seuls !

Leo le regardait droit dans les yeux :

— Comte ! Je vois que vos découvertes ne vous ont pas privé de la parole.

— Dieu m’en préserve ! Les mots s’avèrent bien utiles pour débrouiller certaines situations… Mais vous le savez mieux que quiconque, n’est-ce pas ?

— Lucas Webb veut votre peau.

— Oh oui ? Eh bien, qu’il prenne sa place dans la file.

— Le piège était habile, mais pas parfait.

Riario avança une chaise à Laura et s’assit lui-même en invitant d’un geste les trois autres à en faire autant.

— Vous ne l’auriez pas découvert sans piller mon ordinateur, cependant. Dommage, il lui aurait sauvé ses pubs et ses chantiers pour un bon moment, le temps de trouver une solution satisfaisante.

Leo fronça les sourcils et perdit un peu d’assurance :

— Comment cela ? Vous échangiez tous ses chantiers pour une somme minable !

— Pas du tout, dit le Comte en faisant tourner la bague à son doigt.

Leo se releva et coisa les bras :

— Expliquez-moi alors…

Riario l’interrompit :

— Le fichier que vous m’avez pris n’était qu’un leurre destiné à mon père. Lupo Mercuri est tellement occupé à spolier la Forza lui-même qu’il ne prend jamais le temps de lire les clauses en bas de page des contrats… Il aurait signé aveuglément. Mais pas votre patron puisque lui aurait eu en main le premier contrat, dont j’aurais été cosignataire.

Leo leva un doigt vers le ciel :

— Ha ! Mais justement ! Vous ne l’avez pas signé !

— Et vous savez pourquoi : vous étiez là.

— Mais ces pauvres types sont intervenus à temps pour vous, ricana Tom, parce que vous les aviez payés pour ça ! « Oh, merde, pas de chance ! J’étais sur le point de signer ! » grimaça-t-il.

L’autre le regarda bien en face :

— Cette idée vient de vous ? dit-il, faussement admiratif. Bravo, Masini !

— Non, Leo…

— Ah ! Tout s’explique, donc. Il se tourna à nouveau vers Leonardo : et ces hommes n’étaient pas payés non plus pour vous faire savoir que j’étais autre chose qu’un mezzo-soprano dans les choeurs de la Forza.

Les joues de Leo reprirent des couleurs, un peu trop. Il ne détourna pas les yeux, mais murmura :

— Je regrette cette insulte.

— À cause de ma victoire au pub ?

— Non, dans l’absolu. Elle était basse et indigne de nos conversations antérieures.

Riario cligna des yeux à plusieurs reprises, s’humecta les lèvres à sa façon habituelle et s’empressa d’expliquer :

— Mon cousin a appris entretemps que mon père avait estimé que cette menace inciterait Webb à signer… au cas où il aurait encore hésité.

Leo se reprit :

— Mais, qui nous assure que vous ne comptiez pas faire usage du document que je vous ai pris ? Et d’abord, comment avez-vous su…

— Que c’était vous ? C’est simple : mon ordinateur est muni d’un logiciel qui charge automatiquement le contenu des clefs qu’on y insère. Vous n’êtes pas le premier à tenter le coup… Mais rassurez-vous, vous serez le premier à y survivre, sourit-il, même si votre clef m’a révélé des secrets un peu inavouables. Quant à savoir si j’aurais utilisé ce document… il vous faudra vous fier au plaisir que je ressens à tromper… à gruger le… mon père.

Laura posa une main sur son bras et dit, en italien :

— Mieux vaudrait leur montrer les fouilles tout de suite, Girolamo. J’aimerais vraiment que vous tentiez encore de trouver le sommeil.

Il posa une main sur la sienne :

— Il me fuit en dépit de tout, chère Laura, mais vous avez raison, ne tardons plus à leur montrer notre bella dona. Il se tourna vers les autres : Viendrez-vous voir notre merveilleuse Fausta ? Si… si du moins vous trouvez le sujet des contrats suffisamment éclairé ? Il se leva trop vivement, manqua un pas, mais préféra en plaisanter : elle est vraiment la première à me faire perdre le sommeil dans une pareille mesure !

— Elle me hante depuis dix nuits, dit Leo… Encore une chose que je ne vous pardonnerai jamais, Comte.

— Quelles sont les autres, Artista ?

— Je vous l’expliquerai un autre jour. Montrez-moi plutôt votre chère Fausta. »

Il contourna la table et posa une main sur l’épaule de son adversaire. Riario n’eut aucun mouvement de recul. Il lui sourit, presque timide.


***


Laura adorait ces moments où, devant la mosaïque illuminée comme de l’intérieur, les yeux de Girolamo brillaient d’emballement, de fierté d’avoir été celui qui avait été choisi pour la trouver. Elle fut doublement comblée en voyant Leonardo bouche bée, partageant le même émerveillement.

Mais Leo l’avait prouvé, il était aussi un être tactile, l’idée et l’image ne le satisfaisaient pas, il devait toucher

Il s’avança, tendit la main…

« Non ! cria Riario.

— Pourquoi non ?

— Pourquoi ? Enfin, Leo… Tom fronça les sourcils et serra les mâchoires : “Leo“ ? Et quoi ensuite ? “Mon ami“ peut-être ? — Enfin, Leo, si elle nous prive déjà de sommeil alors que nous ne faisons que la voir, qu’adviendra-t-il si vous la touchez ?

C’est lui, cette fois, que Leonardo regarda sans y croire :

— Vous... vous ne croyez tout de même pas sérieusement que cette chose, certes merveilleuse, est enchantée, hein ?

— Je ne crois rien à priori… Je dis seulement qu’une certaine prudence n’est peut-être pas superflue.

— Mais… Enfin, dit l’artiste avec de grands gestes à l’appui, les personnes qui l’ont mise à nu ont bien dû la toucher, non ?

— Ces personnes dorment chaque nuit à faire vibrer les toiles de leurs tentes… ce qui est loin d’être notre cas à tous deux !

Encore une fois, Tom n’aima pas ce “tous deux“. Trop de proximité dans ce “tous deux“. Il commençait à piétiner sur place.

— Tant pis ! Je veux en avoir le coeur net ! » 

Et Leonardo avança la main, caressa la surface lisse et brillante de la mosaïque du bout des doigts, avec une délicatesse d’amoureux, comme on caresserait un pétale de lys ou l’aile d’une libellule.

Il rayonnait et quelque chose de perceptible à fleur de peau se dégageait de sa personne, comme une onde, une chaleur…

Il dit, ému : « C’est si lisse et en même temps un peu poreux… si tiède et doux… on la croirait vivante !

Il se retourna pour trouver quatre visages transformés, soudain plus colorés ou pâles.

Le Comte prévint, d’une voix plus enrouée encore :

— Ne soyez pas surpris si, après vous avoir ôté votre sommeil, elle vous prend aussi vos veilles, Da Vinci.

— Vous la caressez comme une maîtresse, sourit Laura, elle pourrait en vouloir plus, méfiez-vous !

La taquinerie rendit leur souffle aux spectateurs, le voile était levé.

— Leo amoureux d’une femme de pierre : comme si c’était vraiment une première, hein ! taquina Nico.

Tom saisit la balle aussi bien lancée :

— Tu peux le dire ! Il nous déniche une de ces déesses tous les, quoi, deux mois ?

— En alternance avec des dieux tout de même, corrigea Nico, inconscient de participer à un règlement de compte.

— Assez ! cria Leo. C’est loin d’être le sujet du moment. Bon sang, cette splendeur, qui doit avoir huit-cents ans, nous parvient parfaitement intacte et tout ce que vous trouvez à évoquer c’est… ça ? Faut vous faire soigner, les gars ! Occupez-vous sérieusement de vos hormones, croyez-moi !

Quelque chose passa tout droit de la mosaïque à Leonardo dans les yeux de Riario. Laura y lut un mélange de reconnaissance et de révélation. Mais l'autodiscipline fait des miracles et il n’y paraissait plus rien quand il dit : « J’aimerais que nous comparions nos expériences face à Fausta, Da Vinci. Elle a dû vous passer de courts messages sibyllins, comme à moi, et je me demande s’ils sont les mêmes.

— Je suis d’accord. Et ne tardons pas : si j’ai bien compris votre cousin, Alessandro della Rovere sera de retour à Londres après-demain. Il vous voudra sans doute à ses côtés.

— Sans oublier que Lucas le veut, lui aussi… sous forme de saucisson, tu te rappelles ? ricana Tom.

Leo jeta un regard furtif à Riario avant de se tourner vers son ami :

— Ça n’arrivera pas.

— Quoi ? Tu as oublié les menaces ?

— Je trouverai quelque chose.

— Alors tu retombes dans le piège de cette espèce de mangouste à sonnettes ?

— La mangouste dévore les serpents, Masini. Il faut que vous vous décidiez, je ne peux pas être l’un et l’autre à la fois, remarqua Riario.

— Je parie bien que si ! Tom fit un geste de la main : une face, puis l’autre, vous voyez ? C’est pas plus compliqué que ça !

Riario faillit bondir pour lui sauter à la gorge une fois pour toutes, mais Leo le retint :

— Ignorez ça, Comte, nous avons plus important à résoudre. Nico, je te charge de tenter d’expliquer à cette tête de noeud pourquoi on ne peut pas à la fois rejeter un système et se servir de ses recettes douteuses. »

Une fois de plus, Tommaso sortit en trombe, dégoûté, déçu et pas loin d’en pleurer.


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