L'enquête de la Wammy's House

Chapitre 3 : L'enquête de V

3194 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 18/01/2021 15:18

Wammy’s House, chambre de V, jeudi 17 janvier 1999, 11h00

 

Cela faisait une demi-heure que V appuyait régulièrement sur le bouton de répétition de réveil. Cette fois-ci, c’était la bonne. Après un long souffle, elle se décida de sortir ses jambes de dessous sa couverture et s’assit sur le bord de son lit. Après quelques étirements, la jeune adolescente arriva à se souvenir de la raison de l’activation de son réveil. Elle venait d’être engagée comme enquêtrice. Enfin, pour elle, il s’agissait plus d’un test d’aptitude que d’une enquête. Certes, deux enfants étaient morts, mais si V avait accepté de tenter de la résoudre, c’était pour plaire à Watari. Entre elle et lui, il n’y avait jamais eu d’intérêt particulier. Mais V voulait à tout prix impressionner le vieil homme. Elle savait que lorsqu’il respectait une personne, celle-ci se voyait attribuer de nombreuses opportunités et les meilleures enquêtes. Alors, cette mission lui offrait une chance et cette chance ne se représenterait pas une seconde fois. V le savait pertinemment.

Pourtant, l’enquête n’occupa pas les premières minutes de la journée de V. Celle-ci s’assit face à sa maquilleuse et s’observa dans le miroir. Ses joues étaient rougies par la nuit passée sous l’épaisse couverture, ses cheveux étaient emmêlés par un sommeil mouvementé et ses yeux paraissaient encore endormis. Il fallait mettre de l’ordre à ce visage. Si V avait compris quelque chose au cours de ces années passées à la Wammy’s House, c’était qu’il fallait toujours tenter d’atteindre la perfection. Ici, de grands esprits vivaient. Ce n’était pas un simple orphelinat. Tout le monde analysait tout le monde. Elle le savait car elle faisait la même chose. Quoi de mieux qu’un maquillage parfaitement posé pour cacher sa vraie personnalité. En effet, à la Wammy’s House il ne fallait pas se montrer humain, mais séduire tel un serpent captivant une proie.

V faisait partie de ceux qui séduisaient le mieux ici. Tous souhaitaient un jour avoir le droit de s’asseoir à sa table le midi ou être à côté d’elle lors des cours théoriques. Dans l’orphelinat, V obtenait tout ce qu’elle voulait. Mais comment séduire deux morts qui ne pourraient de toutes façons pas tomber sous son charme, ni même parler ?

 

Wammy’s House, chambre de O, jeudi 17 janvier 1999, 12h06

 

V ignorait pourquoi elle mettait les pieds dans cette salle. Elle savait qu’elle n’en tirerait rien. Pourtant, elle se trouvait dans cette chambre, peut-être avait-elle voulu faire ce que tout enquêteur ferait… Enfin, ce que tout enquêteur dans les séries ferait. La chambre de O pourrait être décrite par un seul mot. Chambre. Oui, il y avait un lit, une table de chevet, un tapis, un bureau avec une chaise devant, une armoire. Tous les meubles qu’on s’attendait à voir dans une chambre se trouvaient là. Mais rien de personnel. Même dans sa propre chambre, O effaçait sa présence. C’était pire que dans une chambre d’hôtel où l’on pouvait voir le passage du service de nettoyage ou la décoration du propriétaire. Ici, rien. La chambre aurait pu se trouver dans les magazines de présentation. Elle n’appartenait à personne. C’était la chambre d’un être invisible.

O était son opposé le plus parfait. Jamais elles ne s’étaient entendues. Ou plus précisément, V n’avait jamais supporté O. On ne savait jamais ce à quoi cette-dernière pensait, alors peut-être admirait-t-elle V. Ce serait une belle victoire !

- Excusez-moi, mademoiselle. Nous aimerions nous occuper des corps.

- Pour les mettre où ? demanda-t-elle avant de répondre en même temps que l’homme au nez crochu :

- À la morgue.

V observa les deux hommes placer délicatement les deux enfants dans des sacs noirs. L’adolescente fit une moue de dégoût. On les mettait dans des sacs comme on mettait un yahourt périmé à la poubelle.

Qu’est-ce que la mort pouvait décevoir ! Notre corps devenait dur et pâle comme du calcaire qui se dépose sur un verre. L’odeur qu’il dégageait rappelait l’eau stagnante dans un pot de fleur. V préfèrerait largement mourir brûlée pour s’éviter ce désastre. Jamais elle ne se permettrait d’apparaître ainsi.

- Nous les emmenons à présent, dit le petit homme à la calvitie bien avancée.

- Faites.

Alors qu’ils partaient, V ne jeta pas un dernier regard vers les sacs, mais grimaça une dernière fois en analysant la chambre de O.

 

Wammy’s House, salon principal, jeudi 17 janvier 1999, 14h05

 

Alors que la rumeur des meurtres se répandait parmi les enfants de la Wammy’s House, le charme de V atteignait son paroxysme. À cette heure-là, le salon principal était bondé et elle en formait le centre. Tout comme le noyau terrestre, elle attirait tout le monde. Tous venaient la voir et lui demandaient des informations sur l’enquête. Mais c’était bien elle qui s’activait, c’était elle qui cherchait les informations. Qui était où et quand ? Comment S et T étaient vus au sein de la Wammy’s House ? À l’extérieur de celle-ci ?

L’obtention de réponses se fit rapidement. Même les plus récalcitrants parlaient et rapidement un cercle d’enfants l’entoura et le brouhaha se fit. V prit alors un carnet et imposa le silence. Comme une maitresse d’école, elle obligea ceux qui voulaient prendre la parole à lever la main. Comme une maitresse d’école, elle interrogea un à un les enfants :

- Quelqu’un sait si S et T étaient appréciés ? Oui, M ?

L’adolescent croqua dans une tablette de chocolat et répondit d’une manière détachée :

- C’étaient des gosses, ils couraient tout le temps l’un après l’autre.

- Oui, mais est-ce qu’on les appréciait ?

- Moi non, ils étaient tout le temps dans mes pattes, répondit M.

- Merci pour ta réponse, cher M. Quelqu’un d’autre ? P ?

- Je les aimais beaucoup, T m’aidait dans les devoirs, mais je crois que N l’a un jour frappé.

V nota les différentes informations, les différentes initiales et alimenta sa liste de suspects. Chaque enfant autour d’elle voulait donner une réponse, avoir un rôle dans l’enquête en cours.

- Bon, je crois que j’ai tout, merci tout le monde.

- Non, tu n’as pas tout, interrompit M.

- Que veux-tu dire ?

- O.

- Quoi O, développe !

- S était folle d’elle. Mais tu connais O, jamais elle n’a, ne serait-ce une seconde, porté de l’attention à la gosse. Pire même…

- Quoi pire ? Donne des détails, enfin !

- Une fois, S est sortie dans l’orphelinat pour suivre O. O le savait. Et pourtant, elle a laissé S dans un club de boxe où elle faisait une enquête. S n’était qu’une gamine et O l’a juste laissée tomber. J’ai entendu Watari lui faire une violente remontrance, mais celle-ci a répondu que ce n’était pas ses affaires et qu’un enfant de moins ne serait pas si grave.

- Tu dis vrai ?

- Pourquoi mentirais-je ?

V fit semblant d’être choquée et nota une dernière information dans son carnet. Sa liste de suspect comportait à présent cinq noms :


  • M (utilise le mot « gosse », semble en savoir plus sur S et T, ne dit pas tout. Dit la vérité ?)
  • Watari (pourquoi avoir créé la Wammy’s House, quel intérêt S et T, qui semblent normaux, ont-ils pour lui ? Déception quant à leur capacité ?)
  • N (a frappé T, pour quelle raison ?)
  • Famille des enfants (qui sont-ils ?)
  • O (suspect principale, conversation avec Watari, morts retrouvé dans sa chambre, relation avec S, comment ont-ils eu la clé ?)

 

V souffla, elle savait qu’il allait falloir coincer O. Celle-ci n’allait plus avoir le choix, elle allait devoir répondre et s’expliquer. Elle était bien trop étrange pour être innocente…

 

Wammy’s House, chambre de L, jeudi 17 janvier 1999, 23h32

 

- Qu’est-ce que tu veux ? demanda L, assis de manière courbée sur sa chaise.

- Sais-tu où est O ?

L pouffa. Lui et O étaient très proches. V continuait de regretter son choix d’être venue le voir, mais elle pensait que le génie de la Wammy’s House pouvait savoir où O se cachait.

- Qu’est-ce qui te fait rire dans ma question ? lui demanda-t-elle en tentant de paraître la plus calme possible.

V avait toujours secrètement admiré L. Il possédait en effet quelque chose qu'elle n'avait jamais réussi à obtenir : l'admiration et l'intérêt de Watari. En effet, Watari n'avait d'yeux que pour l'enfant prodige. L était réfléchi, spontané, doué et réussissait toujours ses enquêtes. L'exact opposé de V.

- Tu penses toujours que O est coupable ?

- Bien sûr, c'est même ma suspecte principale.

- Alors tu ne gagneras pas l’enquête.

- Comment peux-tu savoir qu'elle n'est pas coupable ?

- Parce que c'est O. O ne se laisserait pas un tel point dépasser par ses sentiments. Jamais elle ne tuerait sans réelle raison. Et tuer un enfant doit demander une grande raison.

- Mais elle est si inhumaine. Elle n'en a que faire de ces deux enfants.

- Parce qu’ils t’intéressent, toi ? Leur as-tu déjà donné une fois de l’attention ?

- Non, mais pas plus que toi.

- Et pas plus que O. De plus, la manière dont les enfants ont été tués ne lui correspond pas. O veut faire en sorte d’être invisible, si elle les avait tués, elle n’aurait certainement pas fait ça dans sa chambre.

- Ou alors, elle anticipe parfaitement ce que tu penses d’elle. L, je crois sincèrement qu’elle et toi ne devriez pas faire partie de l’enquête. O parce qu’il est évident qu’elle a joué un rôle dans ce meurtre et toi parce que tu la protèges plus que tout.

- Tu ne me crois pas capable de faire preuve d’objectivité ?

- Non.

- V, je crois que c’est plutôt toi qui n’en fais pas preuve. Tu la détestes, j’ignore pour quelle raison, mais tu la hais et tu veux à tout prix faire d’elle une coupable. Ouvre tes pistes à d’autres noms, à d’autres motifs et peut-être qu’un jour tu seras capable de résoudre par toi-même cette enquête.

- Cher L, je crois que c’est toi qui seras surpris le jour où je prouverai qu’elle est coupable.

- J’attends de voir cela. Mais comme je te l’ai dit, si tu veux prouver à Watari que tu es une vraie enquêtrice, je te conseille alors vivement de rechercher ailleurs.

V quitta la pièce en claquant la porte. Au fond d’elle, elle savait que L était plus doué qu’elle. Il avait certainement raison, aussi elle décida alors de laisser O quelque peu tranquille en attendant d’effacer les soupçons qui pesaient sur les autres suspects de sa liste…

 

Wammy’s House, salon du premier étage, vendredi 18 janvier 1999, 03h42

 

Assise par terre, des feuilles emplies de notes l’entourant, V n’arrivait pas à quitter l’enquête pour son lit. Petit à petit, elle arrivait à faire un plan des dernières journées de S et T. Elle notait heure par heure où ils s’étaient trouvés, qui ils avaient vu, quels sujets de conversations ils avaient mené. Un problème apparut alors. T s’était bien couché dans sa chambre, qu’il partageait avec P. P disait avoir le sommeil léger et être sûr de n’avoir entendu aucune porte s’ouvrir dans la nuit. Quant à S, selon la timide W, elle était sortie à minuit de sa chambre. « Sûrement pour aller aux toilettes », avait ajouté W, « elle y allait souvent à cette heure-là ». Cependant, l’enfant s’était endormie avant que S ne revienne. Peut-être n’était-elle jamais revenue… Mais que dire par rapport à T ? Qui avait bien pu emmener les deux enfants dans la chambre de O ? Comment cette personne avait-elle eu les clés ? Comment avait-elle attiré les victimes ? Et pourquoi dans cette chambre ?

V râla à voix haute en voyant toutes les questions sans réponse. Était-ce si dur de résoudre une enquête en temps normal ou était-ce celle-ci qui s’avérait particulièrement difficile ?

Alors que V s’apprêtait à tout envoyer valser, 412, celle qui s’occupait des registres, entra dans le salon avec une tasse de thé. Sans dire un mot, elle la posa près de V qui l’observa de manière méfiante. 412 jeta un regard vers les nombreuses feuilles et déclara finalement :

- Est-ce que ça avance ? Est-ce que tu en sais plus ?

- Je n’ai pas le droit d’en parler, se défendit V sans comprendre pourquoi elle réagissait d’une telle manière.

- Je comprends. Dis, tu es proche de R, n’est-ce pas ?

- Oui, mentit-elle, pourquoi ?

- Je crois qu’il va craquer. Tu ferais mieux d’aller le voir, un enquêteur de moins ne serait pas bon pour résoudre ces meurtres. Remotive-le.

V hocha la tête, mais pensait tout autrement. V allait en effet le voir, mais pas pour le motiver. Peut-être que si elle le faisait craquer, elle pourrait obtenir ses recherches et les comparer aux siennes. Peut-être qu’en les rassemblant, elle allait pouvoir résoudre l’enquête. Et obtenir le respect de Watari. Un adversaire de moins signifiait plus de chances de gagner.

V se leva, rassembla ses notes et quitta le salon du premier étage en laissant son thé et 412 en plan.

 

Wammy’s House, chambre de T, vendredi 18 janvier 1999, 07h02

 

V tapota des doigts sur le bureau de l’enfant. Les notes de R à sa gauche, les siennes à sa droite, V réfléchissait. Cela l’embêtait de l’avouer. Elle avait fait fausse route. L avait raison : elle avait elle-même fermé des portes à ses analyses. En rassemblant les griffonnages rapides de R et ses lettres cursives, elle comprit quelque chose : S n’était qu’une victime collatérale. En effet, elle avait noté dans l’après-midi une chose qu’elle n’avait pas considérée comme importante :

 

S ne fait que de suivre T.

 

Il était évident que T avait informé S d’une sortie nocturne et qu’elle l’avait simplement suivie. De plus, V avait fouillé la chambre de T pendant plus de deux heures et avait finalement trouvé un bout de papier déchiré. À l’avant, il s’agissait d’un examen écrit ; à l’arrière était simplement rédigé :

 

Minuit 30, couloir du 4ème étage.

 

Sans même savoir quand cette note avait été rédigée, elle sut qu’il s’agissait d’une information importante. Elle venait d’obtenir un indice. Un indice que ni L ni O ne possédait. La clé de son succès. Au quatrième étage se trouvait la chambre de O. Quelqu’un les avait menés là-bas. V comprit que O n’était pas la coupable. Si elle avait voulu attirer les enfants, elle se serait servie de S. Qui était donc l’auteur de cette note ? À qui appartenait cette écriture ?

Encore et toujours des questions. Mais pour une fois, V avançait. Et pendant un instant, elle crut sincèrement gagner l’enquête et obtenir le respect et l’intérêt de Watari.

 

Mais c’était avant que O débarque dans la chambre de T à son tour. Discrète comme à son habitude, V ne l’avait pas entendue. C’était elle qui s’était annoncée en se raclant la gorge.

- Tu remettras le papier à sa place, ordonna O. Et puis, la prochaine fois, mets des gants. Tu n’aimerais pas qu’on te considère comme la coupable. Je sais ce que ça fait.

V avait le souffle coupé. O était déjà tombée sur la note. Se redressant et essayant d’avoir de la prestance, ce qui était inutile vu que O n’en avait aucune, elle demanda alors :

- Tu sais à qui appartient l’écriture ?

- Je le savais avant de l’avoir trouvé, il a juste confirmé mes soupçons.

- Et j’imagine que tu ne voudras pas me dire de qui il s’agit.

- Pourquoi ? Ça ne t’aidera pas.

- Comment ça ?

O ne répondit pas. Elle passa une main gantée et légère sur la couette de T et prit un cheveu qui s’y trouvait.

- Tu sais donc qui est le coupable ?

- Oui.

- Pourquoi n’as-tu pas prévenu Watari ?

- Tu es intelligente, V, tu pourrais toi aussi trouver le coupable. Mais tu ne saurais pas l’appréhender. Il te manque l’expérience du terrain.

- Alors quoi ? J’ai perdu d’avance ?

O ne répondit rien, elle jeta un simple regard sur les notes de R et de V. Elle agissait ainsi, elle se taisait, mais observait. Mentalement, elle prenait des photos de chaque objet, de chaque pièce, de chaque personne. Dans son pantalon de treillis et T-shirt large noir, O quitta la pièce et déclara :

- Watari a de quoi être fier, tu es vraiment devenue douée. En tous cas, plus que les autres idiots ici.

V resta bouche-bée. C’était comme si l’intérêt que lui portait O comptait soudainement plus que celui du directeur de l’orphelinat. Bien qu’elle comprît que l’affaire était pour elle finie, un sentiment de satisfaction envahit V lorsqu’elle ferma pour la dernière fois son carnet de notes. Elle n’était pas encore compétente, mais un jour, elle rejoindrait le niveau de L et de O.

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