L'enquête de la Wammy's House

Chapitre 4 : L'enquête de O

4532 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 18/01/2021 15:59

Wammy’s House, chambre de O, mercredi 16 janvier 1999, 19h28

 

Son sac de sport posé sur la chaise de ce qui avait longtemps été sa chambre, O prit quelques vêtements qui lui appartenaient et qui étaient restés ici alors que cela faisait bien longtemps qu’elle n’y allait plus, préférant écouler son temps à l’extérieur de l’orphelinat. Le lieu ne lui avait pas manqué une seule seconde, au grand désarroi de Watari, elle le savait. L’homme ne cessait de vouloir la former au poste de directrice de l’établissement. Mais son futur ne se portait pas à ce genre de destinée. Pas parmi ces enfants pitoyables qui se croient génies sous prétexte que leur QI dépasse celui de la moyenne.

Si les nombreux plots d’enquête ne lui rappelaient pas que dans cette même pièce un crime avait eu lieu, elle aurait complètement oublié la présence des deux macchabés. Non pas que son esprit essayait de se rappeler de beaux moments passés dans cette chambre, il n’y en avait aucun, mais il ruminait une aversion pour les lieux qui l’empêchait de rester concentrée.

O avait vu le regard que lui avait lancé Watari quand il était entré dans le salon principal de l’orphelinat. Bien qu’il ait fait appel à ses talents d’enquêtrice, il ne s’était pas attendu à la voir faire acte de présence. À vrai dire, si elle avait accepté c’était surtout parce que justement elle comptait venir dans l’orphelinat. Pour voir L.

Depuis plus d’un an, ils formaient ce que les gens appellent un couple. Mais la réalité était bien moins romantique et glorieuse. Ils partageaient le lit quelques fois, les enquêtes le plus souvent. L’esprit du jeune homme semblait être le seul à pouvoir la suivre. O se demanda comment leur étrange histoire avait bien pu commencer. Longtemps, lors de leur enfance, ils s’étaient ignorés, O étant occupée à fuir la vie barbante et monotone de l’orphelinat et L disparaissant dans des technologies toujours plus développées. Ce n’était qu’en atteignant quatorze et seize ans qu’ils avaient commencé à se remarquer l’un l’autre. La rencontre avait eu lieu au cours d’une enquête que L effectuait. O l’avait remarqué, surprise qu’il se soit déplacé en personne. Contrairement à elle, il ne sortait jamais de l’orphelinat. Et, si c’était le cas, il restait dans les nombreux hôtels que possédaient Watari. O était elle-même en pleine activité « professionnelle » et n’avait alors pas supporté le fait qu’il fasse comprendre qu’ils se connaissaient. Elle l’avait tiré par le bras vers l’extérieur de l’immeuble de Londres et avait commencé une longue série de reproches. Puis, soudain, il l’avait embrassée. Cela n’avait aucun sens. Ils n’avaient jamais été particulièrement proches. Mais O comme L n’étaient pas des adolescents normaux. Ils ne connaissaient rien de l’amour ou des sentiments. Alors elle s’était dit qu’il l’avait embrassée pour expérimenter la chose, pour tenter de ressentir quelque chose. Ce n’avait pas été un baiser romantique, mais c’étaient les seules lèvres qu’elle avait rencontrées dans toute sa vie. Et cela lui avait suffi. Et, depuis ce jour-là, ils avaient commencé à devenir proches.

O fixa une nouvelle fois les deux chaises sur lesquelles les enfants avaient été attachés. Ce n’était que de simples chaises en plastique blanc, O se demanda si elle les avait utilisées au moins une seule fois. Leur confort rudimentaire était bien différent de celui des chaises du domaine français dont elle venait de sortir. Ce n’était pas la seule chose qu’elle avait aimé à Paris. Son rôle central qu’elle avait abandonné du jour au lendemain, ses manigances pour tirer les ficelles et faire passer une loi, le regard envoûté de cet homme si repoussant mais ayant du pouvoir, ... O avait une fois de plus fait croire de belles choses et était partie avant l’effondrement. C’était son talent. Il allait falloir qu’elle pense à regarder les informations françaises pour voir comment le gouvernement allait gérer cette crise… Elle aimait tant s’amuser avec ce qui restait de l’aristocratie française.

À présent O le savait, ce serait la dernière fois qu’elle allait mettre les pieds à la Wammy’s House. Dans quinze jours, elle allait avoir dix-huit ans. Plus rien n’allait la retenir ici. Et les petits pactoles qu’elle avait amassé au cours de ses détournements d’argent lui permettraient d’être totalement indépendante. Et surtout, elle allait pouvoir s’attaquer à l’enquête qu’elle cherchait à résoudre depuis son arrivée ici. Elle allait pouvoir se battre contre Watari et le petit empire qu’il avait bâti.

O appuya sur la poignée de porte et quitta sa chambre comme elle avait quitté le domaine du comte français : sans un dernier regard et sans aucune nostalgie.

 

Wammy’s House, chambre de L, jeudi 17 janvier 1999, 02h20

 

Assise sur le bord du lit, O remit son T-shirt sans même prendre le temps d’enfiler un soutien-gorge. Elle alla vers le miroir certainement jamais nettoyé et appliqua ses lentilles. Le café avait fini de couler, elle prit les deux tasses, la boite de sucre et s’installa près de L qui, nu comme un ver, visionnait les enregistrements des caméras de surveillance.

- T’as vu quelque chose ? demanda-t-elle avant de plonger ses lèvres dans son café noir.

L ne se déconcentra pas, ses yeux fixaient quatre écrans en même temps. O avait toujours été impressionnée par cette capacité hors du commun. Il était le seul vrai génie, à part elle, ici. Elle prit la tasse de L et y plongea cinq sucres. S’ils ne se voyaient pas souvent, O et L avaient appris les habitudes de l’autre.

La caméra ne filmait pas en permanence. Elle prenait un cliché toutes les dix secondes. Pas assez souvent au goût de O. Sur la soirée du mardi 16 janvier, il ne s’était pas passé grand-chose. Comme toujours à la Wammy’s House. Sur l’un des clichés on pouvait voir S rejoindre T dans le couloir du quatrième étage. T avait l’air agacé que S l’ait suivi. Les enquêteurs suivirent leur discussion insonore pendant quelques minutes, puis O comprit que S avait gagné. Les deux enfants s’approchèrent de ce qui fut sa chambre. Ils avaient une clé ! Seul Watari en avait le double et O lui avait fait promettre de ne jamais l’utiliser sans le lui demander…

Les images défilèrent et rien d’étrange ne se passa. Hormis le fait que les deux enfants ne sortirent jamais de la chambre.

L et O s’affaissèrent sur leurs chaises, les deux génies étaient arrivés à la même conclusion. L’assassin était entré en moins de dix secondes, avait effectué ses meurtres et étaient reparti tout aussi rapidement. Bien que compliqué vu la longueur du couloir, c’était cependant possible. Mais le regard de O, bien qu’ayant un champ moins large, était plus affuté que celui de L. Elle piqua la souris des mains de ce dernier et roula la molette pour remonter quelques heures auparavant.

Elle avait trouvé ! Entre minuit vingt et vingt-cinq, puis entre minuit cinquante et cinquante-sept il y avait une boucle dans les images. Les mêmes que celle de la veille à la même heure. O voyait très distinctement le léger mouvement, toujours identique, d’une feuille de plante et l’ombre sous la porte de la chambre de W.

L sourit alors. S’il n’avait sûrement rien vu, O savait qu’il aimait la voir s’illuminer ainsi. Il le lui avait dit lors de l’une de leur mission commune. O fouilla dans le chaos de la chambre son treillis et ses chaussures cirées, but en une seule gorgée son reste de café noir, posa une main légère sur l’épaule de L et parti voir Watari.

 

Wammy’s House, bureau de Watari, jeudi 17 janvier 1999, 03h17

 

O faisait à présent face à Watari. Chacun assit de son côté de l’imposant bureau. Elle n’avait mis que très rarement les pieds dans cette pièce. C’était à vrai dire seulement la troisième fois en dix ans.

La première avait eu lieu le jour de son arrivée à la Wammy’s House, à huit ans. O fut régulièrement placée, soit en orphelinat, soit en famille d’accueil. On la rejetait d’absolument partout. De « cachotière » à « manipulatrice », toutes les excuses étaient bonnes pour se séparer d’elle. En arrivant à la Wammy’s House, O s’était dit qu’elle n’y resterait pas plus de quinze jours. Elle le voyait comme un établissement de riches orphelins, ou même d’un internat pour les bâtards de riches lords.

Watari l’avait immédiatement prévenue. Ici, elle allait suivre un enseignement particulier. Elle s’était alors dit qu’il s’agissait d’un asile pour enfants. Et finalement, elle était restée. Non pas qu’elle l’eût souhaité, mais ici elle pouvait plus ou moins faire ce qu’elle désirait. À douze ans déjà, elle avait effectué son premier détournement d’argent. « Pour s’amuser ».

Rapidement, on avait compris qu’elle ne se mélangerait pas aux autres enfants et on l’avait mise dans une chambre à part. Rapidement, on avait cessé de la voir dans les couloirs de l’orphelinat. O ne souhaitait pas s’abaisser à leur discussion. Et un jour, Watari l’avait de nouveau appelée à venir dans ce bureau. Elle avait quatorze ans. Il avait de grands projets pour elle. « Une formation spéciale », avait-il dit. Il voulait faire d’elle la future directrice de l’établissement. O n’avait alors pas réellement compris pourquoi il l’avait choisie, elle, l’effacée de l’orphelinat. Jusqu’à ce qu’elle comprenne que Watari n’était pas réellement directeur d’orphelinat, mais un espion hors pair.

Tout comme elle, il était discret et invisible. Tout comme elle, Watari ne laissait pas de trace sur son passage. Or, Watari avait oublié quelque chose de crucial : O n’avait pas envie de reprendre le flambeau. O ne voyait pas d’un bon œil les intentions du vieil homme : récupérer des petits génies pour les manipuler tels des pantins et effectuer des missions pour Interpol. Pour la jeune femme, Watari n’était pas si différent des exploitants d’enfants en Chine. Et peu à peu, elle s’était mise en tête qu’elle détruirait l’empire du vieillard.

- Que veux-tu de moi ? demanda l’homme sans s’étonner de l’heure tardive – ou matinale – à laquelle O avait débarqué.

- J’ai deux questions.

- Je t’écoute.

- Qui a accès aux contrôles des caméras de surveillance du quatrième étage ?

- Moi-même, Roger, 412 et s’il dit vrai, B. Il aime se vanter qu’il a un accès permanent à la salle des contrôles. Ce qui me surprendrait beaucoup.

- Ce qui me surprendrait davantage, corrigea O le regard fixé sur le mur derrière Watari, c’est qu’il soit le seul à y accéder. Vous formez des génies, non ?

- Tu n’as pas tort, rit-il sans grande conviction.

Le silence de O pour seule réponse imposa à l’homme le retour au calme. Il se râcla la gorge et fixa celle qu’il avait vu grandir.

- Tu avais une deuxième question.

Son regard se posa pour la première fois sur Watari.

- Vous pensez toujours pouvoir me recruter ici, n’est-ce pas ?

- Je ne pense pas le pouvoir, je sais que je vais réussir. Il y a nuance, ma chère.

O souffla du nez d’exaspération, se leva, posa la clé de sa chambre sur le bureau en chaîne massif et quitta la salle, laissant Watari seul, comme si elle n’était jamais venue le déranger.

 

Wammy’s House, salle des registres, jeudi 17 janvier 1999, 06h38

 

La pièce était vide et tous les enfants de la Wammy’s House connaissaient la règle : si 412 n’était pas présente, alors l’accès à la salle des registres était interdit. O se demanda combien d’orphelins avaient avant elle brisé cette règle. Ne disait-on pas que les règles étaient faites pour être transgressées ? Sans même vouloir paraître discrète, O alluma les néons et se connecta sans grande difficulté au compte de 412. Bien que la fluidité de la machine ne batte aucun record, si ce n’était celui du plus lent ordinateur en fonction, O parvint en quelques minutes seulement à copier les dossiers « professionnels » de 412 sur son disque dur. Elle ferma la session, éteignit l’écran et se tourna, quelque peu dépitée, vers les nombreux dossiers papiers. O le savait, seule 412 en connaissait tous les recoins.

O se demandait ce qu’il se passerait si jamais l’orphelinat venait à brûler. Perdrait-on tous les dossiers des enfants l’ayant fréquenté ? Seraient-ils condamnés à vivre dans l’ignorance de leur identité ? Si cela ne gênait pas O outre-mesure, elle savait que certains n’attendaient qu’une chose : atteindre leurs dix-huit ans et le conserver rien que pour eux. Pour enfin exister.

Mais O avait détruit le sien il y avait déjà bien longtemps. Elle se fichait royalement de savoir si elle était la huitième enfant d’une famille qui ne pouvait pas s’occuper d’elle, une bâtarde refoulée, ou la survivante d’un tragique accident ayant tué ses deux parents. O ne voulait être personne d’autre que celle qu’elle avait bâtie de toutes pièces : Olympia Smith. Le nom qu’elle avait empruntée au tableau de Manet. Olympia était une femme nue mais qui ne pouvait être personne. On ne devinait pas ce qu’elle pensait, elle suscitait les critiques et faisait se retourner les regards. On la fuyait comme on la désirait. Avec elle personne ne savait sur quel pied danser. O avait fait d’elle un modèle.

Si elle avait choisi Smith, la raison en était bien moins artistique. Ce nom de famille était si répandu en Angleterre qu’elle passerait absolument partout. Qui doutait de l’identité de quelqu’un se nommant Smith ou Black ?

Et c’était ainsi, sous la fausse identité de Olympia Smith, que O souhaitait vivre. Après le décès de Watari, elle détruirait la copie du dossier qu’il garde précieusement et plus personne sur cette terre ne connaitrait son passé. Elle serait réellement une inconnue des registres, des mémoires et des pensées.

Le dossier de T dans les mains – elle avait déjà lu et retenu celui de S – O feignit la surprise lorsque 412 débarqua dans la salle des registres. Cette dernière ne s’énerva pas plus, au contraire, sur ses lèvres naissait un tendre rictus.

- Cela faisait si longtemps que nous t’avions vu, O, déclara 412 d’un ton mielleux.

- Watari a fait appel à moi.

- C’est ce que j’ai cru comprendre, quel drame !

- En effet, j’espère que tu ne m’en veux pas d’être entrée dans la salle des registres en ton absence, j’avais besoin d’avoir ce dossier…

- Oh non ! Je t’en prie, fais ce que tu as à faire !

Ce petit jeu théâtral aurait pu durer bien plus longtemps si O ne s’était pas levée. 412 semblait prendre des pincettes avec elle. Mais ce n’était pas si surprenant, tout le monde faisait de même ici. Comme l’Olympe de Manet, on ne savait jamais sur quel pied danser en sa présence. Celle-ci s’approcha de 412 et dans un geste étonnant elle enlaça la femme en feignant des larmes de tristesse. 412 tapota son dos.

- Je ne pensais pas que ma dernière mission pour la Wammy’s House serait si émouvante, pleura O.

- Allons, allons ma chère, un futur si grandiose vous attend.

O se redressa en entendant un léger « bip ». Elle avait enfin fini d’hacker la carte prépayée du téléphone de 412. Alors qu’elle s’apprêtait à quitter la salle des archives, O s’arrêta et déclara d’une voix bien moins théâtrale :

- Je sais que S et T avaient l’âge de Louis. Cela doit être dur pour toi.

Elle quitta la salle et laissa une 412 aux yeux écarquillés : Louis était son enfant mort dans un tragique incendie dix ans plus tôt et dont 412 n’avait jamais évoqué l’histoire. Mais O l’avait deviné quand elle avait trouvé le mot de passe de la session de 412 : 56847-82/89. Personne ne choisit une suite de chiffre pour mot-de-passe. Lorsque son hacking de la session avait été effectué, O s’était alors demandée ce que ces chiffres auraient bien pu signifier. En seulement sept minutes elle avait obtenu une réponse.

La première salve de chiffres représentait les touches correspondantes au mot « Louis » sur un téléphone portable et les quatre dernier chiffres donnaient les années de vie et de mort du jeune garçon. O n’avait alors que logiquement supposé le fait qu’il s’agisse de son fils.

 

Wammy’s House, salle de sport, jeudi 17 janvier 1999, 11h21

 

O fronça le nez. L’odeur de sueur, de testostérone et de fausse virilité la dégoûtait. On entendait des hommes pousser, souffler, se tuer à la tâche. O n’arrivait pas à comprendre l’effort que les sportifs fournissaient pour développer toujours plus leur force. À quoi bon user son corps quand on pouvait simplement le travailler et le maintenir en forme ? Ils feraient mieux de développer les quelques connexions neuronales qu’ils avaient…

O tenta d’oublier sa nausée et avança parmi les enfants surmusclés de l’orphelinat. Et comme prévu, celui qui excellait dans l’exhibitionnisme était B. C’était également la personne la plus instable de la Wammy’s House. Parfois, il s’agissait d’une crème, même O le savait. Parfois, il pouvait vous éclater à coup de poings ou de menaces. Mais O ne le craignait pas. Elle lui avait déjà prouvé sa valeur en détruisant son père qui l’avait jeté – lui et sa défunte mère – pour une femme plus riche. O savait que B lui était redevable.

Mais B avait contre lui pas mal de choses dans cette enquête : il pouvait contrôler à sa guise les caméras de surveillance, les enfants tués avaient été bien amochés et son sale caractère ne l’aidait pas.

Alors qu’il soulevait des haltères, B vit O s’approcher de lui. O comprit au tic qui secouait sa lèvre qu’il n’était pas rassuré de la voir ici, il savait qu’elle allait lui causer des ennuis.

- Tu m’veux quoi, la Mentaliste ?

- Arrête B, je sais que tu flippes. J’ai quelques questions pour toi.

- À propos des deux morts j’imagine. J’te préviens, j’y suis pour rien. Perds pas ton temps avec moi.

- Discutons quand même, de plus, ça fait si longtemps qu'on s’est vu, toi et moi.

- Tu m’as manqué, p’tit coeur, mentit-il.

B s’essuya le visage et s’assit à califourchon sur le banc de musculation. O, elle, resta debout et observa l’homme. Il avait son âge, mais était arrivé bien plus tôt qu’elle à la Wammy’s House. Dès son plus jeune âge, il avait investi la salle de sport qui avait fini par être trop petite à son goût. Les combats de rue et les règlements de compte lui plaisaient beaucoup plus. Même O savait qu’il avait un beau palmarès et son nez tordu et la peau arrachée à ses doigts prouvaient qu’il n’y allait pas de main morte.

- J’ai une idée, proposa-t-elle enfin. On va combattre. Boxe anglaise. À chaque coup que je te porte j’ai le droit à une question.

- Toi ? La boxe anglaise ? rit alors B.

- Tu as peur ? demanda O en montant sur le ring et en enfilant des gants.

B rit et la suivit.

- Mets ton protège-dent, déclara-t-elle froidement.

Le rire de B s’intensifia, mais quand il regarda une nouvelle fois O il s’arrêta, alla le chercher et se concentra. O ne plaisantait pas une seule seconde. M s’approcha alors, curieux du spectacle. B l’interpela et lui demanda d’arbitrer le combat. Les deux adversaires se mirent en garde.

Les premiers échanges de coups se firent timides. B fut étonné de la voir se placer correctement, de savoir se mouvoir. Ce combat allait s’avérer plus intéressant que prévu. Puis le regard de O s’illumina étrangement et d’une rapidité fascinante elle décocha un crochet. B ne put le contrer.

Si la force du coup n’était pas impressionnante, elle l’avait touché et comme prévu elle demanda :

- Tu étais où mardi soir ?

- Quelque part dans Londres.

O ne s’énerva pas du peu de détails dans la réponse. Elle se replaça et poursuivit. Les coups tombèrent au même rythme que les questions. B commença à s’énerver et le rire de M attira les autres sportifs de la Wammy’s House. O avait largement le dessus sur B.

- Ta relation avec T et S ?

- Ils étaient sacrément collants au départ, mais j’les ai vite effrayés en montrant l’un de mes combats et en leur promettant de leur faire pareil s’ils ne me laissaient pas tranquille.

- De quelle couleur est la tapisserie de ma chambre ?

- Qu’est-ce que j’en sais moi ? Invite-moi et j’te dirais. On pourrait avoir d’autres types de contact, si tu vois de quoi je veux parler… Je pourrais être meilleur que l’autre courbé qui t’sers de mec.

- Comment tu as fait pour hacker les caméras de surveillance ?

- Comme si un programme sur le PC d’Roger pouvait m’bloquer !

O s’arrêta, retira ses gants. O fut rassurée de voir que B n’était pas tombé si bas, il n’avait jamais tué les deux enfants. Pour cela il lui aurait fallu hacker réellement les caméras de surveillance. Et ce n’était pas qu’un simple programme que Roger avait installé sur son ordinateur pour bloquer l’accès aux caméras. Mais B avait plus de gueule que de talent.

- Hé quitte pas le ring, sinon j’gagne le combat, hurla B.

- Désolée, je ne suis qu’une amateure, un grand professionnel comme toi risquerait de me détruire en deux coups, le nargua-t-elle en passant entre la première et deuxième corde. M et les autres spectateurs rirent d’une même voix grasse.

 

Wammy’s House, chambre de L, vendredi 18 janvier 1999, 01h37

 

O s’étira en levant les bras au-dessus de sa tête et en baillant. Elle venait de passer plusieurs heures, sans pause, dans les sessions de Roger River et de 412. L, lui, ne semblait pas ressentir une seule seconde la fatigue. Les deux enquêteurs n’avaient pas partagé leurs informations, O se demanda s’il était arrivé à la même conclusion.

Roger River avait l’ordinateur le moins passionnant de tous les temps. Rien n’indiquait un quelconque bénéfice pour lui s’il tuait S et T. Il avait certes quelques secrets, mais c’était le cas de tout le monde dans l’orphelinat. O réalisa qu’il prenait presque autant de décisions que Watari. Et que lui aussi connaissait son identité.

Cela l’agaça qu’il sache, mais elle se dit qu’elle aurait dû s’en douter. Rien qu’à son cou rentré dans ses épaules, ses yeux toujours plissés et sa voix sifflante il avait un air de fouine. C’était sûrement lui qui l’avait dénichée dans son énième orphelinat au fin fond de l’Écosse.

Mais 412 avait un profil bien plus surprenant et intéressant. Ce n’était pas la petite femme inutile qui avait l’air d’être une bibliothécaire. Il n’avait pas été difficile pour O de déchiffrer des messages codés prouvant qu’elle avait un rôle d’espionne et qu’elle était engagée par la CIA. Comment Watari avait-il pu se laisser berner ainsi ? Ou le vieil homme le savait-il et espionnait-il à son tour la CIA ?

- Tu viens ? fit soudainement la voix de L derrière elle.

O se retourna et fit face à un L assis dans le lit. Elle vit que celui-ci ne s’intéressait pas particulièrement à l’enquête. Mais l’esprit de la jeune enquêtrice s’activait toujours.

- Tu as toujours ces lentilles ? demanda-t-elle.

- Toi, tu as trouvé quelque chose.

- Je ne sais pas. Va falloir que tu m’aides.

L indiqua de son doigt le tiroir où se trouvaient les fameuses lentilles que N avait créées. Elles étaient reliées à un ordinateur et enregistraient ce que la personne qui les portait voyait. O, habituée aux lentilles correctrices, les plaça sans grande difficulté sur sa cornée et mit ses lunettes pour y voir plus clair.

- Tu sais que tu es belle avec tes lunettes ?

O sourit, s’approcha de L et l’embrassa.

- Tu devrais t’habiller, je ne suis pas près de revenir.

- Tu reviens, hein ! Ne quitte pas la Wammy’s House sans un dernier regard pour moi.

- L, mes affaires sont dans ta chambre, je reviendrai.

Laisser un commentaire ?