Deltarune - Chapitre 2 : Rêve ou cauchemar ?

Chapitre 1 : Doutes et espoirs

2885 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 01/02/2019 15:53

Susie était assise au bord des marches de son école, les genoux ramenés contre elle, un air absorbé sur son visage empli d'écailles luisantes. Elle mâchonnait pensivement une friandise blanche, qui s'avéra être une craie qu'elle avait pioché dans sa réserve personnelle. Elle jeta le dernier morceau dans sa gueule et le croqua tranquillement, regardant à présent la rue, à la recherche de Kris.


Susie était un grand Monstre reptilien, aux épaules larges et à la carrure digne d'un rugbyman. Sa peau était violette et ses cheveux d'un aubergine marqué par quelques veinures brunes. Bizarrement, quelques taches de rousseur pourpres constellaient ses joues.


Elle plissa ses paupières à cause du soleil.


« Tss... Toujours en retard, marmonna-t-elle en fouillant dans une boîte en carton abîmé, à la recherche d'un éventuel reste de son déjeuner crayeux.


L'humain arriva quelques instants après, son air neutre habituel collé au visage. Néanmoins, la monstresse décela un sentiment qu'elle n'avait jamais vu dans l'expression de Kris, même lorsque celle-ci l'avait menacé juste avant leur aventure : de la peur.


Elle n'osa rien lui demander quand il arriva à sa hauteur et qu'il s'installa à côté d'elle, la tête baissée, fixant le sol.


- A ton avis... commença le reptile en passant ses bras autour de ses jambes, c'était réel c'qu'on a vécu hier ?


Le garçon haussa les épaules en émettant un vague « Oui ».


Susie regarda l'enfant du coin de l'oeil et se mordit la lèvre inférieure. Avec un caractère comme le sien, il n'avait sûrement jamais eu beaucoup de camarade depuis tout petit. Qu'elle soit ainsi devenue son amie devait l'avoir grandement surpris, d'où son mutisme apparent.


Kris sortit alors d'une poche de son pantalon un drôle de crayon décoré sur le thème de Halloween. Le bois qui le constituait renvoyait un fort éclat sous la lumière.


Elle le regarda avec une certaine circonspection.


- Heu... Pourquoi tu me montres ce truc ?

- Je l'ai trouvé dans ma poche quand nous sommes revenus du Monde des Ténèbres*. Je ne l'avais jamais vu avant.


La monstresse hésita avant de continuer la discussion. Elle n'avait pas eu grand nombre d'occasion d'entendre la voix de son ami durant l'année scolaire. Et depuis leur retour de cette étonnante aventure, l'entendre composer ainsi deux phrases l'étonnait grandement.


- Tu n'as pas eu la même chose avec ta hache ?


En y repensant, Susie avait trouvé la poche de sa veste un peu plus lourde que la veille lorsqu'elle l'avait mise avant de se rendre à son rendez-vous.


Elle en retira une lourde bague en métal forgé possédant les mêmes reflets bleutés que son ancienne arme. Dessus était gravé un crâne de dragon figé dans un puissant rugissement.


Kris se retint de sourire lorsqu'il vit à quoi ressemblait le dragon ; il lui faisait penser à son amie lorsqu'elle était en colère.


- J'avais pas vu que c'truc non plus avant qu'on sorte du placard.


Elle la passa de suite à annuaire gauche, pour ne pas l'égarer


- Ce n'est pas un hasard qu'on ait ces objets qui soient apparus comme ça...


Il tapa son poing dans sa paume, semblant soudainement déterminé.


- Il faut qu'on retourne au placard pour s'assurer que tout est réel ! On ne peut pas rester comme ça ! s'exclama le jeune garçon.

- On peut pas. J'ai déjà essayé d'ouvrir les portes, mais on est Samedi, donc l'école est fermée.

- Flûte de me... !


Quelques passant matinaux jetèrent un œil surpris à l'humain lorsque celui-ci lâcha son juron. Il fut heureux de s'être retenu à temps.


- Si on allait au parc pour parler ? proposa Susie, y a trop d'monde ici. »


Kris acquiesça silencieusement. Voir deux gamins discutant de comment entrer par effraction dans leur école ne devait pas rassurer grand monde.


Il se leva en même temps qu'elle. La monstresse s'étira, fourbue par le fait d'être restée assise aussi longtemps sur la pierre de l'escalier froide, puis se mit en marche à travers les rues.


Elle se dirigea d'un pas pressé vers le parc, un endroit isolé, calme, où peu de personnes passaient, effrayées par un cimetière à la réputation sinistre qui se trouvait à proximité. Le jeune garçon était sur ses talons. Ayant apparemment perdu sa loquacité, il rendait le trajet quelque peu troublant.


L'endroit apparut bientôt dans leur champ de vision, leur montrant un chemin recouvert de graviers gris et blancs bordé de bancs divers, métal et bois confondu. Ils s'installèrent sur l'un d'eux, entouré d'un parterre de rosiers fanés, assez éloigné de l'entrée.


« Bon... dit Susie en s'installant de manière plus confortable sur le siège en bois, faut trouver comment aller dans l'école pendant ce week-end.


Kris paraissait avoir perdu sa langue. Il était avachi sur le banc, le corps ramené contre ses cuisse, et une main qui caressait son menton, comme s'il possédait un bouc ; il regardait sans ciller une zone d'herbe entre ses chaussures, pensant à son rêve ainsi qu'aux évènements de la veille.


Le reptile croisa ses bras derrière sa nuque et leva ses pupilles verticales vers le ciel. Il était d'un azur aveuglant pour un jour d'automne, clairsemé de petits nuages moutonneux et laiteux. Étrangement, elle pensa au plafond du Monde des Ténèbres, empli de cristaux d'un bleu lumineux, comme ce ciel, mais qui donnaient - contrairement à lui - une teinte insolite à tout ceux se trouvant au-dessous.


- Il faut attendre Lundi si on veut pouvoir y retourner, je n'ai pas envie d'encore plus inquiéter ma mère... Toi non plus je pense.


Entendre une nouvelle fois la voix de Kris sortit subitement la monstresse de sa contemplation des cieux.


- Heu... ouais. T'as raison... Déjà qu'j'ai rien dit sur hier à mes parents. Si je disparais comme ça, y vont se demander ce qui s'passe.


Le jeune garçon releva la tête et observa les yeux de son amie. La frange qui auparavant les cachait avait était coupée par le violent coup que lui avait asséné du Roi du Chaos**, laissant une longue estafilade blanche qui barrait son front en biais. Cela donnait l'impression que ses sourcils étaient en permanence froncés.


Bizarrement, une idée lui traversa l'esprit à ce moment précis.


- Il faudrait qu'on trouve prétexte pour pouvoir y retourner tranquillement, sans que nos parents s'inquiètent. Comme une sortie ou quelque chose dans le genre.

Susie opina du chef et renifla, l'air dubitative - mais trouvant aussi que le timide parfum de quelques frêles roses résistantes au froid précoce était beaucoup trop entêtant.

- Mais ils laisseront jamais des gosses avec un âge comme le nôtre sortir quelque part... raisonna-t-elle. »


Un ange passa.


Aucun des deux compères ne réussissait à trouver un bon moyen de retourner dans le Monde des Ténèbres. Et en parler à un quelconque adulte reviendrait sans doute à raconter une chose qui serait une futile plaisanterie pour lui, à laquelle il rirait de bon coeur, sans se soucier des incertitudes et des tracas de deux enfants.


Ce à quoi ils n'avaient pourtant pas réfléchi, était que leur sujet de discussion n'était peut-être plus un secret qu'ils partageaient seulement entre eux.


Derrière un arbre, leur conversation était épiée par quelqu'un qu'ils connaissaient bien.


C'était pourtant malgré elle que Noëlle les écoutait parler d'une chose bien singulière. Le renne essayait tant bien que mal de ne pas faire dépasser ses bois naissant des côtés du végétal. Bien heureusement pour elle, c'était un vieux chêne qui avait vu les années passer, ce qui lui avait donné un tronc épais.


Elle ne voulait pas les espionner. Elle s'était elle-même retirée dans ce parc pour réfléchir sur ce que son père lui avait conseillé, pour avouer ses sentiments à Susie...


Ses joues rosirent lorsqu'elle pensa à la monstresse.


Mais la curiosité de connaître leurs dires avait été plus la plus forte, et maintenant, elle se surpris à s'intéresser à cet endroit qu'ils nommaient « Monde des Ténèbres ». Cela expliquait aussi le fait qu'ils aient tous deux disparus comme des voleurs huit heures durant...


Peut-être pourrait-elle les aider à y retourner ?


« Non. » se dit Noëlle en secouant très légèrement la tête.


Sortir ainsi de derrière cet arbre serait une très mauvaise initiative de sa part.


Susie pourrait penser qu'en tant que fille de la maire et bonne élève, elle rapporterait les faits à leurs parents. Pourtant, elle voulait être d'une main secoureuse pour eux (surtout pour Susie en fait)...


En voulant se pencher pour assouvir sa soif de savoir et mieux percevoir leurs paroles, un de ses bois cogna subitement l'arbre, produisant un son creux qui s'étendit dans tout l'endroit et brisant le silence qui s'était installé malgré la discussion de l'humain et du reptile.


« Qui est là ?! s'exclama avec brutalité Susie, qui sauta du banc tel un diable à ressort.


Noëlle avala péniblement sa salive.


Elle s'était faite repérée... Qu'allait penser la monstresse d'elle à présent ?


Le renne compta mentalement jusqu'à sept pour se porter chance, et se força à pointer le bout de son museau tout en levant les mains, en signes de paix.


- Noëlle ?

- Je... je suis désolée... je ne voulais pas vous espionner ! Vous m'avez surprise quand vous êtes arrivés, et je me suis cachée... et... je... je voulais... vous... vous...

- Qu'est-ce que tu faisais toute seule dans ce parc ? lui demanda alors tranquillement Kris, la coupant dans ses bafouillages.

Les joues du rennes s'empourprèrent de plus belle.

- C... Ce sont pas tes affaires...


Kris savait ce que Noëlle était allée faire dans ce parc, à la vue de son teint rouge qui s'accentuait dès qu'elle entendait Susie, mais aussi grâce aux révélations quelques peu intimes qu'elle lui avait faite lorsqu'il s'était rendu à l'hôpital. Il décida donc de ne rien en laisser paraître.


Le reptile, qui fixait toujours la nouvelle venue d'un œil torve – puisqu'elle avait entendu des choses qui n'étaient sensées être qu'entre elle et Kris – lui demanda alors de compléter sa phrase de tout à l'heure :


- J'avais pas compris c'que tu voulais dire dans tes marmonnement. Donc vas-y, répète pour qu'on voit.

- Heu... Eh bien... Je... je voulais vous dire que je pensais que je pourrais peut-être vous aider...


La voix de Noëlle était montée dans les aiguës et était devenue presque inaudible. Elle perdait tous ses moyens lorsqu'elle se retrouvait face à l'immense lézard. Ses pommettes bouillaient sous le coup de l'embarras. Si on les avait observées de plus près, on aurait sûrement pu voir de la fumée s'en échapper.


- Quoi ?!

- JE VEUX VOUS AIDER A RETOURNER DANS CE MONDE ! s'écria le renne en omettant de prendre le tact nécessaire pour leur avouer ses intentions.

- Moins fort borde... bon sang ! Tu veux avertir toute la ville qu'on s'est retrouvé dans c'tendroit ?! Tu devais même pas savoir not' secret ! Et...

- C'est bon, intervint calmement Kris. Maintenant que Noëlle sait, on ne peut pas lui effacer la mémoire. On aurait dû faire plus attention en entrant dans le parc, c'est de notre faute si quelqu'un est au courant.


« Quelqu'un »... Noëlle n'aimait pas la façon avec laquelle Kris venait de la désigner.


Susie se rassit visiblement adoucie, mais ne lâcha pas des yeux le renne. Ses pupilles - qui se résumaient à deux étroites fentes noires au centre d'un océan d'un jaune éclatant - mettaient Noëlle encore plus mal à l'aise.


- Allez, dis-nous comment tu veux nous aider, l'encouragea l'humain d'un ton plus rassurant.


Il s'écarta de Susie en glissant sur le banc, et tapota la place libre afin que Noëlle puisse s'y installer à son tour.


Lorsqu'elle s'assit, la jeune monstresse eut subitement l'impression d'être encadrée par deux gardes du corps qui n'hésiteraient pas à se jeter sur elle si elle esquissait le moindre geste. Elle se tint droite comme un I, inspira profondément et se lança.


- Il y a un passage tout au Sud de la ville...

- Tout le monde connaît cette porte bizarre que personne n'a jamais réussi à ouvrir ! Fait pas le perroquet ! l'interrompit sèchement Susie.


Le fait que celle qu'elle aimait secrètement lui parle ainsi l'attrista. Elle n'avait pas voulu s'attirer la colère du reptile, mais elle n'aurait jamais dû se cacher d'elle et de Kris. Noëlle poursuivit en essayent de ne pas paraître blessée :


- Je sais, je sais. Mais ma maman a trouvé quelque chose dans les archives de la mairie qui est en rapport avec.


Elle tira de sous son manteau un petit livre en mauvais état ; les pages jaunies se détachaient peu à peu de la reliure, les coutures se s'effilochaient et se défaisaient par endroits, tandis que le cuir de la couverture partait en lambeaux grossiers.


Un détail frappa alors Kris. Sur cette couverture émiettée subsistait clairement un motif en reliefs exagérés qu'il ne pouvait que connaître ; le symbole de sa famille : la rune Delta.

Il toucha la rune du bout des doigts, comme s'il s'agissait d'une précieuse relique, puis demanda où sa mère avait trouvé cet ouvrage.


- Elle ne m'a rien dit sur où elle l'avait trouvé. Juste qu'il était dans les archives. Je lui ai demandé si je pouvais l'emprunter pour voir ce qui y avait à l'intérieur, et regardez ce que j'ai trouvé... »


Elle ouvrit délicatement le livre, sous les prunelles attentives de ses compères, et leur montra l'envers de la première de couverture. À première vue, cela ressemblait simplement à un morceau rectangulaire de cuir râpé et sale. Mais lorsque la jeune monstresse appuya sur le symbole de l'autre côté, une bosse apparut, avant de clairement se découper en un carré propre, comme si le cuir n'avait jamais été entier.


Elle souleva ensuite l'ouverture et laissa apparaître une clef à la tête finement taillée en la rune Delta, en métal parme bordé d'argent.


Kris observait avec un certain intérêt l'objet, tandis que Susie lâchait un sifflement admirateur.


« Comment t'as trouvé ça ? demanda-t-elle.

- Sans le faire exprès en fait... J'ai peut-être appuyé un peu trop fort sur ce drôle de dessin quand je l'ai pris pour la première fois, et ça c'est passé exactement comme ça. Après, j'ai paniqué et j'ai à nouveau appuyé sur la clef, et pouf, ça s'est refermé comme par magie.

- C'est « rune Delta » le nom de ce dessin, compléta distraitement Kris, trop absorbé par la clef forgée dans cet étrange métal pâle.

- Et qu'est-ce qui y a dans ce livre ?

- Je ne sais pas. Je n'arrive pas déchiffrer ce qui s'y trouve. C'est plein de lettres bizarres pleines de boucles. J'ai demandé à ma maman de m'aider, et elle a juste réussi à lire "Monde" "Ténèbres" et "porte scellée" avec ses connaissances. Et ce dont vous avez parlé m'a rappelé ces mots.


Une brise automnale s'engouffra dans le parc, ballottant les branches parées d'or et de rouge, soulevant les tapis de feuilles brunes et balayant le banc de son souffle froid. Les occupants grelottèrent, en particulier Kris, qui lui n'avait que son pull pour lui tenir chaud, et non une épaisse toison ou des écailles en plus pour le protéger du vent.


- Il faudrait qu'on s'mette dans un autre endroit, déclara le reptile en sautant du banc. On gèle ici ! »


Ils opinèrent.


Ils se décidèrent rapidement et optèrent pour la maison de l'humain. Toriel était moins réticente sur les visites inattendues que la mère du reptile. Celle-ci leur expliqua même qu'elle avait un jour refusé de laisser entrer sa plus proche connaissance, sous prétexte que son habitation était mal rangée.


Noëlle remarqua que Susie leur parlait comme s'il ne c'était rien passé quelques minutes avant, ce qui lui gonfla le cœur d'un sentiment joyeux ; elle n'était peut-être plus contrariée par ce qu'elle avait fait.


Bien qu'elle restât affectée par la remarque de Susie, un grand sourire se dessina sur sa bouche, avançant ses deux incisives saillantes sur sa lèvre inférieure.

Tous se levèrent, non sans hâte, et se dirigèrent vers la sortie du parc.




* Le Monde des Ténèbres : Ne pouvant utiliser certains noms anglais du jeu et n'ayant pas vu les noms traduits par le Patch FR, il s'agit de ma propre traduction du « Dark World »

** Roi du Chaos : Traduction du « Chao's King »

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