Cœur givré
Muichiro s’était éloigné des Hashira ces derniers temps, partagé entre les missions et des séances d’entraînement toujours plus intenses. Inquiets de son isolement, ils avaient missionné Lucy pour aller lui parler.
Elle avait accepté sans hésiter.
Avec les indications de Genya, elle s’était rendue au terrain d’entraînement. En arrivant, elle s’était adossée à un arbre, observant en silence. Son regard suivait les gestes précis et mécaniques de Muichiro, frappant les mannequins de paille sans relâche. Il était rapide. Chirurgical. Il ne perdait aucun mouvement. Elle nota chacun de ses enchaînements, les comparant instinctivement aux siens.
Lucy attendait. Elle savait qu’un mauvais moment pouvait ruiner l’échange. Alors, elle patientait, attentive, calme en apparence, mais son esprit en veille constante.
Enfin, il s’arrêta. Éreinté, couvert de sueur, Muichiro alla s’asseoir à l’ombre d’un arbre. Il passa une main sur son front, respirant profondément. C’était le moment.
Elle quitta son poste d’observation et s’approcha de lui, le pas souple, mesuré. Elle l’interpella doucement :
— Tokito-san.
Il leva la tête, son regard vide croisant le sien.
— Hm ? Ah, c’est toi.
Leur regard se fixa un instant. Lucy sentit ce moment suspendu, un battement dans l’air, le silence dense. Elle ne se déroba pas, et s’installa à ses côtés, tranquille.
— Vos entraînements sont très intenses… Vous n’en faites pas un peu trop ? demanda-t-elle, un soupçon de sincère inquiétude filtrant dans sa voix malgré son ton posé.
Muichiro observait ses mains, fléchissant ses doigts engourdis. Il mit un moment à répondre, comme si la question devait être disséquée, évaluée.
— Trop ? Non.
Sa voix était calme, presque lointaine.
— Je dois devenir plus fort. C’est tout.
Lucy le regarda brièvement de profil. Elle ne répondit pas tout de suite. Le vent faisait doucement flotter les manches de son haori. Elle sentait le contraste entre eux : elle, ancrée dans le présent, dans la maîtrise de ses limites. Lui, tendu vers un objectif qui dépassait même la douleur.
Il tourna la tête vers elle. La garde de son katana — ce motif délicat de fleurs de glace — scintillait faiblement au soleil. Muichiro la fixait, curieux.
— …Ton souffle est différent du mien. Tu ne te pousses pas autant ?
Pas d’agressivité dans sa voix, juste une observation brute.
Lucy baissa les yeux vers son arme. Elle effleura du bout des doigts la poignée, un geste presque instinctif. Son sourire, doux et paisible, se dessina lentement.
— Je me pousse, mais je sais quand m’arrêter.
Un silence suivit. Elle sentit son regard sur elle. Pas seulement ses gestes. Il la jaugeait. Elle le savait. Elle sentait cette manière presque clinique qu’il avait de décortiquer les gens.
— Tu es disciplinée...
Une pause, comme si le mot avait du poids.
— Mais la discipline ne suffit pas. Pour atteindre mon niveau, il faut se surpasser.
Ses mots ne la touchèrent pas comme une provocation. Lucy savait ce qu’elle valait. Elle entendait dans sa voix non pas de l’orgueil, mais une forme de nécessité froide. Une vérité, pour lui.
Elle soutint son regard. Elle avait croisé d’autres Hashira, d’autres manières de penser. Celle de Muichiro était différente — rigide, tranchante, sans compromis.
— Qu’y a-t-il, Tokito-san ? demanda-t-elle, en lisant quelque chose de plus intense dans ses yeux.
— Entraîne-toi avec moi.
Il se leva sans attendre, balayant la poussière de son uniforme avant de dégainer son katana. La lame bleutée brillait sous le soleil. Il la fixait avec cette assurance tranquille qui frisait l’arrogance.
— Je veux voir de quoi tu es faite.
Lucy le regarda, surprise par la soudaineté de sa demande, mais pas déstabilisée. Elle resta assise un instant, l’observant. Il se tenait devant elle, torse nu, le haut de son uniforme retombant autour de sa taille. Ses muscles, fins mais bien dessinés, révélaient des mois d'entraînement acharné. Elle nota chaque détail, sans détourner les yeux.
Il était jeune. Et déjà taillé pour la guerre.
Elle se redressa à son tour, d’un mouvement fluide. Son cœur battait fort, non par peur, mais par anticipation. Ce n’était pas un combat ordinaire. Elle savait que chaque geste serait observé, jugé. Ce n’était pas un test. C’était un langage. Une conversation à l’épée.
Elle dégaina lentement son katana.
— Comme vous le souhaitez.
Muichiro sourit. Une ombre narquoise aux coins des lèvres. Il adopta une posture relâchée, lame tenue négligemment dans sa main, et commença à tourner autour d’elle, tel un prédateur silencieux.
— Ne te retiens pas. Moi, je ne le ferai pas.
Lucy sentit l’air changer. Son corps se détendit sans effort. Elle entra dans cet état de concentration pure. Son regard se fixa sur lui. Elle n’allait pas se retenir non plus.