Cœur givré

Chapitre 3 : Passons aux choses sérieuses

1974 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 12/11/2025 13:37

Lucy gardait sa lame basse, le long de sa jambe. Immobile.

Son regard, d’un vert vif, suivait chaque déplacement de Muichiro, chaque tension sous la peau, chaque pas calculé. Elle ne bougeait pas, mais tout en elle était prêt. Son souffle régulier, maîtrisé, se calait sur le rythme lent du vent.

Attendre. Observer. Anticiper.

Muichiro, lui, tournait autour d’elle avec cette légèreté presque irréelle. Ses pas ne soulevaient pas la poussière. Son regard la détaillait sans relâche — la position de ses épaules, la lente oscillation de sa lame, la façon dont son torse se soulevait à chaque inspiration.

— Tu es prudente.

Sa voix, à peine plus qu’un murmure, glissa entre eux.

Lucy ne répondit pas. Ses yeux restaient fixés sur lui, comme si le moindre mot pouvait rompre son équilibre.

Muichiro pencha légèrement la tête, curieux. Il la voyait — cette concentration tendue, cette respiration contrôlée jusqu’à la dernière fibre. Quelque chose en lui s’en trouva presque troublé.

— Mais la prudence… peut te retenir.

Sa voix s’éleva, cette fois. Il leva son katana, le tranchant brillant sous la lumière, pointé droit vers elle. Un éclat froid passa dans ses yeux.

— Parfois, il faut frapper le premier.

Le silence retomba aussitôt.

Lucy ne bougea pas.

Mais l’air, autour d’eux, sembla se tendre.

Soudain, Lucy bougea.

Pas un son. Pas un souffle.

Un mouvement pur, effacé, si rapide qu’il sembla que le vent lui-même s’était arrêté pour la laisser passer.

Le sol à peine effleuré, son corps se dissipa un instant dans la lumière — une illusion glacée, parfaite.

Sixième mouvement du Souffle de la Glace : Pas gelés.

Muichiro n’eut que le temps de sentir le froid effleurer l’air.

Déjà, elle enchaînait.

Septième mouvement : Cœur de glace.

Sa lame fendit l’espace, une ligne nette, horizontale.

Le métal chanta, précis, tranchant — mais sans blesser. Le fil de son katana frôla la poitrine de Muichiro d’un souffle, juste assez pour marquer la distance.

Ses yeux s’écarquillèrent.

Un battement. Un seul.

Pris de court.

C’était rare. Trop rare.

Sa vitesse. Sa maîtrise. Cette froide détermination… Cela lui rappelait quelqu’un — une ombre du passé, peut-être.

Il réagit à l’instinct. Sa lame jaillit, heurtant la sienne dans un claquement clair, presque musical.

L’impact fit vibrer son bras, mais son sourire revint, plus large cette fois.

— …Hah. Pas mal.

Sa voix avait repris ce ton léger, presque amusé, mais ses yeux, eux, s’étaient durcis.

Sans attendre, il enchaîna.

Ses coups fusaient — rapides, précis, sans répit.

Chaque mouvement fluide comme l’eau, mais changeant, imprévisible, tel le brouillard qui s’épaissit sans prévenir.

Lucy parait, esquivait, son souffle calme malgré la vitesse des échanges.

Leurs lames se frôlaient, chantaient, s’entrechoquaient dans un rythme presque parfait — comme deux voix qui se répondent sans jamais se heurter tout à fait.

Leurs regards restaient accrochés, concentrés, brûlants de cette intensité silencieuse propre aux vrais combattants.

Chaque mouvement de Lucy était semblable au givre, à la glace : rapides, simples, efficaces, d’une froideur implacable.

Il ne faisait aucun doute, désormais — ils étaient de force égale.

Ils bougeaient comme des ombres.

Leurs pas effleuraient la terre sans bruit, leurs silhouettes se frôlaient dans une danse d’acier et de lumière.

Les coups de Lucy étaient précis, calculés, porteurs de cette froideur maîtrisée.

Ceux de Muichiro, rapides, implacables, tranchants comme la brume au petit matin.

La clairière résonnait du fracas du métal.

Aucun des deux ne cédait.

Le souffle court, la tension constante.

Lucy sentait la brûlure dans ses bras, la morsure du métal à chaque choc. Pourtant, son esprit restait calme — un lac sous la glace. Pas de peur. Pas de panique. Juste le rythme. Le souffle. L’instant.

Muichiro planta soudain le pied dans le sol, se propulsant en arrière dans un mouvement souple, presque aérien.

La distance s’installa entre eux.

— Tu es douée !

Sa voix portait un souffle, rauque mais stable. Son torse se soulevait lentement, et pourtant, sa posture demeurait droite, maîtrisée.

— Je comprends pourquoi ils ont fait de toi une Hashira.

Lucy resta silencieuse, ses doigts resserrant imperceptiblement la garde de son katana.

Hashira. Le mot résonna. Pas comme un titre. Comme un rappel.

Elle ne se battait pas pour la reconnaissance, ni pour la gloire.

Mais il y avait dans sa voix à lui quelque chose d’honnête.

Elle sentit, malgré elle, une pointe de chaleur sous la surface froide de sa concentration.

Muichiro eut un léger sourire. Son regard, d’ordinaire distant, vacilla.

Quelque chose passa dans ses yeux — du respect, peut-être. Ou de l’excitation.

— Encore ?

Lucy inspira lentement. Un petit rire silencieux s’échappa de ses lèvres, à peine un souffle.

Elle inclina légèrement la tête, puis se lança.

Elle le vit bouger en même temps qu’elle.

Un instant, leurs sourires se croisèrent.

Deux prédateurs conscients que l’autre ne reculerait pas.

Leurs lames se heurtèrent de nouveau, chaque coup plus vif que le précédent.

Le son de l’acier emplissait la clairière, un rythme martial, presque harmonieux.

Lucy sentit la chaleur de l’effort lui remonter dans la nuque. Ses muscles criaient, mais elle ne les entendait plus.

Son esprit tout entier s’était réduit à une seule ligne de pensée : ne pas céder.

Muichiro avançait, précis, implacable.

Ses yeux — d’un bleu clair comme la glace fondue — restaient rivés aux siens.

Elle lut dans son regard une concentration presque inhumaine. Et peut-être, un éclat de plaisir.

Le combat s’étira.

Le soleil déclinait, étirant leurs ombres dans la lumière dorée du soir.

La sueur perlait sur sa tempe, glissant le long de sa joue, mais elle ne cillait pas.

Chaque coup, chaque pas, chaque souffle — un dialogue muet entre deux volontés égales.

Puis — une ouverture.

Infime.

Une faille d’un battement de cœur.

Elle sut qu’elle avait trop insisté sur la feinte.

Et lui la vit.

Sa lame glissa, rapide, nette, traçant une ligne écarlate sur son bras.

La douleur fut brève, froide, comme une morsure d’hiver.

Lucy serra les dents. Ne recula pas.

Le métal de son katana vibra dans sa main, encore chargé de tension.

Elle sentit le sang chaud couler, contraste violent avec le froid de sa peau.

Bien joué, pensa-t-elle, sans colère.

Juste cette reconnaissance instinctive qu’un vrai combattant accorde à son égal.

Le premier sang avait été versé.

Et, selon la règle tacite entre guerriers, cela marquait la fin du combat.

Muichiro abaissa lentement son katana.

Son souffle se calma, ses yeux toujours fixés sur elle — une flamme tranquille, presque admirative.

Lucy fit de même, sa lame retombant le long de sa jambe.

Le silence reprit la clairière, seulement troublé par le vent et leurs respirations.

Muichiro la regarda un long instant, puis esquissa un sourire bref.

— Tu es vraiment différente.

Elle essuya d’un geste la fine trace de sang sur son bras, puis remit son katana au fourreau.

Sa respiration se fit plus lente, maîtrisée, tandis que le calme revenait lentement dans la clairière.

— Bravo. Vous avez bien combattu.

Sa voix était douce, posée, dénuée de toute arrogance. Simple constat.

Muichiro s’approcha, ses pas silencieux sur la terre battue.

Son regard se posa sur la blessure fine qui marquait le bras de Lucy.

Une ombre d’inquiétude traversa ses yeux — brève, presque imperceptible — avant qu’il ne reprenne cette expression neutre et lointaine qu’il portait comme une armure.

— Tu t’es bien battue aussi, répondit-il d’une voix plus calme.

Il marqua une pause, le regard toujours fixé sur elle.

— Tu es forte. Plus forte que je ne l’imaginais.

Lucy esquissa un léger sourire, discret, presque imperceptible.

Elle baissa les yeux vers sa plaie. Le sang perlait encore, lentement, traçant un filet sombre sur sa peau pâle.

— Je ne rivalise pas avec vous, cependant, dit-elle simplement.

Sa voix n’avait rien de résigné. C’était une affirmation tranquille, lucide.

Elle savait ce qu’elle valait, tout comme elle savait ce qu’il était.

Il jeta un nouveau coup d’œil à sa blessure.

La même lueur d’inquiétude traversa fugacement ses traits avant qu’il ne la masque d’un air impassible.

— Tu es blessée, déclara-t-il simplement, d’une voix plus basse.

Sans réfléchir, il s’approcha d’elle, la main tendue vers son bras.

— Laisse-moi voir.

Lucy hésita à peine, puis tendit le bras.

Le tissu de son haori, déchiré, laissait entrevoir la fine entaille qui barrait sa peau.

Le sang s’était presque arrêté, mais la marque restait vive, rouge sur le blanc.

— Ce n’est rien, murmura-t-elle. J’ai déjà vu pire.

Muichiro ne répondit pas tout de suite.

Il observa la blessure attentivement, ses doigts glissant avec précaution sur le tissu fripé, sans jamais toucher la peau.

Son visage demeurait calme, mais un léger pli fronçait son front.

— …Ce n’est pas grave, dit-il enfin, d’un ton neutre mais ferme.

Il releva légèrement le menton, son regard plus sérieux.

— Mais tu devras t’en occuper.

Lucy hocha la tête, un sourire tranquille étirant ses lèvres.

Elle appréciait sa manière de parler : sans détour, sans faux-semblant.

Quand il releva enfin les yeux vers elle, son expression restait difficile à lire.

Mais quelque chose avait changé dans son regard — un éclat plus doux, presque humain, que la froideur habituelle ne parvenait pas à dissimuler.

— Tu t’es battue avec acharnement aujourd’hui, dit-il lentement. Je ne l’oublierai pas.

Lucy soutint son regard.

Une seconde passa, suspendue, comme hors du temps.

Puis elle s’inclina légèrement, un sourire sincère aux lèvres.

— Je vous remercie.

Il fut pris au dépourvu par son sourire.

Une douceur inattendue, calme et sincère, qui le désarma plus qu’il ne voulait l’admettre.

Il déglutit, la gorge sèche, et détourna les yeux, tentant de masquer l’effet que cela avait eu sur lui.

— Tu n’as pas besoin de me remercier, murmura-t-il, la voix soudainement sur la défensive.

Il scruta la clairière, mais son regard se porta instinctivement vers elle, comme attiré malgré lui.

— Fais juste… plus attention la prochaine fois.

Le ton était brusque, presque un avertissement, mais derrière lui, Muichiro savait que ce n’était pas seulement de l’inquiétude.

Lucy tourna les talons avec une démarche calme et assurée.

Muichiro, incapable de détacher les yeux d’elle, la suivit du regard tandis qu’elle s’éloignait.

— Le dîner commun est prévu dans une heure, dit-elle par-dessus son épaule. J’espère que nous aurons le plaisir de vous y voir.

Le repas commun : un moment rare où tous les Hashira se retrouvaient pour partager un instant de convivialité, loin des combats et des entraînements.

Muichiro resta planté là un instant, observant sa silhouette se fondre dans la lumière déclinante du soleil.

Il serra la poignée de son katana un instant, puis la relâcha dans un soupir.

— Ouais… murmura-t-il enfin, presque pour lui-même.

Peut-être… juste peut-être… qu’il se montrerait vraiment cette fois.

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