Cœur givré
Chapitre 15 : Adieu, Hashira de la Glace
1791 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 13/11/2025 20:38
Les yeux de Muichiro s’écarquillèrent à peine lorsqu’il entendit le murmure de Lucy — juste assez pour trahir sa surprise — mais il reprit aussitôt son masque habituel.
Il hocha imperceptiblement la tête, un geste minuscule, presque invisible… sauf pour elle.
Ses doigts effleurèrent brièvement les siens, un contact de moins d’une seconde, avant qu’il ne les retire avec prudence lorsqu’elle s’écarta de lui.
Heureusement, Doma était trop occupé à admirer la scène, les mains jointes avec ravissement.
— Oh ! Quel doux adieu ! ~ fit-il en soupirant d’aise.
— Allez, viens ! Nous avons beaucoup de travail qui nous attend !
Lucy inspira profondément, forçant sur ses muscles crispés un air mélancolique — presque résigné — avant de se relever lentement.
— Au revoir, Muichiro…, murmura-t-elle.
Elle fit un pas en arrière. Puis un autre.
Et marcha vers Doma.
Muichiro resta immobile, mais son expression vacilla.
Un instant seulement.
Une fissure dans son masque : une inquiétude glaciale, brutale, presque violente, passa dans son regard avant qu’il ne se referme aussitôt sur lui-même.
Il hocha la tête avec raideur, les poings crispés au point d’en blanchir les jointures, et détourna brièvement le regard pour ne pas trahir la tempête dans ses yeux.
Doma, lui, ne remarqua rien.
— Bon ! Ça suffit les niaiseries ! Allez, on y va ! ~ chantonna-t-il gaiement, attrapant Lucy par la manche comme un enfant impatient.
Il tira dessus avec une légèreté presque ridicule.
Lucy suivit… et réussit même à laisser glisser une larme sur sa joue.
Une larme si silencieuse, si sincère, que même le démon sembla la savourer.
Muichiro, toujours agenouillé au sol, la regarda s’éloigner dans la nuit noire.
Son visage s’assombrit.
Sa mâchoire se contracta.
Sa main trembla légèrement en direction du katana toujours au sol… mais il se retint.
Se battre maintenant serait la condamner.
— …Prends soin de toi…, souffla-t-il, si bas qu’il n’était même pas sûr que les mots aient franchi ses lèvres.
Doma sauta presque sur place, fredonnant d’un air radieux, plus léger qu’une plume.
Lucide, dangereux, et pourtant étrangement… insouciant.
Il n’avait rien remarqué.
Rien compris.
Lorsqu’ils furent suffisamment loin, lorsque les silhouettes disparurent entre les arbres et les lanternes éteintes…
Un battement d’ailes fendit le silence.
Koriha — jusque-là réfugié dans l’ombre — revint en piqué, traversa la porte béante et se posa d’un mouvement sec sur l’épaule de Muichiro.
Le jeune Hashira ne perdit plus une seconde.
Il ramassa son katana d’un geste vif, sa poigne tremblante d’une rage glacée.
Ses yeux, d’ordinaire si lointains, étaient désormais durs comme l’acier.
Sans un mot, il s’élança hors de la maison.
Koriha battait des ailes à toute vitesse à côté de lui, poussant des croassements nerveux, presque désespérés.
Muichiro courait.
Plus vite qu’il ne l’avait jamais fait.
Son souffle se condensait dans l’air nocturne, sa silhouette fendait l’obscurité.
Il priait — sans jamais le dire — qu’il ne soit pas trop tard.
Il priait pour que les autres soient encore là.
Parce que pour la première fois depuis longtemps, une peur brute lui étreignait la poitrine.
Et cette peur portait un nom :
Lucy.
(((((())))))
Muichiro franchit l’arche de la cour en trombe.
Il ne court jamais.
Jamais comme ça.
Ses pas claquent sur les dalles, nets, précipités, et Koriha s’agite furieusement à ses côtés, ouvrant ses ailes comme pour pousser le jeune Hashira à aller encore plus vite.
Son visage d’ordinaire impassible est méconnaissable.
Son souffle court.
Ses pupilles contractées.
Son expression… aiguë, presque frénétique.
Kyojuro est le premier à le voir arriver.
Il manque littéralement de s’étouffer avec sa propre salive en se retournant.
— Tokito ?! Qu’est-ce qui s’est passé ?!
Mais Muichiro ne répond pas.
Il fonce droit vers le bâtiment.
Au même moment, Koriha lâche un croassement strident, fend l’air et s’envole en direction de la salle de réunion où se trouvent encore les Hashira.
L’oiseau percute presque la porte tant il vole vite.
— CROAA !! URGENCE ! URGENCE !!
SECONDE LUNE SUPÉRIEURE !!!
Les discussions à l’intérieur cessent net.
Les Hashira — tous encore présents grâce à la réunion — se figent, puis se précipitent dehors comme un seul homme.
Leurs regards se posent sur Muichiro — haletant, livide, les poings serrés sur son katana — et une tension glacée s’abat sur toute la cour.
Giyu est le premier à parler.
— Tokito… qu’est-ce qui ne va pas ?
Muichiro s’arrête enfin, penché en avant.
Il reprend son souffle.
Son cœur bat fort.
Trop fort.
Son visage, d’ordinaire lisse comme une page blanche, est crispé par une peur si pure qu’elle ne peut pas être feinte.
Lorsqu’il parle enfin, sa voix n’a plus rien de calme :
— …C’est Lucy.
Koriha, revenu se poser sur son épaule, s’agite et croasse d’une voix hachée, agitée, stridente :
— LUNE SUPÉRIEURE DEUX !
MARCHÉ AVEC LE HASHIRA DE LA GLACE !
URGENT ! URGENT !!
Tous les Hashira relèvent brusquement la tête.
Leurs yeux s’écarquillent.
— Quoi ?! hurle Sanemi, la veine de son front prête à exploser.
— C’est quoi ce bordel ?! crache Obanaï, les yeux injectés de sang.
Kaburamaru siffle nerveusement.
Koriha continue, comme récitant un message mémorisé dans la panique :
— LUCY REJOINT LES DÉMONS
SI AUCUN MAL NE VOUS EST FAIT !!
Le silence tombe.
Pas un souffle ne bouge.
Pas un battement d’aile.
Même le vent semble se figer.
C’est Shinobu qui le brise, la voix plus grave qu’à l’accoutumée.
— Alors… elle a accepté de rejoindre ces monstres… pour nous protéger.
Sa mâchoire se contracte.
Ses poings tremblent.
Muichiro, lui, ne tremble pas.
Il explose.
— Doma l’a prise.
Maintenant.
Et nous n’avons pas le temps d’en discuter.
Un frisson glacé traverse les Hashira.
Shinobu murmure pour elle-même :
— …Doma…
Kyojuro frappe son poing dans sa paume, l’aura flamboyante, les yeux aussi ardents que des braises.
— Alors qu’est-ce qu’on attend ?!
Gyomei incline la tête, les larmes déjà aux yeux, ses mains tremblantes jointes dans une prière urgente.
Tengen affiche un sourire immobile, trop tendu pour être un vrai sourire.
Sanemi grogne, ses muscles se gonflant sous la colère.
— Ce salaud…
Il va le regretter.
Kyojuro redresse son dos de toute sa hauteur, sa voix tonnant dans la cour comme une explosion.
— Il faut bouger ! IMMÉDIATEMENT !!
Obanaï opine, son serpent dressé, tous deux tendus comme des arcs bandés.
Mitsuri tremble mais s’avance, les yeux brillants de colère et de détermination.
— Nous sommes d’accord, dit Obanaï, d’une voix glaciale.
— On part maintenant.
Un silence grave.
Puis Gyomei murmure :
— Que la lumière nous guide…
Tengen ajuste ses lames.
Shinobu prépare une dose d’antipoison.
Giyu dégaine lentement son katana, calme comme une lame d’eau glacée.
Et Muichiro…
Muichiro ferme les yeux un instant.
Pour mieux ravaler la terreur qui lui brûle la gorge.
Puis il relève la tête.
Et dans un souffle presque inaudible :
— J’arrive, Lucy…
Ainsi, les neuf Hashira se mirent en route.
Ils se déplacèrent comme un seul mouvement — rapide, précis, implacable.
Pas un mot.
Pas une hésitation.
Pas un pas superflu.
Chaque respiration n’était plus que discipline pure.
Ils filaient dans la nuit, leurs silhouettes glissantes entre les arbres comme des éclairs silencieux, se dirigeant vers la dernière position connue : la maison de Lucy.
Et en tête, ouvrant la voie avec une détermination presque palpable…
Muichiro.
((((((((((())))))))))
Lucy marchait en silence aux côtés de Doma, tandis que lui bavardait joyeusement…
Comme s’il s’agissait d’une promenade au clair de lune.
Comme si elle n’était pas en train de marcher droit vers sa propre damnation.
Il désigna la forêt d’un geste large et théâtral.
— Ah ! Regarde ce paysage ! C’est magnifique ! ~
Je suis une bien meilleure compagnie que Kokushibo, n’est-ce pas ?
Lucy ne répondit pas.
L’angoisse serrait sa poitrine tellement fort qu’elle en avait du mal à respirer.
Mais elle ne regrettait pas sa décision.
Elle l’avait faite pour eux.
Pour ses amis.
Pour gagner du temps.
Même si elle savait que… le jour où ils se recroiseraient, ils n’auraient pas d’autre choix que de la tuer.
Le sourire de Doma s’affina subtilement, une lueur presque… tendre traversant ses yeux multicolores.
— Inutile de t’encombrer de ces pensées sombres ~, susurra-t-il d’une voix presque compatissante.
Tu n’auras bientôt plus à t’en soucier !
Lucy soupira, lui lançant un regard noir.
— J’ai accepté de te suivre… pas de devenir un démon.
Doma agita la main d’un geste léger, comme on chasse une mouche agaçante.
— Oh ~ tu es si maligne, n’est-ce pas ?
Mais tu finiras par changer d’avis. Dès que tu auras goûté à l’immortalité… tu ne voudras plus jamais y renoncer.
Jamais ~
Lucy fronça les sourcils, prête à répliquer, quand soudain—
Le sol disparut sous ses pieds.
Une seconde plus tôt, elle avançait.
La suivante, elle chutait dans un abîme.
Un gouffre s’était ouvert sous elle, aspirant l’air, la lumière, le silence.
Elle chuta dans un espace entièrement différent.
La forêt disparaissait.
Le monde basculait.
Elle se retrouva suspendue au-dessus d’un univers fracturé, vertigineux :
d’immenses constructions japonaises — temples, couloirs, ponts — s’étendaient dans toutes les directions.
Les structures se tordaient, pivotaient, se renversaient comme si la gravité n’avait plus aucun sens.
Alors qu’elle tombait, ses yeux se posèrent sur Doma…
Mais lui ne tombait pas.
Il flottait un instant à hauteur de son champ de vision, comme soutenu par une force invisible.
Un rire cristallin s’échappa de ses lèvres.
— Oooh ~ j’adore ce moment !
Bienvenue dans la Forteresse Infinie ! ~
Il lui adressa un petit signe insouciant, comme si elle partait en vacances.
Puis une structure mouvante — un temple flottant aux murs inversés — glissa entre eux et Doma fut happé soudainement, disparaissant vers son propre domaine, ailleurs dans cette dimension.
Lucy, elle, chuta seule.
Tournoyant dans le vide, avalée par l’immensité du repaire de Muzan.
Isolée.
Sans repères.
Enfermée dans un labyrinthe sans fin.
Et totalement… seule.