Cœur givré
Au centre d’une vaste salle, une longue table de travail était envahie de fioles, de tubes de verre et de carnets couverts de symboles étranges. Des bocaux projetaient une lueur pâle sur les murs mouvants de la Forteresse Infinie.
Muzan était déjà là.
Debout, penché légèrement sur son bureau, vêtu d’un costume sombre parfaitement taillé, il manipulait une fiole d’un violet irisé entre ses doigts.
Le liquide changeait de couleur au rythme de ses pulsations internes — signe qu’il n’avait rien d’humain.
Il ne leva pas immédiatement la tête lorsque Nakime apparut.
Il se contenta de noter quelque chose dans un carnet ouvert, l’expression parfaitement calme, presque… scientifique.
Puis seulement, d’une voix glaciale :
— Parle.
Son regard écarlate ne la quittait pas, mais ses mains continuaient de préparer ce qui ressemblait à une nouvelle variation de son sérum :
un mélange destiné à lui permettre de résister au soleil.
Nakime prit une inspiration.
Ses doigts serrèrent légèrement son instrument.
— …Il s’agit… du démon que vous avez marqué… Lucy.
Un infime mouvement dans le regard de Muzan fit vibrer l’air autour d’eux.
Kokushibo, déjà présent dans l’ombre comme une statue, leva légèrement la tête.
Doma, lui, s’était matérialisé dans un éclat de givre, sourire étincelant au coin des lèvres, comme s’il assistait à une pièce de théâtre.
— Oooh ~ Votre petite expérience vous donne-t-elle des nouvelles ? susurra Doma en tapotant son éventail.
Nakime continua, imperturbable.
— Elle… a développé un art sanguinaire.
Muzan ne bougea pas.
Pas un muscle.
Mais la Forteresse entière vibra.
— Un art sanguinaire ? répéta-t-il, très calmement.
Nakime hocha la tête, frissonnante.
— Oui, maître. Un pouvoir jamais observé chez aucun démon auparavant.
Doma fit un petit son ravi.
— Oooh… quelle chance ! Peut-être un nouveau jouet intéressant ~ ?
Mais Kokushibo intervint, sa voix profonde résonnant comme un coup de tonnerre étouffé.
— Quel type de pouvoir… Nakime ?
Nakime garda les yeux baissés.
— …Un pouvoir de guérison, Kokushibo-sama.
Le silence se fit total.
Doma cligna des yeux.
— Pardon ?
Kokushibo resta immobile, mais un léger raidissement dans sa posture trahit son étonnement.
Muzan, lui, inclina la tête très lentement.
— Explique.
— Ses larmes, murmura Nakime, ses mains tremblant légèrement.
— Elles… soignent. Elles gèlent les blessures et les réparent. Un pouvoir lié au froid, mais… qui guérit.
Un murmure léger échappa à Doma, un son mi-amusé, mi-intrigué.
— Quel talent merveilleux… oh, j’en suis presque jaloux. Je ne le possède pas, celui-ci !
Kokushibo prit la parole à nouveau.
— Un démon… qui guérit. Cela défie notre nature même.
Nakime acquiesça.
— Exactement. Elle… commence à être plus précieuse pour eux que dangereuse.
Les yeux de Muzan se plissèrent, deux fentes écarlates prêtes à dévorer.
— Ils ont trouvé un moyen… de stabiliser sa conscience ?
— Ils… essaient, maître, répondit Nakime avec prudence.
— Et… quelqu’un l’influence fortement. Tokito Muichiro. Son lien avec lui semble… l’ancrer.
Un silence encore plus lourd s’abattit.
Doma ricana doucement.
— Oh, quelle adorable petite romance…
Il porta sa main à son cœur théâtralement.
— Comme c’est touchant ~
Le sol sous lui se fissura légèrement, réprimandé par la Forteresse elle-même.
Kokushibo fixa Muzan.
— Que décidez-vous… maître ?
Muzan se leva.
Lentement.
Très lentement.
Sa présence emplissant la salle d’une oppression suffocante.
— Un démon qui guérit… est une anomalie.
Chaque mot fit vibrer les murs.
— Ce pouvoir ne doit appartenir… à personne d’autre que moi.
Une pulsation écarlate déforma le sol sous ses pieds.
— Lucy survivra.
Un sourire atrocement lent déchira son visage.
— Jusqu’à ce que j’obtienne ce que je veux d’elle.
Son regard se tourna vers Kokushibo.
— Tu la retrouveras.
— Tu la surveilleras.
— Et tu me rapporteras chaque changement, chaque variation, chaque respiration.
Kokushibo inclina la tête sans discuter.
Doma battit des mains, ravi.
— Oooh, comme c’est excitant. Puis-je m’amuser avec elle aussi, maître ~ ?
Muzan ne daigna même pas répondre.
Nakime, toujours agenouillée, sentit la Forteresse se rétracter, la pièce se remodeler autour de la volonté de Muzan.
— La laisser entre les mains des Pourfendeurs trop longtemps… serait une erreur, murmura Muzan.
Ses yeux rouges s’illuminèrent d’une faim glaciale.
— Cette fois, je veux qu’elle revienne à moi… entière.
Une dernière pulsation résonna dans le vide.
La Forteresse Infinie retint son souffle.
La chasse venait de commencer.
)))))))))) Deux jours plus tard ((((((((((
L’atmosphère était si tendue qu’on aurait pu la trancher au tantō.
À peine Lucy eut-elle franchi le seuil que tous les regards se braquèrent sur elle.
Certains acérés — Sanemi, Obanai.
D’autres troublés de curiosité — Tengen, Mitsuri.
Et quelques-uns… inquiets — Giyu, Gyomei.
Shinobu, elle, affichait ce même petit sourire énigmatique, presque trop calme.
Lucy sentit chaque regard peser sur sa peau, comme une pression invisible.
Deux jours seulement s’étaient écoulés depuis la découverte de son pouvoir.
Deux jours… et voilà qu’on la regardait non plus comme une ancienne Hashira devenue démon, mais comme un potentiel tournant dans la guerre contre Muzan.
Muichiro resta à ses côtés, à demi en retrait, mais si proche qu’elle sentait la chaleur de son bras effleurer le sien.
Il refusait clairement de la quitter.
Sanemi fut le premier à briser le silence :
— Alors… tes larmes peuvent guérir ? grogna-t-il, les bras croisés.
Lucy sentit son ventre se nouer, mais Shinobu répondit avant elle, posée :
— Je l’ai moi-même vérifié, Shinazugawa.
La réaction fut immédiate.
— C’EST INCROYABLE !
La voix flamboyante de Kyojuro résonna dans la salle comme un coup de tonnerre.
— Un démon doté d’un pouvoir de guérison ? Du jamais vu ! Extraordinaire !!
Il rayonna littéralement — comme si le concept seul le rendait euphorique.
Giyu prit la relève, son ton coupant net l’excitation :
— Tu ne ressens aucune douleur ? Aucun effet secondaire ?
Son pragmatisme fit retomber une partie du brouhaha.
Même Gyomei tourna légèrement la tête, comme appelé par la question.
Lucy inspira, essayant de rester calme.
Elle sentait Muichiro à côté d’elle, son regard vigilant posé sur chacun des Hashira, prêt à intervenir si quelqu’un s’approchait trop près.
— Aucun effet secondaire… pour l’instant, répondit-elle d’une voix douce mais ferme.
— Mais j’ignore encore jusqu’où cet art peut aller… ou comment le maîtriser.
Elle vit les Hashira échanger des regards lourds de sens.
Dans leurs yeux, elle lut des calculs, des espoirs, des interrogations.
Et soudain—
Un choc.
Une pression dans sa poitrine.
Sourde, profonde, comme une pulsation étrangère.
Lucy se raidit imperceptiblement.
Ça recommence…
Une sensation intérieure, comme si quelque chose cognait contre sa cage thoracique.
Non…
Pas quelque chose.
Quelqu’un.
L’appel.
Lointain.
Obscur.
Froid.
Une traction invisible qui lui serre la poitrine, lui noue les entrailles.
Lucy retient son souffle sans s’en rendre compte.
Giyu poursuit, ignorant ce qui naît en elle :
— Nous devons en savoir plus sur ce nouveau pouvoir. Comprendre son étendue… et les risques qu’il comporte.
Gyomei incline lentement la tête, son chapelet vibrant entre ses doigts massifs.
— C’est sans précédent. Un démon doté du pouvoir de guérir… Il pourrait renverser le cours de la guerre contre Muzan.
Mais Lucy n’entend déjà plus.
L’appel s’intensifie.
Une pulsation dans sa cage thoracique.
Une pression derrière ses yeux.
Quelque chose qui tire, qui griffe, qui exige.
Son regard se détourne lentement, attiré malgré elle vers la porte-fenêtre.
Au loin, entre deux arbres, derrière le voile de lumière du jour… sa vision traverse l’horizon comme si elle perçait les rayons.
Les voix autour d’elle deviennent lointaines.
Un battement.
Un souffle.
Un ordre silencieux :
Viens.
Les Hashira remarquent aussitôt son changement.
Les conversations s’arrêtent d’un coup.
Le silence tombe, lourd.
Shinobu fronce les sourcils, soudain crispée.
— Lucy ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Tu vois quelque chose ?
Lucy se lève lentement — trop lentement — comme si son corps n’était plus entièrement le sien.
Muichiro est sur ses talons, une main venant aussitôt se poser sur son bras, ses doigts s’enfonçant légèrement dans sa peau froide.
Il le sent.
Il sent l’appel.
Il sent la menace.
— Lucy, murmure-t-il, la voix à peine audible.
— Reste avec moi.
Elle lutte.
Dieu qu’elle lutte.
Mais la pression dans sa poitrine se resserre comme un étau.
Et un seul mot franchit ses lèvres, étranglé, douloureux :
— …Kibutsuji…
La réaction est immédiate.
Les Hashira se figent, puis explosent en action dans la même seconde.
Les katana sortent de leur fourreau dans un souffle collectif.
Tous se mettent en position, les muscles tendus, prêts au combat.
— MUZAN ?! hurle Kyojuro, les yeux flamboyants.
— Quoi, il est ici ??
— Tch ! Ces saletés qui débarquent comme ça ?! crache Sanemi, les veines saillant sur ses tempes.
Shinobu, elle, ne crie pas.
Elle ne bouge presque pas.
Mais son visage se durcit, déformé par une rage glaciale qu’elle ne montre presque jamais.
Ses doigts, crispés, frôlent la poignée de sa lame empoisonnée.
Obanai siffle entre ses dents. Kaburamaru se love autour de son cou, prêt à bondir.
Même Gyomei, pourtant aveugle, tourne la tête dans leur direction — il sent la menace.
Mitsuri tremble, les yeux humides de peur et d’inquiétude.
Et au centre…
Muichiro resserre son emprise sur Lucy.
Il la tire contre lui, son bras glissant autour de sa taille, son autre main se posant sur son katana.
Son regard — habituellement distant — devient acéré comme une lame fraîchement forgée.
Il sent l’aura de Muzan.
Ou quelque chose qui lui ressemble.
Il la sent s’insinuer en Lucy comme une main invisible qui essaie de la saisir.
— Il te veut… souffle-t-il, le visage fermé.
— Je ne le laisserai pas.
Lucy tremble.
Son souffle se coupe.
L’appel tire un peu plus fort, presque comme une douleur vive au centre de sa poitrine.
La confrontation couvait depuis trop longtemps.
Beaucoup trop longtemps.
Tengen lève la main, un geste large, presque désinvolte.
— Hey, hey ! Calmez-vous tous !
Tous se tournent vers lui avec un mélange d’agacement et de tension.
Tengen soupire et pointe le ciel du doigt.
— On est en plein jour.
— Impossible que ce trouillard soit dehors.
Mais Lucy…
elle n’entend presque plus.
Elle lutte.
Elle lutte à s’en rompre la colonne.
À s’en déchirer la gorge.
Dans sa poitrine, l’appel se tord, se distord…
et devient quelque chose de plus sombre.
Une rage.
Une colère brûlante, glacée, féroce.
Hors de question de devenir sa marionnette.
Il ne l’aura pas.
Il ne l’aura jamais.
Plutôt mourir.
Un grondement profond lui échappe — guttural, animal, enragé.
Les Hashira se raidissent tous à l’unisson.
Ce son…
Ce son n’avait rien d’humain.
Shinobu serre sa lame jusqu’à blanchir les phalanges.
Obanai se fige, Kaburamaru hérissé autour de son cou.
Mitsuri retient son souffle, les yeux pleins d’angoisse.
Sanemi gronde, prêt à bondir.
Gyomei incline la tête, percevant la vibration infernale dans l’air.
Ils sentent l’affrontement intérieur.
La guerre dévastatrice qui griffe l’âme de Lucy.
Comme si deux forces colossales se battaient dans son corps.
Shinobu tente, malgré la tension qui lui raidit la voix :
— Du calme, Lucy… reste avec nous…
Tengen, lui, adopte un ton plus dur, presque militaire :
— Ce salaud essaie de te contrôler à distance.
Ne cède pas !
Muichiro, quant à lui, s’est rapproché d’elle comme un réflexe vital.
Ses doigts effleurent son poignet, cherchant un contact, un ancrage.
— Je suis là, Lucy.
— Regarde-moi. Tu es ici.
Mais elle n’entend plus rien.
Sa tête se relève d’un coup sec.
Des crocs acérés brillent dans sa bouche.
Ses veines noircissent le long de sa gorge.
Son regard — sombre, fracturé — est fixé vers le vide.
Pas sur quelqu’un.
Pas sur quelque chose.
Sur lui.
Sur cette voix intérieure, cette ombre dans son crâne.
Et elle parle.
Non pas à eux.
Pas même à elle-même.
À Muzan.
Sa voix se brise presque, chargée d’une fureur glaciale :
— Tu n’y arriveras pas…
Les Hashira retiennent leur souffle.
Lucy continue, d’une voix basse, vibrante de haine :
— Je suis hors de ton contrôle.
Son souffle devient froid.
Glacial.
Ses yeux brillent d’un éclat inhumain.
Elle serre les dents, ses crocs dépassant de ses lèvres, et laisse tomber une promesse plus tranchante qu’un katana :
— Je jure que je t’arracherai la tête moi-même…
— …et que je te traînerai au soleil par la peau du cou.
Un frisson parcourut toute la salle.
Même Sanemi, qui d’habitude ricane face à la menace, avale difficilement sa salive.
Tengen écarquille les yeux, presque impressionné malgré lui.
— …Eh bah. Même moi je ne parle pas comme ça à un supérieur hiérarchique.
))))))))))((((((((((
Dans sa forteresse, le silence se fissure.
Muzan relève lentement la tête.
Ses yeux — deux fentes écarlates — se plissent en une expression de fureur inhumaine, glacée, vibrante d’une puissance qui ferait trembler les fondations du monde.
Une veine palpite sur sa tempe.
Nakime, immobile derrière son biwa, n’ose même pas respirer.
Sa voix s’élève enfin.
Une voix qui n’a rien d’humain.
Un murmure qui résonne directement dans le sang démoniaque du monde entier.
— Tu t’oublies, petite traitresse…
Le ton est doux.
Et c’est précisément cela qui glace l’air.
— Tu étais à moi avant même qu’ils ne te touchent.
Derrière lui, Doma rit.
Un rire clair, joyeux, démentiel — comme un enfant qui applaudit devant un spectacle lumineux.
— Ooh, quel délice ! Maître Muzan, elle a osé vous défier ! J’en ai des frissons partout !
Il bat des mains, euphorique.
))))))))))((((((((((
La menace traverse les veines de Lucy comme un éclair noir.
Une onde de terreur mêlée à la colère.
Un grondement ancien dans sa chair.
Une injonction surnaturelle qui lui hurle de plier, d’obéir, de ramper.
Mais quelque chose se brise en elle.
Elle ne cède pas.
Elle se redresse d’un coup, comme si la rage la tirait par les côtes.
Un pas en avant — trop près de la lumière.
Un pas dangereux.
Sa peau, au bord du soleil filtré, se met à crépiter comme de la porcelaine chauffée.
Muichiro la rattrape instinctivement par le poignet.
— Lucy !
Mais elle ne l’entend pas.
Quelque chose éclate à l’intérieur.
Ses doigts tremblent.
Puis…
Ils se cristallisent.
Littéralement.
Un froid intense, surnaturel, jaillit de son avant-bras.
Des lignes de givre serpentent le long de ses doigts.
Et en un souffle —
SHHHHKK— !
De longs pics de glace se forment.
Aigus.
Transparents.
Mortels.
Comme des griffes faites d’hiver pur.
Les Hashira reculent d’un demi-pas, tous en même temps.
Même Sanemi écarquille brièvement les yeux.
— Hé ! On se calme ! siffle Tengen.
Mais Lucy ne voit plus personne.
Muzan a dit « à moi ».
Et ce mot, ce seul mot…
réveille en elle une rage ancienne, grondante, indomptable.
La haine.
La sienne.
Pas celle de Muzan.
Le vent se coupe.
Son bras se tend.
Et sans réfléchir, sans mesurer, sans comprendre…
Elle lance ses pics de glace.
WHOOM— !
Ils fendent l’air à une vitesse aveuglante.
Comètes glacées.
Criantes de mort.
Pas vers quelqu’un.
Mais vers l’extérieur — là où elle perçoit l’appel.
Là où elle imagine Muzan.
Les lames givrées transpercent la fenêtre dans un fracas étourdissant.
CRAAAAASH— !
Elles brisent les vitres, éclatent les cadres en bois, explosent dans le vent.
Puis dehors :
SHHK— !
SHHK— !
SHHK— !
Les pics transpercent plusieurs arbres d’un côté à l’autre.
Leurs troncs éclatent sous l’impact.
Des feuilles tombent comme des larmes.
Les projectiles finissent par s’enfoncer profondément dans un tronc massif, s’y fichant comme des flèches d’argent.
Plus de bruit.
Juste le vent.
Les feuilles tremblantes.
Le craquement du bois fendu.
Et l’écho sourd de la puissance qu’elle vient de libérer.
Les Hashira la regardent.
Tous.
En silence.
Partagés entre stupeur, peur et… respect.
Lucy tremble.
Le givre fond lentement sur sa peau.
Elle inspire, haletante…
et l’appel s’éloigne enfin d’elle.
Mais avant qu’elle puisse s’effondrer, Muichiro la saisit par les épaules.
— Lucy… Lucy regarde-moi !
Elle cligne des yeux.
Et comprend ce qu’elle vient de faire.
))))))))))((((((((((
Un silence coupant, atroce, tombe d’un seul bloc.
Puis la réaction arrive.
Pas un cri.
Pas une explosion immédiate.
Non.
D’abord…
Un tremblement.
Infime.
Presque imperceptible.
Puis une veine sur la tempe de Muzan gonfle.
Juste une.
Sa main, qui tenait un flacon de liquide translucide, se crispe si fort que le verre éclate entre ses doigts.
Le liquide s’évapore avant même de toucher le sol.
Nakime retient un souffle qui n’ose pas exister.
Doma cesse de sourire.
Pour la première fois.
Son expression se fige, figée comme une statue de glace craquelée.
Car Muzan…
Se transforme.
Littéralement.
Son aura se déploie comme une vague écrasante, suffocante, si lourde que chaque pilier de la forteresse tremble.
Les murs se contractent.
Le sol gémit.
La dimension elle-même semble vouloir fuir.
Puis la voix tombe.
Une seule phrase.
Une seule goutte de poison dans un océan de rage.
— Comment ose-t-elle ?
Sa voix est calme.
Trop calme.
Un calme qui annonce la destruction.
Les veines sur son visage deviennent d’un noir abyssal, palpant à la surface de sa peau comme des serpents vivants.
Il avance.
Un seul pas.
Le sol se fissure sous son pied.
Nakime baisse brusquement la tête, les épaules tremblant.
Doma déglutit… puis force un sourire, nerveux.
— Maître Muzan… peut-être que… elle n’a pas fait exprès ? Ce n’était qu’un—
La main de Muzan attrape son visage sans même bouger de place.
L’espace se distord.
En un clignement d’œil, Doma est écrasé contre la paroi, la mâchoire serrée dans la poigne de Muzan.
— Tu oses parler en sa faveur ?
Les yeux de Muzan brûlent d’un rouge démentiel.
Doma gémit dans un sourire crispé.
— J-Je ne ferais jamais ça ! Hahaha— j’aime seulement regarder les drames, vous savez ! C’est divertissant, c’est… c’est— hrrk—
Muzan serre davantage.
Puis le relâche, le laissant s’effondrer comme une poupée de chiffon.
Doma tremble.
— Nakime.
La voix de Muzan coupe l’air comme une lame.
— Montre-là moi. Maintenant.
Nakime frappe la corde de son biwa.
Une fenêtre dimensionnelle se forme dans l’air, dévoilant Lucy dans la salle des Hashira, encore haletante, entourée de glace et de regards en alerte.
Muichiro la protège comme si sa vie en dépendait.
Muzan observe.
Longuement.
Son expression reste d’abord impassible.
Puis…
Une distorsion passe sur son visage.
Pas de la colère.
Pas de la haine.
De l’humiliation.
Lucy vient de lui désobéir.
Pas une fois.
Pas maladroitement.
Elle vient de le mépriser.
De le défier.
De le menacer.
Et surtout…
Elle a utilisé un art sanguinaire inédit.
Un art qu’il n’a pas donné.
Qu’il ne contrôle pas.
Qui lui échappe.
Alors Muzan éclate.
Pas en cris.
En pouvoir.
L’air se compresse.
Le sol se soulève.
La forteresse entière grogne.
Puis Muzan hurle.
Un hurlement si monstrueux, si primitif, si saturé de rage pure qu’il semble déchirer la dimension elle-même.
— QUI PENSE-T-ELLE ÊTRE ?!
La forteresse explose presque sous l’onde de choc.
Des fissures noirâtres se forment dans l’espace autour de lui, comme si la réalité se brisait sous sa fureur.
Il montre Lucy du doigt.
Un doigt tremblant de haine.
— Elle m’appartient.
— Elle est mon œuvre.
— Ma création.
— Mon sang coule dans ses veines !
Doma, recroquevillé, hoche frénétiquement la tête.
Muzan murmure alors…
un murmure plus terrifiant encore que ses cris.
— Qu’elle m’échappe…
— Qu’elle ose me défier…
— Qu’elle me promette la mort…
Ses yeux deviennent deux braises dévorantes.
Sa voix tombe, glaciale.
— Je l’écraserai.
Je la briserai.
Je la reprendrai.
Il se tourne vers Nakime.
— Localise-la.
— Observe ses pouvoirs.
— Analyse-les.
— Et quand elle sera vulnérable… préviens-moi.
Puis, avec une lenteur terrible, il conclut :
— Je veux la récupérer vivante.
Pour la punir moi-même.