Cœur givré

Chapitre 27 : Larme de givre

2784 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 27/11/2025 18:31

(Bonjour à tous ! Aujourd'hui, un petit et doux chapitre, parce que c'est mon anniversaire, alors je veux vous faire ce cadeau. Bonne lecture à tous !)

La pluie tombait sur le manoir comme un rideau de larmes.

Fine d’abord, puis plus lourde, plus dense — jusqu’à s’abattre en torrents contre les tuiles et les murs, comme si le ciel lui-même pleurait quelque chose qu’il ne savait pas dire.

Dehors, le vent hurlait.

On aurait juré qu’il frappait aux volets pour entrer.

Et pourtant, dans la petite chambre où reposait Lucy…

tout était calme.

Un calme absolu.

Feutré.

Protecteur.

Les crevasses et les fissures qui marquaient sa peau avaient disparu.

Sa chair, encore pâle, s’était régénérée en silence — comme si le sommeil l’avait enveloppée et réparée avec un soin délicat.

Lucy ouvrit lentement les yeux.

La première chose qu’elle perçut fut la très faible ligne de lumière qui s’infiltrait entre deux lattes des volets fermés.

Un trait pâle, presque timide, qui effleurait le tatami.

La deuxième fut le son.

Le vent qui giflait les panneaux de bois.

La pluie qui martelait les murs.

Le tonnerre lointain qui grondait comme une bête endormie.

Elle inspira.

Puis se redressa lentement, les gestes encore engourdis, comme si un voile cotonneux retenait chaque mouvement.

Sa main monta instinctivement à son visage, son épaule, effleurant sa peau — là où Sanemi l’avait blessée, là où la lumière du soleil l’avait brûlée.

Mais elle ne sentit plus rien.

Juste la froideur familière de son épiderme.

Elle cligna des yeux et tourna enfin la tête pour observer la pièce.

Et la surprise l’envahit.

La chambre n’était plus la même.

Des meubles avaient été ajoutés :

un petit guéridon en bois clair, une étagère basse avec quelques provisions et du linge impeccablement plié, un coussin de méditation posé près du mur.

Mais surtout…

Il y avait des détails.

Des choses inutiles, mais précieuses.

Une lanterne en papier, à la lumière douce.

Un vase rempli de fleurs fraîches.

Un rideau léger suspendu devant la porte.

Une plante grimpante dans un petit pot de terre vernissée.

Des petites décorations aux motifs floraux accrochées sur un mur.

C’était beau.

C’était chaleureux.

C’était… fait avec attention.

Lucy resta immobile, abasourdie.

Combien de temps avait-elle dormi ?

Qui avait fait tout cela ?

Qui avait pris le temps de transformer cette chambre en un endroit accueillant, apaisant… presque familial ?

Un souffle tremblant lui échappa, sans qu’elle s’en rende compte.

Quelqu’un avait veillé sur elle. Et ce quelqu’un…

Elle n’eut pas le temps de s’y attarder.

Un son attira son attention :

des pas légers dans le couloir, puis le froissement discret d’un tissu.

La porte coulissa lentement, dans un léger grincement.

Muichiro se tenait sur le seuil.

Son visage — habituellement impassible — se déforma sous un soulagement si immense qu’il en parut presque douloureux.

— Tu es réveillée… souffle-t-il, la voix étranglée.

— Dieux merci…

Lucy cligna des yeux, encore engourdie, et frotta doucement un œil de sa main pâle.

— J’ai dormi longtemps ?

Il entra, referma la porte derrière lui et resta un moment appuyé contre elle, comme s’il avait besoin d’un support pour tenir debout.

Même dans la pénombre de la pièce, elle vit ses traits tirés, ses épaules affaissées, les ombres sous ses yeux.

Il avait l’air… épuisé.

Mais pas seulement physiquement.

— …Deux semaines, murmure-t-il.

Son regard ne la quittait pas.

— Tu as dormi deux semaines.

Lucy se figea.

— Deux semaines ??

Il hocha lentement la tête, puis se détacha de la porte.

Le moindre mouvement semblait lui coûter.

Il s’avança vers le futon avec cette raideur particulière des corps abîmés.

Il s’assit à ses côtés, avec une extrême délicatesse, comme si un faux mouvement pouvait la blesser.

Sa main vint se poser sur sa cuisse — légère, rassurante.

— Oui, répondit-il simplement.

— Tu en avais besoin.

Elle l’observa un instant, puis son regard glissa sur sa posture trop droit, sa respiration un peu trop courte, ses gestes un peu trop prudents.

— Et toi ? demanda-t-elle doucement.

— Tu n’as pas l’air d’aller bien…

Il détourna légèrement les yeux, comme s’il hésitait à mentir.

Puis il tenta de se redresser, pour lui prouver le contraire.

Ses épaules se contractèrent.

Sa respiration se coupa un instant.

Et il s’affaissa de nouveau, comme si son corps refusait de tenir plus longtemps.

— Juste… un peu courbaturé, admit-il dans un souffle.

— Te gérer a été plus difficile que prévu.

Ses doigts frémirent là où ils reposaient sur sa jambe — un tic nerveux, comme s’il voulait en dire davantage.

Mais il se retint.

Le silence qui suivit avait un poids.

Non pas lourd…

mais révélateur.

Lucy sentit son cœur se serrer.

— … Il n’y a pas que ça, hein ? souffla-t-elle.

— Je t’ai blessé… n’est-ce pas ?

Le corps de Muichiro se crispa, très légèrement.

Juste assez pour qu’elle comprenne.

Juste assez pour trahir ce qu’il essayait de masquer.

Une lueur passa dans ses yeux : de la douleur… puis une acceptation tranquille.

Il prit une lente inspiration, comme pour avaler son orgueil, ses peurs, ses doutes.

— Ce n’est pas… commença-t-il.

Mais il s’interrompit.

Laissa tomber ses épaules.

Ses mains se fermèrent en poings sur le futon, puis se détendirent.

Quand il reprit la parole, sa voix était plus douce.

Presque tendre.

— …Oui. Tu l’as fait.

Mais il ne bougea pas sa main de sa cuisse.

Il ne se recula pas.

Il ne détourna pas son regard.

D’un mouvement brusque, elle se penche vers lui, les deux mains posées sur le tatami, se rapprochant si vite que Muichiro sursaute légèrement.

— Qu’est-ce que je t’ai fait ??

Sa voix tremble.

— Montre-moi !

Muichiro recule d’un réflexe nerveux, les mains levées comme pour se protéger… puis il les abaisse aussitôt en réalisant que ce n’est que Lucy.

Que c’est elle.

Pas le démon.

Pas le danger.

Juste elle.

Il reste figé un instant, partagé entre honte, réticence, et cette volonté d’être honnête avec elle.

Alors, lentement, presque à contrecœur, il glisse ses doigts sur le haut de son uniforme.

Bouton après bouton.

Il ouvre le tissu.

Le tissu tombe légèrement sur ses épaules.

Et Lucy voit.

Son souffle se coupe.

De larges ecchymoses marbrent un côté de son cou, sa clavicule, descendant en traces violacées jusqu’au haut de sa poitrine.

Ses épaules, encore bandées, portent les marques des griffes qu’elle avait plantées en lui.

Certaines plaies cicatrisent encore, rosées, fragiles.

Muichiro baisse les yeux, la voix douce mais résolue :

— Tu ne l’as pas fait exprès.

— Ce n’était pas de ta faute.

Mais Lucy blêmit instantanément.

Sa main monte d’elle-même pour couvrir ses lèvres — un geste silencieux, instinctif, horrifié.

— …non…

Sa voix n’est qu’un souffle étranglé.

Elle réalise.

C’était lorsqu’elle l’avait plaqué au sol.

Quand elle avait perdu le contrôle.

Quand ses griffes s’étaient enfoncées dans sa peau fragile sans qu’elle ne s’en rende compte.

Ses yeux s’embuent.

Une panique froide grimpe le long de sa gorge.

— Muichiro… murmure-t-elle, la voix brisée.

Le jeune Hashira ne détourne toujours pas les yeux.

Il la laisse voir.

Les ecchymoses.

Les marques.

Les blessures qu’elle lui a infligées sans le vouloir.

Mais jamais — pas un instant — son regard ne se durcit.

Aucune colère.

Aucune peur.

Seulement cette douceur triste, tranquille… qui lui serre le cœur encore plus fort.

— Tout va bien, souffle-t-il.

Il tend lentement la main et recouvre l’une des siennes, ses doigts froids sous la chaleur des siens.

Sa paume se referme doucement autour de ses doigts pour les empêcher de trembler.

— Tu ne l’as pas fait exprès.

Sa main serre la sienne, juste assez pour la ramener vers lui, pour l’ancrer.

Lucy déglutit, mais sa gorge est nouée.

— Je… je suis désolée… souffle-t-elle, les larmes montant à une vitesse effrayante.

Elle avait juré.

JURÉ de ne jamais le blesser.

Jamais.

Et pourtant…

Il n’y avait pas un démon dans ce monde qui avait osé le marquer ainsi.

Mais elle, elle l’avait fait.

La honte la dévore.

Muichiro remarque immédiatement les larmes qui perlent à ses yeux.

Et sans même réfléchir, il l’attire doucement contre lui.

Ses bras se referment autour d’elle, l’enveloppant d’une chaleur rassurante.

Sa main glisse lentement dans son dos, traçant un geste apaisant qu’il répète encore et encore.

— Hé… murmure-t-il tout près de son oreille, sa voix douce comme un souffle.

— Tu dois arrêter de t’excuser.

Il resserre un peu l’étreinte.

— Ce n’était pas ta faute. Tu étais hors de contrôle. Tu ne savais pas ce que tu faisais. Alors… ne t’en veux pas. S’il te plaît.

Lucy sanglote déjà contre lui.

Elle enfouit son visage dans son cou, secouée de culpabilité, hochant la tête même si une part d’elle refuse de le croire.

Elle se détache légèrement… juste assez pour lever les yeux vers lui.

Puis, dans un geste instinctif, tendre, presque enfantin —

elle se penche.

Ses lèvres effleurent les ecchymoses sur son cou.

Un baiser léger, fragile, comme pour effacer ce qu’elle avait fait.

Comme un baiser magique.

Et là…

Une larme glisse de sa joue

tombe sur sa peau meurtrie

et touche une des marques violacées.

La réaction est immédiate.

Un frisson.

Une lumière pâle.

Puis un souffle de froid.

Une fine particule de givre se déploie doucement sur l’ecchymose.

Non douloureuse.

Légère comme une plume.

Elle scintille un instant, avant de s’étendre délicatement — uniquement sur les zones blessées — comme un baume apaisant.

Muichiro tressaille.

Pas de douleur.

Plutôt une fraîcheur douce, étrange… réconfortante.

Lucy, elle, sursaute violemment.

Elle recule d’un bond, la main pressée contre sa bouche, les yeux écarquillés par la panique.

— Oh non… non non non—

— Muichiro, j’ai… j’ai fait quoi ?! Je suis désolée ! Je suis désolée !!

Elle tremble, persuadée d’avoir empiré son état.

Mais sur la peau de Muichiro…

Les ecchymoses commencent déjà à s’éclaircir.

La peau violacée se décolore sous ses yeux, lentement… puis plus vite.

Muichiro laisse échapper un léger souffle, presque un soupir surpris.

Une sensation fraîche parcourt sa nuque — pas désagréable, pas douloureuse.

Juste… étrange.

Apaisante.

Ses yeux s’écarquillent un peu lorsque ses doigts touchent doucement la zone où la larme de Lucy a glissé.

Le froid qui y demeure est délicat, comme un givre d'hiver juste formé.

— Tes larmes… peuvent guérir ? murmure-t-il, la voix basse, étonnée.

Il relève les yeux vers elle, réellement déconcerté.

— Depuis quand ?

Lucy reste immobile, figée, la main encore pressée contre sa bouche.

Son cœur rate un battement.

Elle baisse lentement les yeux vers sa main et s’essuie les joues d’un revers tremblant.

Une fine poussière de givre y scintille encore.

— …Quoi… murmure-t-elle, abasourdie.

Elle tourne sa main comme si elle cherchait une explication gravée sur sa peau.

— Comment… comment j’ai fait ça ?

Muichiro ne répond pas tout de suite.

Son regard glisse de sa main à son cou guéri, puis de nouveau à elle.

Il est fasciné.

Complètement.

— Je… je ne sais pas, avoue-t-il, sincère.

Il fronce légèrement les sourcils, concentré.

— Je n’ai jamais entendu dire que les larmes d’un démon pouvaient guérir…

Une hésitation.

— …ou alors j’ai oublié. Mais ce que tu as fait… c’était réel.

Doucement, comme s’il craignait de briser un sort fragile, il effleure de ses doigts l’endroit où l’hématome se trouvait.

La peau est parfaitement lisse.

Chaud-froid.

Vivante.

Plus aucune trace de violence.

Une petite lueur fascinée passe dans ses yeux — lueurs qu’il ne montre presque jamais.

Il ne sait pas ce que ça signifie.

Elle non plus.

Mais dans ce moment suspendu, dans cette petite magie inattendue…

…une chose est sûre :

Ce pouvoir est beau.

Lucy reste immobile, les mains tremblantes devant elle, comme si elles appartenaient à quelqu’un d’autre.

La réalisation s’infiltre lentement dans son esprit, d’abord comme un murmure…

Puis comme une évidence.

— Ce… ce doit être un pouvoir démoniaque.

Sa voix tremble légèrement.

— Mon souffle… il s’est transformé en pouvoir sanguinaire avec moi.

Elle n’ose même pas respirer.

Muichiro, lui, la fixe sans ciller.

Les mots mettent une seconde à percuter — juste une seconde.

Puis ses lèvres s’entrouvrent, une lueur étonnée traversant son regard.

Bien sûr que ça fait sens.

Bien sûr que ses capacités ont muté avec elle.

Bien sûr que quelque chose d’aussi unique pouvait exister en elle.

Mais jamais il n’aurait imaginé… ça.

— Un art sanguinaire qui guérit au lieu de nuire… murmure-t-il avec un souffle presque admiratif.

Il incline légèrement la tête, comme fasciné malgré lui.

— C’est incroyable.

Lucy relève brusquement les yeux vers lui.

De l’espoir.

Un espoir timide, fragile… mais brûlant.

Un espoir qu’elle croyait ne plus jamais ressentir.

Elle pensait avoir tout perdu.

Sa place.

Son humanité.

Sa raison d’être.

Et pourtant… ce pouvoir…

Cette étincelle de lumière née de sa propre souffrance…

Peut-être qu’elle pouvait encore…

servir à quelque chose.

Être utile.

Être plus qu’un danger.

Être plus qu’un fardeau.

Muichiro le voit.

Cette petite flamme d’espoir qui renaît dans ses yeux.

Cette lueur fragile mais vivante, bien plus éclatante que toutes les blessures qu’elle porte encore.

Cela suffit à élargir le sien.

Il esquisse un sourire — doux, sincère — et lui serre la main, son pouce effleurant sa peau dans un geste qui signifie je suis là.

Son regard accroche le sien sans trembler.

— Tu vois ? murmure-t-il, la voix d’une tendresse rare.

— Tes nouvelles capacités sont incroyables. Tu peux faire tellement de choses maintenant.

Lucy sent son cœur se serrer.

Son sourire se fait timide, tremblant… puis plus assuré lorsqu’elle croise son regard.

Et soudain —

sans réfléchir, sans se censurer, sans même se l’autoriser —

elle saisit son visage entre ses mains.

Muichiro n’a même pas le temps de cligner des yeux.

Elle l’embrasse.

Un baiser franc, spontané, emporté par l’émotion.

Elle se penche si vite qu’ils basculent ensemble.

THUMP—

Il tombe à la renverse avec elle, le dos contre le tatami.

Un petit souffle surpris lui échappe, presque un gémissement étouffé.

Ses mains se crispent un instant dans le tissu du futon, son cœur bondit dans sa poitrine.

Puis…

Il fond.

Vraiment.

Ses doigts se glissent instinctivement contre sa taille, la ramenant contre lui comme si son corps avait agi avant sa tête.

Un frisson parcourt son dos, et il ferme les yeux, se laissant emporter par la douceur brutale de son geste.

Lorsqu’elle rompt le baiser, ses lèvres restent à un souffle des siennes.

Leur respiration se mêle.

Le silence devient électrique.

Muichiro rouvre les yeux, encore écarquillés, les joues roses, l’air totalement abasourdi.

— Je… euh… tu…

Il se racle la gorge, complètement perdu.

— C’était… inattendu.

Lucy sourit, émue, rougissante, mais son regard brille d’une chaleur nouvelle.

Une chaleur qui lui murmure :

peut-être que tout ira bien.

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