Cœur givré
Une bourrasque.
Un pas brutal.
Un sifflement de lame.
SHLACK— !
La douleur explosa dans l’épaule de Lucy avant même qu’elle ne comprenne.
La violence du choc la projeta en arrière, arrachant ses griffes des épaules de Muichiro.
Elle heurta le sol dans un grognement rauque — un son arraché, guttural, mêlé de douleur et d’instinct.
Muichiro se redressa d’un bond — trop vite — son propre sang coulant encore de ses plaies ouvertes.
— NON !
Sa voix claqua dans l’air, brute, affolée.
Sanemi se tenait entre eux.
Son katana encore planté dans l’épaule de Lucy.
Sa main libre la retenait comme on maîtrise un animal blessé.
Son regard était glacé, furieux… mais pas vide.
Il y avait de la panique au fond.
— Bouge pas, démon, siffla-t-il.
Sa voix débordait d’une colère contrôlée, celle qu’on adopte lorsqu’on frappe pour protéger, pas pour punir.
— Je t’ai prévenue. Au moindre écart, je te tue.
Il appuya sur la lame.
— Je SAVAIS que ça arriverait.
Lucy hurla.
Pas un cri de bête.
Un cri de douleur.
Pur. Brutal.
Elle se débattit… mais sans jamais frapper.
Ses mains tentaient d’attraper la lame, de s’écarter de la brûlure, mais jamais de l’attaquer.
Son corps tremblait, ses yeux sombres vacillaient — affamés, perdus, humains encore.
Sanemi ne vit rien de tout ça.
Ou plutôt… il refusa de le voir.
Dans un mouvement sec, il arracha son katana de sa chair, prêt à frapper une seconde fois.
Lucy s’effondra à genoux, la main pressée contre la plaie ouverte.
Un gémissement étouffé, fragile, s’échappa de sa gorge.
Muichiro, lui, ne réfléchit pas.
Il n’y eut pas de pause.
Pas d’hésitation.
Pas de peur.
Un battement de cœur —
et il franchit la distance.
Il surgit entre Sanemi et elle, les bras écartés, le corps tendu comme un bouclier humain.
— ARRÊTE !
Sa voix se brisa dans l’air froid du matin.
Sanemi haussa un sourcil — surpris de l’intensité.
— Tokito, dégage, ordonna-t-il, la mâchoire serrée.
— Elle va te bouffer vivant.
— Non !
Muichiro secoua la tête, les yeux brillants de certitude.
— Elle… elle m’a reconnu. Tu n’as rien vu !
Il posa sa main contre sa poitrine, le souffle tremblant.
— Elle luttait !
— Elle est encore là !
Sanemi ne bougea pas — mais son expression se durcit.
— Elle était sur toi, crocs sortis, prête à te dévorer.
Il planta son regard dans celui du garçon.
— C’est tout ce que j’ai besoin de savoir.
Muichiro fit un pas.
Un seul.
Mais un pas qui disait :
“Je ne reculerai plus.”
— Ne la touche pas.
— Ou je t’en empêche.
Le silence tomba.
Un silence si dense que même les oiseaux se turent.
Sanemi fixa Muichiro.
Longuement.
Comme s’il cherchait à savoir jusqu’où le gamin était prêt à aller.
Et derrière eux…
Lucy, tremblante, toujours à genoux, releva légèrement la tête.
Ses yeux avaient repris un éclat.
Un éclat humain.
Sanemi soupira — un son lourd, contrarié, presque… las.
Sans un mot, il contourna Muichiro.
— Sanemi ! cria celui-ci, horrifié.
Mais Sanemi n’était pas là pour la tuer.
Il attrapa Lucy par le bras.
Elle sursauta et se débattit violemment par réflexe — un grognement de douleur lui échappa.
Sa peau se fissurait encore sous les rayons naissants du soleil.
Muichiro ouvrit la bouche — prêt à hurler, à supplier, à se jeter sur eux —
mais Sanemi agit avant qu’il n’ait le temps de dire le moindre mot.
Il pivota.
Le geste fut rapide, net, maîtrisé.
THWACK— !
Sa main ouverte frappa d’un coup sec juste sous la mâchoire de Lucy.
Un point vital.
Une technique conçue pour neutraliser un démon sans le décapiter.
Les yeux de Lucy se révulsèrent.
Son corps s’affaissa, soudain éteint, privé de toute tension.
Elle s’évanouit instantanément.
Sanemi la rattrapa à une main, évitant qu’elle ne heurte le sol trop violemment.
Puis il la souleva comme un poids plume, son expression redevenue froide.
— On la ramène. Maintenant. Lança-t-il sans regarder Muichiro.
))))))))))((((((((((
Sous haute surveillance, Lucy avait été ramenée au Manoir des Papillons.
Shinobu, les traits inhabituellement fermes, avait exigé qu’on la couche immédiatement dans sa chambre, sur son futon, à l’abri de la lumière.
On l’avait bordée, immobilisée autant pour la protéger que pour éviter qu’elle ne se réveille en pleine panique.
Dans le calme artificiel de la pièce, seule sa respiration faible et irrégulière troublait le silence.
À peine quelques heures plus tard, les corbeaux croassèrent l’alerte à travers la région.
Le message était clair :
« Incident avec Lucy — réunion impérative au Quartier Général ! »
Le lendemain à l’aube, les Hashira se tenaient déjà rassemblés dans la grande salle du domaine.
Une tension lourde flottait dans l’air, presque électrique.
Tous attendaient la même chose.
Muichiro.
Le jeune Hashira de la Brume se tenait droit au centre de la pièce.
D’un calme surprenant malgré l’épuisement évident qui tirait ses traits.
Son épaule bandée, ses vêtements froissés, des éraflures sur les bras… mais son regard restait clair. Ancré. Inébranlable.
Quand il parla, sa voix était douce, mais ferme — d’une fermeté inhabituelle, même pour lui.
Son rapport fut bref.
Strict.
Net.
Mais chaque mot portait un poids qui fit vibrer la salle d’une pudeur silencieuse.
Il ne minimisa rien.
Ne détourna rien.
Ne chercha ni excuse, ni justification.
Il assuma.
Tout.
Lorsqu’il eut terminé, un long silence étira l’assemblée.
Les Hashira échangèrent des regards lourds : certains soupirèrent discrètement, d’autres pincèrent les lèvres…
Mais aucun ne sembla réellement surpris.
Shinobu est la première à rompre le silence avec un petit sourire énigmatique :
— Elle a tenu jusqu’à présent… et elle s’est arrêtée d’elle-même.
Elle incline légèrement la tête.
— C’est déjà plus que ce dont la plupart des démons sont capables.
Gyomei incline lentement la tête, les mains jointes, son chapelet vibrant doucement entre ses doigts massifs.
— La tentation était grande… et pourtant, son cœur a résisté.
Une larme roule sur sa joue.
— Nous nous sommes fait une promesse.
Mais Sanemi explose presque aussitôt, son regard d’acier braqué sur Muichiro — puis sur les autres.
— Vous PLAISANTEZ ?!
Son ton claque comme un fouet.
— Je l’ai VUE penchée sur lui ! Elle allait le dévorer ! Elle est dangereuse !
Il frappe du poing contre sa propre cuisse, incapable de contenir son exaspération.
— Elle a failli perdre le contrôle en plein village ! Et vous voulez juste— QUOI ? — l’excuser ?
Muichiro lève enfin les yeux vers lui.
Il ne crie pas.
Il ne tremble pas.
Il ne s’énerve pas.
Mais son regard est froid.
Très froid.
— Elle m’a reconnu, dit-il simplement.
Sanemi ricane, un son amer.
— Et alors ? Tu crois que ça change quoi ?!
Il se penche en avant, ses cheveux blancs tombant devant ses yeux furieux.
— UNE SECONDE de plus et elle t’ouvrait la gorge !
Muichiro ne détourne pas le regard.
— Elle s’est retenue.
— Elle aurait pu m’arracher la tête.
— Elle ne l’a pas fait.
Un silence tombe.
Kyojuro, jusqu’ici silencieux, frappe le sol de son poing, enthousiaste — comme si cette tension n’existait pas.
— HAHA ! C’est EXACT !
Son sourire radieux illumine la pièce.
— Lucy a montré une volonté de fer ! Son cœur est encore brûlant, même transformé !
Obanai, ses yeux aussi tranchants que son serpent Kaburamaru, souffle sèchement :
— Elle reste une menace.
Mitsuri, déjà les yeux humides, secoue la tête avec force.
— Elle n’a blessé personne !
Ses mains serrées contre sa poitrine tremblent.
— Elle se bat tellement fort... Elle essaie vraiment !
Sanemi se tourne vers elle, mais Tengen intervient en haussant un sourcil brillant.
— Heey. Calmons-nous un peu, non ?
Il joue avec ses anneaux, blasé.
— Ce gamin a sauté devant une lame de SANEMI pour elle. C’est pas rien.
Le Hashira du vent gronde, prêt à répliquer.
Mais Muichiro parle avant lui.
Pas fort.
Pas agressif.
Mais avec une solidité tranchante.
— Je lui fais confiance.
Du silence.
Un vrai.
Un lourd.
Un épais — presque choqué.
Sanemi lève le menton.
— Tu vas la laisser te bouffer si elle craque, c’est ça ?
Et là, Muichiro fait quelque chose que personne n’attendait.
Il incline la tête, un geste minuscule.
— Oui.
— Je préfère ça plutôt que de la condamner alors qu’elle lutte encore.
Un frisson traverse la salle.
Même Giyu relève lentement les yeux vers lui — et un respect discret, rare, passe dans son regard.
Sanemi, lui, ouvre la bouche.
Puis la referme.
Puis la rouvre.
— T’es complètement taré.
Muichiro hausse légèrement les épaules.
— Peut-être. Mais je ne l’abandonnerai pas.
Shinobu sourit doucement, observant le garçon avec un mélange de malice et d’admiration.
— Eh bien…
— Je crois qu’on connaît l’essentiel.
Elle se tourne vers Ubuyashiki, assis calmement en tête de salle, silencieux depuis le début.
La lumière du matin glisse sur son visage.
Il respire.
Puis ferme doucement les yeux.
— Je vois… murmure-t-il, dans une sérénité poignante.
— Alors nous allons lui laisser encore une chance.
Les Hashira se tournent vers lui, surpris — Sanemi plus que tous.
Ubuyashiki poursuit, d’une voix douce :
— Tant que son cœur résiste…
Il incline la tête.
— …nous résisterons avec elle.
))))))))))((((((((((
De retour auprès de Lucy, Muichiro referme doucement la porte derrière lui.
Le silence retombe aussitôt dans la pièce, léger, fragile, comme s’il risquait d’éclater au moindre bruit.
Il s’avance jusqu’au futon et s’agenouille près d’elle, son souffle retenu.
Sa main glisse vers ses cheveux.
Ses doigts s’y perdent avec une délicatesse inattendue, presque hésitante, comme s’il craignait de la réveiller… ou de la blesser davantage.
— … Personne ne te touchera, murmure-t-il, sa voix à peine plus forte qu’un souffle.
Ses yeux suivent les brûlures qui marquent encore sa peau, les fissures encore visibles sur ses bras et son cou.
Il inspire lentement.
— Tu es toujours notre Lucy.
Même plongée dans ce sommeil profond, proche du coma, Lucy réagit.
Son rythme de respiration change.
Sa main tremble faiblement.
Comme si elle sentait sa présence.
Muichiro continue de caresser ses cheveux, lentement, patiemment.
Son pouce effleure le bord de sa joue gercée, et un léger frisson parcourt son propre cœur à la sensation de son froid surnaturel.
Il ne retire pas sa main.
Au contraire.
Il se penche, jusqu’à ce que son front vienne se poser tout doucement contre sa tempe.
Ses yeux se ferment.
Son souffle se calme.
Une paix inattendue tombe sur ses épaules malgré la fatigue et les douleurs qui le traversent.
— Prends tout le temps qu’il te faut, murmure-t-il, comme pour lui parler à travers son sommeil.
— Je serai là à ton réveil.
Ses mots vibrent comme un serment silencieux.
Et malgré tout — la peur, la culpabilité, les blessures, le chaos —
sa présence suffit à ramener de la chaleur dans cette chambre froide.
Comme une ancre.
Comme un refuge.
Comme une promesse qu’il ne la lâchera pas.
Quoi qu’il arrive.