Juste trop tard

Chapitre 3 : Chapitre 2

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 20:18

Flyleaf – Tiny Heart : http://www.youtube.com/watch?v=9_O2PyYQoG0

 

Le soleil se faisait de moins en moins imposant dans le ciel, disparaissant parfois derrière les nuages qu'il teintait de couleurs chaudes, tels que l'orange ou le rose. Les oiseaux terminaient leurs tâches de la journée afin d'en être débarrassés pour la nuit qui approchait. Teru, dans un coin de la cour, arrosait les fleurs, d'un air dépité. Elle n'avait certainement pas envisagé une telle situation, elle en venait à se demander comment elle en était arrivé à ce stade.

Alors c'est ce qu'il voulait dire quand il parlait de payer avec son corps...

Bien évidemment, la brune s'était attendue à bien pire avec une telle phrase. Enfin, d'un côté, il fallait être plutôt stupide pour utiliser une telle tournure dans ce cas de figure... En tout cas, elle était rassurée : elle préférait mille fois plus l'aider – si elle pouvait seulement employer ce terme – dans son travail plutôt que de faire ce à quoi elle songeait...

Teru coula un regard vers l'homme blond : il était tranquillement assis sur une chaise longue avec un soda tout en jouant à un jeu de cartes sur son ordinateur. Il était stupide ou quoi ? Elle aimerait bien lui vider l'arrosoir dessus, tant qu'à faire. Sans s'en rendre compte, elle s'était brutalement approchée de lui alors qu'il ne semblait pas lui porter grande attention et s'apprêta à lui verser l'eau dessus sadiquement lorsqu'il tourna la tête, l'immobilisant sur place.

« Au fait, dorénavant je suis maître Kurosaki, et tu me dois respect et obéissance. »

La situation s'annonçait mal pour elle, elle était prise la main dans le sac. L'adolescente ne parvint pas à bouger ni répondre pendant quelques instants, sans qu'elle en comprenne la raison. Elle abaissa finalement l'arrosoir puis détourna la tête et lui donna son nom en bégayant. Et mince, pourquoi réagissait-elle ainsi ? Pourquoi ne parvenait-elle pas à se comporter normalement ? Elle ne le connaissait pas, et c'est comme s'il l'intimidait... En fait, il lui faisait presque peur et en même temps pas du tout.

Ne souhaitant pas continuer ce contact embarrassant, Teru retourna arroser les marguerites qu'elle trouvait très jolies en évitant de croiser à nouveau son regard. Elle ne se sentait pas du tout à l'aise. Pourquoi ? Elle sentait sa main qui tremblait alors qu'elle arrosait les fleurs. Son instinct lui criait de s'éloigner de cet homme et de ne plus jamais recroiser sa route, pourtant ses jambes restaient pétrifiées. Pourvu qu'il la libère vite...

 

Alors c'est ça...

Kurosaki l'espionna du coin de l'œil, notant sa nervosité. Il n'avait certainement pas songé à ce cas de figure. Elle agissait comme s'ils étaient de parfaits inconnus l'un pour l'autre, comme s'ils ne s'étaient jamais rencontrés auparavant... Sans doute était-ce la raison pour laquelle Daisy n'avait plus reçu aucun message provenant d'elle. Assurément était-ce la raison pour laquelle elle lui avait donné son nom.

Énervé, il s'alluma une cigarette avec rage. Il n'avait jamais souhaité cela. S'il avait pu, il serait resté à ses côtés, or il avait été obligé de partir. Il était revenu une semaine plus tôt et n'avait pas osé entrer en contact avec elle avant aujourd'hui. Il l'avait espionnée de loin, étudiant ses moindres faits et gestes. Dans l'ensemble, elle paraissait mener une vie ordinaire, tranquille, plutôt heureuse, quoiqu'il avait noté sa mélancolie de ce jour-ci. S'était-il passé quelque chose ?

C'était son comportement qui l'avait motivé à aller à sa rencontre cet après-midi, d'ailleurs une occasion en or s'était présentée avec ces quatre loubards. Un an auparavant, il n'avait pas pu la protéger et elle avait été blessée par sa faute. Il avait dû quitter la ville pendant douze longs mois, l'écartant ainsi de tout danger, néanmoins il était revenu pour diverses raisons.

Tasuku se sentait obligé de rester à ses côtés afin qu'elle ne rencontrât pas d'ennuis, et aussi sans doute parce que c'était le meilleur moyen qu'il connaissait pour la protéger. Il voulait savoir ce qui s'était passé durant cette année, puisque Riko n'avait pas daigné lui donner la moindre nouvelle. Rester dans le noir avait été terrible, même s'il se disait que « pas de nouvelle, bonne nouvelle ».

Et, bien entendu, même s'il ne l'admettrait à personne, Teru lui avait cruellement manqué. Après être restée auprès d'elle durant tous ces mois en la voyant presque tous les jours, cette rupture l'avait quasiment anéanti. Il se répétait constamment que c'était pour son bien, or le chevalier servant avait besoin de la princesse, qu'elle fût en danger ou pas, de manière à exister réellement.

Mais cette situation l'attristait encore plus. Kurosaki aurait préféré qu'elle le haït, pourvu qu'elle se souvînt de lui. Il savait parfaitement quand elle mentait, et il voyait clairement qu'elle n'avait eu aucune arrière-pensée en lui donnant son nom. Il avait été effacé de sa mémoire. Comment cela s'était-il produit ? Était-ce à cause de l'accident ? Il n'était pas resté assez longtemps pour se renseigner sur son état après son réveil, une fois à l'hôpital, néanmoins le médecin avait spécifié un choc à la tête, quoi qu'il n'avait pas mentionné une possible amnésie. Était-elle temporaire ou bien permanente ?

Aussi égoïste que cela pût paraître, il souhaitait qu'elle se souvînt de lui et que tout redevînt comme avant, or c'était complètement impossible. Il pourrait sans doute recréer des scènes similaires à celles qu'ils avaient vécues tous les deux, pourtant ce ne serait pas la même chose. Car elle ne se souviendrait pas.

Tasuku porta une main à son visage, en tentant de supprimer ces pensées qui l'assaillaient. Si elle n'avait aucun souvenir de sa personne, alors peut-être était-ce pour le mieux. Un an plus tôt, il avait dû la quitter, à présent probablement était-ce à son tour de la laisser partir... Toutefois, il continuerait de la protéger, même de loin. Elle resterait à travailler pour lui, comme au bon vieux temps. Et il se comporterait tel un tortionnaire, comme il en avait l'habitude autrefois.

Sôichirô était-il satisfait de sa situation actuelle, de voir à quel point il souffrait ? Le plus douloureux était de savoir qu'elle serait près de lui et à la fois si loin... Il ne pourrait jamais la toucher, il ne voulait même pas l'imaginer avec un petit-ami. Il n'avait pas envie de songer à ce genre de choses, tant qu'elles ne se produisaient pas encore... Mais il souhaitait ardemment que ce jour n'arrive pas.

Kurosaki nota à quel point Teru semblait prendre soin des marguerites un peu plus loin et songea à la relation qu'elle avait entretenue avec Daisy ; depuis cet incident, tout échange avait disparu. L'avait-elle oublié, lui aussi ? Sans aucun doute, puisqu'après tout, Daisy était la plus importante personne pour elle. Ou peut-être pas, tout bien réfléchi : elle connaissait sa véritable identité, du coup, si elle avait été en colère après lui, elle l'avait probablement laissé de côté. Ou bien leur lien avait entraîné l'oubli de Daisy.

Kurosaki soupira puis se dirigea vers Teru à qui il ôta la casquette qu'il remit sur sa tête. Il la congédia, estimant qu'il ferait nuit bien assez tôt et qu'il n'était pas sûr qu'elle rentre trop tard ; si Riko le savait, elle le tuerait. Quoiqu'elle le tuerait déjà pour être revenu. Peu importait ce qu'elle pensait, il était prêt à assumer les conséquences. En tout cas, une chose était certaine : si Riko s'en mêlait, il était un homme mort.

 

Cette longue et fatigante journée était enfin finie, ce n'était pas trop tôt. Teru rentra tranquillement chez elle en marmonnant à quel point ce gardien de l'école était un rustre. Elle aurait dû agir plus vite lorsqu'elle portait encore l'arrosoir. Une bonne petite douche froide lui aurait rafraîchi les idées à cet idiot. Il avait tout fait pour l'exploiter au maximum ; elle était persuadée qu'il n'aurait même pas accompli en une journée la moitié de ce qu'elle avait fait en deux heures.

Ce n'était pourtant pas le pire : il avait exigé qu'elle revienne le lendemain après les cours. Il se foutait d'elle ou quoi ? Quoique si elle se plaignait auprès de son professeur principal... Elle n'était pas sûre de ses chances de réussite, mais pourquoi ne pas essayer.

Si au début elle avait eu du mal à se comporter normalement, avant qu'il la congédiât elle s'était sentie à l'aise, relaxée. Comme si elle se sentait protégée. Cela faisait un an qu'elle ne s'était pas sentie ainsi, aussi bien. Non, c'était impossible que ce fût à cause de ce Kurosaki. Plutôt crever que de l'appeler maître. Même s'il paraissait musclé et s'était débarrassé des quatre délinquants en moins de deux, elle ne se permettait pas de lui faire confiance. Jamais.

En tous cas, c'était la première fois depuis longtemps qu'elle avait occupé son temps après les cours avec autre chose que des révisions... C'était plutôt... Agréable. Enfin, non. Il ne fallait pas oublier cet idiot.

 

Teru dormit bien cette nuit-là et ce fut avec l'esprit beaucoup plus clair qu'elle se réveilla le lendemain. Alors qu'elle se dirigeait de bonne humeur vers la cuisine afin de prendre son petit déjeuner, le visage de son exploiteur lui revint en mémoire, la coupant dans son élan. Voilà qu'il venait même l'embêter le matin... Elle ne savait pas si elle serait en mesure de réprimer ses pulsions meurtrières lorsqu'elle le verrait plus tard dans la journée. Il suffirait juste d'embaucher un nouveau gardien, ce n'est pas comme si c'était bien grave.

L'adolescente mangea rapidement son petit-déjeuner avant de mettre son uniforme qu'elle avait lavé la veille – les fleurs c'était mignon, en revanche la terre moins. Elle avait recopié les notes qu'elle avait empruntées et les rangea dans son sac afin de ne pas les oublier puis prit le chemin de l'école. Si elle parvenait à ne pas penser à cet homme pendant cinq minutes elle se féliciterait en s'achetant un gâteau au supermarché en rentrant. Finalement cette journée pouvait se dérouler plutôt bien.

En arrivant dans la classe, Teru salua ses amis puis s'assit à son bureau. La cloche sonnait d'ici quelques minutes, elle avait encore un peu de temps. Elle se dirigea vers le bureau du professeur pour voir s'il n'y avait pas des documents à distribuer lorsqu'elle entendit des camarades discuter et prononcer « gardien de l'école ».

Non, Teru, tu te fiches de ce type, retourne à ta place.

Elle l'aurait volontiers fait si elle n'avait pas entendu la suite qui lui glaça le sang.

« Je suis formelle, c'est bien monsieur Kurosaki, qui était le gardien de l'école l'an dernier. Il est parti pendant un an mais apparemment il a repris son ancien poste depuis quelques jours. »

Il avait travaillé ici un an auparavant ? Elle n'en avait pas de tels souvenirs. Enfin, il était vrai qu'elle ne faisait pas particulièrement attention au personnel du lycée, pourtant elle l'aurait forcément reconnu. Le gardien de l'école possédait cette particularité de croiser tous les membres de l'école, que ce soit les professeurs, les élèves ou bien les femmes de ménage. Pourquoi sa tête ne lui disait-elle rien ?

Bah, cela ne devait pas être bien important, il avait peut-être travaillé un ou deux mois à ce poste et elle avait dû oublier rapidement son visage. Elle ne suivait pas au détail l'activité des gardiens de l'école et était totalement incapable de dire combien il y en avait eu depuis deux ans. Que ce fût un ou six, elle ne s'en serait pas rendue compte. Teru pensait que c'était le cas de tous, en revanche il semblerait qu'elle se fût trompée.

D'un côté, elle devait admettre qu'il était plutôt beau, ce n'était donc pas étonnant que toutes les filles soient à sa botte. En avait-il seulement déjà exploitées, comme elle en ce moment ? Ou bien était-elle la plus malchanceuse de toutes ? D'un autre côté, Teru était persuadée qu'une minute à travailler pour cet homme dissuaderait toutes les élèves de cette école. Cette homme était un véritable cauchemar. Il faudrait qu'elle casse son ordinateur par « erreur», juste pour lui donner une bonne leçon. Il s'ennuierait tellement par la suite qu'il ferait son travail et la laisserait en paix.

Elle était vraiment trop intelligente. Elle devrait franchement créer une secte où tous s'inclineraient devant sa supériorité. Après tout, ses excellents résultats n'étaient qu'une preuve parmi tant d'autre de son intellect au-dessus de la moyenne. Heureusement qu'elle était en mesure d'aller au lycée grâce à la bourse qu'elle avait obtenue grâce à…

Hein ? Qui lui avait obtenu sa bourse ? Stupéfaite, Teru ne fit plus attention au monde extérieur. Quelque chose lui manquait. Un détail, aussi subtil fût-il. Peut-être était-ce un professeur qui l'avait mise sur la voie ? Après tout, tous les enseignants auraient trouvé cela dommage qu'une élève aussi brillante ne soit pas en mesure de continuer ses études, c'était une perte.

Elle se rappelait très bien qu'elle n'avait pas eu les moyens de poursuivre ses études après la mort de Sôichirô puisqu'il ne lui avait pas laissé d'argent, juste… Un portable. D'ailleurs, où se trouvait-il ? Pourquoi utilisait-elle le portable que Riko lui avait donné un an plus tôt ? L'aurait-elle cassé ? Aucun souvenir de ce genre n'était disponible. Aurait-il été perdu ou volé ? Dans ce cas, pourquoi ne parvenait-elle pas à s'en souvenir ?

Une certaine anxiété la gagna. Que s'était-il passé exactement ? Elle tenait énormément à ce portable, alors pourquoi avait-elle passé une année entière à en utiliser normalement un autre sans y penser ? Et pourquoi lui était-il impossible de se remémorer exactement ce portable ? Peut-être s'était-il cassé lorsqu'elle était tombée dans les escaliers ? D'ailleurs, elle ne se rappelait pas être tombée dans les escaliers…

Même si le médecin lui avait dit qu'elle s'était cognée la tête – ce qui avait entraîné d'autres séquelles avec lesquelles elle devait vivre tous les jours depuis – et que le choc avait dû lui faire oublier cet accident qui s'était produit à la vitesse de l'éclair, elle ne pouvait s'empêcher de rester un peu dubitative quant à sa seule existence.

Sans comprendre pourquoi, Teru se mit en colère. Penser à tout ceci l'énervait. Comme lorsqu'elle parlait trop de ce rêve avec quelqu'un. Une fois, elle avait cassé un verre avec sa main, depuis elle avait évité de parler de tous ces détails. Son portable n'avait rien à voir, alors pourquoi s'énervait-elle aussi ? Elle ne se savait pas aussi colérique. Elle n'était pas non plus une fausse calme. Son frère lui avait toujours dit qu'elle était facile à vivre et qu'elle savait prendre sur soi. C'était toujours le cas, sauf à ce sujet.

Si elle demandait à Riko, elle saurait probablement lui répondre. Kurebayashi ne se souvenait pas de ce qu'elle lui avait dit en lui donnant ce téléphone portable, sans doute lui avait-elle annoncé que l'ancien n'avait pas survécu à la chute ? Teru ne savait pas très bien, mais elle le tenait certainement dans les mains à ce moment-là. Le seul objet qu'elle avait obtenu de son frère était parti… Il avait disparu, comme lui.

Une vague de tristesse l'envahit. Voyons, ce n'était ni le lieu, ni le moment de se laisser aller ainsi. Teru se frotta les yeux avant de se mettre à pleurer, feignant un coup de fatigue du matin, lorsqu'elle entendit ses camarades continuer leur discussion sur le gardien de l'école.

« On dirait qu'il refuse toujours de nous prendre comme servante, vous vous rappelez, l'an dernier il avait dit qu'il ne prenait que les filles moches et plates, comme… »

L'adolescente fut interrompue par l'arrivée du professeur qui fit taire chaque élève. Teru retourna à sa place en se posant des questions. D'après ce qu'elle avait dit, cet exploiteur avait déjà maltraité une élève l'an passé. Étrange, elle ne se rappelait pas en avoir entendu parler. Ou bien il n'y avait pas eu beaucoup de rumeurs à ce sujet. Assurément les avait-il fait taire.

S'il n'utilisait que les filles moches et plates, alors cela voulait dire… Elle mettait du A. Bon, elle savait pertinemment qu'elle n'était pas une beauté, mais elle ne s'était jamais considérée comme moche. Si elle avait le crâne rasé, elle aurait été d'accord, mais là elle était franchement vexée. Il se permettait de la traiter de moche parce qu'il n'était pas trop mal lui-même ? La prochaine fois qu'elle le verrait, elle ne garantirait pas sa survie. Ce fumier allait payer.

Finalement, son ordinateur allait évidemment être cassé par accident bien plus vite que prévu… Il ne s'en sortirait pas comme cela. Les types comme lui étaient le pire qu'il soit. Voyons… Il devait avoir environ vingt-cinq ans, cela lui faisait un bon laps de temps pour torturer les filles moches et plates. Mais, pour une fois, il allait subir les conséquences de ses actes.

Casser l'ordinateur ne lui paraissait pas être une bonne idée. Cela semblait trop simpliste. Non, il fallait quelque chose de plus recherché, dont il se souviendrait toute sa vie. Quelque chose qui lui rafraîchirait les esprits et lui ferait réfléchir à deux fois avant de l'exploiter en faisant passer cela pour un remerciement.

Tandis que le professeur donnait son cours et que la plupart des élèves prenaient studieusement des notes, Teru n'y prêta pas la moindre attention, surtout qu'elle venait d'avoir une idée absolument parfaite. C'était exactement ce qu'il lui fallait. Si elle réussissait, il lui mangerait dans la main. Elle ne pouvait pas attendre de voir cela. Un sourire machiavélique se dessina sur son visage alors qu'elle réfléchissait au meilleur moyen d'exécuter son plan.

Bientôt, Kurosaki serait chauve.

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