Juste trop tard

Chapitre 4 : Chapitre 3

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 16:17

Epica – Feint : http://www.youtube.com/watch?v=J3BCshj_fqk&feature=fvst

 

Le soleil était déjà couché depuis un bon moment, l'air était plus frais, aussi les passants se réjouissaient-ils d'avoir emporté une veste le matin en partant de chez eux. C'était une heure où les jeunes n'étant pas encore majeurs se devaient d'être dans leur maison et de ne pas traîner dehors, où ils pourraient gagner une mauvaise réputation. Car, après tout, la vie était différente la nuit. La lumière artificielle des lampadaires, des enseignes des magasins, des voitures ainsi que d'autres objets permettaient à chacun de se déplacer tranquillement.

Kurosaki mangeait dans le petit restaurant de Masuda, silencieux. Cela faisait à présent plusieurs jours qu'il était entré en contact avec Teru et qu'ils revivaient en quelque sorte la même histoire que leur première rencontre, à l'exception que lui sentait la différence. Il était formel, elle l'avait complètement oublié. Il lui avait fait avouer quelques détails sur sa vie.

Si, autrefois, elle était incapable de se taire au sujet de Daisy, pour l'instant elle ne l'avait pas évoqué une seule fois. Elle ne tripotait pas son portable, comme pour attendre un mail, comme elle avait l'habitude de le faire auparavant. Toutefois, elle paraissait apprécier particulièrement les marguerites plantées dans l'école et s'en occupait plus que les autres fleurs. Peut-être avait-elle conservé quelques traces de sa vie perdue, ou du moins le pensait-il.

Teru lui avait brièvement raconté qu'elle vivait avec l'ancienne fiancée de son défunt frère et que celle-ci était actuellement absente. Cela laissait une marge à Tasuku avant d'être mis à mort. Une fois rentrée, Riko le massacrerait complètement, puisque bien évidemment Teru se plaindrait auprès d'elle de ce gardien qui l'exploitait. Il savait qu'elles se racontaient tout, ou presque.

Kurosaki ne redoutait pas tant que cela sa future entrevue avec Riko, il y avait des choses dont il voulait lui parler. Comme ce qu'il s'était exactement passé un an plus tôt, comment avait été leur vie depuis l'accident jusqu'à son retour une dizaine de jours auparavant, si elle avait des nouvelles par rapport au problème. Elle allait d'abord le découper en morceaux avant de lui répondre mais cela ne le gênait pas, tant qu'il obtenait les réponses désirées. Il avait passé un an dans le néant, sans avoir la bonne nouvelle, il méritait bien d'être mis au courant.

Riko connaissait parfaitement la raison pour laquelle il avait dû partir. En restant, Teru aurait été en danger. Les choses avaient l'air de s'être calmées, c'était l'une de ses justifications quant à son retour. Elle lui en voudrait certainement d'avoir pris le risque d'être revenu, néanmoins il était persuadé qu'au fond elle comprendrait et lui pardonnerait, même si ce ne serait pas facile de le lui faire accepter.

Masuda, qui était en train de faire la vaisselle devant lui, était tout autant au courant. En fait, toute l'équipe savait, donc Andô était concerné. Kiyoshi avait été mis au courant de certains détails, mais pas tout. Juste suffisamment pour lui faire comprendre la situation.

Riko lui avait assurément demandé de ne jamais évoquer Kurosaki ni Daisy devant Teru, et de mettre le groupe d'amis dans le coup, sans leur donner trop de détails qui seraient sans doute compromettants. C'était certainement la meilleure explication pour justifier la raison pour laquelle l'amnésique n'avait entendu parler d'aucun des deux durant cette année.

Même s'il se faisait probablement de faux espoirs, Tasuku avait l'impression, parfois, de retrouver l'ancienne Teru. Elle avait repris sa vieille expression « Sois chauve » qu'elle répétait toujours lorsqu'elle était contrariée. Lorsqu'elle l'avait pour la première fois, il avait été si surpris qu'il n'avait pas pu réagir durant plusieurs minutes, jusqu'à ce qu'elle essayât de le faire revenir à la réalité. Même si cela semblait fou, il croyait de temps en temps retrouver leur ancienne complicité.

Cependant, être conscient qu'elle n'était pas entièrement la Teru qu'il avait connue le rongeait de l'intérieur. Si seulement elle savait à quel point il regrettait de l'avoir impliquée. S'il s'était éloigné plus tôt, rien de tout cela ne serait arrivé. Il savait que l'ancienne Teru était amoureuse de lui, alors l'aurait-elle laissé partir ? Sans doute pas, et elle aurait cherché à le retrouver. Au final, il l'aurait blessée tout autant. Même si cela semblait égoïste, il préférait ce cas de figure à l'actuel. Elle n'avait pas souffert, or elle l'avait oublié. Il n'existait plus pour elle. Et c'était le plus douloureux.

Pour une fois, Tasuku avait envie de ne penser qu'à lui-même et de faire en sorte qu'elle retrouve la mémoire, mais comment soigner une amnésie ? La sienne paraissait permanente, puisque cela faisait un an qu'elle ne se souvenait plus. Y avait-il seulement un moyen pour qu'elle se souvienne ? Peu importaient les sacrifices, tant qu'on la lui rendît…

Toutefois, se lamenter sur son sort ne changerait absolument rien. Masuda ne put lui apporter aucune réponse, Riko avait vraisemblablement coupé les ponts avec tous ceux ayant connu Kurosaki ou bien Daisy, sans doute de manière à ce que Teru ne les rencontrât pas et se souvînt en conséquence de lui. Le patron lui assura tout de même qu'ils avaient été en contact quelques mois plus tôt et qu'elle lui avait assuré qu'elle continuait à travailler sur leur affaire.

Riko était la clé de tout. Sur Teru mais aussi sur ce problème qui l'avait forcé à partir. Il était nécessaire qu'il la vît, sans cela il passerait son temps à patauger sur ces histoires. Puisqu'elle n'était pas en ville pour le moment, il lui faudrait attendre son retour. De toute manière, elle viendrait d'elle-même, il était inutile de la chercher.

Kurosaki sortit du restaurant après avoir salué son ancien collègue puis marcha le long des rues. Il n'avait pas pris sa voiture, ayant décidé de marcher pour se calmer. D'un geste rageur, il fit une flamme avec son briquet quasiment vide afin d'allumer une cigarette. Depuis l'accident, il fumait beaucoup, sûrement à cause du stress. Il n'y pouvait rien, fumer semblait être la seule chose qui le calmait un tant soit peu. Et Teru aussi. Mais c'était une autre histoire qui n'avait pas sa place là.

Il recracha une longue bouffée, en regardant le trottoir d'un œil distrait. Il n'avait rien prévu de spécial pour ce soir à part un détour chez Masuda. Et, franchement, il n'était pas motivé pour aller traîner dans un bar ou une boîte de nuit. Et puis il bossait demain. Vie quotidienne sans rien de particulier.

Son regard fut soudain attiré par une silhouette située une dizaine de mètres devant lui. Il s'agissait là d'une personne qui lui était bien familière. Qu'est-ce que Teru faisait ici ? Il était tard, qu'une adolescente comme elle traîne dehors n'avait rien de sain… Elle portait une robe qu'elle n'aurait absolument jamais osé mettre un an plus tôt avec des... Talons.

Se serait-il passé quelque chose durant cette année, qui l'aurait rendue ainsi ? L'idée qu'elle fût devenue ce genre de femmes l'enragea au plus haut point. Voilà ce qu'elle faisait lorsque Riko n'était pas à la maison ? Il accéléra le pas afin de l'atteindre, bien décidé à intervenir. Il ne pouvait définitivement pas rester les bras croisés, quand bien même elle ne se souvenait pas de lui. Alors qu'il se tenait juste derrière elle, Tasuku posa une main sur son épaule pour l'interpeller.

« Eh, Teru, qu'est-ce que tu fous ici ? »

L'interpellée se retourna afin de faire face à celui qui lui avait parlé, et ce fut ainsi que Kurosaki se rendit compte de son erreur. Devant lui se tenait une jeune femme d'une trentaine d'années qui ne paraissait pas comprendre de quoi il parlait. Surpris, il s'excusa, expliquant qu'il s'était trompé de personne puis s'éloigna.

Il avait pourtant été certain que c'était elle. De dos, elles étaient identiques, même si l'inconnue avait paru plus élégante de par sa tenue et sa manière de marcher. En la voyant de face, il avait clairement remarqué que ce n'était pas Teru, même si leurs yeux étaient identiques, de même que la forme du visage. Et, il fallait le noter, cette femme ne mettait certainement pas du A.

Kurosaki reprit une bouffée de sa cigarette, pensif. La ressemblance n'était pas frappante, mais il y avait un petit air... Bah, après tout, on pouvait trouver des similitudes partout chez n'importe qui. Il se prenait la tête pour rien. Il était en tout cas rassuré que ce ne fût pas Teru, cela l'aurait plus qu'inquiété. L'imaginer traîner dans les rues tard le soir avec une tenue qu'elle n'oserait jamais porter...

Il ne savait pas comment il aurait réagi si cela avait été celle à laquelle il pensait sans cesse depuis bien longtemps. Il aurait sans aucun doute été d'abord profondément blessé. Il l'aurait raccompagnée chez elle en tentant de connaître ses raisons. Puis il se serait évidemment énervé. Imaginer que des porcs la touchent...

Tasuku se passa une main sur le visage. Il s'inquiétait pour rien, la Teru qu'il connaissait ne ferait jamais une chose pareille. Elle était trop... Innocente. C'était le mot. Heureusement, cette terreur n'avait été que de courte durée. Si cette femme aimait marcher dans la rue tard avec une robe la mettant en valeur, c'était son problème. Elle avait l'air d'avoir une bonne trentaine d'années, et en conséquence devait s'assumer totalement. Cela ne le concernait pas.

Le jeune homme jeta un coup d'œil sur sa montre. Il était déjà si tard ? Ce n'était pas qu'il était du genre très sérieux, mais il n'avait pas envie d'être fatigué le lendemain, surtout qu'il devait s'attendre à une visite musclée de Riko à tout moment. Il prédisait déjà le début : elle arriverait et lui mettrait un grand coup de poing ou de pied dans le visage avant de le sermonner.

Son air se fit plus sérieux. Il fallait qu'il se renseignât sur les informations qu'elle avait obtenues. Dans cette affaire, elle était sa seule alliée, bien qu'une alliée particulière, étant donné qu'elle ne l'avait que peu contacté durant cette année, voire pas du tout. Si Teru avait perdu la mémoire après l'accident dont il était responsable, c'était normal qu'elle souhaitât prendre ses distances. La sœur de Sôichirô passait avant tout, c'était une règle qu'ils s'étaient fixée il y avait longtemps.

Kurosaki termina sa cigarette qu'il jeta sur le trottoir avant de l'écraser avec sa chaussure puis pris la direction de son appartement afin de rentrer chez lui. Il avait le sentiment que demain serait une bien grosse journée, et dans ce genre de cas il avait rarement tord.

 

La matinée était déjà bien avancée et la ville était bien animée. La plupart des habitants de la ville étaient à leur travail, l'effectuant correctement en espérant obtenir une prime. Cela n'empêchait pourtant pas l'autre partie d'être dans les rues ou chez eux. Parmi ces gens, une femme de trente-cinq ans filait comme une flèche sur les trottoirs. Elle avait une affaire de la plus haute importance à régler.

Elle était rentrée la veille dans la matinée et avait attendu sa colocataire jusqu'au soir, s'étonnant de son retard. Sa première idée avait été qu'elle s'était trouvé un petit-ami. À cette pensée, elle ne pouvait s'empêcher de songer à lui, qui serait profondément blessé s'il était mis au courant. Quelle avait été sa surprise lorsqu'elle avait appris la véritable raison de son retard.

Kurosaki était de retour.

Qui plus était, il avait repris Teru sous son aile en recommençant à l'exploiter.

Elle s'absentait une semaine, et voilà ce qui se passait. Sur le moment, elle avait fait de son mieux pour masquer son trouble, ne souhaitant pas lui mettre la puce à l'oreille. Mais à quoi pensait-il ? C'était comme lorsqu'il avait décidé de ne plus être seulement Daisy un an et demi auparavant. Pourquoi était-il de retour si tôt ? N'avait-il pas songé aux conséquences ? Et si Teru était impliquée à nouveau ? Elle ne le laisserait pas faire, s'il la blessait encore une fois elle emporterait Teru loin avec elle, quelque part où il ne les trouverait jamais.

Son retour n'avait pas l'air d'avoir évoqué de souvenirs marquants chez Teru, même si elle lui avait confié qu'elle souhaitait le rendre chauve pour se venger. Même si elles étaient futiles, des traces de sa vie oubliée resurgissaient. Que se passerait-il si elle se souvenait de la totalité des événements avec Kurosaki ?

Après son accident, en se réveillant à l'hôpital, Teru n'avait d'abord pas demandé où se trouvait Kurosaki, ce qui avait été plus que surprenant. Riko avait tenté d'aborder le sujet lorsque Teru lui avait demandé qui était cette personne. Par la suite, celle-ci n'avait jamais évoqué la moindre fois Daisy et n'avait pas semblé avoir remarqué que son portable était cassé. Riko ne lui avait donc pas transmis la lettre et l'avait précieusement gardée sans oser la lire.

Avec Kurosaki disparu quelque part dans la nature pour son bien, le mieux avait été qu'elle conservât cette amnésie. Riko n'aborda plus jamais le sujet, fit en sorte que rien ne l'y fît penser. Tant que c'était pour le bien de la précieuse sœur de son défunt fiancé, elle était prête à tout.

Parfois, elle se demandait comment aurait été la vie si Sôichirô n'avait jamais péri à cause de ce cancer. Même si elle était plus âgée de quatre ans, elle l'aimait réellement. Leur différence d'âge n'était rien, comparée aux huit ans entre Tasuku et Teru. Les deux se seraient forcément rencontrés, Sôichirô aurait accepté leur relation bien évidemment. Auraient-ils été plus heureux s'il était resté parmi les vivants ?

Une larme coula le long de son visage et elle s'empressa de l'essuyer. Cela faisait déjà trois ans, cependant il lui manquait vraiment. Elle ferait tout pour le ramener à la vie, pour changer le cours des choses. Elle n'en voulait pas à Kurosaki, ce n'était pas de sa faute. En aucun cas il n'était responsable. Pourtant, il continuait de se blâmer pour sa mort, de porter ce fardeau seul alors que d'autres personnes se trouvaient là pour l'aider.

Riko savait parfaitement que Sôichirô ne lui en voulait pas le moins du monde, puisque c'était son propre choix s'il ne s'était pas soigné. S'il lui avait dit des paroles aussi horribles à l'hôpital, elle avait sa théorie à ce propos ; dire qu'il ne lui en voulait pas n'aurait rien changé, Kurosaki aurait continué à s'en vouloir. Il avait compris qu'il ne pouvait rien changer à sa situation, alors il avait transmis cette mission à Teru, à son insu.

Devenir le Daisy de Teru avait paru être un moyen de se racheter, or ce n'était pas du tout le cas. Échanger des messages les rendrait proches, puis, un jour, le moment venu, Teru serait capable de le sauver. Sôichirô était conscient qu'elle ne le blâmerait pas et qu'elle comprendrait la situation ; ainsi, elle lui ferait comprendre que ce n'était pas de sa faute. Et, enfin, son cœur trouverait la paix. Il cesserait de se tourmenter.

Si tel était son plan, il prenait du temps. Surtout à cause de cet accident qui avait entraîné sa disparition ainsi que l'amnésie. Toutefois, un jour, Riko en était persuadée, tous leurs efforts porteraient leurs fruits. Teru ôterait ce poids du cœur de Kurosaki. Elle le sauverait, puisqu'elle était la seule à en être capable.

Dans ce cas, l'amnésie n'était plus requise. Si Teru retrouvait la mémoire, il serait là. Ce n'était pas comme si elle s'était rappelée durant l'année, alors qu'il se trouvait on-ne-savait-où. Elle souffrirait certainement, pourtant il serait là afin de la supporter. Néanmoins, cette affaire n'était pas réglée. Et si elle se trouvait à nouveau impliquée en retrouvant sa mémoire ?

Et si elle était une fois de plus blessée, comme elle l'avait été durant l'accident ? Elle subissait des séquelles qu'elle garderait à vie et que nul ne souhaiterait avoir. Riko avait cherché en vain un médecin, or tous lui avaient affirmé que sa blessure était incurable, peu importait l'argent qu'elle fournissait. Teru devrait continuer à vivre de cette manière.

Elle ne s'était d'ailleurs jamais plainte. C'était elle-même qui lui avait demandé d'arrêter de chercher, puisqu'elle s'épuisait et gaspillait de l'argent pour rien. Riko avait pourtant voulu continuer, certaine qu'une solution se présenterait enfin à elle, cependant rien ne s'était produit. Même avec ses contacts elle n'avait rien obtenu.

Si Kurosaki venait à être mis au courant, il s'en voudrait plus que tout et répéterait ses actes qui ne changeraient absolument rien. Teru devrait de toute façon apprendre à vivre avec ce handicap, même si cela paraissait déjà être le cas.

Riko ne pouvait s'empêcher d'en vouloir à Tasuku d'être de retour. Les choses semblaient s'être calmées, mais sans doute était-ce le calme avant la tempête, ils ne pouvaient par conséquent pas se permettre de prendre un tel risque. À quoi pensait-il, en se rapprochant ainsi de Teru ? Bien évidemment, il avait dû y réfléchir durant bien longtemps, néanmoins c'était beaucoup trop risqué. Et si elle venait à être blessée encore une fois, il ne se le pardonnerait jamais.

Il fallait qu'ils discutent sérieusement. C'était bien pour cela qu'elle se dirigeait vers le lycée, afin de venir à sa rencontre. Elle n'y travaillait plus depuis un an, depuis ce jour-là, toutefois elle avait gardé contact avec Kiyoshi qui se révélait être un excellent informateur. Elle l'avait chargé d'empêcher leurs amis d'évoquer Kurosaki ou bien Daisy, afin qu'elle ne se souvînt pas. Elle était vraiment chanceuse de posséder un contact pareil, il était extrêmement utile, sans lui elle n'aurait jamais pu masquer entièrement son existence.

Riko fit un pas dans l'école. Elle y était. À présent, elle avait des affaires à régler, mais, avant, un petit défoulement était de mise. En se faisant craquer les doigts, elle aperçut sa victime qu'elle comptait bien prendre par surprise.

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