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Chapitre 6 : Corollaire V ~ La loi de Suppression de Courtois

9464 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 17:32

Corollaire V ~ La loi de Suppression de Courtois

« La meilleure façon de résoudre un problème, c’est de le supprimer. »

 

Quelques bruits de pas résonnèrent pesamment sur le sol. Leur propriétaire s’avançait lentement, d’une marche à la fois assurée et, paradoxalement, hésitante et légèrement chancelante.

Il esquissait ce qui ressemblait à un mélange entre sourire nerveux et rictus sarcastique.

 

« Ironique, n’est-ce pas ? On dirait bien que le vent tourne : tout ce qui comptait pour vous a disparu sous vos yeux morceaux par morceaux, sans que vous ne puissiez faire quoi que ce soit… Et même si vous aviez depuis le début le sentiment profond que vous seriez le prochain, vous saviez que vous ne pourriez pas y réchapper. Pas vous. »

 

Un souffle à peine plus sonore résonna ; il était impossible de déceler s’il s’agissait d’un début de rire sarcastique ou d’un profond soupir de désespoir.

 

« Parce que vous étiez, depuis le début, la cible principale. »

 

Dans l’ombre, une silhouette se releva lentement, s’adossant contre le mur proche.

Cette personne ne cessait de dévisager le canon de ce revolver qui, situé à moins de cinq mètres d’elle, pouvait à tout instant mettre fin à ses jours.

Un mince sourire résigné se profila sur ses lèvres ; cette personne, le regard livide, trouva encore la force de répondre.

Après tout, cette personne savait qu’il attendait une conversation.

 

« Je pensais pourtant que ce serait à Rye que j’aurais affaire… Mais il semblerait que j’aie ignoré l’existence d’une autre Silver Bullet. »

 

Cette personne détailla du regard l’homme qui se tenait face à lui, à quelques mètres de distance, ne paraissant pas le reconnaitre.

 

« Et pourrais-je savoir à qui j’ai l’honneur, Silver Bullet-san ?

- Mon nom ne vous dirait rien, de toute manière. Vous ne m’avez probablement jamais connu, ne serait-ce que personnellement. »

 

Silence.

 

« Je vois. Vous portez un masque. Vous portez un masque pour éviter que l’on vous reconnaisse, ou même que l’on ait l’audace de vous suspecter, n’est-ce pas ?

- Un masque… »

 

Le jeune homme fut pris d’un rire nerveux.

 

« Non. Vous voulez dire que j’ai enlevé mon masque. Une bonne amie m’a permis de l’enlever pour quelque temps ; mais je devrai bientôt le remettre. »

 

Cette personne prit un temps qui parut durer une éternité, considérant son agresseur avec surprise ; puis elle parut comprendre et reprit son léger rictus.

 

« Je vois. Vous avez donc survécu à ça. »

 

Cette personne se redressa légèrement, croisant gravement les bras, prenant une expression cynique.

 

« Vous aussi, avez donc pris votre petite potion pour agir en tant que Mister Hyde sans craindre d’être poursuivi ensuite ? Une fois votre méfait accompli, vous n’aurez plus qu’à vivre en tant que l’honnête Docteur Jekyll que personne ne soupçonnera jamais… Un crime à la fois ingénieux et lâche, en fin de compte. »

 

Un sourire sournois se profila sur ses lèvres ; totalement maître de ses émotions, pas le moindre signe de tension ou de peur ne transparaissait sur son visage. Cette personne était complètement détendue, comme si elle était déjà résignée à son sort, auquel elle ne pourrait plus réchapper.

 

« Mais qui êtes-vous réellement, au fond ? »

 

L’homme eut un très léger mouvement de recul, les épis noirs de sa chevelure sauvage suivant le mouvement au gré d’un vent inexistant, telles les plumes d’un corbeau.

Il esquissa lentement un sourire vide, qui paraissait dénudé de toute émotion.

 

« À l’heure où je vous parle, je ne suis plus personne. Vous pouvez d’ores et déjà me considérer comme quelqu’un qui n’a jamais existé. »

 

Il leva plus encore le bout de son canon, plissant légèrement ses yeux ombrageux.

 

« Qui n’aurait pas dû exister. », précisa-t-il au bout d’un temps.

 

Cette fois-ci, cette personne ne parut pas comprendre, malgré la réflexion qu’elle menait de toute évidence au plus profond de son être pour tenter de décrypter cette mystérieuse phrase. Car le sens primaire qu’elle lui trouva lui sembla, non pas loin de la vérité, mais inexact en un certain sens ; car le ton employé laissait véhiculer nombres de sous-entendus qui lui demeuraient insaisissables.

L’homme devenait de plus en plus menaçant, avec son arme levée. Cette personne sentit une larme de sueur lui couler doucement sur le visage, roulant en hésitant contre sa tempe.

 

« Vous savez… Retenez bien une chose, et réfléchissez-y une dernière fois. N’oubliez jamais que le plus grand danger de la balle d’argent est qu’une fois sa mission accomplie, elle ne sera jamais plus aussi blanche et éclatante qu’auparavant.

- Je le sais. »

 

Le regard du jeune homme s’assombrit, tandis qu’il ôtait machinalement la sécurité de son arme.

 

« C’est pour cela que je tenais à agir seul. Pour ne pas avoir à souiller le sang d’autres Silver Bullet. Parce qu’une seule suffit amplement. »

 

Il ferma les yeux, forçant sur ses paupières et retenant son souffle, pinçant ses lèvres et détournant légèrement la tête.

 

« Je n’aurai eu à utiliser qu’une seule balle, dans tout ça… La voilà, votre Silver Bullet. »

 

Mercredi 21 mars XXXX 08:07 p.m. Tōkyō, quartier de Beika Résidence d’Hiroshi Agasa _

 

« De nombreux bâtiments désaffectés dans tout le Japon ont été mystérieusement détruits dans la journée, tous en même temps, à dix heures précises. Il s’agissait d’anciens laboratoires ou de bâtiments connus pour n’être pas utilisés ou habités, pourtant de nombreux corps ont été retrouvés sur place. Des analyses sont encore en cours pour identifier les corps et les moyens utilisés lors de cet acte, mais les spécialistes n’ont pas encore réussi à identifier le type d’explosif mis en œuvre. Notre seul suspect pour le moment serait un homme dans la trentaine d’années qui aurait été aperçu dans les environs de certains de ces bâtiments durant la nuit et la matinée précédant cette attaque encore inexpliquée, mais aucun détail précis n’est encore disponible. Nous pensons pour le moment qu’il s’agit d’un acte terroriste, mais nous ne sommes encore sûrs de rien. Une enquête a été ouverte à ce propos… »

 

Mais même si les informations télévisées ne révélaient en rien le stratagème utilisé, les trois personnes présentes dans la salle ne l’avaient que trop bien compris, sans même que quiconque n’eût besoin de leur expliquer quoi que ce fût.

 

Un type d’explosif encore non identifié. Soit il s’agissait de bombes minuscules d’un genre nouveau, qu’il avait encore une fois ramenées de son époque et qui étaient suffisamment petites pour qu’il pût les garder sur lui sans que personne ne se doutât de rien, soit il les avait construites de lui-même à partir d’éléments qu’il aurait réussi à se procurer ici. Mais les deux options revenaient plus ou moins au même.

Un homme dans la trentaine d’années. D’une manière ou d’une autre, il s’était procuré un antidote de l’APTX 4869, probablement temporaire, afin que personne ne pût le reconnaître ni le suspecter ; parce que Kudō Shinichi ne correspondait pas à cette description.

Le message qu’il avait envoyé aux membres de l’Organisation. S’il leur avait donné rendez-vous à dix heures dans le “Nid”, c’était parce qu’il voulait être certain qu’ils fussent tous sur place au moment de l’explosion. Qu’aucun membre n’y réchapperait. Et c’était pour cela que personne n’aurait rien vu venir : parce que tout s’était produit en même temps.

 

Conan tomba à genoux, frappant le sol de son poing de toutes ses forces. Tremblant de rage, il donna encore quelques coups qui perdirent en intensité. Totalement impuissant et dépassé par les évènements, l’enfant ne put se relever, incapable de supporter le poids de toutes ces émotions qui lui traversaient l’esprit.

 

C’était de sa faute.

Kudō Shinichi avait tué.

Il n’avait pas réussi à l’en empêcher.

Il était responsable de leur mort.

 

Complètement atterré, le professeur ne sut que dire.

 

« Shinichi, je… je ne comprends pas… » balbutia-t-il, ses sourcils tiquant légèrement, preuve d’une intense déroute.

 

Haibara, bien que continuant de cacher son véritable ressenti, gardait sa bouche à peine ouverte, le regard dans le vide.

 

L’écolier n’osait pas même les regarder. Il ne pouvait pas leur dire “Je vous avais prévenus.”

Parce que lui aussi s’était fait avoir. Parce que depuis tout ce temps, lui aussi avait refusé d’y croire. Il refusait de l’admettre.

 

Mais Kudō Shinichi pouvait être un meurtrier.

 

Kudō Shinichi avait été un meurtrier.

 

Mercredi 21 mars XXXX 11:51 p.m. Tōkyō, quartier de Beika Lieu indéterminé _

 

Il l’avait fait.

Il était enfin parvenu à la détruire. Jusqu’au dernier membre, jusqu’à la moindre parcelle de terrain qui leur appartenait.

L’Organisation n’existait plus. Fin de l’histoire.

 

Il déambulait d’un pas lent et pesant le long de la ruelle sombre, comme s’il était totalement perdu. Mais à bien y réfléchir, il était bel et bien perdu : non pas qu’il ne connût pas parfaitement le chemin qui lui permettrait de rentrer chez lui, mais plutôt que ses pensées le perdaient çà et là, le laissant divaguer dans des mirages divers.

 

Il avait réussi ce qu’il voulait faire.

 

Il avait tué.

 

Il avait permis d’anéantir le plus grand réseau de criminels imaginable en une seule journée.

 

Ce n’était que par pure vengeance.

 

Il avait permis de venger nombres d’autres victimes de cette organisation. Ce n’était pas une vengeance personnelle.

 

Il se cherchait des excuses pour ne pas avoir à se blâmer.

 

Il savait depuis le début qu’il affronterait tôt ou tard, de manière lucide, ce dilemme. Car il l’avait déjà affronté, plusieurs fois. Mais alors il n’était pas dans les bonnes conditions pour appréhender réellement, de manière totalement objective, les implications de ses choix.

 

Il dévisagea longuement, de bas en haut, la porte qui lui faisait face. Puis il l’ouvrit.

Il se doutait de ce qui l’attendait à l’intérieur.

 

Il pénétra silencieusement dans l’entrée, et vit que le salon au bout du couloir n’était pas éclairé.

La demeure entière était silencieuse. Vide. N’y avait-il donc personne, finalement ?

 

« Je comprends mieux maintenant pourquoi tu tenais tant à agir seul. »

 

Il semblerait finalement que non.

Il baissa légèrement la tête en plissant les yeux et se mordant la lèvre. Il ne reconnaissait que trop bien cette voix. Il s’était attendu à l’entendre. Depuis le départ.

Il resterait prévisible jusqu’au bout.

 

« Je comprends surtout pourquoi tu tenais tant à ne jamais parler des détails de ton plan. Parce que tu savais dès le départ que si jamais nous savions comment tu comptais t’y prendre, nous ne t’aurions jamais laissé faire. Pas même toi-même. »

 

Conan sortit du coin de mur dans l’ombre duquel il était jusqu’alors caché, marchant d’un pas silencieux mais assuré de manière à se mettre dans la lumière de la lune qui se prolongeait sur le sol, formant un cadre légèrement bleuté. Les mains dans les poches, la tête basse, l’aîné reconnut l’attitude qu’il avait l’habitude de prendre chaque fois qu’il s’apprêtait à faire des déductions par lui-même. Et l’absence de ses lunettes lui donnait un aspect beaucoup plus… adulte, se prit-il à penser. Parce qu’il n’y avait cette fois-ci aucune barrière entre le monde environnant et ses yeux noirs.

 

Un corbeau prit son envol au-dehors, criant de sa voix rauque dans un rire sardonique.

 

L’enfant releva lentement la tête, le transperçant de son regard ombrageux et accusateur. Au bout de quelques secondes, il étouffa un léger sourire semblant nerveux, ou peut-être sarcastique. Il était difficile de savoir ce qu’il ressentait sur le moment.

 

« Le voilà donc, ton véritable visage… Vu que tu n’as plus pris d’antidote depuis une bonne dizaine d’années si mes hypothèses sont bonnes, alors je suppose que tu as calculé comme moi que tu garderas cette apparence durant environ vingt-quatre heures, et que les effets de l’antidote se dissiperont donc cette nuit. »

 

Silence. Il s’interrompit en poussant un long soupir, comme s’il se sentait coupable.

 

« J’ai vraiment été stupide. J’avais déjà tout découvert hier soir, mais je refusais simplement d’y croire. Je n’aurais jamais cru que Kudō Shinichi aurait pu mettre en œuvre un tel plan… et malgré les preuves qui s’accumulaient, je n’avais toujours pas réagi.

- Tu as bien fait. Tu vois bien, maintenant tous nos problèmes sont réglés pour de bon. Dès que l’antidote aura fini de faire effet, cette affaire sera définitivement close. »

 

L’écolier se retourna de nouveau vers lui, le regard plus dramatique que jamais.

 

« Je dois avouer qu’en effet, tu avais raison depuis le départ. Nous ne sommes vraiment plus la même personne. »

 

Silence.

 

« Même s’il s’agissait de l’Organisation, tu n’avais pas à faire ça. Elle devait être arrêtée, pas anéantie !

- Ça aurait pris trop de temps. J’avais besoin d’une solution rapide et radicale, afin de minimiser les risques d’échec. Si je m’étais contenté de vous donner les informations, vos agissements auraient pris beaucoup trop de temps, et l’histoire aurait eu le temps de changer. Il aurait pu y avoir des fuites, et tous les risques que j’avais pris en venant ici auraient été inutiles. J’aurais fini par devenir aussi ignorant que vous à propos de l’Organisation, et—

- Barō ! Arrête de te chercher des excuses, tu sais très bien que c’est seulement par vengeance que tu as cherché à détruire l’Organisation ! »

 

Silence. L’homme – car oui, du haut de ses vingt-sept ans, il avait réellement une carrure bien plus adulte que le lycéen qu’il avait pris l’habitude d’être – eut un vif mouvement de recul, écarquillant les yeux de stupeur.

 

« Mais enfin, qu’est-ce que tu racontes Kudō…?

- Je sais comment tu as pu en apprendre autant sur l’Organisation. Ce n’était pas tant parce que tu avais passé du temps à chercher et accumuler des informations sur eux en les traquant sans relâche ; je dirais même qu’au contraire, tu avais du temps à revendre et que tu étais plutôt impatient de retourner dans le passé pour mener ton plan à bien… C’est plutôt parce que tu étais au meilleur endroit possible pour dénicher ces informations que tu as pu en apprendre autant, et forger ce plan de destruction de l’Organisation. »

 

Silence.

 

« Comment sais-tu tout ça ?

- Haibara m’a raconté tout ce qu’elle savait quand je l’ai confrontée à mes déductions et qu’elle a vu ce que tu avais fait. Je suppose qu’à un moment ou à un autre ce fameux Bourbon aurait réussi à la tuer, ce qui sous-entendait qu’il avait probablement découvert ta véritable identité à toi aussi, et ce qui explique donc comment tu te serais fait enrôler dans l’Organisation. »

 

Il baissa très légèrement la tête, les mains dans les poches de son pantalon. Mais c’était seulement pour montrer un air plus dramatique encore qu’auparavant.

 

« Baïkal, c’est ça ? »

 

Le concerné baissa la tête en plissant les yeux, reflétant comme une infinie tristesse.

 

« Tu ne comprends pas. Tu ne comprendras jamais, de toute façon. »

 

Il releva soudainement le regard, déterminé et hors de lui cette fois.

 

« Le Mystery Train ! Le voilà, le problème ! Juste avant d’y être, Haibara s’était fait filmer par erreur alors qu’elle avait pris un antidote, et Bourbon a réussi à déduire de cette vidéo que Sherry serait dans le Mystery Train ; elle a voulu nous protéger là-bas en prenant un autre antidote et en se faisant tuer en tant qu’adulte, mais c’est justement à cause de ça et du fait qu’Haibara disparaisse en même temps que Bourbon a tout découvert ! Et suite à ça, il était venu pour me proposer de rejoindre l’Organisation en échange de me laisser la vie sauve, à moi comme à tous les autres… »

 

Silence. L’enfant croisa les bras en fronçant les sourcils, écoutant la suite du récit.

Voyons voir si la suite concorde toujours avec mes hypothèses…

 

« Mais ce qui n’était pas prévu et a tout déclenché à ce moment, c’était Ran. »

 

Conan eut un violent déclic.

 

« Qu’est-ce que…

- Ha. Tu ne l’avais pas deviné, ça. Hein ? Moi non plus, je ne l’aurais pas deviné. La probabilité qu’elle se pointe pile à ce moment était quasiment nulle, alors personne n’aurait pu le prévoir.

- Que s’est-il passé ? »

 

Il s’était ravisé, reprenant aussitôt son sang-froid et son expression grave.

Mais son interlocuteur releva légèrement la tête, le dévisageant hautainement et avec un léger rictus sarcastique.

 

« Je vais te laisser deviner, Meitantei. Voilà l’équation : d’un côté, tu as un agent de l’Organisation à l’esprit calculateur et parfaitement capable de tuer de sang-froid, en plein marchandage ; et d’un autre, tu as Ran, qui sort d’on-ne-sait-où, et qui a malencontreusement tout entendu. »

 

Silence. L’enfant tiqua de manière imperceptible, totalement pétrifié.

 

« Tu as compris. Elle n’avait plus le droit de vivre, d’après cet enfoiré. Il a hésité à la prendre en otage, mais il a préféré l’exécuter sur place. Parce qu’elle était totalement inutile. »

 

Silence.

 

« Je vois. Suite à ça, tu as commencé à développer une haine toute particulière contre l’Organisation, et plus précisément contre Bourbon et, surtout, contre la personne qui a été à l’origine d’absolument tous ces ennuis : Ano Kata. Et c’est pour ça que tu as décidé de mettre en place ce plan. »

 

L’homme fit éclater un rire macabre et hautain, qui retentit pesamment dans la pièce.

 

« Ne va pas trop vite, Kudō. Ce n’est que le début. Je sais bien que même si ça t’aurait profondément bouleversé et que ta haine contre l’Organisation aurait été énormément ravivée suite à l’assassinat de celle à qui tu tiens le plus… je sais que tu t’imagines toujours que ça ne t’aurait pas encore mené à vouloir tuer. Encore à ce stade, j’étais comme toi. Je me contentais de vouloir mettre tout ce beau monde derrière les barreaux, comme un gentil justicier naïf. »

 

Silence. L’enfant parvenait avec grande peine à maintenir un apparent sang-froid.

 

« Ils ont incendié l’agence, pour que le meurtre de Ran passe inaperçu autant que la disparition d’Edogawa Conan ; et peut-être aussi pour que personne ne se rende compte que j’étais le véritable cerveau dans les affaires résolues par Mōri Kogorō. Quoique ça, je pense qu’ils n’en avaient en fait rien à faire. »

 

Il s’interrompit quelques courtes secondes, avant de reprendre aussitôt :

 

« Dès mes débuts dans l’Organisation, j’ai pu découvrir les emplacements de certains de ses quartiers. Comme ils voyaient mal un gamin de six ans être relégué au rang d’agent de terrain, ils m’ont donné le rôle d’espion chez le FBI. Jodie m’a donc retrouvé peu après l’incendie, et tout le monde a cru que j’avais réchappé miraculeusement à l’incident, de même que pour Jodie vingt ans auparavant ; conscients qu’il s’agissait de l’œuvre de l’Organisation, ils m’ont donc fait rentrer dans le Programme de Protection des Témoins et ont veillé à ce que je reste proche du FBI…

- Sauf que c’était clairement ce que l’Organisation voulait, puisque c’était la situation idéale pour toi de jouer ton rôle.

- Tu as tout compris. Même si je leur transmettais également des informations, je gardais pour moi-même tout ce qui concernait l’Organisation… Mais je savais qu’il aurait été trop risqué de les transmettre au FBI, ou même à n’importe qui de mon entourage qui aurait pu jouer un rôle de relais. »

 

Silence.

 

« J’étais surveillé en permanence. L’Organisation connaissait toujours ma position exacte, ainsi que celle de toutes les personnes qui pourraient servir de cibles. Au moindre faux pas, tous ceux que nous connaissons pouvaient être tués sans même savoir pourquoi, et moi avec eux.

- Personne ne se doutait de quoi que ce soit ? Personne n’avait remarqué que tu rassemblais autant d’informations sur eux ? »

 

L’homme retint un autre rire sarcastique, se contentant de sortir un carnet de notes plein et à l’aspect désordonné de par les nombreux papiers pliés semés çà et là au hasard entre ses pages ; il devait être âgé de plusieurs années au moins.

 

« Le monde évolue vers un univers technologique, gouverné par l’électronique ; mais il est facile de hacker un ordinateur, comme tu peux t’en douter – d’où ta question. Alors parfois, les traditionnels papier et crayon bien cachés peuvent surpasser les plus grands virus informatiques. J’étais mis sous écoute de partout, mais ils n’avaient pas pensé aux caméras, encore heureux. »

 

Il rangea négligemment le petit calepin dans la poche intérieure de sa veste avant de reprendre son récit.

 

« En fait, j’avais appris qu’Agasa avait réussi à fabriquer une machine à voyager dans le temps, chose pour laquelle il était devenu bien évidemment mondialement connu. Même si au départ, pour des raisons évidentes, il n’avait pas conservé son prototype et l’avait confié au Gouvernement, le fait que j’aie très tôt songé à revenir dans le passé pour me servir des informations que j’aurais récoltées durant ces dix années a fini par le convaincre de fabriquer une autre machine. Il n’a par contre pas hésité à me rappeler encore et encore la grande probabilité d’échec… mais comme tu t’en doutes, plus les années passaient, plus j’avais à y gagner.

- Ça ne me dit toujours pas comment tu as pu en arriver au fait de vouloir détruire l’Organisation en exterminant tous ses membres et tous ses bâtiments en une seule journée. »

 

L’aîné garda le silence pendant un temps indéterminé qui parut s’élargir pour durer une éternité. Le temps semblait arrêté tandis qu’immobile, le regard tremblant d’émotions qui s’enchaînaient et se bousculaient en tous sens – haine, regret, terreur semblaient le perdre complètement –, il refusait obstinément de répondre.

Puis finalement, il lâcha une simple phrase qui tomba dans le néant :

 

« Ils les ont tués. Tous. »

 

Silence.

 

« Je comptais voyager dans le temps le lendemain ; tout ce dont j’avais besoin était déjà prêt, j’avais bien évidemment mon carnet, quelques gadgets d’Agasa, tout ce qui m’aurait permis d’infiltrer l’Organisation en tant que “Baïkal”, avec bien sûr votre aide éventuelle… Mais c’est ce jour-là que tout a commencé à mal tourner. Alors que je pensais déjà avoir touché le fond avec la mort d’Haibara, puis de Ran et de Kogorō-san… ils ont tout découvert. »

 

Silence.

 

« J’ai d’abord appris la mort de mes parents. Puis ce fut celle de tous ceux que j’ai côtoyés au cours des dernières années : la maison d’Hattori Heizō a été incendiée avec, comme tu peux t’en douter, Hattori ; de nombreux autres bâtiments ont aussi été détruits, les uns après les autres. Agasa fut le dernier, et je savais que j’étais le prochain sur la liste. Ils voulaient me rendre témoin de la mort de tous mes proches avant de m’assassiner personnellement. »

 

Son regard totalement perdu dans le vague semblait toutefois retranscrire le même sentiment de terreur qu’il avait ressenti ce jour-là.

Après tout, cela faisait moins d’une semaine qu’il l’avait vécu.

 

« Peu importe, rétorqua gravement Conan d’un ton grave. Je n’arrive pas à comprendre comment ça aurait pu te mener à devenir meurtrier toi-même. »

 

Silence.

 

« Nous sommes des détectives. Les détectives n’utilisent pas leur intelligence pour tuer ou se venger, mais pour sauver des vies, lâcha-t-il avec mépris.

- Mais tu ne comprends pas ! C’est justement pour sauver des vies que j’ai risqué la mienne ! »

 

Silence. L’homme tremblait de manière imperceptible, mais sa tension était réelle.

 

« Oh, et puis après tout, tu n’es pas obligé de comprendre. Ça ne sera plus utile à personne, maintenant que cette histoire est terminée.

- Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda gravement l’enfant d’un ton angoissé, mais à l’apparence calme.

- Je crois que tu as oublié quelque chose dans l’équation, Kudō. »

 

L’enfant frissonna. Son alter-ego avait esquissé un sourire sardonique à un point qu’il n’avait encore jamais montré, ce qui l’inquiéta profondément.

Il craignait ce qu’il allait dire. Et il ne fut pas déçu.

 

« Qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant ? Me faire arrêter ? Tu comptes faire arrêter Kudō Shinichi, étant donné que dès demain matin l’antidote aura arrêté de faire effet ? »

 

Paralysé de stupeur, il ne put que retenir un violent mouvement de recul, se contentant d’écarquiller les yeux de terreur.

 

« Même si tu cherchais à faire comprendre que je n’étais pas le véritable “Kudō Shinichi”, ils auront autant de preuves que nous du contraire. Je sais que tu ne me feras pas arrêter pour cette raison, et comme mon plan a été effectué de manière à ne laisser strictement aucune trace de l’implication de Kudō Shinichi dans cette affaire, personne ne pourra jamais m’accuser d’être l’auteur de tout ça. »

 

Il marqua une très courte pause, haussant encore une fois sa tête et s’adossant négligemment contre la porte, les mains derrière le dos.

 

« Même si mon plan avait des failles que je n’aurais pas trouvées, tu serais incapable de les découvrir puisque nos modes de raisonnement sont exactement les mêmes. Et comme tu es le seul à pouvoir m’accuser, mais que tu ne le feras pas… le dossier est clos. »

 

Il redevint grave, mais son rictus hautain ne l’avait pas encore quitté.

 

« Je te l’avais dit, Kudō. Plan totalement infaillible. »

 

L’enfant pesta silencieusement, serrant les dents et se mordant légèrement la lèvre.

 

« Enfoiré…

- Eh. C’est pour toi que je l’ai fait, je te signale. Ça t’évitera d’avoir des problèmes à cause de moi ; personne n’ira t’accuser d’un crime que tu n’as pas commis.

- Comment ça ? »

 

L’homme baissa le regard et accentua très légèrement son sourire, qui s’était largement ténu depuis. Mais cette fois-ci, il n’avait rien de sarcastique, bien au contraire.

 

« Tu te souviens, lors de notre première rencontre, lorsque tu m’avais demandé ce que je comptais faire une fois que tout serait terminé ? Eh bien, voilà ta réponse : je n’ai jamais eu l’intention de prendre ta place indéfiniment. Ma liste de crimes est déjà bien assez longue comme ça. Et puis… »

 

Il n’acheva jamais sa phrase. Il ferma un instant ses paupières, prenant une légère inspiration. Puis il releva lentement un regard indéchiffrable, semblant presque vide.

 

« Maintenant, cette histoire est terminée. C’est là que notre marché prend fin. Il ne me reste plus qu’une seule chose à faire… L’Organisation n’a pas complètement disparu, mais ce sera bientôt réglé. »

 

L’aîné maintint un court silence, juste le temps de relever la tête.

L’écolier eut peur de comprendre, car il marqua un sursaut rapide qui témoigna de sa surprise. Il tenta de placer quelques balbutiements, mais son alter-ego ne lui en laissa pas le temps.

 

« Adieu, Kudō. Je n’ai plus rien à faire ici. »

 

Il se saisit soudainement de la poignée de porte qui se trouvait juste derrière lui, la tourna et se précipita au-dehors au quart de tour, refermant aussitôt l’épais panneau de bois derrière lui en le claquant fortement. Ayant déjà sorti ses clés de la poche de son pantalon, il verrouilla rapidement la porte avant de partir en courant le plus rapidement possible, jetant le trousseau contre l’épais panneau de bois.

 

Même au bout d’une centaine de mètres de course, il ne s’arrêta pas. Il savait que ce n’était pas parce qu’il l’avait enfermé qu’il en serait débarrassé pour autant. Loin de là. Cela avait pour seul but de le ralentir un tant soit peu.

Et il devrait courir jusqu’au bout, cette fois-ci. Il savait où il devait aller. Il savait ce qui lui restait à faire.

 

Il entendit un bruit de fenêtres s’ouvrant violemment, quelque corps s’écrasant avec habileté contre la route, puis la voix du gamin l’interpeler de loin.

Exactement comme il pouvait s’y attendre de Kudō Shinichi.

Et encore, s’il lui avait laissé ses gadgets, il était certain qu’il aurait entendu des bruits de verre cassé, qui auraient pu alerter les voisins en plus de cela. Et il ne le voulait pas.

 

Décidément, en le voyant ainsi, il se prenait à croire qu’il ne changerait jamais.

Même s’il était plus que certain qu’un gamin de six ans ne parviendrait jamais à rattraper à la course un homme ayant physiquement vingt ans de plus que lui, il continuait à s’agripper à ce maigre espoir qui lui affirmait qu’il pourrait y parvenir.

 

Ah, l’espoir… Combien de temps cela faisait-il depuis qu’il avait perdu cette capacité à trouver une telle espérance là où il n’y avait logiquement aucune chance que ses prières fussent entendues ?

 

XXX XX XXX XXXX 11:34 p.m. XXXX, USA

 

Il sentait l’odeur des flammes toutes proches. Sa demeure était en feu. Il savait que s’il tardait ne serait-ce que pour quelques minutes, il serait mort. Et pourtant il ne voulait pas sortir. Il savait ce qui l’attendait s’il sortait.

 

Il retrouva, à leur place près de la reproduction de la machine à voyager dans le temps qu’il avait cachée dans sa cave, toutes les affaires qu’il comptait apporter avec lui.

C’était le strict minimum. Cela rentrait aisément dans ses poches tout en étant totalement invisible. C’était parfait.

 

Il démarra l’ordinateur permettant de programmer la machine, puis commença d’entrer les données.

 

Il reconsidéra une dernière fois son plan pendant que ses doigts coursaient sur le clavier en le martelant sans répit.

Mais cette fois-ci, il n’avait pas le cœur à réfléchir. Et il n’en avait pas non plus le temps.

 

Il avait son carnet, qui possédait toutes les informations dont il aurait besoin. Si jamais il ne survivait pas au voyage, il y avait au moins de plus grandes chances que son carnet, lui, demeurât intact. Dans ce cas, il y avait seulement à espérer que quelqu’un – de préférence, celui qui serait son “autre lui” – entrât en possession de ce carnet, pour faire bon usage de ces précieuses informations.

Il avait son portable, et donc les numéros de téléphone de tous les membres de l’Organisation. Mais s’il les contactait ainsi, ce serait en tant que “Baïkal” – non, de Kudō Shinichi. Il lui faudrait trouver quelque chose de plus pour rendre cela utile et exploitable.

Il avait quelques gadgets d’Agasa, qui lui permettraient d’infiltrer aisément les lieux en toute discrétion. Il avait bien évidemment les clés de son ancienne demeure de Beika, pour des raisons évidentes.

Il ajouta en dernière minute la carte bancaire que ses parents avaient dix ans plus tôt, qu’il avait conservée en lieu sûr depuis, en cas de besoin. S’il survivait, cela pourrait éventuellement lui être utile. Même si logiquement une autre l’attendrait déjà là-bas, il était peut-être plus intelligent d’en avoir deux.

 

En effet, un plan nouveau, et ô combien plus efficace avait commencé à mûrir dans son esprit. Il était de plus en plus conscient que ses chances de réussite étaient très minces. Alors il fallait à tout prix placer tous les atouts de son côté.

 

Il secoua sa tête.

 

Non. Il ne pouvait pas faire ça. Il ne vaudrait pas mieux qu’eux dans ce cas. Ils lui avaient tout enlevé, mais ce n’était pas une raison pour leur rendre la pareille.

 

Ou en était-ce une… ? Il serait loin d’être le seul ravi de voir cette Organisation anéantie. Tous ceux qui avaient eu affaire à eux auraient forcément un désir de vengeance à son égard. Oui, c’était certain. Si jamais il le faisait, ce ne serait pas dans son seul intérêt.

 

Il le ferait. Il allait être le représentant de toutes les victimes de l’Organisation. Il allait sauver la vie de tous ceux qui auraient eu affaire à elle durant ces dix dernières années. Il allait sauver Haibara, Ran, tout le monde. Même ceux qui avaient été tués sans même qu’il ne le sût.

 

Personne ne serait là pour le remercier, mais il tenait à agir anonymement. Il ne voulait pas être remercié pour ce qu’il ferait. Après tout, cela ferait de lui un meurtrier.

Mais il allait tuer des meurtriers. Il allait tuer des gens capables du pire. Il était beaucoup trop dangereux de les laisser à l’air libre trop longtemps.

 

Tout était prêt. Il n’avait plus qu’à appuyer sur une dernière touche, et le voyage serait aussitôt déclenché.

Il doutait encore de son plan. Après tout, il refusait d’être un meurtrier. C’était contraire à tous ses principes. Mais de toute manière, il aurait tout le temps d’y repenser plus tard.

 

Il se releva légèrement, inspirant une dernière fois un air de plus en plus lourd et torride, mais qui devait lui redonner un peu de courage.

 

Mais il se retint dans son geste.

 

Il risqua un œil vers les limites de son champ de vision, sans bouger la tête, pour bien vérifier qu’il s’agissait bien de ce qu’il craignait.

 

Mais c’était bien le bout du canon d’un revolver qu’il avait derrière lui, braqué contre l’arrière de son crâne.

 

« Gin… » marmonna-t-il gravement.

 

Le concerné esquissa un sourire sadique, ôtant la sécurité de son arme dans un déclic mécanique.

 

« J’ai du mal à croire que ça va bientôt faire dix ans que j’ai failli te tuer… Cette fois, je compte bien ne pas te louper, gamin. »

 

Le lycéen pesta intérieurement.

 

« Enfin… tu n’es plus vraiment un gamin, “là-dedans” — il avait marqué un appui plus prononcé sur son arme, comme pour bien désigner sa tête. Mais bientôt, ça n’aura plus d’importance, puisque ta petite caboche va bientôt sauter. Ça ne fera aucune différence. »

 

Silence. Il baissa le regard d’un air résigné.

 

« Qu’attends-tu pour tirer, Gin ?

- Laisse-moi juste savourer cet instant. L’instant où une des plus grandes menaces que l’Organisation a connues jusqu’à ce jour va tomber. Tu imagines à quel point les autres vont être jaloux ? Je sens que beaucoup vont m’en vouloir par la suite, parce que j’aurai eu le privilège de tuer Kudō Shinichi, et pas eux. »

 

Un violent frisson parcourut son échine du bas vers le haut.

 

Ainsi donc, tuer était un honneur. Un privilège. Ils étaient prêts à se battre pour tuer un ennemi.

 

Ils avaient eu du plaisir à tuer des innocents. Juste pour le faire souffrir.

 

Comme s’il méritait d’être puni, et que ses proches subissaient eux aussi son châtiment. Comme s’ils voulaient le faire culpabiliser pour leur mort à tous.

 

Comme s’il était coupable de leur mort.

 

Comme s’il les avait tués.

 

Alors comme cela, il avait déjà tué, sans même s’être sali les mains.

 

C’était cela qu’ils voulaient lui faire dire : même s’il n’avait pas braqué une arme contre quiconque, il était malgré tout meurtrier.

 

« C’est bien cela, Baïkal. Tu te proclames détective. Représentant de la justice. Mais tu ne vaux pas mieux que nous. »

 

Il trembla nerveusement.

 

« Tu n’es rien. Absolument rien. Tu le seras encore plus quand j’aurai troué ta sale petite tête de traître. »

 

Il ne réagissait plus. Il paraissait ne même plus l’entendre, mais son regard horrifié montrait que le moindre mot qui tombait dans ses oreilles le marquait profondément.

 

« Allez, finissons-en. Tu vas pouvoir retrouver tous tes copains, maintenant… »

 

Il sentait qu’il allait mourir.

 

Il ne voulait pas mourir.

 

Il sentait l’atmosphère de la salle devenir de plus en plus torride. Les premières flammes commençaient à lécher le haut des escaliers menant à la cave.

 

Il entendit un nouveau déclic mécanique. Ce serait le dernier qu’il entendrait. Le prochain allait le tuer avant même qu’il n’eût le temps de l’entendre.

 

Il ne voulait pas mourir.

 

Il avait peur de mourir.

 

Sans même s’en rendre compte, comme par dernier réflexe de survie, il crispa sa main droite.

 

Son index était posé sur la touche “Entrée” depuis le départ. Il avait déjà sur lui le dispositif assurant son transfert, à lui et à lui seul.

 

Il entendit, au loin, comme l’écho d’un coup de feu. Gin avait appuyé sur la détente, mais il n’avait pas ressenti que la balle l’avait touché.

 

Il perdit soudainement connaissance.

 

Mercredi 21 mars XXXX 12:19 a.m. Tōkyō, quartier de Beika Sakurada Dori _

 

Conan trébucha contre un pavé, tombant à genoux. Haletant, il ne parvint pas tout de suite à se relever. Son corps d’enfant ne lui permettait plus de continuer.

Une fois qu’il eut retrouvé un tant soit peu son souffle, il ne l’utilisa que pour jurer en frappant le sol de son poing. Parce qu’il savait que son alter-ego avait désormais pris trop d’avance. Il ne le rattraperait plus.

 

Il entendit des bruits de pas essoufflés derrière lui. Se retournant, curieux, il fut toutefois profondément surpris de découvrir la personne qui accourait vers lui.

 

« Ran… Qu’est-ce que tu fais ici ?! »

 

Lorsque la concernée arriva enfin à son niveau, elle s’arrêta et se pencha vers lui pour lui demander s’il allait bien.

 

« J’ai reçu un message envoyé par le portable de Shinichi, donc je suppose que c’est “lui” qui me l’a envoyé… Je sais que tu m’as demandé d’être prudente avec lui, mais il disait que je te trouverais dans les environs de Sakurada Dori et me demandait d’aller te chercher, alors j’ai préféré l’écouter… J’avais un peu peur de savoir pourquoi j’aurais besoin de venir te chercher ici… »

 

L’enfant se prit à rire nerveusement.

 

« Alors il avait vraiment tout calculé, l’enfoiré… même l’endroit où je le perdrais de vue.

- Que s’est-il passé, Shinichi ? »

 

Il se releva lentement, puis expliqua longuement les détails de tout ce qu’il savait. Son amie lui confia qu’elle n’avait jamais imaginé qu’il aurait pu aller aussi loin, et lui demanda s’il comptait frapper de nouveau, plus tard.

 

Il jeta un coup d’œil vers le dernier endroit où il l’avait vu fuir, puis prononça une simple phrase d’un ton posé, calme en apparence.

 

« Non… Je ne crois pas qu’il reviendra. »

 

Il se retourna gravement vers elle, lui faisant signe silencieusement de partir. Tous deux commencèrent de s’éloigner vers l’agence, mais l’enfant se retourna une dernière fois, plongeant son regard vers le lointain pont de Beika.

 

Une silhouette noire se tenait sur la rambarde du petit bâtiment, semblant attendre indéfiniment comme si elle-même savait qu’elle était observée. Comme si elle attendait d’être certaine qu’on l’observait.

Et soudainement elle tomba, sans un bruit.

La Teimuzu paraissait l’avoir engloutie, sans même s’agiter pour témoigner qu’elle avait apprécié ce bon repas.

 

L’enfant eut un mouvement de recul discret et un air désolé, se mordant la lèvre.

Mais il se retourna lentement, tête baissée. Il n’aurait rien pu faire, de toute manière. Il était trop loin.

 

Il avait réussi son plan jusqu’au bout. Le tout dernier membre de l’Organisation des Hommes en noir venait de tomber, englouti dans des flots aussi sombres que son âme autrefois immaculée.

La Silver Bullet, tâchée de sang, ne reluisait désormais plus que dans des tons écarlates.

 

Il entendit un battement d’ailes pesant. Un corbeau venait de s’envoler, son bec d’argent grand ouvert, croassant comme un requiem qui résonna dans tout Sakurada Dori durant un instant qui sembla s’allonger éternellement.

C’était la pleine lune. Une belle lune argentée, qui commençait toutefois de virer dans des tons cendrés. Le volatile sembla vouloir cantonner sa mélodie rauque tout en s’en approchant fièrement.

 

Conan le regarda finalement planer vers le pont, puis baissa le regard vers les flots immobiles et argentés où venait de s’abîmer le dernier Homme en noir. Puis il ferma les yeux, résigné.

 

Adieu, Baïkal.

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