New Birth

Chapitre 9 : Projets de mariage

1998 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 18/11/2016 22:36

L'hiver sera bientôt là. Je le remarque en sortant ce matin. Le trottoir est recouvert d'une fine couche de givre . Les premières vraies gelées ne tarderont pas. Voilà qui ne me dérange pas le moins du monde. C'est une période agréable, pour peu qu'on fasse un peu attention à son équilibre dans la rue ! Les premières neiges feront sans doute leur apparition d'ici peu, si j'en juge par les gros nuages noirs qui s'amoncellent à l'horizon. Pas aujourd'hui mais dans les semaines qui vont suivre.


Il fut un temps où cette période était synonyme de joie et d'allégresse dans la lointaine Amérique. On y fêtait Noël : les avenues étaient illuminées de mille feux, les vitrines inondaient de leds, de cadeaux et d'automates, les grands magasins se paraient de guirlandes et de boules multicolores, les Pères Noël déambulaient dans les rues, pour le plus grand plaisir des petits. De nos jours, avec l'abandon de la foi, les restrictions des ressources disponibles et surtout le peu d'enfants, tout cela ne se résume plus à grand chose. Néanmoins, il reste un peu de magie dans les rues et les commerces, qui commencent à se parer de quelques guirlandes et de quelques sapins décorés. Je me plais à les regarder quand je marche. C'est une période agréable, même si elle n'a sans doute plus rien à voir avec le faste d'antan.



J'irai peut-être acheter un sapin cette année. Ils sont rares donc chers. La faute au manque d'espace de New York. La ville est restreinte au minimum, un quart à peine de la surface qu'elle occupait au XXIème siècle. Tout a été recentré sur Manhattan, qui recueille désormais toute la population saine des Etats - Unis. Quand on pense aux millions d'habitants qui vivaient ici avant, ça donne une idée de l'énorme gâchis qu'ont engendré les guerres de purification. On y vit en relative paix, rien à voir avec les autres villes qui sont encore en proie aux affrontements, aux crimes les plus sordides et à la misère des habitants « déficients ». Qu'ils soient « parqués » en dehors de la ville m'a toujours soulagée mais, depuis que je connais Tobias, qui vient d'une de ces villes de Déficients, ils me font pitié. Sans doute parce que tout à coup, j'ai pu mettre un visage sur ces anonymes, alors qu'avant ils ne se résumaient pour moi qu'à leur nature imparfaite : la déficience. Sont-ils finalement si différents de nous ? N'ont-ils pas eux-aussi le même genre de sentiments que ceux qui nous animent : l'amour, l'amitié, l'envie, la jalousie ? Tout ce qui fait un humain, déficient ou pur.




Mes réflexions m'ont conduite à mon poste de travail sans que je m'en rende compte. J'ai salué Suzan mécaniquement en m'asseyant. De toute façon, elle est absorbée par une conversation téléphonique. Et puis c'est le genre de réflexion qu'elle balaie généralement d'un revers de la main. Les autres villes ne l'intéressent pas. Pour Suzan, l'Humanité se résume à la ville de New York, puisque c'est la seule qui contienne des gens « purs ». J'ai déjà essayé d'en parler avec elle, mais elle refuse de les considérer comme des personnes dignes d'intérêt ; je me demande des fois si elle les considère même comme des Humains. Suzan n'est pas une mauvaise personne : elle est juste ignorante de beaucoup de choses. Et ce n'est pas sa faute, c'est voulu par le gouvernement. Laisser les gens dans l'ignorance et la peur de l'autre, en maintenant leur petit confort, c'est le meilleur moyen d'obtenir la paix. J'étais comme ça aussi avant. Mais je commence à ouvrir les yeux, après avoir lu et vu tout ce qui s'est passé à Chicago. J'aimerais en parler avec Tobias, ce serait intéressant. Mais vu ce qu'il s'est passé entre nous, je doute que ce soit une bonne idée.




— Dis, m'interpelle Suzan, en me faisant sursauter, ça te dirait de venir dîner à la maison pour Noël ? 


La demande me laisse sans voix. Depuis quand Suzan fête t-elle Noël ?


  — Tu sais, poursuit-elle, c'est une première pour moi aussi, semblant comprendre l'étonnement qu'elle lit sur mon visage. Je … j'ai … Nous.... 


Visiblement, elle cherche à me dire quelque chose sans trouver les bons mots. Elle finit par se lancer.

— Sean m'a demandé en mariage. J'ai dit oui. Du coup, on s'est dit que c'était le moment de commencer des traditions familiales. 


J'en reste sans voix, puis me reprenant, je me lève de mon fauteuil et la serre contre moi. 

— Félicitations, ma belle, je suis très très heureuse pour vous deux .


C'est sincère, vraiment. Décidément, cette période me plaît de plus en plus.



Alors que je m'apprête à lui en demander un peu plus sur la suite des préparatifs, un mouvement vif attire mon attention. Une équipe de sécurité vient de faire irruption dans le hall. Une bonne dizaine de personnes, hommes et femmes en uniforme de la Newbirth. Le mouvement est néanmoins ordonné, sous la direction d'un chef que je reconnais entre mille : Tobias. Il a l'air soucieux, concentré. Chacun accomplit sa tâche sans demander d'explications : apparemment une vérification de toutes les issues et de tout le matériel de sécurité.



Je jette un coup d'oeil à Suzan, qui ne semble pas en savoir plus que moi. Mais avec l'agilité d'une fouine, elle est déjà à côté de Sean, qui participe à l'opération. Quelques mots échangés, et elle me fait déjà un compte-rendu :


— Il y a eu une une intrusion apparemment.

— Comment le savent-ils ? m'étonné-je.

— Les caméras des surveillance ont filmé quelque chose, cette nuit. Ils cherchent par où ils ont bien pu entrer.




J'observe la vive discussion qui vient de débuter entre Tobias et le directeur adjoint. S'il est venu en personne, c'est que ça doit être un peu important. Ils fixent une tablette, semblant observer avec attention une image cruciale. Tout à coup, Tobias me montre du doigt. Mince, ont-ils repéré mon indiscrétion ? Alors qu'ils s'approchent, je remonte machinalement ma queue de cheval. Quelle idiote, voilà un geste sur lequel je vais devoir travailler !


— Mademoiselle Simon, me questionne le vice-président, peut-être pouvez – vous nous aider? 


Sa requête me coupe le souffle.

— Moi ? Mais comment ?

— Vous qui êtes aux premières loges dans ce hall, reconnaîtriez-vous quelqu'un sur cette vidéo ? me demande-t-il tout en me tendant l'appareil.


— Bien sûr, Monsieur. Celui-ci, c'est George Hamilton. Je le connais parce qu'il n'habite pas très loin de chez moi. Je reconnaitrais sa casquette NY collector entre mille, il ne la quitte jamais. Il fait partie du mouvement de contestation qui fait le siège de la société régulièrement. Tout comme celui-là, dis-je en désignant l'homme encapuchonné qui l'accompagne. Je ne connais pas son nom, mais sa façon de boiter caractéristique m'avait déjà interpellée. Lui il ne vient que le lundi.


La vidéo étant terminée, je lui rends la tablette. Il est interloqué :

— Mais …. bégaie-t-il, vous … vous êtes sure ?

— Tout à fait ! Ils passent leur temps devant les portes, j'ai fini par les connaître un peu …



Le directeur passe des sourcils froncés à un large sourire :

— Vous voyez, Eaton ! Les yeux et les oreilles de cette entreprise ! Je vous l'avais dit .


Tobias se met à rire. Il semble gêné pour moi. J'aimerais finir cette entrevue au plus vite. D'abord parce que la réflexion me vexe au plus haut point, et ensuite parce que revoir Tobias tout sourire devant moi est plus difficile que je ne l'aurais pensé.


Je me retourne et fait mine de m'affairer.

— Clare ?  fait la voix de Tobias derrière moi.


Merde, qu'est-ce qu'il veut ? Je me retourne lentement pour lui faire face.

— Tout va bien ?


J'ai l'air d'aller si mal ? Mince, de quoi ai-je donc l'air pour qu'il me pose la question ?


— C'est vrai que tu n'as pas bonne mine depuis quelques temps, intervient Suzan.

De quoi se mêle-t-elle ?


— Je suis fatiguée, c'est tout , je lâche. Espérons que ça lui suffira. Mais elle semble prendre du plaisir à enfoncer le clou.


— Ne t'énerve pas. Je m'inquiète un peu, c'est tout. Tu as déjà été plus resplendissante, n'est-ce pas M. Eaton ?


Je ne lui laisse pas le temps de finir et l'arrête d'un mouvement du bras.

— Merci Suzan. Pas la peine de t'inquiéter pour moi. Je vais parfaitement bien ; si j'avais eu le moindre problème, j'aurais été avertie par le service médical. Je te rappelle avoir subi un check-up il y a quelques semaines.


Visiblement, lui, ça l'amuse, si j'en juge par son sourire en coin.

— Clare est toujours resplendissante, voyons. Même fatiguée ! lui répond - il avec un clin d'oeil de connivence.


Ils sont en train de se moquer de moi là ou quoi ? Et depuis quand sont-ils aussi proches pour faire des plaisanteries ensemble ?


— Au fait, Tobias ? change-t-elle de sujet. Sean vous a-t-il parlé de notre projet ?

— Oui, hier, répond-il, j'ai accepté bien sûr.

— Formidable ! s'exclame Suzan. Je suis ravie. Comme Clare a accepté aussi, voilà notre liste bouclée ! 


Hein ? Aurais-je loupé un épisode ? J'aurais accepté quoi ?

Mais Suzan n'a pas l'air de se soucier de mon regard interdit :


— La cérémonie aura lieu à Noël ; nous avons pensé associer les deux fêtes, ce sera plus sympa.

— J'y serai, soyez-en assurés. C'est franchement un plaisir et je suis honoré de participer à un tel événement ! Sur ce, j'ai des cambrioleurs à retrouver. Bonne journée !


Je reste là sans rien dire. A peine a-t-il passé la porte de l'ascenseur que je me retourne brusquement vers ma collègue.

— Merde, Suzan, c'est quoi ce cirque ? J'ai accepté quoi ?

— D'être mon témoin bien sûr. Et comme Tobias a accepté d'être celui de Sean …

— C'est n'importe quoi.

— Mais non ! Sean y tenait beaucoup, il apprécie Tobias. Ils ont bien sympathisé. D'ailleurs, Tobias lui pose souvent des questions sur toi. Et puis votre truc, ça n'avance pas ! Faut bien que je mette mon grain de sel !

— Parce qu'il n'y a pas de truc, tout simplement ! Et puis c'était quoi cette remarque sur mon physique fatigué ?

— Désolée, c'est sorti tout seul, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise. Et puisqu'il n'y pas de truc, comme tu le dis, ça n'a aucune importance non ?

— Non, enfin si. Ohhh, tu m'énerves.

— Vous vous tournez autour depuis trop longtemps, tu ne crois pas ?

— N'importe quoi. Je ne l'intéresse pas.

— Parce que tu crois ça ? Quand tu n'es pas à ton poste, il envoie systématiquement quelqu'un vérifier où tu es. Super discrètement hein, ricane-t-elle. Quand il passe dans le hall, il vérifie toujours si tu es là. Et il passe beaucoup dans le hall., beaucoup plus que nécessaire. Tu sais de quoi il avait l'air toi, l'ancien chef de la sécurité ?


Je dois bien avouer que non. J'aimerais la croire. J'hésite. Mais non, mieux vaut ne se faire aucune illusion. Je hausse donc les épaules et entreprends de rédiger un courrier urgent. Pourquoi ma vie est-elle si vide et si compliquée en même temps ?



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