New Birth

Chapitre 15 : Fuite

2360 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/12/2016 22:22

Il ne me faut qu'une fraction de secondes pour réagir : c'est ma dernière chance, je n'en aurai pas d'autre. Je suis au milieu de ma chambre, et mes pas sont plus assurés que je ne l'aurais pensé. J'atteins la porte en moins de 2 secondes, pose la main sur la poignée au premier essai, j'appuie et je tire. Bon sang, elle s'ouvre. Mon cœur bat la chamade. Je me faufile sans bruit dans le couloir et referme la porte avec précaution. Elle a tendance à grincer, et je prie intérieurement pour que ce bruit d'habitude discret ne se transforme pas en vacarme dans le silence effrayant du couloir.


J'ai largement eu le temps d'observer et de mémoriser les lieux à chaque fois que l'infirmier venait me chercher pour faire des examens. Long de 25 mètres environ, le couloir se termine à gauche par deux ascenseurs que j'emprunte quasiment à chaque fois. Et à droite par deux portes battantes qui donnent sur les escaliers. Je ne les ai montés qu'une seule fois, quand l'ascenseur était en panne. Ma chambre est située à une dizaine de mètres des ascenseurs, ce qui me laisse hélas près de 15 mètres à parcourir dans le noir le plus total. Peu importe, je tente le coup.


Je prends directement à droite, parcours environ 3 mètres et tente de trouver à tâtons la poignée de porte de la chambre de Sophia. Ce que je découvre à la place manque de me faire hurler : un corps humain, plaqué contre la porte. Un main saisit la mienne en serrant fort mes doigts glacés :

— Clare, n'aie pas peur, c'est moi Sophia !


Ces quelques mots murmurés me font monter les larmes aux yeux. Bon sang, elle a eu le réflexe et surtout le courage de sortir de sa chambre. Je serre sa main à mon tour en l’entraînant derrière moi.

— Suis – moi. Essaie de ne pas faire de bruit.



Nous longeons le mur du couloir en silence, aussi vite que je le peux. Mes mains qui me devancent m'aident à me repérer. Je compte les portes au fur et à mesure, me demandant à chaque fois si derrière se trouve une autre femme apeurée. Mais je chasse l'idée, j'ai déjà bien assez de nous deux à sauver. Quand j'arrive à 5, je ralentis. Les portes battantes ne doivent plus être très loin.



J'ai chaud, j'ai froid, je transpire à grosses gouttes tout en essayant de faire abstraction de la douleur lancinante qui me transperce le ventre à espaces réguliers. Je suis trop concentrée sur notre folle entreprise pour me rendre compte que c'est de la folie d'essayer de m'enfuir dans ces conditions. Tant pis, je n'ai plus rien à perdre.




Enfin mes doigts trouvent le battant droit ; je pousse légèrement. Elle résiste un peu, sans doute à cause du joint en silicone qui permet aux portes de rester bien fermées. Puis elles s'entr'ouvrent enfin. Je respire fort, autant à cause du stress de notre fuite qu' à cause de mes contractions, de plus en plus intenses. Je souris intérieurement quand soudain deux faisceaux de lampes de poche se mettent à briller au fond du couloir. Non, pas maintenant ! Je pousse Sophia dans l’entrebâillement et me glisse du mieux que je peux à sa suite. Je m'écroule en me laissant glisser au sol, dos contre les deux battants qui se sont refermés derrière nous dans un léger bruit étouffé.




J'attends, fébrile : nous ont-ils vues ? Les secondes passent, longues et indécises. Pas de réaction dans le couloir. Mue par une force dont je ne me serais pas crue capable, j'attrape Sophia par la manche et commence la descente de l'escalier. Nous sommes au premier étage, je le sais parce que c'est inscrit sur le plan d'évacuation situé juste à côté des escaliers. Un vieux plan sous verre, que j'ai essayé de mémoriser la dernière fois que je suis passée devant. J'ai prétexté à l'infirmier vouloir reprendre mon souffle. Je n'ai pas eu beaucoup de temps, mais j'ai retenu le principal.



Je descends marche après marche, prudemment. Il doit y en avoir une dizaine jusqu'au premier palier, qui permet à l'escalier de bifurquer à 180 degrés. Le virage se passe plutôt bien, nous reprenons notre descente. Sophia est muette, sans doute terrifiée. Elle a sans doute pris sur elle pour se décider à participer à cette folie.


— On y est presque, je murmure à ma camarade.


Pour seule réponse, elle serre ma main avec encore plus de force.




Arrivée en bas, je bifurque à droite, essayant de me rappeler le plan gravé dans ma mémoire. Le couloir n'est pas très long, me semble-t-il. Une douleur fulgurante, bien plus forte que les autres, me fait trébucher. Je me retrouve à genoux, le souffle coupé. Fort heureusement, je n'ai apparemment pas entraîné mon amie dans ma chute. Je sens qu'elle pose ses mains sur mes épaules.

— Qu'est-ce qui se passe Clare ? Tu gémis depuis tout à l'heure.

— Je crois que le travail a commencé.

— Bon sang, depuis combien de temps ?

— Hier soir, je finis par avouer.

— Hier soir ! me répond-elle d'une voix paniquée. Mais tu es folle, on n'aurait jamais dû tenter quoi que ce soit dans ces conditions !


Ses mains tremblent, et sa voix chevrote elle-aussi. Hors de question qu'elle craque maintenant.


— C'est notre dernière chance Sophia.

— Et si ça se passe mal ? Tu ne peux pas accoucher là.

— Je préfère mourir que de lui laisser nos bébés, non ? Pas toi ?


Sophia me répond par le silence. Puis soudainement, elle passe les mains sous mes aisselles pour m'aider à me relever.

— Plus que quelques mètres, ma belle, me dit -elle d'une voix plus sûre. Allez, on va y arriver.





Accrochées l'une à l'autre, nous avançons jusqu'à trouver une porte. La porte de sortie, je le sais. J'appuie de toutes mes forces sur la barre métallique et pousse vers l'extérieur. Un vent frais m'accueille dès le seuil franchi. Je respire avec avidité l'air extérieur : je suis restée tellement longtemps enfermée que j'ai l'impression de revivre. Mes yeux sont tellement habitués à l'obscurité du bâtiment que la clarté du soleil m'aveugle douloureusement. Je n'ai pas vu la lumière du jour depuis des mois.




Je me tourne alors vers ma camarade et la découvre pour la première fois. Elle est petite, plus que moi en tout cas. Je distingue des cheveux bruns et frisés et un teint qui semble être mat. Impossible de déterminer avec certitude la couleur de ses yeux, mais ils semblent foncés. Elle me regarde avec un sourire éclatant : sans doute ne croit-elle pas non plus que nous ayons réussi à sortir. Nous tombons dans les bras l'une de l'autre. Mais pas le temps pour les effusions : nous sommes sorties du bâtiment, mais pas de l'hôpital . Il semble être bien plus grand que je ne l'aurais crû quand j'étais enfermée. Un bref regard m'indique qu'il doit être abandonné depuis belle lurette. Les plantes ont commencé à reprendre le dessus, dans les allées où le gravillon disparaît peu à peu sous l'herbe, dans les espaces verts laissés en friche et même sur les murs envahis par le lierre. Les briques rouges ne sont pas sans charme, mais je n'ai guère le temps d'en admirer la beauté : une violente contraction me plie en deux. Je m'appuie des deux mains à un mur, le front contre les pierres froides. Sophia se précipite mais je l'arrête d'un geste de la main. J'entreprends de respirer à fond, mais ce qui marchait jusqu'à maintenant ne semble plus guère me soulager.


— Il faut qu'on sorte de l'hôpital, me murmure Sophia. Tant que nous sommes dans l'enceinte du bâtiment, nous sommes pas en sécurité. On doit rejoindre la rue.

— Tu sais où nous sommes ?

— Oui, c'est St Francis. Je n'y suis venue qu'une seule fois, c'est assez loin de chez moi.

— C'est sur Long Island ? Non ? dis-je en essayant de me repérer sur les anciennes cartes de New York vues dans mes livres d'Histoire.

— C'est ça, effectivement, me répond ma camarade un poil admirative. T'es pas mauvaise en géographie pour une Planquée.

— Une Planquée ? m' étonné-je.

— Oui, une Planquée, me répète-t-elle avec un sourire en coin. Une Princesse qui vit dans sa petite ville tranquille, à l'abri du besoin et de la violence. Ok Princesse, tu te sens capable d'aller plus loin ?


Pour toute réponse je quitte mon mur et me retourne vers elle. Cette fois, c'est elle qui prend la tête de l'expédition. En premier lieu, parce qu'ici elle est dans son élément. Loin de chez elle, certes, mais habituée aux rues et au monde hostile de l'autre côté du mur. En second lieu, parce que je ne me sens plus capable de prendre des décisions. J'ai fait le plus gros, je me laisse guider à présent, lasse et fatiguée. Nous longeons plusieurs bâtiments, nous indiquant toutes les spécialités autrefois traitées ici : pédiatrie, maternité, oncologie … L'hôpital a l'air immense, et je me mets à douter de pouvoir en sortir un jour.


Mais un dernier porche, un dernier portail métallique et nous voilà en pleine rue. Bon Dieu, nous avons réussi. Sophia, échevelée, se retourne pour m'adresser un sourire éclatant.

— On va trouver un endroit calme. Tu crois que tu vas y arriver ?


J'acquiesce de la tête, même si je pense tout le contraire. J'ai surtout l'impression que je vais mourir ici. Alors je serre les dents et je me laisse entraîner dans la rue. De toute façon, je ne suis plus capable de prendre les choses en main.


Nous avançons à une allure de tortue, mais nous avançons. Sophia prend la première rue à gauche, puis bifurque à nouveau vers la droite.


— Tu sais où tu vas ? Demandé-je timidement ?

— Non, j'essaie juste de ne pas rester à la vue de ceux qui auraient l'idée de nous poursuivre.

— Tu crois qu'ils se sont rendu-compte de notre disparition ?

— Non, ils seraient déjà dernière nous. Quand le courant revient, les portes se referment automatiquement. Et personne n'est jamais venu vérifier que nous étions encore là lors des autres pannes.


Elle n'a pas tort. Voilà qui me rassure un peu. Ce n'est pas comme le décor : tout autour de nous, ce n'est que ruines et désolation. Les bâtiments sont éventrés, les toitures effondrées, les chaussées explosées. Tel que serait le centre de New York s'il n'avait pas été rénové. La végétation a même repris ses droits aux endroits les plus abîmés. Qui plus est, pas âme qui vive. Rien à voir avec mon habitat habituel. L'endroit est-il inhabité ou des gens se terrent-ils à cause d'un danger ?



Une sensation bizarre et humide me cloue soudain sur place. Je regarde Sophia avec effroi, puis mes pieds dont les baskets blanches sont désormais trempées. Suivant mon regard, elle s'immobilise à son tour.

— T'as perdu les eaux ma belle, va falloir qu'on trouve un endroit où se poser. De toute urgence.



Je ne réponds pas. J'ai envie de pleurer. Et de m'effondrer, là en pleine rue. Une contraction violente finit par m'anéantir complètement. Non pas là, pas maintenant. Je m'appuie au mur du bâtiment pour ne pas tomber, soutenue par Sophia.

— Hey, salut les filles ! Je peux vous aider mes jolies ?



Sophia et moi sursautons et nous retournons en même temps vers l'auteur de notre frayeur. C'est un jeune homme d'environ 18 ans, brun, vêtu d'un t-shirt noir et d'un jean, Rangers aux pieds. Une boucle brille à son oreille droite. Le premier individu que nous croisons ne m'inspire guère confiance. Il quitte néanmoins son air arrogant et aguicheur dès qu'il prend conscience de notre situation à toutes les deux et, reculant en agitant les mains, il disparaît au coin de la rue en nous criant :

— ok je vois, laissez tomber !




— Allez, on s'en fiche, reprend Sophia à mon attention, on repart. Si tu vois un bâtiment correct, on y entre, ok ?

— Ok.


Et nous nous remettons en route. Mais je suis de plus en plus sceptique. Si un bâtiment est à peu près potable ici, il sera sans doute déjà occupé. Sophia ne me dit rien, mais elle pense certainement la même chose. Nous longeons une rue délabrée, perdues. Je m'épuise, et Sophia me soutient du mieux qu'elle peut. Mais elle aussi a un poids à soutenir, et je ne veux pas qu'elle se fasse du mal. En relevant la tête vers elle, je me rends bien compte qu'elle souffre aussi, et que sa belle mine réjouie d'avoir réussi notre fuite s'est évaporée. Bon sang, qu'allons-nous faire ?



Un bruit derrière nous nous fait soudain sursauter. Nous nous retournons, instinctivement, pour découvrir que le jeune homme de tout à l'heure est de retour. Mais il n'est pas seul. Une femme l'accompagne : brune, elle doit avoir une quarantaine d'années. Ses cheveux, ramenés derrière par un élastique, sont parsemés de quelques fils blancs. Elle porte un pantalon militaire kaki, et un simple t-shirt noir.

— Mon fils m'a dit que deux femmes enceintes avaient visiblement besoin d'aide ici. Je vois qu'il avait vu juste. Venez avec moi.




Sophia et moi échangeons un bref regard. Nul besoin de nous concerter pour savoir que c'est notre seule alternative. Nous ne connaissons ni ces gens ni l'endroit où ils nous mènent. Mais au point où j'en suis, je m'en moque totalement.



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