Une Nouvelle Terre

Chapitre 6 : La Vie en Rose

4255 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 31/10/2023 16:12

Bon. Voilà qui est irritant.

Pour commencer, elle est d’une blondeur différente, aux racines négligées. Ses yeux – écarquillés d’horreur et reflétés dans la vieille glace convexe que Chip a dénichée pour elle lors d’une de ses fouilles quotidiennes – sont bruns, pas bleus. Et sa voix, lorsqu’elle parle enfin, est nasale et stridente et grince dans sa gorge ; toute trace de l’accent londonien ayant disparu.

Des jeunes hommes farceurs et entreprenants viennent de lui murmurer des choses scandaleuses à l’oreille. Des ragots. Des plaisanteries. Des propositions coquines. Ils ne le pensent pas vraiment, bien entendu – bien qu’elle n’est pas gênée d’admettre que même le plus vulgaire des frissons peut encore la titiller un peu. Oh, ces vilains garçons et leurs mauvaises langues...

Non, non, ne mélange pas tout. Ça, c’était le film du projecteur, qu’elle a renversé dans sa hâte d’atteindre le miroir. Quelle maladroite ! La vieille chose gît maintenant par terre en éclats avec son ampoule fracassée, ses anciennes bobines faisant clic-clic-clic jusqu’à ce qu’elles zigzaguent lentement à l’arrêt. Les vieilles images de la fameuse soirée vacillent sur le mur avant de disparaître.

Non pas que Lady Cassandra accorde beaucoup d’attention à tout ça. Debout sur des jambes chancelantes dans la pénombre du sous-sol, elle se contorsionne dans tous les sens pour avoir un meilleur aperçu de sa nouvelle anatomie ; horrifiée par ce qu’elle est devenue :

― Non mais regarde-moi ça ! De la classe à la populace !

Des mains fébriles – si fines et étrangères mais entièrement sous son contrôle – palpent de partout le corps qui appartenait autrefois à Rose Tyler. L’examinant sous tous ses angles, tirant maladroitement sur les manches et le tissu froissé de vêtements qu’elle n’a jamais portés dans sa vie. Jusqu’à maintenant…

Des vêtements ! Voilà autre chose à laquelle elle va devoir se réhabituer... Les traits de la jeune femme se tordent de dégoût lorsque Cassandra contemple la silhouette qu’ils donnent à sa forme dérobée. Beurk, beaucoup trop ronde. Son troisième mari en disait autant. Sans doute est-ce pour cela qu’il l’a quittée… ?

― Quoique...

Elle s’arrête. Une de ses mains, effleurant curieusement le nouveau terrain, trouve la fermeture éclair sur la veste de Rose et la tire vers le bas. Et tout à coup, Cassandra est bien plus disposée à voir le bon côté des choses…

― Ooooouuuh... murmure-t-elle admirativement en voyant sa nouvelle poitrine rebondie. Des courbes… ! 

Chip observe sa nouvelle maîtresse avec fascination alors qu’elle dézippe la veste de Rose un peu plus, glissant vite des mains baladeuses sous le tissu pour tripoter son intimité. Dix secondes plus tôt elle était révoltée ; maintenant Cassandra est en train de sautiller et de se trémousser d’excitation devant le miroir – Hop ! Hop ! Hop !– observant avec joie les miracles de la gravité sur le ballottement de ses nouvelles rondeurs :

― Oh-ho baby ! C’est comme vivre à l’intérieur d’un ballon gonflable !

― Ma Maîtresse est magnifique ! se réjouit Chip, qui est maintenant en train de sautiller en même temps qu’elle comme un enfant, ravi pour la bonne fortune de sa patronne.

Le compliment remue quelque chose dans la mémoire de Cassandra, et une part d’elle soupçonne avoir déjà entendu ça quelque part... Mais qu’importe ; ça met certainement un peu de baume à son ego meurtri.

― Assolutamente ! Elle laisse le mot glisser de la bouche de Rose avec une sensualité surprenante, goûtant à la saveur d’une langue qu’elle n’a pas parlé depuis des siècles. Son petit caprice sitôt oublié, elle se retrouve maintenant à sourire à son reflet, contemplant son nouveau corps dans tous ses détails. La jeune femme dans le miroir lui rend son sourire, ses cheveux joyeusement décoiffés, son visage rougi de plaisir. Cela fait longtemps que Lady Cassandra se souvient d’avoir souri.

Oh, comme tout cela lui a manqué ! Enfin libre, enfin autonome ! Le sentiment est merveilleux, et Cassandra s’en abreuve comme une éponge. Elle ressent un millier de sensations oubliées, se souvient d’un million d’autres qu’elle souhaite redécouvrir. La féminité est au rendez-vous dans ce corps et – oh, ces courbes ! Elle est restée plate trop longtemps : à présent, les courbes sont le nouveau noir.

La vie, s’avère-t-il, n’est pas si facilement anéantie. Après tout ce temps confinée à un cadre métallique ; cachée ici à se dessécher dans ce trou… Elle, Lady Cassandra ; réduite à une blague. Seule. Existant à peine. Ses fortunes ruinées, sa réputation tout sauf détruite, et maintenant…

Et maintenant la voilà ici. Debout. Ivre de joie.

Proprement humaine à nouveau.

Et vivante ! Cassandra peut sentir un cœur qui bat dans sa poitrine et de l’air qui remplit ses poumons. Rien que l’acte simple de respirer lui apporte une fraîche excitation qu’elle a presque oubliée. C’est glorieux, absolument glorieux ! Oh, ce qu’elle donnerait là maintenant pour être nue... !

À vrai dire, la notion est si alléchante que Cassandra est bien décidée à la mener à son terme. Elle s'apprête tout juste à se déshabiller sur-le-champ, au diable la pudeur – lorsque quelque chose par-dessus l’épaule de Chip capte son attention :

― Oh, mais regarde...

Se détournant du miroir avec un froncement de sourcils, Cassandra dirige délicatement son nouveau corps 3-D à travers la pièce jusqu’à l’échafaudage en métal qui a soutenu sa glorieuse et mince personne pendant tant d’années.

Il n’en reste pas grand-chose. Son ancienne peau a disparue ; complètement évaporée. Une légère odeur de brûlé flotte dans l’air. Et là, en-dessous, flottant toujours dans sa petite jarre chimique, est le cerveau que Cassandra appelait jadis le sien – pratiquement réduit en bouillie lorsque personne ne regardait.  

― Oh… (Chip ôte tristement sa petite charlotte en voyant l’ancien cadre de sa patronne, qui paraît drôlement vide sans sa peau lisse tendue entre les bordures :) La matière cérébrale a expiré. Mon ancienne Maîtresse a disparue...

― Mais elle est saine et sauve là-dedans… affirme Rose Tyler à côté de lui, et se tapote la tempe avec un sourire. Sa voix comporte une froide note de snobisme, désormais ; remplaçant les voyelles londoniennes habituelles avec quelque chose de radicalement plus bourgeois et distingué. La preuve manifeste que la psycho-greffe a accomplie sa tâche.

Rassuré, Chip lui rend nerveusement son sourire. Jusqu’à ce qu’une autre pensée ne vienne le préoccuper :

― Mais qu’est devenu l’esprit de l’enfant Rose ?

― Oh… Cassandra aurait sincèrement préféré qu’il ne soulève pas la question. Elle est  tellement captivée par sa nouvelle apparence que c’est facile d’oublier qu’elle n’est pas exactement seule là-dedans. Quelque chose – quelqu’un – est en train de la narguer du fin fond de son esprit ; une impression vague, à peine lucide, mais néanmoins présent…

C’est Rose. Bien évidemment. Son corps ne lui appartient plus mais elle est encore là, la petite pouffiasse ; partageant tous les petits luxes que se permet désormais Cassandra sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Et elle n’est pas contente.

― Enfoui... dit-elle enfin avec un haussement d’épaules. J’arrive tout juste à entrevoir la surface de sa mémoire, elle est...

Chip regarda sa maîtresse prendre tout à coup un air pensif tandis que sa conscience se met à puiser dans la tête de la jeune femme ; creusant profondément dans ses souvenirs et les feuilletant comme les pages d’un livre.

Rose n’est pas venue sur la Nouvelle Terre toute seule. Ce bel inconnu qui était avec elle à la surface ne peut pas être très loin derrière. Cassandra se souvient avoir brièvement aperçu son visage tout à l’heure, à travers l’une de ses araignées. Quel spécimen… Avec un peu de chance, il pourrait peut-être devenir son joli nouveau garde-du-corps dans ce trou à chats. Ou alors, le cas échéant, un homme de plus à éviter…

Mais bon. S’émanciper de son ancienne peau a été l’étape la plus difficile. Le corps de la blondasse fera l’affaire pour le moment – du moins, le temps d’obtenir ce qu’elle veut de ces chats. Encore quelques heures, puis elle sera complètement assimilée ; l’esprit de la petite morveuse disparaîtra pour de bon, et alors cette nouvelle peau sera à elle. À elle seule…

Cassandra a soudain le souffle coupé. Des informations toutes fraîches viennent de monter à la surface, et tout un déferlement d’images inédites prend le dessus, surgissant à travers son crâne.

Ces dernières commencent petites, au début. De brefs aperçus de lumière dorée et de chants… L’espace, noir et terrible… Juste un instant, le long hurlement d’un loup qui la pourchasse à travers des lieux sombres… le grondement d’« Extermination ! » de monstres métalliques hors du temps…

Et puis… des murmures. Des murmures de conversations passées, résonnant au plus profond de son esprit :

« J’ai absorbé toute l’énergie du vortex du temps, et personne n’est censé faire ça ! Chaque cellule de mon corps est en train de mourir. »

« Tu ne peux pas faire quelque chose ? »

« Ouais, c’est ce que je suis en train de faire ! Les Seigneurs du Temps ont cette petite ruse... »

Seigneurs du Temps ? Eh bien, voilà qui dépasse tout, en termes de nouveauté ! Toutes les choses que ces yeux ont pu voir... des mondes différents, des époques différentes ! Une boîte bleue aux entrailles immenses… La Plateforme Un… Cet homme ridicule avec ses énormes oreilles et son sourire stupide… Et des étoiles, des masses et des masses d’étoiles…

Puis – Noël. Avec l’individu gringalet de la surface. Ensemble, main dans la main, sous une tombée de neige qui a un goût de cendres. Mais son accent du nord a disparu. Maintenant, il parle un peu comme elle :

« J’ai seulement cru... parce que j’ai changé... »

« Ouais, je me disais, parce que t’as changé… peut-être que tu ne voulais plus de moi... »

Une minute… Changé ? Qu’est-ce que ça veut dire, ça, changé ?

« Oh non, j’adorerais que tu viennes ! »

« OK, super ! »

Et puis aujourd’hui. Des pommes… Elle peut sentir des pommes. Debout au bord d’une falaise… L’odeur de pommes fraîches dans ses narines, le vent dans ses cheveux ; frémissante de bonheur :

« Voyager avec toi… je… j’adore ça. »

L’homme est là, lui aussi. Si différent ; ses jeunes traits n’ayant rien de ceux qu’elle a gravés si haineusement dans sa mémoire. Mais Cassandra sait désormais que c’est lui, Seigneur, c’est lui – ça ne peut être que lui…

Le même homme qui a causé sa perte sur la Plateforme Une. L’homme qui a tout gâché.

L’homme qui l’a assassinée.

― Bonté divine… (Les yeux bruns dérobés de Rose s’écarquillent avec une trace de panique.) Elle est avec LE DOCTEUR !


Le Docteur avait laissé Novice Hame veiller sur Face de Boe. Il déambula à travers la Section 26 avec les mains dans les poches, mettant toute sa volonté pour ne pas refaire les cent pas. Tout autour de lui, des rangées et des rangées de patients: chacun d’eux bénéficiant des soins attentionnés des nonnes qui, dans leurs longues robes et leurs voiles blancs, semblaient planer sur les sols brillants sans jamais les toucher…

La régénération apportait toujours son lot de surprises. Le Docteur n’en était encore qu’à ses débuts – encore en train de se tester, de prendre la mesure de sa nouvelle personne – mais s’il y avait bien un trait de caractère pas du tout surprenant que son changement s’était bien assuré de conserver, c’était qu’il détestait attendre.

Aussi longtemps que lui et Rose avaient voyagés ensemble à travers l’espace-temps, rien ne semblait s’arrêter. De la Plateforme Une au Satellite Cinq, du Cardiff victorien au Blitz de Londres et jusqu’aux planètes-prisons de Justicia, ça avait été le voyage de toute une vie – à travers la peur, le chagrin et le feu de l’action – et ça avait tout commencé avec un seul mot : « Cours !»

Maintenant, les voilà qui étaient repartis pour une seconde tournée, sa première virée avec ce nouveau visage, et le Docteur courait toujours. Et Rose courait toujours à ses côtés : un peu plus mature, plus perspicace peut-être, et encore plus débrouillarde qu’avant. Seulement, avec des jours comme celui-ci, une part de lui ne voulait rien de plus que de courir dans la direction opposée

Ce n’était pas seulement une question de vécu (le Docteur s’était réveillé une fois dans la morgue d’un hôpital à San Francisco, et depuis lors avait été hanté par la certitude que si jamais il repassait les portes d’un tel endroit, il se ferait anesthésié et disséqué plus vite qu'on ne pourrait dire « Seigneur du Temps »). Non… c’était quelque chose dans cet hôpital en particulier – avec ses infirmières-chats un peu trop polies, ses espaces un peu trop propres et l’absence distincte d’une petite boutique – qui le mettait exceptionnellement mal à l’aise. Alors que son cerveau se remit à énumérer toutes les maladies qui pouvait être contenues dans ce seul et même espace, le Docteur épia quelque-chose qui le fit revenir sur ses pas.

Eh bien. Voilà qui était bizarre. Une patiente blonde qu’il avait vue en train d'occuper le lit à côté de Face de Boe venait d’être remplacée par une femme brune. Depuis combien de temps, environ, sept minutes ? D’ailleurs, ce n’était pas seulement une patiente : plusieurs malades ici avaient déjà nettement meilleur mine qu’avant. Qui avait déjà entendu parler d’un rétablissement aussi rapide ?

Le Docteur reprit ses déambulations. Oui, très bizarre… Son esprit s’attaquait déjà à-moitié aux possibilités – mais l’autre moitié était encore sur cette vague prophétie que Hame lui avait racontée au sujet de Face de Boe :

« Il est dit qu’il parlera à un voyageur. À l’homme sans maison. Le dieu solitaire… »

Ca ne lui demandait pas beaucoup de réflexion pour faire les rapprochements et deviner de qui l’histoire parlait… Et le Docteur était démangé par la curiosité, à présent. Un grand secret ? Quoi, venant d’un être encore plus ancien que lui ?

Nan, ce n’est qu’une légende ! essaya-t-il de se dire. Comme disait Hame : des petites histoires ; des ragots sans valeur. Faut pas croire à tout ce que disent les chats… !

Mais les prophéties étaient dangereuses ; parce que dans le cas du Docteur, celles-ci avaient la fâcheuse habitude de se réaliser – et pour lui, découvrir la vérité était irrésistible.

Oh, ça lui donnait le tournis ! Tous ces doutes, ces peut-être, ces « et si »… et il n’avait personne avec qui les partager ! Le Docteur n’était pas quelqu’un à vouloir presser les malades, mais il espérait vraiment que Face de Boe se réveillerait bientôt. Il voulait connaître ce dernier secret tout de suite.

« Le Dieu Solitaire » – voilà qui lui ressemblait beaucoup… Il pouvait presque entendre Rose ironiser : « Eh bien, y’a pas moyen que ce soit toi ! »

En parlant de Rose…

Elle n’était toujours pas arrivée !

Le Docteur sortit ses mains de ses poches et les passa distraitement dans ses cheveux alors qu’il se demanda encore une fois où la jeune femme avait bien pu passer. Près d’une demi-heure s’était écoulée depuis qu’ils s'étaient retrouvés séparés au rez-de-chaussée. Il ne lui fallait quand même pas aussi longtemps pour monter vingt-six étages dans un ascenseur ?

Son instinct le plus fort était d’aller à sa recherche – juste pour s’assurer qu’elle aille bien – mais il ne voulait pas partir non plus, au cas où Face de Boe reprendrait ses esprits. Il décida de patienter encore un peu. Quelques minutes, peut-être. Après tout, c’était dans sa nature, à Rose, de s’égarer ; elle était probablement juste en train d’explorer quelque part avant de revenir le rejoindre.

Et pourtant…

Bien qu’il avait essayé de se dire que rien entre eux n’avait changé, pas vraiment, et que les bases étaient restées les mêmes – nouveau corps, même personne – le Docteur savait qu’il était devenu beaucoup plus protecteur envers Rose que d’habitude, dernièrement. Il commençait même à croire qu’il s’était « imprégné » sur elle. Comme un poussin à la sortie de son œuf.

Deux infirmières-chats parlaient ensemble à voix basse derrière lui. Allez, Docteur, encore quelques minutes... Quand on est un voyageur dans l’espace-temps – et un Seigneur du Temps, en plus – on a tout le temps du monde devant soi !

Le Docteur capitula.

― Novice Hame ! dit-il, retournant à grands pas vers le fond de la salle avec un sourire charmant. Est-ce que vous auriez un téléphone que je pourrais emprunter ?

 

En bas, Cassandra se retire des profondeurs du subconscient de Miss Blondasse et repousse les images au loin dans sa tête, se cramponnant à son ancien cadre vide pour encaisser le choc.  

Chip se penche vers elle avec inquiétude :

― Maîtresse ?

― Cet homme… c’est le Docteur ! dit-elle dans un crachat, se retournant vers son serviteur avec une colère si féroce et soudaine qu’elle le fait reculer d’effroi. Le même Docteur avec un nouveau visage ! Quel HYPOCRITE !

Chip garde prudemment ses distances. T Sans prévenir, toute la rancune que Cassandra a pu accumuler à l’égard du Docteur au cours de ces 23 dernières années vient d’atteindre un point d’ébullition et la met dans une rage qu’elle arrive à peine à contenir. Bon Dieu, comme elle le hait ! Elle, qui a explosé dans la chaleur de la Plateforme Un, ayant utilisée toute sa meilleure peau la première fois ; ne laissant rien derrière elle hormis sa matière grise et un tas de restes gluants – et le revoilà encore, ce maudit Docteur ; dépecé de son ancien corps pour en endosser un nouveau, juste pour continuer à vivre ! Non mais franchement, pour qui il se prend ?

Cassandra porte une main à son visage volé. Oh juste ciel, elle est en train de grimacer ! Ça, ça ne va pas du tout. Avec un énorme effort, elle prend une profonde et digne inspiration et force ses traits usurpés à se relaxer. Il va falloir faire attention ; toute cette belle peau neuve… il ne faudrait pas se donner des rides si prématurément ! Pas quand le Docteur est là pour lui faire concurrence…

― J’aimerais bien connaître le nom de son chirurgien ! murmure Cassandra en revenant rageusement sur ses pas jusqu’au miroir. Je pourrais lui demander un petit travail ! Cela dit…

Elle pivote pour voir Rose de profil, et glisse une main admirative sur la rondeur de ses fesses.

― Joli pare-chocs arrière… Mmmmh !

En la voyant cambrée ainsi devant la glace, se livrant à toutes sortes d’attouchements sans la moindre pudeur, Chip se demande si la Maîtresse ne s’amuse pas un peu trop avec son nouveau physique. Cette session de pelotage impromptue est rapidement écourtée, cependant, lorsqu’un carillon insistant se met à retentir à travers le sous-sol et les fait tous les deux sursauter.

― Oh ! se renfrogne Cassandra en regardant sa nouvelle croupe avec surprise. On dirait un bruit de sonnerie ! C’est normal que ça sonne ? Ça fait si longtemps que je n’ai pas eu de…

Curieux, ses doigts tâtonnent un instant le jean noir de la blonde avant d’effleurer une bosse révélatrice en train de vibrer dans sa poche arrière. Elle en sort un petit machin bruyant et le tient à bout de bras, abasourdie par le mini-écran monochrome et le logo Nokia archaïque.

Voyant son regard interloqué, Chip s’avance avec une devinette :

― Un appareil de communication primitif, je crois, Maîtresse.

― Quelle antiquité ! Qu’est-ce que je dois faire… ?

«Réponds». La pensée jaillit spontanément de l’intérieur de sa tête. Consciente des soupçons qu'elle pourrait s'attirer si elle ne le fait pas, Cassandra appuie maladroitement sur le clavier du téléphone jusqu’à ce qu’elle trouve le bon bouton, décrochant au bout de la troisième sonnerie.

Une voix masculine impatiente s’élève du combiné :

― Rose, où es-tu ?

Les mots la glacent d’une frayeur soudaine. Oh, bon sang, c’est lui ! Le Docteur ! Comment diable l’a-t-il retrouvée si vite ?

Brièvement, la conscience refoulée de la jeune femme est ramenée brutalement à la surface – débordante de panique, d’exubérance et d’espoir – et Cassandra est sérieusement tentée de mettre fin à l’appel et de l’ignorer complètement. Le Docteur est la dernière personne à qui elle souhaite parler !

Mais ensuite elle se ravise. Ce ne peut pas être une simple coïncidence qu’il se retrouve ici sur Nouvelle Terre dans cet hôpital, avec sa précieuse petite délinquante... c’est un signe du destin ! Pourquoi ne pas ravaler sa fierté quelque temps, histoire de voir ce qui se passera ? Peut-être que la situation pourrait même tourner à son avantage…

― Rose ? Ça va ?

― Comment elle parle... ? souffle Cassandra à Chip, pressant le combiné contre son oreille.

― Un vulgaire argot Terrien... chuchote-t-il en réponse, toujours aussi serviable. Sa maîtresse hoche la tête avec gratitude et se racle délicatement la gorge :

― Euh... Késkiya ? balbutie-t-elle dans sa meilleure approximation possible de l’accent de Rose :

― Qu’est-ce que tu fabriques ? demande le Docteur, qui semble plus irrité qu’inquiet. Tu en mets du temps pour arriver à la Section 26 !

Ooouh, même la voix de cet homme est jolie ! Cassandra s'éclaircit la gorge et se force à adopter un ton un peu plus enjoué :

― J’suis en ch’min, chef ! répond-elle d’une –      d’un ton faussement

enthousiaste, appuyant l’argot dans sa voix en espérant que ça sonnera juste venant de la bouche de Rose. J’vais... monter illico dans l’as-sans-sœur et j'ramène ma fraise en deux-deux !

― Qu’est-ce que tu racontes ? Laisse tomber, je vais t’étonner… (Et elle entend le Docteur qui marque une pause comme pour accentuer l’effet dramatique, à peine capable de retenir son excitation :) Je suis avec Face de Boe ! Tu t’en souviens ?

Cassandra serre ses dents volées au souvenir de son décès explosif sur la plateforme :

― Ahahaha, c'te question! Mais bien sûuuuuuur que j’m’en souvien' ! s’esclaffe-t-elle d’un rire un peu trop exagéré en s’efforçant de refouler la grimace qui s’immisce dans sa voix. Cett’ bonne vieille... Tronche… de Boe... ? 

Il y a alors un long silence agonisant à l’autre bout du fil et Cassandra s’inquiète soudain qu’elle vient de dire une bêtise. Le Docteur a-t-il peut-être déjà des soupçons ? Après tout, elle l’a déjà sous-estimé une fois…

Mais ensuite le bruit distinctif d’un bouchon de champagne se fait entendre à l’autre bout de la ligne. Un homme est en train de rire très fort dans le fond. Et lorsque le Docteur reprend la parole, son attention est déjà ailleurs :

― Bon écoute, je ferais mieux d’y aller... dit-il distraitement, comme s’il est pressé. Tâche de pas te reperdre. À tout de suite !

Il lui raccroche au nez avec un « clic » et Cassandra lâche un énorme soupir de soulagement. Chip tente un petit sourire timide à sa maîtresse – avant de flancher lorsque celle-ci jette le Nokia par terre et l’écrase sous son pied.

― Oui, tchao, Docteur... siffle-t-elle. À bientôt…

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