Les jardins d'Evanescis
Chapitre 4 : Les petits plats dans les grands
1629 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 05/10/2025 18:37
Chapitre 4
Les petits plats dans les grands
Ashile, le majordome hors norme, avait ensuite conduit les nouveaux invités dans leurs appartements, deux chambres se faisant face, dans lesquelles se trouvaient vêtements propres et pièces d'eau.
Si Clara ne s'était pas fait prier pour troquer ses vêtements souillés contre une élégante toge blanche aux bordures dorées, le Docteur, lui, était ressorti de sa chambre avec ses vêtements d'origines, étrangement redevenu propre.
-Du tissu autonettoyant, avait-il justifié vaguement avant d'ajouter : et puis je ne peux porter que cet ensemble avec ce nœud papillon, ce serait une faute de goût impardonnable.
Ce ne fut qu'une fois rendu sous les arcs-en-ciel que déployait l'imposant lustre du grand salon que le Seigneur du Temps glissa à sa compagne :
-Vous avez fais quelque chose à vos cheveux ?
Clara rétorqua entre ses dents :
-J'ai changé de vêtements.
-Et vous êtes magnifique !
Le grand salon était semblable au petit salon : même décoration florale, mêmes portraits au-dessus de la cheminée, même dorures.
L'extrémité d'une interminable table avait été apprêtée pour accueillir le repas.
Sur la nappe immaculée avait été disposée, au cordeau, couverts en métaux précieux, plats de fines porcelaines et verreries cristallines.
Pour le plus grand plaisir de la Reine Ofelia, le Docteur avait fait le show durant le repas, évoquant son interminable vie, ses improbables aventures et ses inoubliables voyages.
Si elle n'avait pas réussi à se figurer ce qu'était un Dalek, le concept de régénération, en revanche, avait proprement fasciné la Régente.
-Mais combien de visages différents avez-vous eus ?
Avec un clin d'œil entendu, il éluda :
-Officiellement ou officieusement ?
-Mais vous avez l'air tellement jeune !
Le roi Ubhert, lui, ne semblait que moyennement apprécier l'attention déclenchée par le pétillant nouveau venu :
-Ofelia, cessez d'importuner Monsieur de Carabas.
Celui-ci rectifia "Docteur" auprès du roi avant de reprendre à l'attention de la reine :
-Mais, je me sens jeune !
Ubhert dévia sans préambule la conversation :
-Clara, parlez-nous de votre planète : l'Angleterre.
Celle-ci garda un instant la cuillère argentée dans sa bouche, cherchant du soutien d'un coup d'œil vers son ami. Aucun soutien ne venant, elle reposa sa cuillère dans le large bol de porcelaine.
-La terre, rectifia-t-elle.
-Pardon ?
-Ma planète s'appelle la Terre. Mon pays s'appelle Angleterre.
Ubhert semblait perplexe, aussi précisa-t-elle: "C'est une île".
-Et vos souverains sont-ils puissants ? Terrifiant ? Bien veillant ?
Avec un naturel qui contraria Sa Majesté Ubhert, elle déclara :
-Vous savez, nous avons un gouvernement, la famille royale n'a plus une très grande influence politique.
Avec des yeux ronds, le roi reposa son verre en cristal.
-Si leur influence est si réduite, que font-ils ?
Clara venait seulement de comprendre que le terrain était glissant. Malgré elle, elle annonça, le nez dans sa soupe :
-...la une des tabloïds...
Une clochette salvatrice annonça la suite du repas.
Délaissant son petit chariot couvert de victuailles, Ashile accapara quelques secondes ses maîtres, le temps pour Clara de glisser à son ami :
-Vous ne mangez pas ?
En effet, le Docteur n'avait touché qu'à son verre d'eau, refusant jusqu'au vin offert fièrement par le roi Ubhert, non sans une habile diplomatie afin de ne pas vexer le régent.
Il chuchota en réponse :
-Non Clara, et vous ne devriez pas manger non plus.
Ashile débarrassa, remplaçant la soupe par un riche plat en sauce, s'apparentant à du gibier, entouré de carottes pourpres.
Tout en détaillant le mode de vie des habitants de la planète "Angleterre", Clara, affamée, trancha un morceau de viande, qu'elle avala sans préambule.
La chair était si tendre, si juteuse que la jeune femme ne pu retenir un léger râle de contentement.
-'Ch'est ch'uculent!
Le torse du roi Ubhert se gonfla d'orgueil sous l'effet du compliment. Son sourire s'effaça cependant en voyant que tout le monde n'était pas aussi enthousiaste que l'Angleterrienne.
-Vous ne mangez pas, Docteur ?
Élégamment, celui-ci tapota les commissures de ses lèvres du bout de sa serviette.
-Vous m'en voyez navré, votre Majesté. Je pense que la fatigue de cette interminable journée a eu raison de mon appétit.
Il fit ensuite mine de bâiller, étirant exagérément les bras.
-Si vous n'y voyez aucun inconvénient, reprit-il. Je vais me retirer dans mes quartiers. Une bonne nuit de sommeil ravivera mon appétit. Soyez convaincus que je serai tout disposé à partager un copieux petit déjeuner, demain matin.
Joignant le geste à la parole, il se leva. D'un regard ferme, il invita Clara à faire de même.
Ce qu'elle refusa tout net en sifflant entre ses dents un catégorique "j'ai faim, moi", avant d'engloutir, un éclair de défi dans le regard, une carotte molle.
Ofelia et Ubhert se lèvent à leur tour pour souhaiter à leur invité une nuit revigorante.
De son regard noir, tout en mâchant énergétiquement, Clara suivi son compagnon quitter la pièce.
C'est assis au milieu d'un escalier de marbre, les coudes en appuie derrière lui, que Clara retrouva le Docteur, à peine une poignée de minutes plus tard.
Tout en montant à sa rencontre, la jeune femme fulminait, tapant du pied sur chaque marche. Avant qu'elle n'assène une ultime complainte, le Docteur l'a pris de court, sortant de sa poche une pomme qu'il lui lança en cloche.
Avec de grands yeux ronds, l'affamée demanda :
-Depuis quand avez-vous ça dans la poche ?
-1610, répondit-il évasivement avant de demander : la nourriture avait-elle un léger goût métallique ?
-Maintenant que vous le dites, oui.
Clara se laissa tomber à côté de son ami, puis s'enquit, la bouche pleine :
-Pourquoi ?
Le Seigneur du Temps sortit une carotte pourpre et molle de sa poche, il l'a présenta sous le nez de Clara.
-J'ai eu le temps d'analyser ceci. Cette carotte est issue d'une recombinaison cellulaire.
Imperceptiblement, la jeune aventurière se raidi. Elle demanda, désormais pâle, tout en devinant la réponse :
-Ce qui veut dire ?
-Qu'au départ, ce légume n'était pas un légume.
L'allusion au Chat Botté devint soudain limpide. Avalant à grand-peine sa bouché de pomme, Clara sembla s'étouffer :
-Ce sont des ogres…
Comme sous l'impulsion d'un ressort, le Docteur se leva d'un bond, se frotta les mains, un sourire juvénile sur le visage.
-Des ogres, ce serait merveilleux ! Mais non, tempéra-t-il. Ce sont, au mieux, de simples cannibales.
La pauvre Clara était livide :
-Mon Dieu! J'ai mangé de la chair humaine ?
Sans se défaire de sa bonne humeur, il chassa cette considération de la main :
-Non, c'était une carotte.
-Mais vous n'avez rien mangé, vous !
-Évidemment, je ne suis pas un cannibale.
Le teint de sa pauvre amie avait soudain des nuances pistache. Sautillant jusqu'au sommet de l'escalier, le Docteur ordonna:
-Et maintenant, au lit ! Je viendrai vous réveiller d'ici à quelques heures. Tâchez d'avoir repris des forces !
...
Le sommeil n'avait trouvé Clara que tardivement. Longtemps, elle avait observé, à la clarté cendrée de la nuit, les moulures, les cadres, le détail des piliers de marbres ainsi que les mille autres éléments de la décoration surchargée de sa chambre. Les draps de soies finirent par avoir raison d'elle, ne l'emportant dans le sommeil pour quelques dizaines de minutes seulement.
-Debout, debout.
Le murmure eut l'effet du plus strident des réveil-matins.
Penché au-dessus de son amie, le Docteur avait sur le visage un inquiétant rictus ravi, indiquant une fébrilité difficilement contenue.
Clara bredouilla :
-Mais… Comment...
-Suis-je entré dans votre chambre ?
Il se redressa puis fit tournoyer son tournevis sonique dans les airs.
-Évidemment, marmonna la jeune femme en se redressant.
Elle n'avait pas pris la peine de se changer, Clara, assise sur le rebord de son lit, ajusta sa longue robe blanche tout en gardant son ami à l'œil.
Il furetait dans les recoins de la pièce, faisant résonner son appareil ou toquant sur les parois.
-Que faites vous, exactement ?
-Je cherche un passage secret. Nous allons faire le tour des couloirs et faire de même un peu partout. Mais si le passage secret était ici, il serait dommage de passer à côté.
En moins de 24h, elle avait chutée au travers la stratosphère de cette planète, parcourue plusieurs dizaines de kilomètres de marche à pied, mangé de la carotte humaine, et il fallait en plus qu'elle soit privée de sommeil. Clara se résigna, se leva puis demanda, sans entrain :
-Qu'est-ce que nous cherchons ?
Le Docteur se redressa, lança le regard courroucé du professeur faisant face à un cancre.
-Vous n'avez pas écouté ? J'ai dit que le légume avait été génétiquement recombiné.
Avançant son visage, la belle embrumée hasarda :
-Donc, nous cherchons un recombinateur génétique ?
De nouveaux radieux, le professeur lança un "Ha" satisfait.
-Un recombinateur! Ajouta-t-il, le regard rêveur. Quel joli mot !
L'investigation n'ayant rien donné dans les quartiers de Clara Oswald, le duo entrepris de poursuivre leur recherche dans les couloirs et pièces voisines.
Selon le Docteur, l'absence de garde, et le nombre limité de personnels de maison s'expliquait simplement : ils furent indubitablement les premiers à être "recombiné"...
-... En carotte, en purée, en fruits et légumes… Énuméra-t-il.
Clara frissonna. Aucun humour, ni aucune révolte n'habitait la voix de son ami. Il était simplement factuel. Cela ne signifiait qu'une chose, il prenait du recul pour ne pas exploser de rage.