Ariane et le Minotaure Alien
Chapitre 5 : L'Île - L'abandon du Héros.
4194 mots, Catégorie: K+
Dernière mise à jour 26/11/2014 18:20
~~PARTIE CINQ : L’Île, l’abandon du Héros.
La première chose que je vis en rouvrant les yeux fut encore l’obscurité. Mais, au moins, j’étais de nouveau consciente. Et même plus que consciente de ce qui venait d’arriver : Moi, Julie ou Ariane, avait aidé le héros Thésée à tuer le Minotaure comme le voulait le mythe. Mais j’avais créé le mythe et en le créant, j’avais laissé commettre un crime. Certes, il s’agissait d’un extraterrestre mais il valait j’en étais sûre mieux que Thésée ne le pouvait. Le Héros avait abandonné son rôle dans cette histoire. Et le mythe l’élèverait pourtant un jour à ce rang. Et la postérité se souviendrait toujours de lui ainsi…
Je m’en souviendrais, moi, comme d’un véritable gougeât. Après m’être réveillée dans cette obscurité et cette humidité, je me rendais compte que j’étais dans une cale de bateau. Et je me remémorais ce qui venait de m’arriver. Les tirs de laser des Judoons qui fusaient, la main de Thésée qui écrasait la mienne, la voix du Docteur plaintive qui m’appelait par mon prénom. Julie… Et moi qui au milieu de tout ça cherchais à m’enfuir et suivais Thésée en voulant seulement disparaitre et retourner chez moi. Ce que je ne pouvais pas faire sans le Docteur dont nous nous éloignions de plus en plus à chaque foulée. Et la lumière du soleil que je revoyais trop peu, et mes protestations sur les manières du jeune prince athénien et mes accusations qui devaient bien évidemment blesser son égo. Et me voilà, enfermée dans la cale d’un bateau… Triste fin de ce que je croyais encore n’être qu’un rêve quelques heures plus tôt.
L’air marin à nouveau, et la lumière du soleil. Cette fois, je garde les yeux ouverts et je fixe d’un regard noir l’homme qui vient d’apparaitre à ma vue, mon geôlier : Thésée.
« Alors, Ariane, bien dormi ?- Vas te faire voir ! Répliquai-je.- Oh du calme, Ariane. Je ne veux pas te faire du mal. Je comprends que tu sois bouleversée avec la mort de ce monstre ; Et c’est vrai qu’il était vraiment hideux. Mais même si tu m’en voulais pour ça tout à l’heure et que j’ai dû t’assommer parce que tu refusais de courir, regarde : je t’ai quand même embarqué avec moi. Et nous voguons vers ma cité libérée : Athènes. Et nous allons nous y marier.- Quoi ?- Tu as pris cet engagement.- Jamais de la vie ! »
Si, je l’avais fait… Mais je croyais à ce moment-là que le Docteur allait me ramener chez moi, avant. Et maintenant j’étais seule, et perdue dans une époque que j’adorais mais qui n’était pas la mienne. Et Thésée avait l’esprit trop borné pour me croire et me comprendre. Et je n’avais absolument aucune envie de l’épouser ! Je lui fis bien comprendre que je m’étais servie de lui, que je ne l’aimais absolument pas, que je n’aurais jamais dû douter du Docteur et lui servir le Minotaure sur un plateau d’argent. J’avais été le fil d’Ariane, le guide du héros… Le fil coupé par les Parques, qui symbolisait la vie de l’extraterrestre innocent. Le fil coupant de la lame rouge de sang. Et je haïssais maintenant Thésée pour m’avoir conduite à ce crime et pour en avoir commis un encore bien pire.
Ma haine envers lui était si visible, si palpable qu’il se résolut finalement à ne pas pouvoir me faire changer d’avis. Et il songea déjà qu’en gage de réconciliation avec Minos et la Crète, il devrait procéder à un mariage plus juste pour les Athéniens. Il m’annonça en personne vouloir épouser la princesse crétoise Phèdre, fille de Minos. Et fausse demi-sœur du Minotaure. Celle qui serait faite ma sœur dans le mythe qui sera un jour écrit. La suite de mon histoire fut semblable à celle du mythe à l’exception que je n’avais jamais été sincèrement amoureuse de Thésée contrairement au personnage qui m’incarnerait.
Je ne sais combien de temps je restai inconsciente mais je découvrais en sortant de la cale une mer calme et un ciel ensoleillé. Mais malgré cela le char d’Hélios déclinait déjà vers l’occident. Et l’on fit escale sur une île qui était de toute évidence déserte.
En descendant du navire, sur la plage de sable fin, je me rendis compte que la voile levée était noire et je pensais au triste sort qu’allait connaitre le roi Egée. Mais pourtant je me tus. Thésée m’avait déjà fait trop de mal. Je ne voulais pas épargner ses souffrances, c’était ma vengeance. Tant pis pour ce pauvre Egée… Une mer porterait bientôt son nom. Et c’était encore ma faute.
L’île où nous débarquâmes était minuscule pour tout l’équipage de la galère. Mais ça ne dérangeait pas Thésée. Il me fit descendre du bateau comme les autres et me demanda d’aller cueillir des fruits dans les environs, en me menaçant de son glaive. Ayant moi-même très faim après toutes ces aventures, j’y allai et fut fort surprise en revenant sur la plage : le bateau avait disparu. Ainsi que toute trace de son équipage. J’étais abandonnée sur cette île déserte. Le mythe n’était que trop fidèle à mes malheurs, songeais-je. La mort inutile d’Egée me réjouit alors que je comprenais à quel triste sort je venais d’être condamnée. L’abandon d’Ariane par Thésée… Julie, abandonnée à elle-même et luttant pour sa survie… C’était la même histoire. Mais l’une était mythologique, mythique même. Tandis que l’autre était la mienne. C’était la réalité que je vivais et c’était la vraie version d’une tragédie que personne ne connaîtrait jamais.
Pour survivre sur une île déserte, on parle souvent d’emporter un livre. Eh bien quand on y vit l’expérience, même le plus grand rat de bibliothèque du monde – et je pense bien être proche du titre -, ne penserait pas une seule seconde à lire un bouquin. Je n’y ai pas pensé le moins du monde en tout cas ; Pourtant je ne cessais de me remémorer mes lectures. J’essayai de me souvenir de détails sur la suite du mythe.
Mais c’était peine perdue : Thésée était parti. Et ce serait sa version qui deviendrait mythique. D’Ariane, on ne parlait plus par la suite. Tout ce qu’on savait de son destin était qu’elle allait rencontrer Dionysos sur l’île et qu’elle allait l’épouser, acquérant ainsi un rang et un destin bien plus glorifiant. Devenant une déesse elle-même. Mais qui allait donc bien être mon dieu du vin et sauveur ? Sans trop savoir pourquoi, je songeai au Docteur. Mais ce n’était que pour me dire que c’était impossible et qu’il m’avait abandonné, lui aussi. Doublement abandonnée, voilà ce que j’étais : doublement abandonnée par deux faux héros. Et le soleil déclinant, j’entrepris de faire le tour de l’île. Elle était si petite et ronde que sans quitter la plage, j’en fis le tour en moins de deux heures et quand je revins, il faisait nuit mais j’en étais toujours au même point. Et le froid de la nuit fut apporté par les vents marins, tandis que de gros nuages noirs s’amoncelaient au-dessus de ma tête.
Si j’étais de cette époque, j’aurais pu légitimement penser que c’était Zeus qui voulait se venger de moi pour l’affront que j’avais fait à son fils, Minos, avec mes compagnons. Mais je n’étais pas de cette époque. J’étais du XXIème siècle et je savais ce que ces nuages annonçaient… Et ma peur de l’orage que j’avais toujours eu, des éclairs comme du tonnerre, me prit et me faisant abandonner tout courage et toute réflexion logique. Je courais au centre de l’île et trouvais enfin un abri décent : une petite grotte inhabitée.
Un fin tapis de mousse recouvrait le sol rocailleux où je m’assoupis durant cette nuit. L’orage qui grondait devant moi m’empêcha de vraiment dormir et c’est plus fatiguée encore que la veille et toujours sonnée par le coup de glaive sur ma tête que je me réveillai le lendemain matin.
J’avais faim. Et je me cueillis quelques fruits de l’île.
« Je ne vais pas résister longtemps, pensais-je alors fort souvent. » Le reste du temps, j’explorais l’île. Mais je n’y trouvais rien d’intéressant. Délos n’aurait pas pu être plus accueillante ! Le soir vint plus tôt que je ne l’aurai cru ni voulu. Et si la nuit s’annonçait plus calme et que j’étais aussi plus reposée, j’avais encore plus froid que la veille. Je tentais donc d’allumer un feu. Mais les expériences passées avaient été bien maigres. Avais-je même déjà essayé une seule fois avant ? Je n’avais jamais fait les Scouts et les films et séries n’étaient finalement pas le meilleur exemple à suivre si l’on voulait survivre. En plus, je m’emmêlais sûrement les pinceaux parce que j’étais complétement perdue et que ma mémoire ne répondait presque plus. Abandonnée, de tous et abandonnée de mes meilleures qualités. Une « encyclopédie » qui se mourrait… Seule, gelée, dans une grotte hostile au sommeil et sous une lune levée dans le ciel qui était presque pleine.
Je croyais vraiment voir mon dernier jour arriver. Et je pensais à ma mère. D’abord à ma mère puis à mon père, à mon frère, à mes grands-parents, à Anaïs et autres amis que j’espérais me faire en prépa, à Coralie, Octave et Malika et mes autres amis du collège et du lycée. Et je pensais au Docteur.
Je pensais encore à sa folie que j’avais eu l’idiotie de confronter et qui m’avait emmenée ici, là où j’étais abandonnée du monde et bientôt aussi de mes dernières forces.
Je pensais au Docteur, ce Seigneur du Temps si extravaguant. Il avait parlé de Jedi comme s’ils existaient. Et de Luke Skywalker… Et mes pensées se tournèrent alors vers l’idole de mon cœur depuis mes dix ans. Ou peut-être avant ? Ma mémoire me jouait des tours alors comment savoir ?
Et le Docteur, avait-il survécu ou les Judoons l’avaient-ils tué ? Ou bien Minos ? J’étais seule et sur cette île, je ne m’en rendais que trop bien compte. Je m’étais déjà souvent sentie très seule dans ma vie. Mais jamais au point de souffrir autant de solitude, jamais au point de vouloir autant serrer quelqu’un dans mes bras – n’importe qui !
L’abandon de Thésée sur cette île avait eu toutes ces conséquences. Mais je ne l’en haïssais pas plus. Je me détestais moi-même. J’avais cherché tout ça à cause de ma curiosité. Et voilà que j’allais mourir dans une époque de mythes où les dieux vivaient parmi les mortels… Mais quel dieu me sauverait ? Aucun dieu ne viendrait pour moi. J’étais à l’abandon, à la dérive et mon esprit aussi…
…
La lune brillait au sommet de la voute céleste, et, même à l’intérieur de ma grotte, elle me caressait de ses rayons de lumière. Mais ils ne me réconfortaient pas. Ma fin approchait sûrement et de plus en plus. Je pensais que le soleil dans la journée devait avoir fait bouillir mon cerveau parce que j’avais des hallucinations : j’entendais un bruit bizarre et à la fois familier. Très réconfortant, bien plus que la présence de la lune et d’aucun nuage dans le ciel.
Ce bruit, je ne le connaissais pas encore assez pour le reconnaitre immédiatement. Mais si mon esprit était en chute libre, mon instinct de survie était surexcité par ce bruit si étrange qui s’amplifiait de secondes en secondes. Faiblement, je relevais la tête vers le ciel, maudissant celui-ci et le soleil qui se cachait à l’horizon. C’était la nuit et le silence régna à nouveau au bout de quelques secondes supplémentaires. Et soudain, je me souviens. Le bruit qui a cessé fait écho à un passé récent. A un voyage improbable qui n’avait plus rien d’un beau rêve à présent. A présent qu’il avait viré au cauchemar. Voire au drame même.
Le TARDIS… Le Docteur ! Il était finalement en vie, et il était revenu ! Pour moi ! Ariane avait bien été abandonnée par Thésée, le héros du mythe d’Hésiode. Mais Julie avait été sauvée par son dieu du temps dans sa cabine de bois bleue. Le Docteur ne m’avait pas abandonnée. Et le Docteur était peut-être bel et bien mon Dionysos, après tout ? Je n’y pensais plus de toute façon : j’étais trop heureuse de revoir le TARDIS et le Seigneur du Temps qui en sortait, très inquiet. Quand il me vit, son angoisse disparut de ses traits et il me sourit même alors que je me jetais dans ses bras. J’avais si froid… J’avais eu si peur… J’avais toujours tellement peur… J’avais faim… J’avais… Cru mourir. Je lui disais tout ça, ou plutôt je le lui balançai à la figure tout en profitant de ses bras chauds pour reprendre mes esprits.
Nous rentrons ensuite tous deux dans le TARDIS et le Docteur me passe son long manteau marron sur les épaules. Je me blottis dedans comme je l’avais fait dans ses bras et accepte peu après la tasse de chocolat chaud que le Seigneur du Temps me tend. Tout en buvant et me réchauffant par le breuvage et la température du TARDIS, je demande au Docteur de m’expliquer ce qui est arrivé après que Thésée m’ait enlevé. Parce qu’il n’y avait pas d’autres mots au crime qu’il avait commis.
Le Docteur m’expliqua qu’une fois le Minotaure mort, les Judoons sont rentrés chez eux et que Minos a été épargné. La labyrinthique capsule de sauvetage a été remorquée par le vaisseau Judoon et tout est rentré dans l’ordre. Mais le TARDIS était à Athènes et le Seigneur du Temps avait dû prendre un bateau de Knossos jusqu’au port de la cité d’Egée ; un bateau plus petit pour rester discret ce qui avait aussi allongé le temps de son trajet. Revenu à l’Acropole, il avait retrouvé son vaisseau et avait ensuite sondé les environs à ma recherche mais ne m’avait pas trouvé. Il avait alors peu à peu et de plus en plus élargi le rayon de recherche jusqu’à ce que le TARDIS ne repère enfin un voyageur temporel. Il avait ensuite matérialisé son TARDIS juste à l’entrée de ma grotte et je l’avais vu avant de courir vers lui et les bras qu’il me tendait, soulagé et surpris.
« Mais si c’est une machine temporelle, pourquoi ne pas être retourné dans le passé, demandais-je, au moins pour m’éviter ces deux horribles nuits sur cette île.- Je suis désolé, Julie, mais je ne pouvais pas. Vraiment : nous faisions tous deux partie des évènements. »
J’avais encore du mal à le comprendre mais il avait au moins gagné ma confiance. Et je n’aspirais plus qu’à une chose, c’était de rentrer chez moi. Cela déçut le Docteur qui ne se priva pas de me le dire et qui voulait déjà me proposer de rester avec lui et de voyager, vivre d’autres aventures. J’avouai être assez tentée mais que j’avais eu bien trop peur :
« Je vous crois, Docteur. Vous avez gagné votre « pari » et c’est vrai que ça a été une chouette aventure dont je me souviendrais toujours…- Mais ?- Mais elle a aussi été trop éprouvante. J’ai été enlevée, abandonnée sur une île déserte. Rien que ça gâche le plaisir du voyage ; mais j’ai aussi beaucoup couru, et couru pour sauver ma vie, essuyé des rafales de tirs lasers et affronté un Minotaure. Je suis désolée mais c’est vraiment beaucoup trop pour moi.- Je… Je comprends. Bon, alors je vous ramène chez vous. »
La voix du Docteur était empreinte de tristesse, voire de mélancolie. Mais je savais que je faisais le bon choix et il le respectait. Il tritura plusieurs drôles de bouton sur la sorte de console centrale et le TARDIS se mit à tanguer dans tous les sens alors qu’il se dématérialisait.
Je rentrais enfin chez moi, j’allais revoir ma famille et mes amis. J’étais heureuse. Je devais l’être… Alors pourquoi je sentais ce pincement au cœur à l’idée de quitter le TARDIS et le Docteur ?
…
Cardiff, 22 avril 2007 :
Le TARDIS s’arrêta ensuite de tanguer, il s’immobilisa et le bruit caractéristique qui m’avait réconforté et rendu foi en la vie et dans le Docteur raisonna dans nos oreilles avant de s’arrêter à son tour. Le silence, plutôt pesant, s’installa et, toujours sans un mot, je serrai à nouveau le Docteur dans mes bras et contre mon cœur. Je crus entendre un écho et songeai qu’un cachet pour la tête me ferait un bien fou. Le Docteur me libéra ensuite de son étreinte et je m’avançai vers la porte du TARDIS. Je l’ouvris et découvrit surprise un tout autre paysage que la rue délabrée de la ville de Douai où j’avais rencontré deux jours plus tôt le Docteur et sa boite bleue magique. Je l’avais pris pour un Sorcier au départ, je n’avais pas eu tellement tort. Ce jour-là, je le voyais comme l’égal d’un dieu…
Je fis un pas dehors et compris que même les dieux n’étaient pas infaillibles. Et encore moins dans la Mythologie Grecque et encore moins Dionysos, le dieu du vin, de la fête et du théâtre. Bacchus… Le Docteur dans cette histoire…
« Docteur, depuis combien de temps on peut voir la mer à Douai ?- Quoi ? La mer ? Comment ça, la mer ? »
Le Seigneur du Temps sortit à son tour du TARDIS et vit tout comme moi qu’à quelques mètres du TARDIS, on voyait le flot bleu d’une mer ou d’un océan. L’eau reflétait un ciel gris chargé qui me rappela ma première nuit sur cette île maudite. Mais le Docteur ne se préoccupait pas du temps qu’il faisait ou qu’il allait faire. Il tourna la tête vers la gauche et horrifié, en voyant un bâtiment aux formes étranges et aux lettres gravées dans un doré qui parlaient de « pierres de l’horizon », il s’exclama sans feindre le dégout que lui provoquait cette vision :
« On est à Cardiff ! »
Suite dans "Julie et les Wheevils".