Le Mystère des Lapins-tonnerre

Chapitre 8 : C8 : La fontaine de Myrn'An Ghaar

9950 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/11/2016 16:52

CHAPITRE VIII

CLARA ET LE DOCTEUR

Ils marchaient à vive allure. Comme le Docteur se taisait, sans doute pour réfléchir à un plan, Clara se concentrait sur les papiers donnés par Martha, tout en gardant un œil sur les corridors. Les rangées de chiffres et de noms bizarres ne lui parlaient pas puisqu'elle n'avait pas de formation médicale ou chimique. Elle se demandait comment le Docteur avait su de quoi il était question sans même regarder les analyses. En quoi le fait de savoir ce qui était transporté dans le cargo comme une mission secrète pouvait-il l'aider à résoudre le problème des lapins mutants ? Est-ce qu'il savait déjà qu'il n'y avait rien à faire pour eux mais qu'il était encore temps d'empêcher cette Fontaine de Mirnengar d'en créer d'autres ? Comme il avait dit qu'elle affectait aussi la biologie des humains, allaient-ils eux aussi subir le même sort que les lapins de l'espace de Pernn ?

Docteur, comment est-ce que je sais qu'on est dans l'espace de Pernn ?

Pendant votre expérience de pilotage, lorsque nous sommes arrivés, vous avez bénéficié de l'assistance du Tardis. Vous le savez de la même façon que vous avez su que nous étions dans un vaisseau, sans avoir ouvert la porte ou consulté les capteurs, répondit-il machinalement. En fait c'est le Tardis qui le sait et qui vous le dit de façon latente.

― Et moi qui pensais que vous étiez omniscient… s'amusa-t-elle. Pourquoi cette fontaine ne semble pas m'affecter, ni vous ?

ça ma chère, c'est une excellente question. Je tendrais à penser qu'en ce qui me concerne, c'est parce que je suis encore sous l'effet protecteur de la dernière régénération. Pour vous, je suis encore en train de travailler plusieurs hypothèses…

Y en aurait-il une où l'on pourrait éviter que je devienne une guenon mutante explosive ?

Je ne saurais tolérer qu'une telle chose se produise, dit-il en s'arrêtant devant une porte verrouillée de la zone des quartiers d'habitation – qui ne résista pas longtemps au petit sifflement du sonique. Car dès lors je pourrais faire une croix sur mon talkie-walkie ! Entrons-nous ?

.°.

LES SMITH

Elle les voyait tous les deux. Mickey était allongé par terre et Ricky à côté de lui. Elle cria son nom. Le couloir menant aux hangars était encombré de gravats et passablement défoncé, et elle progressait bien trop lentement à son goût. Un vrai miracle que la coque du cargo n'ait pas été éventrée. Arrivée enfin près de lui où elle se jeta à genoux, elle consulta Ricky du regard. Ses traits étaient tendus par une intense anxiété.

A-t-il repris conscience à un moment ? demanda-t-elle en vérifiant ses constantes.

Il a parlé tout à l'heure, acquiesça Ricky, mais plus depuis dix minutes. Je me demande s'il n'est pas évanoui…

Martha vérifiait le pouls, les pupilles, le cœur serré dans un étau. Elle savait bien que ce genre de chose pouvait arriver. Ils le savaient tous les deux. Elle pensait pourtant qu'elle y serait mieux préparée. Vieille folle qu'elle était.

Où a-t-il été blessé ? demanda-t-elle en voyant du sang mais pas de blessure.

Le bras et le côté, dit Ricky. Il avait une importante déchirure, j'en suis sûr.

Mais… tiqua Martha, elle est passée où ?

Elle souleva son pull déchiré et poisseux de sang et passa sa main pour palper doucement les côtes. Pas une esquille d'os, pas de blessure, rien. Mickey toussa un peu et gémit.

Oh arrête ça tout de suite, articula-t-il péniblement, ou Monsieur ton fils va encore nous accuser d'avoir un comportement indigne…

Martha se jeta à son cou en pleurant et en criant de soulagement.

Mickey ! J'ai cru que cette fois tu étais mort pour de bon ! Oh, dieu merci ! Mais que s'est-il passé ?

Il tenta de se relever sur un coude, non sans balancer un clin d'œil à son fils.

Non mais ! Je vois bien que vous avez tous super vite fait de m'enterrer à la première occasion…

Ne te lève pas ! intima Ricky.

Allons, ça va, je vous dis.

Tu as mal ? s'enquit Martha.

Oui j'ai mal, reconnut-il parce que ça restait vrai.

Martha se jeta dans ses bras alors qu'il venait lentement de se remettre debout, et Mickey souriait à son fils d'un air insupportable que le garçon pouvait parfaitement sous-titrer sans aide « Et voilà le travail ! Regarde et apprends, petit »…

Nous devons absolument retourner au poste de commande, dit Martha. Où avez-vous mis le deuxième ?

Hangar 4 ! répondirent en même temps Mickey et Ricky.

Il faut l'éjecter sans plus attendre et condamner les voies de communication. Les gros sont des variations mutantes des cagals, comme je le craignais, et malheureusement pas juste des adultes… Comme les cagals vont partout, ils vont fatalement quelque part où ils ne devraient pas. Les cellules n'arrêtent pas de muter sans parvenir à se stabiliser. Je ne sais pas pourquoi. Quand j'étais dans la salle des machines, j'ai vu le premier zébré d'arcs électriques, ça aurait dû me mettre plus la puce l'oreille. Ils explosent tout bonnement quand le processus s'emballe.

Martha et Ricky soutenaient Mickey pendant qu'ils remontaient le plus vite qu'ils pouvaient pour s'éloigner des hangars.

Avant de condamner les couloirs, est-ce qu'on sait où sont le Docteur et Clara ?

Il y a peu ils étaient encore dans le Tardis.

On ne peut pas tellement compter pour sûr qu'ils y soient restés, grogna Mickey.

Euhh… commença Ricky qui regardait le détecteur de signes de vies que lui avait donné le Docteur.

Quoi ? demandèrent ses parents en même temps.

Et bien… soit celui qu'on vient péniblement d'enfermer s'est échappé, soit il y en a un nouveau dans le couloir d'à côté !

Comme si on avait besoin de ça ! grimaça Martha. Il va encore falloir courir et courir… C'est le Docteur qui fait ça. J'en suis sûre. Dès qu'il est là, on n'a subitement plus jamais assez de temps pour rien. Tu ne l'as jamais remarqué ?

Ah, soupira Mickey avec un sourire ravi. Tout ce temps qui passe et ce brave Docteur qui ne change pas ! Toujours à générer des maelströms de temps raccourci partout où il passe !

Il ne change pas, il ne change pas… fit Martha avec une petite moue en savourant par avance la tête qu'il ferait quand elle aurait fini sa phrase. Tu n'aurais pas dit ça si tu l'avais surpris en train d'embrasser passionnément une femme dans le Tardis !

Mickey, frappé de stupeur, manqua de trébucher sur une gaine qui traînait à terre.

QUOI ?

.°.

CLARA ET LE DOCTEUR

Il s'agissait manifestement d'un « quartier vide » ou, comme le corrigea Clara, d'une chambre inoccupée aux murs gris. Si le terme « aucun signe distinctif » avait été inventé, ça aurait été pour elle. Le lit n'était pas fait (des couvertures pliées reposaient au pied), les meubles de métal assez sommaires étaient vides. Somme toute, trouver l'objet ne prit pas beaucoup de temps. Déjà parce qu'il était posé tout seul sur une table ou un genre de bureau. Ensuite, parce que dès que le Docteur s'en était approché, un champ de force lumineux l'avait repoussé, enfermant la petite boîte rectangulaire aux motifs ouvragés dans une sorte de bulle de verre mou et impénétrable. Il refit plusieurs tentatives qui ne donnèrent rien. Un léger frémissement d'agacement haussa son sourcil.

Le Docteur essaya de le scanner au sonique, et obtint une bulle de protection encore plus belle et encore plus grosse. Il resta à regarder l'objet un instant puis recula à l'autre bout de la chambre, posa son tournevis et se rapprocha lentement. L'objet restait inerte. Inerte jusqu'au moment où il essaya de le prendre et où une petite bulle de protection le repoussa tout de même.

Je crois que le message est clair : cette boîte ne vous aime pas ! se moqua un peu Clara.

Il la regarda avec un air faussement vexé.

Je ne comprends pas ce qui se passe. D'habitude les boîtes m'adorent !

Clara essaya de ne pas rire, ni de ne surtout pas ajouter un « Ah oui, on a vu ça » ou quelque chose dans le style. Elle n'était toujours pas sûre de ce qu'elle avait vu dans le Tardis. Et bien sûr, il n'avait fait aucun commentaire. Peut-être était-ce plus malin de ne pas relever pour l'instant.

Venez-là, dit-il en lui faisant signe de s'approcher.

Clara ne bougea pas et il finit par lui jeter un coup d'œil pour voir ce qu'elle faisait.

Si vous avez raison, et que cette boîte ne m'aime pas, peut-être qu'elle sera plus coopérative avec vous ? Ça ne coûte rien d'essayer, argumenta-t-il en se mettant un memo pour penser à systématiquement argumenter avec Clara qui n'était apparemment pas du genre à obéir sans broncher.

Vous me promettez que vous n'allez pas laisser cette chose me transformer et me faire exploser ?

Je ne crois pas que ça vous fera du mal, dit-il. Ce n'est pas prévu pour ça à la base.

Donc vous savez ce que c'est ?

Il essaya de l'attraper encore et la protection automatique de la boîte se remit en route. Clara approcha alors timidement sa main, centimètre par centimètre, encouragée du regard par le Docteur : et il ne se passa rien du tout. Elle attrapa l'objet qui possédait de fines gravures géométriques assez jolies d'à peine un micron sur les parois. Des cercles, des points… Peut-être étaient-elles effacées par le temps ? Clara ressentit que l'objet qui semblait de métal était moins froid au contact que ce à quoi elle se serait attendu, mais plus lourd. Elle la reposa.

C'est presque tiède, et on dirait que ça pèse à peu près trois kilos. Je suppose que les gravures ne sont pas un langage car sinon le Tardis aurait traduit…

Le Docteur hocha la tête.

Pour peu que ce langage soit connu du Tardis, oui.

Le Tardis ne connaît-il pas toutes les langues ?

C'est déjà arrivé qu'il ne puisse pas traduire des langues vraiment très anciennes. Clara, vous serez mes mains pendant l'opération qui consistera à l'ouvrir et à la désactiver.

Ce sera dangereux ? demanda-t-elle en essuyant ses mains devenues un peu moites.

Naaahh, fit le Docteur. Mais nous sommes un peu pressés par le temps…

Un quart d'heure plus tard, ils étaient assis à la table, la boîte posée devant eux. Le Docteur s'était approché d'aussi près que possible, sachant que quand il se trouvait à moins de vingt centimètres, la sécurité se mettait en route. Clara et lui était penchés dessus avec précaution, il lui donnait les instructions qui allaient permettre d'ouvrir et de stopper l'objet. Coude à coude, presque tête contre tête, Clara trouvait que ça ressemblait à une scène de déminage comme on en voyait tant dans les films. Sauf que ça ne devait pas exploser, en tous cas si le Docteur avait dit vrai.

Tournez la boîte sur toutes ses faces que je les voie bien, demanda-t-il. Nous cherchons quelque chose de probablement discret qui masque la commande d'ouverture…

Elle obéit et tourna la boîte rectangulaire sur chacune de ses faces pour lui laisser le temps d'observer les détails. Cherchait-il un « gros bouton sympa » ?

Comment savez-vous ce qu'il faut faire, souffla-t-elle. Vous avez déjà vu quelque chose de similaire ?

Je ne sais pas ce qu'il faut faire, répondit-il franchement. Mais je ne m'arrête pas à ce genre de chose. Pouvez-vous essayez d'appuyer sur ce motif en forme de fleur ?

Elle obtempéra et le motif s'illumina brièvement pour s'éteindre aussitôt.

Ce n'est pas le bon bouton… commenta Clara.

Ou peut-être qu'il faut appuyer sur eux selon une certaine séquence, ou sur certains mais tous en même temps, compléta-t-il. Dès qu'on met des boutons quelque part, les options sont finalement basiques…

Elle opina.

Et vous connaissez la civilisation qui a produit cet artefact ? Vous avez dit que c'était une fontaine…

Appuyez là-dessus. Oui la fontaine de Myrn'An Ghaar. Même dans ma jeunesse, c'était considéré comme une légende sur ma planète… Et cet autre là ? Zut. Toujours rien…

C'est où et quand Mirnengar ? demanda-t-elle.

Bien essayé, mais là plutôt un « qui ». Et ça remontait déjà à très très longtemps quand j'étais enfant. Même sur Terre vous avez des légendes qui se perdent à la frontière de votre histoire et de la mythologie, n'est-ce pas ? Ghaar était un Seigneur du Temps. Un renégat. Il avait fui la planète parce qu'il menait des recherches controversées.

Oh, il y en a toujours plus ou moins un dans chaque famille, commenta Clara avec un demi-sourire. Je peux essayer quelque chose ?

Allez-y.

Elle plaqua les deux paumes sur les deux côtés les plus grands de la boîte et appuya d'abord légèrement et ensuite un peu plus fort. Un très léger petit klonk se fit entendre. Le Docteur sourit. A présent l'un des plus grands panneaux pouvait s'ouvrir, un peu comme une boîte à musique.

Pas mal… concéda-t-il. Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de faire ça ?

Quand vous avez parlé d'appuyer sur plusieurs boutons en même temps, comme sur les touches Ctrl, Alt et Suppr d'un clavier d'ordinateur – c'est souvent paramétré comme ça pour fermer ou démarrer une nouvelle session – j'ai commencé à penser alors qu'on aurait de la chance s'il ne s'agissait pas d'une race possédant treize doigts. Et de là je me suis dit que le plus facile aurait été que ça s'ouvre d'une simple pression des paumes… En effet, puisque ça n'a pas l'air de faire de mal aux humains, peut-être que des humains ou tout au moins des humanoïdes, devraient pouvoir l'ouvrir sans que ce soit trop complexe, mais aussi sans que ce soit trop évident, je suppose… dit-elle comme si elle était dans une sorte de transe.

Le Docteur claqua des doigts devant ses yeux.

Clara, vous êtes avec moi ?

Elle sursauta.

Oui, bien sûr. Qu'y a-t-il ?

Vous venez d'ouvrir la boîte, puis vous avez débité votre tirade pendant vingt secondes sans cligner des paupières, sans respirer et le regard dans le vide… Il faudrait trouver un genre de commutateur. J'imagine que c'est ce petit truc rond là, au milieu.

Petit bouton sympa, pensa-t-elle. Elle posa la boîte sur la table et arrondit la bouche en découvrant l'intérieur, et à quel « commutateur » le Docteur faisait allusion. Il fit un mouvement involontaire pour la redresser et la mettre « debout » face à eux, mais la sécurité du coffret se remit en route et l'objet sembla reculer sur la table pour lui échapper.

Pardon, pardon, fit-il en levant les mains. J'ai espéré que la protection ne fonctionnerait peut-être plus une fois la boîte ouverte.

On dirait que c'est une journée où vous devez forcément nous regarder faire, hein ? fit-elle en redressant l'objet. Regardez-moi ça ! Il y a des choses que vous ne me dites pas manifestement. Je reconnais ce que je vois. Cette boîte est plus grande à l'intérieur… Parlez-moi de ce Seigneur du Temps renégat et en fuite. Il doit vous plaire non ?

Le Docteur se leva et commença à faire le tour de la pièce. Elle craignit de l'avoir froissé car il ne répondit pas, en furetant partout, et en tripotant tout un tas de bidules : un crayon qui traînait dans un pot, des poignées de tiroir, un ressort du sommier… Elle se souvint d'un coup que c'était typique du jeune dixième Docteur, qui préférait ne pas répondre quand ça ne l'arrangeait pas, plutôt que de mentir. Elle le vit se reculer au fond de la pièce et faire quelque chose avec le tournevis sonique qu'il y avait laissé. Il revint vers elle bientôt et lui tendit un objet long et fin, assemblé à la hâte.

Tenez, je vous ai fabriqué un genre d'outil rudimentaire. J'aurais adoré pouvoir utiliser le sonique, mais ce n'est pas possible. Cette boîte est programmée pour repousser toute technologie gallifréenne.

Est-ce que vous pensez qu'elle pourrait endommager le Tardis ?

Disons qu'il y a tout lieu de se féliciter que vous ayez redistribué les hangars de façon aussi judicieuse… Il est beaucoup moins à portée de cette zone du cargo.

Pourquoi ? demanda Clara. Pourquoi ça n'aime pas les Seigneur du Temps ?

An' Ghaar n'avait aucune envie d'être capturé, selon la légende. Les Seigneurs du Temps n'auraient jamais consenti à le laisser vivre ou l'auraient traqué sans relâche. Car sa création – cette boîte – n'était pas approuvée par le Conseil Scientifique de la planète. Il paraît qu'ils ont remué ciel et terre pour mettre la main dessus et ils n'ont jamais pu.

Je vois bien pourquoi, dit Clara… Et maintenant, je fais quoi ? Le fil bleu avec le fil rouge ?

Il lui jeta un regard en biais avec un sourire.

Non, essayons de ne pas tout faire sauter…

Elle afficha instantanément une mine pâle et alarmée.

Vous voulez dire que ça peut exploser aussi ce machin ? Pourquoi ne l'avez-vous pas dit tout de suite ?

Je voulais peut-être que vous restiez calme et concentrée ?... Non, Clara ! Je plaisantais, mais apparemment je ne suis pas drôle… C'est en réalité une sorte de dispositif médical. Il active chez certaines races humanoïdes le renouvellement des cellules, il rétablit le fonctionnement d'organes malades ou usés…

Vous voulez dire qu'il répare les humains mais pas les Seigneurs du Temps ?

Et bien comme vous avez pu vous en rendre compte vous-même, la race des Seigneurs du Temps a ses propres moyens pour se réparer… Et il est vraisemblable que An' Ghaar avait peut-être aussi ses raisons pour ne pas souhaiter que sa création tombe aux mains de l'Université.

Vous pensez qu'il avait de la rancœur contre des collègues qui dénigraient son travail ?

Je pense qu'il avait de la rancœur contre ses collègues qui dénigraient les humains…

Elle se tourna vers lui avec stupéfaction.

Ce Engar, c'est un ancêtre à vous ?

Le Docteur eut l'air mal à l'aise, et se tortilla un peu sur sa chaise, il aurait bien aimé garder le dessus dans cette conversation qui menaçait de lui échapper et lui dit d'un air plus sérieux :

Nous pourrions en reparler un peu plus tard ? Vous avez encore à éteindre le dispositif et il y a deux cagals mutants qui peuvent exploser n'importe quand… C'est à vous de sauver mes amis aujourd'hui, ajouta-t-il pour être un peu plus gentil.

Mais Docteur, si j'appuie sur ce petit machin là à l'intérieur, ça va arrêter la boîte. Et alors que deviendront Martha et Mickey ? C'est bien grâce à cette machine qu'ils ont l'air d'être dans une forme éblouissante malgré leur âge ?

Il baissa la tête.

Nous devons couper ce dispositif, insista le Docteur, du moins tant qu'il y aura des cagals à bord ! Il faut le faire avant que quelqu'un d'autre ne soit blessé. Après, ce serait beaucoup plus problématique et nous ne pourrions peut-être pas les sauver.

Pour la première fois qu'elle était directement aux manettes, Clara commençait à comprendre plus profondément quels étaient les choix que devait faire son vieil ami. Le suivre, elle avait l'habitude. Le Docteur décidait toujours des plans quand il y avait du grabuge. Le Docteur était le premier interpellé par les méchants quand il apparaissait quelque part. Le Docteur trouvait des solutions à presque tout, sauvait les gens qu'il pouvait sauver... Or c'était la première fois qu'elle se sentait responsable à ce point. Martha et Mickey allait-ils devenir instantanément les deux vieilles personnes qu'ils auraient dû être ? Et s'ils avaient des maladies génétiques, réapparaîtraient-elles ? Survivraient-ils simplement à la fin du voyage sans l'assistance de cette boîte magique ?Et si elle hésitait encore plus longtemps et qu'un ou deux cagals supplémentaires explosaient, ne seraient-ils pas tous perdus dans l'explosion gigantesque qui leur pendait au nez ?

Elle se résolut à utiliser la tige métallique donnée par le Docteur qui crépita un peu en entrant dans la boîte. Elle fut donc heureuse de ne pas y avoir mis les doigts sans réfléchir. D'un geste qu'elle souhaitait assuré, elle enfonça ce qu'elle présumait être le bouton d'arrêt. Et puis elle expira à fond.

Si vous approchez lentement votre main, dit-elle, on saura vite si ça a marché…

Le Docteur obtempéra et la boîte sembla se défendre encore faiblement, comme s'il existait une sorte d'énergie résiduelle qui brillait autour d'elle, mais qui s'arrêta enfin. D'un geste lent, le Docteur reposa le couvercle dessus.

Allons retrouver les autres, dit-il. Ils ont peut-être encore toujours besoin d'aide pour gérer les cagals mutants.

La boîte sous le bras, il ramassa son sonique et sortit.

.°.

Tandis qu'ils remontaient les couloirs pour se rendre en direction de la salle de pilotage où le Docteur espérait au moins de quoi trouver un système de communication pour leur parler ou les localiser, Clara essayait de marcher près de lui. Il avait l'air un peu triste.

Vous avez une question à me poser, demanda-t-il au bout d'un moment.

Ce Seigneur du Temps qui a construit la boîte, pourquoi l'a-t-il fait ? Votre civilisation est terriblement en avance sur la nôtre. Et si on parle de temps extrêmement reculés pour vous, est-ce que l'humanité était développée à l'époque ?

Clara, nous nous affranchissons du Temps. Rien n'est plus facile que de contacter les humains à un stade de développement plus ou moins poussé…

Comme vous le faites maintenant ?

Exactement. Je peux me rendre partout, que ce soit au moyen-âge ou à la préhistoire, ou avant même la création de votre système solaire.

Pourquoi Engar voulait-il s'occuper des humains ?

Parce que vous êtes fascinants.

Clara rit.

Non pas du tout. C'est vous qui viviez quasi éternellement au sein d'une civilisation brillante à la technologie merveilleuse… Qu'est-ce que vous trouvez de si fascinant chez nous ? Nous ne sommes pas très intelligents, notre planète ne vit pas en paix, il y a toujours des endroits sur la Terre où il y a des guerres et des injustices terribles… Donc pourquoi voulait-il s'occuper des humains ? Deviendrons-nous meilleurs dans le futur ?

Ne vous jugez pas uniquement sur vos mauvais côtés. Ma civilisation, si brillante soit-elle, est morte et qui plus est dans une guerre abominable. Il n'y a vraiment pas de quoi pavoiser.

Pourquoi Engar voulait-il s'occuper des humains ? répéta-t-elle doucement.

Il soupira. Il fallait qu'il fasse attention. Cette technique de la question « à l'usure », menaçait vraiment de très bien fonctionner sur lui…

Parce que… parce que… parce que c'était un jeune chien fou idéaliste de 87 ans !… Presque encore un enfant selon nos critères.

Vous voulez dire un ado ?

On pourrait presque dire ça. Un très jeune homme en tout cas, acquiesça-t-il.

Et alors qu'a-t-il fait ? Quel est son crime ? Est-ce que c'était un genre de professeur Mengele qui torturait les humains à des fins prétendument scientifiques ? Est-ce que ce serait lui qui a donné naissance au mythe des aliens qui enlèvent des humains pour les étudier ? Quoi, c'est ça ? Qu'est-ce qui vous rend aussi penaud ? Vous vous sentez responsable de ses méfaits parce qu'il est de votre race ? Ou… parce qu'il est de votre famille ?

Vous n'y êtes pas du tout, ma chère, dit-il en lui jetant un regard consterné. La légende, car c'en est une, dit qu'il a inventé cette machine pour augmenter un peu l'espérance de vie des humains. Malheureusement, comme il était inexpérimenté, sa création n'était pas parfaite et possédait des effets secondaires assez dommageables, ce que nous avons pu constater directement par nous-mêmes… Cette machine avait totalement disparu depuis déjà fort longtemps avant le temps de ma naissance, et je suis d'ailleurs assez perplexe qu'un objet de ce type réapparaisse… Je me demande pourquoi. Je me demande comment. Et je voudrais savoir comment Torchwood a mis la main dessus, et où, et surtout ce qu'ils comptent faire avec, ajouta-t-il d'un air sombre.Je vois trop bien comment mise dans des mains mal intentionnées, elle pourrait détruire la faune de votre planète parce que quelques-uns fantasmeraient sur le vieux rêve humain de la vie éternelle et seraient prêts à sacrifier sans réfléchir toute la biosphère la Terre… Si mes amis appartiennent à Torchwood, je sais que ce danger est trop grand, car cette organisation est partiale. Je ne peux pas les laisser retourner sur Terre avec ça… chuchota-t-il d'un ton ferme. Nous arrivons. Alors, le plan c'est : on les aide avec les cagals, et ensuite on les convainc de nous donner la boîte, nous sommes bien d'accord ?

Clara lui jeta un coup d'œil et plissa les yeux. Elle faisait toujours ça, et une petite moue quand elle croyait avoir une idée géniale.

Nous serons d'accord si vous répondez à une dernière question pour l'instant, répondit-elle sur le même ton bas.

Il s'arrêta de marcher et la regarda d'un air contrarié.

Je n'aime pas beaucoup quand vous essayez de faire pression, l'avertit-il. Que voulez-vous savoir encore maintenant ?

Est-ce que River est humaine ?

Est-ce que vous pensez que c'est vraiment le moment d'en parler ? fulmina-t-il.

Clara lui jeta un regard direct beaucoup plus gentil que ce à quoi il s'attendait. Cette question n'était pas faite pour le piéger, ou le fruit d'une curiosité malsaine née de la jalousie.

Vous n'en parlez jamais, dit-elle. Alors je me pose des questions.

Je n'ai peut-être pas de psychologie féminine, mais j'ai suffisamment d'expérience pratique pour savoir que ce n'est pas très malin de parler d'une autre femme… en présence celle qui a la bonté de vous accompagner pour le moment ! Les radotages d'un vieil homme à ce sujet vous paraîtraient très ennuyeux, j'en suis persuadé. Maintenant, est-ce qu'on peut y aller ?

Vous n'avez pas répondu à la question…

Il leva les yeux au ciel.

Oui, oui, OUI ! River était humaine. A peu près. Je veux dire… Elle a été conçue dans le Tardis, et la proximité du vortex lui a conféré certaines qualités physiologiques propres aux Seigneurs du Temps.

Elle fronça les sourcils.

Mais quand vous dites « conçue », c'était une expérience de labo ?

Pas le moins du monde ! Elle a été fabriquée selon un protocole parfaitement… naturel. Est-ce que vous pouvez me dire quel est le rapport immédiat avec ce dont nous parlions avant ?

Certes. Sur une statistique de deux Seigneurs du temps renégats dont j'aurais pu entendre parler, j'essaie de déterminer à quel niveau exact se place leur « fascination » envers les humains ! J'essaie de comprendre les motivations personnelles d'un « jeune fou » dont la création nous menace tous à cette minute, et je vous avouerais que je commencerais à les trouver plus compréhensibles, s'il s'agissait finalement de la plus vieille histoire du monde… ! Votre Engar est tombé amoureux d'une Terrienne, et ne supportant pas l'idée de la perdre à ce qui lui semblait court terme, il a fabriqué sa propre version de la fontaine de Jouvence pour que sa bien-aimée puisse rester toujours avec lui ! Et quand les caciques de votre planète lui ont dit que c'était mal, qu'il s'était montré négligent, inconscient, stupide et qu'il fallait détruire cet objet, il l'a très mal pris. Ils les a tous plantés là et il s'est enfui avec sa boîte sous le bras… non sans la rendre imperméable aux vôtres, pour leur faire les pieds.

Bravo pour votre perspicacité ! maugréa-t-il. Mais la situation ici n'a rien à voir.

Comment pouvez-vous dire ça ? Est-ce que vous ne trouvez pas bizarre qu'une boîte, introuvable depuis des siècles et des siècles, se retrouve finalement dans les mains du seul Seigneur du Temps qui pourrait peut-être lui trouver un intérêt ? Le seul Seigneur du Temps qui trompait déjà sa solitude avec des compagnons humains alors même que son peuple était toujours en vie ? Est-ce que vous ne voyez pas l'effet qu'elle a sur vos amis ? Je ne parle pas de moi qui ai un statut probablement trop à part dans votre existence, mais serait-il possible que vous n'ayez pas pensé une seule minute qu'elle pourrait peut-être faire quelque chose pour River ?

Vous avez fini ? demanda-t-il lorsqu'elle s'arrêta enfin de parler.

A peu près, dit-elle avec un hochement de tête.

Avez-vous un tant soit peu conscience que nous perdons un temps précieux pendant que vous me faites la leçon ?

.°.

― Pas du tout, fit soudain la voix de Martha dans l'intercom général, nous avons appris plein de choses très intéressantes… Et pour info, nous avons largué le hangar n°4 il y a cinq minutes avec un gros cagal tout électrique dedans, ce qui fait qu'il ne nous en reste plus qu'un à attraper. En plus des petits bien sûr. Toutefois avec le dernier – croisons les doigts – nous devrions disposer d'un peu plus de temps avant qu'il ne se mette à dérailler…

Le Docteur cria en direction du plafond.

J'apprécierais que vous perdiez cette vilaine habitude d'écouter mes conversations privées !

― Oui, et nous nous apprécierions que l'info descendante circule un peu mieux ! Vous aviez des informations vitales sur notre cargaison spéciale et vous n'avez pas jugé bon de nous prévenir…

Le Docteur planta là Clara et se dirigea à grands pas rageurs vers le poste de commande où il entra passablement furieux. Dès qu'il entra, il remarqua que Mickey était assis et qu'il avait l'air complètement épuisé, tandis que Martha était appuyée sur lui et elle semblait avoir pris dix ans de plus. C'était énorme dix années humaines sur eux.Sa colère tomba d'un coup et son cœur se serra de pitié. Il alla vers eux et les serra dans ses bras.

Je vais vous aider, dit-il farouchement avant de ressortir rapidement. Prêtez-moi juste l'auton que vous appelez Ricky.

N'allez pas nous l'abimer hein, fit Martha avec un peu d'inquiétude dans la voix.

Promis, souffla le Docteur tandis que Ricky le suivait sans dire un mot.

Le couple se regarda avec un petit sourire mêlé de tristesse. Mickey pressa la main de sa femme.

Il ne deviendrait pas sentimental en vieillissant ? demanda-t-il une fois qu'il fut sorti.

Mais carrément, approuva Martha.

Comment il a su pour Ricky ?

C'est le Docteur… Il fait tout le temps ce genre de choses. Je pense que les trois quarts du temps, il n'en sait rien et il bluffe…

Tu crois qu'il va vouloir prendre la boîte ?

.°.

Le plan n'était pas très compliqué, mais il fallait reconnaître que les cagals mutants n'étaient pas d'une intelligence redoutable. Les petits lapins d'origine étaient doux et placides, ils ne se formalisaient pas de grand-chose. Ricky avait expliqué que selon ce que lui avait dit sa mère, ce n'était pas parce qu'ils voulaient protéger leur progéniture qu'ils s'approchaient des petits cagals, mais simplement parce qu'ils étaient des animaux grégaires. Cet instinct de regroupement perdurait et se renforçait même après leur mutation.

Pour faire bouger le cagal mutant vers une zone du vaisseau convenable, il fallait donc que Clara se promène avec des petits cagals, et ou que Ricky lui dispose de très jolis et appétissants morceaux de câble sur la route qu'on espérait lui voir suivre. Et c'était tout. Une fois qu'il serait dans un hangar vide (quelle intuition avait eue Clara de libérer trois hangars au lieu de deux !), le Docteur n'aurait plus qu'à démagnétiser le hangar pour le désolidariser de cette zone du cargo, et qu'il se mette à flotter tout seul dans l'espace. Ce vaisseau cargo était bas de gamme, mais sa conception modulaire bon marché avait des atouts.

Clara et Ricky le rejoignirent alors que la porte se refermait sur l'énorme bête qui semblait comprendre qu'elle avait été prise au piège et poussait un terrible grondement de colère.

Je suis désolé, lui dit le Docteur en refermant les portes, tandis que le hangar commençait à reculer dans l'espace.

Ricky activa l'anti-dépressurisation afin qu'ils ne soient pas happés par le vide. Et ils regardèrent le cube reculer dans l'espace.

On voit l'autre un peu plus loin par là-bas, fit remarquer Clara.

Il n'a pas encore explosé ? s'étonna Ricky.

Le Docteur eut un sourire.

Ce serait vraiment trop beau si le fait d'avoir coupé la Fontaine avait pu stopper le processus anarchique qui avait été enclenché, dit-il avec un brin d'espoir.

Ils sourirent tous les trois à cette idée en contemplant les deux hangars flottant à distance du cargo qui avait à présent un trou béant sur l'un de ses côtés avec deux hangars en moins…

Et l'explosion du cagal mutant numéro deux survint et les cueillit par surprise.Bien qu'ils fussent protégés par les boucliers anti-dépressurisation, ils furent un instant déstabilisés. Rien n'aurait pu les traverser ni les atteindre, il n'y avait pas de risque de se prendre un projectile. Mais la chaleur était intense et Ricky fit plusieurs pas en arrière.

Pardonnez-moi, dit-il mais il faut que je recule, les fortes chaleurs ne me valent rien…

ll était couvert de transpiration.

Ne restez pas là ! dit le Docteur. Votre mère va me tuer si vous vous mettez à fondre.

Ils quittèrent la zone des hangars, Ricky s'épongeait le front avec la manche de son uniforme.

Qu'est-ce que vous êtes ? demanda curieusement Clara au jeune garçon. Un cyborg ?

Je ne sais pas ce que je suis, répondit-il sombrement.

Vous êtes un auton, répondit le Docteur.

Comment le savez-vous ? répondit le garçon sur la défensive.

Parce que vous n'êtes pas le premier que je vois. Mais je comprends mieux pourquoi votre mère se montrait si protectrice envers vous…

Elle l'a toujours été !

Martha et Mickey sont donc bien vos parents ? demanda Clara.

Oh, oui ! fit le garçon. Ils ont bien eu un fils cadet qui s'appelait Ricky, il y a de cela plusieurs années, plus d'années qu'ils ne vous l'ont avoué. Selon toute vraisemblance, c'était moi. Je pense que je suis mort et que je suis revenu, comme vous me voyez. Je ne l'explique pas. Ils ne l'ont pas expliqué non plus.

De votre point de vue, que s'est-il passé ? demanda le Docteur.

J'ai eu un accident un jour. Un stupide accident de voiture en rentrant de l'école. Je ne conduisais même pas. Je ne faisais rien de dangereux. J'étais sur le bord de la route, un conducteur a perdu le contrôle de son véhicule et j'ai été fauché. Pouf, comme ça. Mes parents étaient à leur travail. J'ai pensé à eux, et puis je n'ai plus rien vu ni rien senti…Quand j'ai rouvert les yeux, ils étaient comme vous les voyez. On était sur un vaisseau spatial, dans le futur. Ils m'ont expliqué qu'ils étaient en mission secrète pour Torchwood et qu'ils se fichaient de savoir comment je pouvais être là alors que je n'aurais pas dû. Et pour la première fois de ma vie, j'étais d'accord avec eux… C'était une sacrée expérience ! ajouta-t-il avec un sourire.

Le Docteur sentit un frisson lui parcourir l'échine. Etait-ce là ce que sa malédiction personnelle avait ourdi contre lui et sa rébellion égoïste, datant de son avant-dernière régénération ? Lorsqu'il était encore le dixième Docteur, en croyant sauver Luke, le fils de Sarah-Jane, avait-il simplement condamné Ricky en le faisant périr dans des conditions quasi identiques ? Une vie contre une vie ?

Est-ce que vous savez si vous êtes arrivé longtemps après le début du voyage ? demanda-t-il d'une voix légèrement enrouée.

Non, je crois que c'était au début. Nous n'avons pas vu l'intérêt de rebrousser chemin.

Dans combien de temps deviez-vous rallier la Terre ? demanda Clara. Ce vaisseau n'a pas l'air d'aller très vite…

Ricky la regarda avec étonnement et secoua négativement la tête.

Nous n'allons pas sur Terre, dit-il, nous en venons. C'était une mission de cinq à six mois. Il n'y avait pas de difficulté particulière. Juste voyager d'un point A à un point B en se faisant passer pour des marchands. Voyager lentement fait partie de la couverture…

Clara lança un regard appuyé au Docteur.

Donc si je résume, vous êtes en train de dire que vous êtes apparu d'on ne sait où, avec un corps humain tout fonctionnel et tous vos souvenirs, juste après le début du voyage de vos parents vers une mystérieuse destination ?

Ricky sourit en comprenant que vu de l'extérieur, ça pouvait avoir l'air totalement dingue.

Je comprends ce que vous insinuez, mais… je n'ai pas « un corps humain » à proprement parler. Je suis une simple imitation. Maman a dit que j'étais un genre de marionnette vivante en plastique ultra sophistiquée. Mais si vous avez d'autres questions, il faudra lui poser parce que tout ça me dépasse…

.°.

Ricky les laissa et entra dans la salle de pilotage avant de s'installer au fauteuil principal et son bel orange criard.

Clara posa un bras sur le chambranle de la porte pour empêcher momentanément le Docteur de passer et d'entrer à son tour.

Est-ce que vous croyez que la boîte exauce les vœux ?

J'allais vous répondre « Bien sûr que non » mais… développez votre argumentation… chuchota-t-il à voix basse d'un ton légèrement sarcastique.

Ce « dispositif médical » a l'air bien intéressant tel que vous l'avez décrit mais vos amis sont étrangement redevenus « jeunes » et ils vous ont revu, de même que leur fils décédé depuis des années. Il ne faut pas être un génie pour comprendre que ce pouvait être trois choses dont ils pouvaient avoir très envie mais qui s'avéraient sans espoir... Vous avez peut-être l'habitude d'apparaître comme par magie, mais pour ce qui est de Ricky, je pense qu'il y a quelque chose d'autre à l'œuvre…

Et quoi d'autre ? demanda-t-il avec les yeux brillants d'amusement.

Prenons les cagals… Même si la « boîte magique » de votre copain ne savait pas gérer leur physiologie, ces lapins de l'espace de Pernn ont quelque chose de commun avec nos lapins terriens : ce sont des proies naturelles. Ils n'ont que des prédateurs pour menacer partout leur survie : qu'il s'agisse de les manger ou de les exterminer parce qu'ils sont considéré comme de nuisibles mangeurs de câbles… En quoi se sont-ils transformés ?

Je vois ce que vous essayez d'insinuer… fit le Docteur en se frottant le menton. De grosses créatures effrayantes et agressives qui sont tout le contraire de leur nature de base… Et vous Clara, y a-t-il un de vos vœux qui a été exaucé ?

Elle eut une petite moue boudeuse.

Vos amis et les cagals ont été exposés depuis beaucoup plus longtemps. La boîte a eu le temps d'apprendre à connaître leurs espoirs secrets...

Peut-être, fit le Docteur.

Comment peut-être ? N'avons-nous pas déjà été confrontés à une boîte gallifréenne intelligente qui pouvait se connecter au psychisme de celui qui avait l'intention de l'utiliser ?

Justement, une fois m'a bien suffi, répondit-il sans joie en comprenant qu'elle faisait allusion au Moment, l'arme de mort des Gallifréens ayant mis un terme brutal et définitif à la Guerre du Temps.

Elle retira son bras de devant lui et s'effaça de côté pour le laisser entrer voir ses amis.

Que voulez-vous dire par « une fois » ? le taquina-t-elle. Peut-être que vous et moi avons déjà à disposition une boîte gallifréenne intelligente quelquefois prête à donner vie à nos espoirs ? Vous avez entendu parler du Tardis ?...

Il pencha la tête de côté en regardant ailleurs mais la retint encore un instant par le bras

Hop, hop, hop… Clara, êtes-vous en train de dire que le Tardis a fait quelque chose de spécial pour vous aujourd'hui ?

Elle prit son air le plus innocent.

Docteur, vous n'avez sûrement plus conscience que j'ai eu une très longue journée qui a commencé ce matin – ou peut-être hier matin ? Du coup je ne sais plus – par la cuisson problématique de ma dinde de Noël… Et je crois que le Tardis a pu ressentir, à un moment, qu'il n'était pas mauvais que je reçoive un peu de soutien et de réconfort…

Qu'est-ce qu'il a fait au juste ?

Rien qui doive vous inquiéter…

Elle sourit et rejoignit les autres sans lui répondre précisément. Le Docteur la regarda encore un peu dans l'espoir de déceler quelque chose, mais elle restait impassible, aussi impénétrable que la bulle de verre de la Fontaine de MyrnAn' Ghaar. Il se demandait si ce silence et cette réserve n'étaient pas la juste rétribution de ce qu'il avait semé au cours des derniers siècles. Il avait progressivement fermé son cœur un peu plus à chaque nouvelle perte de compagnon, dans l'espoir stupide de moins souffrir. Mais alors qu'il croyait lui-même préférer l'absence d'êtres chers à l'idée même de leur mort, il était forcé de constater qu'il n'en allait pas de même pour ses amis.

Il prit une chaise pour être près de Martha et Mickey.

Si vous vous sentez assez bien, on peut débriefer ?

Mickey hocha la tête en souriant.

D'après les rapports transmis par l'officier de navigation (Ricky sourit discrètement), les scans thermiques indiquent qu'il y a six cagals dans le cargo. Pour l'instant, il n'y a aucun nouveau mutant à déplorer. Mais on va avoir d'assez grosses réparations à la prochaine escale, surtout au niveau du câblage, sans parler de la section qui a été éventrée…

Pardon de mettre cette question délicate sur le tapis, commença Martha, mais si vous avez des infos sur le mode de reproduction de ces créatures, ça m'intéresse, parce qu'on en avait déjà six au départ avant qu'ils ne mutent, et on en a toujours six maintenant. Ce qui signifie qu'en l'espace d'à peine deux ou trois heures, on aurait eu trois naissances ?... Le voyage n'est pas terminé et à ce compte-là, on va finir par se mettre éleveurs de lapins…

Ricky m'a dit que vous ne rameniez pas votre cargaison sur Terre, commença le Docteur, ce qui je l'avoue m'a surpris. Si vous consentiez à me dire où vous alliez, nous nous y rendrions en Tardis, ce qui écourterait de beaucoup un voyage qui pourrait devenir éprouvant pour vous, maintenant que l'objet n'est plus en fonctionnement.

Le couple se consulta du regard.

Pourquoi dites-vous que vous avez été surpris ? demanda Mickey.

Je connais Torchwood et leurs méthodes, répondit le Docteur.

Mickey connaissait au moins une bonne raison que le Docteur aurait pu ne pas digérer mais c'était il y a longtemps. Elle s'appelait Sycorax...

Torchwood a changé, expliqua-t-il. Lorsque Jack a décidé de raccrocher et qu'on ne l'a plus revu, Gwen ne pouvait décemment pas continuer seule, et d'ailleurs elle n'était pas très sûre d'avoir envie de continuer du tout. Martha et moi avions travaillé quelque temps en freelance, et ça nous convenait bien. Mais quand Gwen nous a appelés au secours un peu plus tard, nous n'avons pas répondu tout de suite parce que nous pensions… (il regarda Martha, puis de nouveau le Docteur) parce que nous pensions que vous alliez intervenir.Lorsque je vous ai dit que nous étions Torchwood, c'était vrai à une époque. Nous avons repris les infrastructures de Cardiff à notre compte et à nos conditions, et nous avons fait en sorte qu'il puisse continuer à traiter les diverses menaces aliens débarquant de la Faille. Parce que ça continuait, encore et encore. Et vous n'étiez pas là. Et Jack n'était pas là… Il fallait bien faire quelque chose pour protéger les gens… Aujourd'hui, ce sont nos fils aînés qui gèrent le Torchwood actuel, mais nous acceptons de temps à autre de les aider pour de petites choses et aussi vérifier qu'ils continuent à filer droit, admit-il avec un sourire.

― D'où est venu cet objet ? demanda le Docteur.

― Tout seul, de la Faille, un beau matin, fit Mickey en levant les bras en signe d'innocence. On n'a rien demandé.

Martha poursuivit.

― Cela n'a pas pris longtemps avant que nous comprenions que c'était très dangereux de le laisser sur Terre. Bien sûr, tous ceux qui s'en approchaient disposaient d'un regain d'énergie inespéré pour essayer d'endiguer les cancers inexplicables dont étaient atteints les animaux, mais le jeu n'en valait pas la chandelle. Nous avons convenu qu'il fallait l'emmener très loin dans un endroit désert et inhabité. Et John qui passait par là ce jour-là, nous a dit qu'il connaissait un endroit comme celui-là…

― John ? interrogea le Docteur.

― Hart. Ancien agent du Temps en même temps que Jack, commenta Martha. Pas très fiable mais il nous devait des services. Il passait dans le coin dans l'espoir de le trouver mais ça faisait déjà un bail que nous avions arrêté de penser que le Capitaine allait revenir bientôt… Nous avons pas mal de gadgets, mais rien qui s'apparente à des vaisseaux interstellaires ! John nous a promis de nous trouver un moyen de transport, et il l'a fait : c'est ce vaisseau, ainsi que de nous conduire au point du temps ultérieur à notre époque et nous permettant de nous embarquer.

― Attendez, vous êtes en train de me dire que ce petit escroc a le manipulateur de vortex de Jack ?

― Non, répondit Martha, celui-ci est toujours jalousement gardé par UNIT et nous ne voulions pas les mêler à l'affaire. John a le sien qu'il a gardé, je suppose comme Jack, de son ancien boulot. D'où savez-vous que c'est un escroc ?

― Hé bien disons que lorsque j'ai rencontré Jack, il était du même acabit…

― Qui est ce Jack ? demanda Clara qui était restée en retrait jusque-là.

Martha se retourna vers elle et dit en riant :

― Si vous l'aviez rencontré, vous ne l'auriez pas oublié ! C'est l'homme le plus séduisant qui…

―A-hem, toussa ostensiblement Mickey en filant un coup de coude à sa femme avec un regard d'alerte. Tu voulais sûrement dire que c'est un dragueur compulsif de la pire espèce…

― Voilà, fit Martha, avec un sourire diplomatique, ce sont tout à fait les mots que je cherchais…

Dans son dos, elle leva néanmoins un pouce à l'attention de Clara.

― C'est très ennuyeux d'apprendre qu'un individu pire que Jack se promène en toute impunité avec un manipulateur, dit le Docteur… Je voudrais vous proposer un meilleur marché en tous points moins hasardeux. Je me charge de trouver une solution pour la boîte et je vous reconduis sur Terre à votre époque. Et si vous retombez sur l'ex-agent du Temps, dites-lui bien que c'est moi qui vous ai pris l'artéfact, contre votre gré si vous y tenez. Est-ce que vous êtes d'accord ?

― Est-ce que vous savez si Ricky va disparaître quand la boîte sera loin de nous ? demanda Martha avec appréhension.

― J'ai vu des autons prudents durer plus de deux mille ans, répondit le Docteur qui n'en savait pourtant rien.

Les Smith se regardèrent un instant et puis hochèrent la tête en signe d'assentiment. Faire la route en Tardis, encore une fois, avec le Docteur, ce n'était pas une aussi mauvaise façon que ça de finir le voyage.

 

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