Ce qu'il reste de moi
Chapitre 2 : C2 : La blonde se rebiffe
4610 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 09/11/2016 17:08
CHAPITRE II
La blonde se rebiffe
JACK HARKNESS
Aussi étrange que cela pouvait paraître, les Velquashis du 51e siècle ne savaient pas vraiment ce qu'était un karaoké. Du coup, lorsqu'il avait lancé l'idée dans une soirée mondaine où il espérait récupérer des clients, Jack n'aurait jamais espéré être à l'origine d'une telle mode. Un jeune audacieux bleuté nommé Dorian ou Dorium quelque chose, avait lancé un club sur ce thème – ce que tout le monde trouvait très décadent, puisque n'importe qui pouvait venir y chanter et pas seulement des professionnels.
Du fait de son ouverture récente et de la nouveauté qu'il représentait, le club était bondé ce soir-là. Il y avait plusieurs petites salles où l'on pouvait chanter, mais Dorian avait été assez malin pour y prévoir les options habituelles : bars, pistes de danse, salons privés et tutti quanti… Jack se fraya un chemin parmi les corps des danseurs, dans une pénombre déchirée par des éclairs frénétiques aux tons acidulés qui devaient faire le cauchemar des épileptiques. Il gagna les salles de karaoké pour y tâcher d'y retrouver Amy-Leigh et son chevalier servant.
Il les trouva dans la troisième salle, en train de rire et d'applaudir quelqu'un qui massacrait de bon coeur Strangers in the night. Il leur tapa sur l'épaule pour signaler qu'il était là, embrassa Amy d'un très chaste baiser sur la joue, serra la main de Matt Cormack et leur petit groupe se fit une place à une table pas trop proche de la scène. Amy portait une robe à franges lamée relativement courte qui dévoilait ses jambes assez haut et moulait très agréablement le reste de sa silhouette. Le contraste entre son ventre de future mère, son petit bandeau dans les cheveux pourvu d'une grosse fleur et l'aspect sexy de sa tenue était parfait.
Manifestement, ça fonctionnait en tous cas très bien sur le jeune Cormack qui la couvait des yeux, ce qui réussit à attendrir le Capitaine. Il commandèrent chacun à boire (rien d'alcoolisé pour Amy toutefois) puis elle se leva pour aller s'enregistrer pour un prochain passage, les laissant seuls tous les deux admirer avec fascination le mouvement des franges danser autour d'elle à chacun de ses pas prudents sur talons-aiguilles. Bon sang, elle apprenait vite !
Matthew surprit le regard du détective sur sa fiancée et Jack tourna prudemment aussitôt son attention sur le jeune homme. Sous des cheveux châtains, brillaient deux yeux gris verts intelligents qui devaient être l'un de ses meilleurs atouts. Bien qu'il ne soit pas d'une beauté renversante, ses traits peu classiques s'éclairaient souvent d'une expression chaleureuse qui transformait suffisamment son visage pour lui conférer un certain charisme. Ce devait être d'ailleurs la marque de fabrique des deux frères, car son aîné était du même genre, quoique plus brun et nanti de traits plus réguliers.
— Vous êtes venu finalement ? questionna le jeune homme pour ne pas laisser s'installer le silence entre eux.
— Amy a insisté, répondit Jack avec une petite grimace, et au bout d'un moment, j'ai été à court d'arguments. Je ne vous ennuierai pas longtemps, rassurez-vous. D'ici à ce qu'elle revienne, je trouverai un prétexte pour décamper, alors elle sera toute à vous.
Du coin de l'œil, il la vit monter sur scène et le karaoké entama les premières notes de Fever.
« Never know how much I love you, never know how much I care
When you put your arms around me, I got a fever that's so hard to bear
You give me fever
When you kiss me, fever when you hold me tight
Fever in the morning, fever all through the night… »
Jack avala une gorgée d'alcool et sourit au jeune homme en donnant un léger coup de tête en direction de la jeune chanteuse.
— J'espère que vous recevez son message cinq sur cinq…
— Pas sûr qu'il soit pour moi, répondit Matthew avec un sourire ambigu. Moi, je ne l'ai pas encore embrassée aujourd'hui.
— Ah-ha. Elle vous l'a dit !… Je suis désolé, ce n'était pas très malin de ma part.
Matthew le scruta posément avec une sorte de curiosité directe et saine.
— Là normalement, vous auriez dû placer une phrase du genre « Et ça n'arrivera plus »… l'avertit-il.
— Ah oui vous avez raison ! Ici, ça doit être un genre de sacrilège… Là d'où je viens, ce genre de témoignage d'affection n'a pas la même portée. On n'en fait pas toute une affaire.
— Justement, c'est où « d'où vous venez » ?
— J'ai grandi dans une colonie humaine remarquablement pauvre. Du sable à perte de vue... J'ai perdu jeune ma famille au cours d'une invasion de ces territoires. Mon histoire d'orphelin n'a pas grand intérêt.
— Vous m'en direz tant !
— Et la vôtre ?
— Mes parents étaient riches. Ils sont morts quand j'étais petit. Deux ans plus tard, j'ai eu un terrible accident où j'ai perdu mes jambes.
— Qu'est-ce qui vous est arrivé ?
— J'étais turbulent… Je jouais près d'une machine agricole. J'ai glissé, je suis tombé, la machine m'a happé. Mes jambes ont été déchiquetées. C'était très très moche.
— Toutes les jambes ? s'enquit Jack avec un soudain intérêt.
Matthew se mit à rire.
— Vous êtes si direct !… et c'est si rare à Guernö ! Vous voulez savoir jusqu'où je suis amputé et si je suis impuissant, n'est-ce pas ? Puis-je vous rappeler qu'anatomiquement la jambe s'étend de la cheville au genou ?
— Vous le pouvez. Mais n'espérez pas m'apprendre quelque chose, car l'anatomie est un sujet qui me passionne depuis longtemps… Je me demandais si ça avait un rapport avec le fait qu'Amy et vous n'ayez pas encore…
— Non, ça a un rapport avec mon éducation. Et un peu avec la vanité, admit-il avec une lueur amusée dans le regard.
— La vanité ? s'étonna Jack. Expliquez-moi ça.
— Amy a de très belles jambes avec lesquelles il est difficile de rivaliser... En fait, je vais recevoir mes nouvelles prothèses sous peu. Plus « normales », plus réalistes… Je suis habitué à mon aspect depuis l'enfance, mais je voudrais être plus présentable pour elle. J'imagine que ça pourrait être aussi moins intimidant.
— ça se comprend. Mais si j'étais vous, je n'attendrais pas trop longtemps. Si vous n'avez pas de projets pour ce soir, je crois qu'elle apprécierait de s'entendre de dire que vous la trouvez belle et désirable.
— Et un seul de vos baisers peut procurer cet effet miraculeux ? répondit le jeune homme avec un sourire en coin légèrement amer.
Jack se mit à rire.
— Non, ça n'a rien à voir. En discutant avec elle, j'ai réalisé qu'elle se sentait très infériorisée par rapport à River et sans doute jalouse de l'attention que cette dernière suscite auprès des autres hommes qu'elle connaît.
— Qui sont ces autres hommes qu'elle connait ? demanda Matthew avec un regard plus aigu.
— Ce n'est pas ça le problème, éluda le Capitaine. Le problème, c'est qu'elle pense qu'elle ne pourra jamais devenir une femme tant que l'ombre de River pèsera sur elle. Actuellement, elle n'a qu'une façon de procéder pour tenter de découvrir l'origine de ce « mystérieux » pouvoir : tenter de l'imiter. Vous avez vu le résultat ce soir… Je dois avouer que je ne suis pas forcément bien armé ces derniers temps pour résister à la façon dont elle me regarde sous ses longues paupières à demi closes, en ayant l'air de penser que je ne suis pas encore trop mal pour mon âge…
Matthew se mit à rire à son tour mais sans chaleur cette fois, en écarquillant les yeux d'incrédulité.
— Vous êtes impayable ! A vous entendre, ma petite amie vous harcèlerait de ses beaux yeux gris troublés et de son innocence légèrement cruelle de jeune vierge fascinée par l'aura du grand mâle triste. Vous profitez de la situation alors qu'elle ne sait pas repousser vos baisers furtifs et vos mains « affectueuses »… et ça va être de ma faute !
— Matthew, ne le prenez pas ainsi. Je voulais juste vous dire que je croyais qu'elle pouvait être prête à faire évoluer votre relation. Rien d'autre. Maintenant, je vais vous laisser comme promis. J'ai reconnu quelqu'un au bar que je vais aller saluer et puis je vais rentrer.
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MATTHEW CORMACK
Plus tard, Matthew aperçut son frère approcher dans la foule bigarrée. Bien plus élégant que ces derniers temps, il avait l'air enfin coiffé et rasé de près, sanglé dans un sombre costume chic. A son bras, une grande brune aux yeux jaunes, l'air exotique, contrastait dans une mini robe trapèze blanche, portée sur de très longues bottes du même ton. Il leur fit signe pour qu'ils les rejoignent.
Pour une raison inconnue, la femme au bras de Quentin lui semblait vaguement familière, mais il n'arrivait pas à se rappeler où il l'avait déjà vue. Il serra son frère contre lui un instant, et Amy-Leigh lui accorda une bise. Elle était assez contrariée et il était heureux de l'arrivée de son frère qui changerait peut-être son humeur.
Quentin consulta la grande brune du regard, comme s'il lui posait une question muette à laquelle elle répondit par l'affirmative d'un hochement de tête.
— Wao ! Votre numéro est bien rodé ! s'exclama-t-il. Tu nous présenterais ta nouvelle amie ? Il me semble que je l'ai déjà vue quelque part…
— Ce n'est pas tout à fait une « nouvelle » amie, prévint l'ainé avec un sourire.
— Hum, fit la femme, je crains de n'être rien de mieux que son dernier projet…
— Allons bon, répondit-il dépité. Je lui consacre presque tout mon temps depuis des semaines… Amy, Matthew, voici River qui est aux commandes de l'hôtesse synthétique de chez Transmat System !
— Garantie sans chair et sans os ! commenta-t-elle avec humour. Quentin a été assez aimable pour essayer de me rendre supportable cette poupée que j'ai empruntée chez Transmat. Il a travaillé comme un forçat. Voilà plusieurs jours que j'essaie de le convaincre de sortir prendre l'air et de reprendre figure humaine…
Matthew esquissa un sourire et inclina la tête.
— Je suis ravi de savoir que vous allez bien mieux que ce que nous croyions tous…
— Et moi, je suis ravie d'avoir enfin une robe sur le dos ! Je ne sais pas si vous pouvez envisager ce que c'est d'être immobilisée nue sur une table des jours durant, pendant que monsieur bricole sous le capot…
Elle lui adressa un petit sourire féroce pendant que les pommettes de Quentin rosissaient légèrement.
— Tu es restée enfermée chez lui pendant tout ce temps ?! fit Amy en fronçant les sourcils.
River opina vigoureusement.
— Contente de voir que toi aussi, tu trouves ça inadmissible ! Merci ! Enfin un peu de soutien…
Incertaine, Amy fronça les sourcils mais finit par comprendre que c'était un jeu entre Quentin et elle. River s'empressa d'ajouter aussitôt :
— Le plus souvent, je suis allée dans le serveur domotique de l'appartement. Principalement au début, quand il fallait trouver comment faire en sorte que je ne souffre pas trop. Ça fait un mal de chien d'être dans ce genre de boîte de conserve… Alors bon, mon autonomie n'est pas au top, et il y a plein de petits désagréments bizarres dont je vous passe les détails, mais enfin je peux sortir un petit peu. C'est agréable de vous revoir tous…
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RIVER SONG
River jeta les yeux autour d'elle. Pas tout à fait « tous ». Quentin lui avait dit que Jack serait probablement là mais elle ne le voyait nulle part. Elle avait vraiment hâte de lui parler et de lui dire qu'elle allait… presque bien. Peut-être allait-il se montrer un peu plus tard ? Elle s'assit avec eux et ne commanda rien, puisqu'elle ne pouvait ni boire ni manger. Un pur objet conversationnel, voilà ce qu'elle était devenue.
Au bout d'un moment, elle se mit pourtant spontanément en retrait de la conversation des trois autres. Elle sentait que quelque chose n'allait pas. Amy ne disait presque rien tandis que les deux frères, manifestement contents de se retrouver, bavardaient avec chaleur et animation.
— Qu'est-ce qui ne va pas Amy ? demanda-t-elle gentiment à son oreille. Tu es fâchée que Quentin ait gardé le secret ? Il ne faut pas lui en vouloir. Il a pensé échouer plus d'une fois… S'il n'y arrivait pas, c'en était vraiment fini de moi. Même dans cette enveloppe, je ne suis pas stable et malheureusement très loin de pouvoir reprendre une activité normale…
Amy la regarda avec méfiance. C'était déjà assez compliqué pour la jeune femme d'essayer de comprendre que celle qui lui faisait face n'était pas une personne « normale » comme elle l'avait toujours cru, mais un genre d'esprit… Encore un truc que personne n'avait jugé bon de lui dire.
— Je ne peux pas savoir si tu es vraiment River. Ou si tu n'es en fait qu'Oona, le second prototype de CIS dont Matthew me parle parfois.
— Demande-moi quelque chose que seules River et toi connaissez et tu seras fixée…
— Comment ai-je pu concevoir ce bébé ?
River sourit et secoua sa nouvelle tête brune aux longs cheveux lisses.
— Bien essayé, mais ça je n'ai pas eu le temps de t'en parler. Le soir où Matthew t'a embrassée, tu n'as pas voulu qu'on poursuive cette discussion… Mais ça veut dire que tu es toujours intéressée d'apprendre la vérité ?
Amy la regarda, les yeux écarquillés et intenses, comme si c'était l'évidence et qu'elle ne comprenait pas qu'elle puisse en douter.
— J'en ai assez de passer pour une gourde qui ne sait pas comment elle est tombée enceinte ! souffla-t-elle. Je veux savoir. Tout de suite !
River poussa un soupir contrit. Elle supposait que, puisque tout était forcément différent maintenant, elle devait courir le risque qu'Amy lui batte froid en sachant ce qu'elle avait fait. Particulièrement parce qu'elle n'était pas sûre de pouvoir se maintenir dans l'enveloppe de l'hôtesse Pryss Avalokiteshvara, et que c'était peut-être alors une des dernières chances d'Amy d'apprendre la vérité sur sa grossesse.
River se pencha vers Quentin pour lui dire qu'elles s'absentaient un instant, tandis qu'Amy se levait d'un bond dans sa robe scintillante, prétextant qu'elle avait une vessie minuscule depuis que le bébé prenait toute la place.
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Elles se rendirent aux toilettes pour dames pour y trouver un peu de tranquillité. Le lieu était plus chic que prévu avec ses mosaïques pourpres et argent aux murs et des miroirs circulaires. Et d'une propreté exemplaire. River s'adossa à une paroi tandis qu'Amy se plantait devant elle, son gros ventre culpabilisateur en avant.
— Alors ? fit-elle impatientée.
— Tu n'as pas l'air dans ton état normal ce soir, remarqua River.
— Je suis énervée. Je me suis disputée avec Matt.
— Comment ? Mais vous vous adorez… Que s'est-il passé ?
— Ce n'est pas le sujet. Je veux savoir comment j'ai eu ce bébé et pourquoi je ne m'en souviens pas.
— Ça a un rapport avec ta dispute ou pas ?
— Je ne comprends pas.
River précisa sa pensée :
— Est-ce que Matt et toi vous vous êtes disputés à cause de l'origine de cette grossesse ? Est-ce qu'il t'en veut pour ça ?
— Non pas du tout. Je suis fâchée après lui parce qu'il a dit quelque chose à Jack qui l'a fait partir. Je les ai laissés à peine cinq minutes tous les deux, parce que je voulais aller chanter une chanson sur scène et quand je suis revenue, Jack était parti. Et Matthew a dit « Bon débarras » ! Il a aussi dit que je devais déménager dès demain et qu'il ne voulait pas que je reste habiter seule avec lui.
— Ne crois pas que je détourne la conversation mais… est-ce que je peux savoir si Jack aurait dit ou fait quelque chose qui permette d'expliquer la jalousie de ton petit ami ?
— Comment le saurais-je puisque je n'étais pas là quand ils se sont parlé ?
— Ah misère, qu'est-ce qu'il a encore fait ce grand animal ?… Donc je ne le verrai pas ce soir… J'aurais pourtant aimé savoir comment allaient les affaires de l'agence…
— Je peux te répondre là-dessus : c'est un peu dur, reconnut la jeune fille. On perd des clients parce qu'on ne peut pas prendre autant de dossiers en ton absence. Parfois quand je n'ai pas de contrats, je l'aide pour faire un peu de paperasse et son standard. Je crois qu'on manque d'argent pour le loyer de la maison et de l'agence. John nous en donne un peu aussi.
— John est encore là ?! ça c'est une surprise… Et d'où il sort cet argent ?
— Jack dit qu'il fait le taxi entre les planètes. Il n'est donc pas souvent là. Maintenant, dis-moi pour mon bébé. Pourquoi est-ce que tu repousses toujours le moment ?
— Parce que tu vas me détester quand tu sauras la vérité. Et aussi j'aurais aimé que ce ne soit pas comme ça, entre deux portes, dans ce genre d'endroit bruyant et… fréquenté, ajouta-t-elle alors qu'un troupeau de six filles jacassantes entrait dans les toilettes jusque-là relativement calmes.
Amy se croisa les bras, son poids déporté sur une hanche.
— Maintenant, répéta-t-elle fermement.
— Ok, ok, fit River avec un coup d'œil rapide aux filles et en parlant plus bas. C'est de ma faute si tu es enceinte. Je me suis servie de toi exactement comme je me sers de cet androïde... et c'était mal. Tu te souviens que je t'ai dit que nos esprits s'étaient trouvés rapprochés à Rusha ? C'était le soir où tu as obtenu la suite mirobolante du Vegas… Ce soir-là, tu t'es endormie après ton bain et ton dîner.
— Comment sais-tu cela ?
— J'étais cachée à l'intérieur de toi et tu n'en avais pas la moindre idée.
— Comment cela « cachée » ? Je ne comprends rien à ce que tu dis.
— Amy, à ce moment là, j'étais comme un genre de fantôme. Ça s'était arrangé arrangé depuis, comme tu as pu le constater. Mais à l'époque, je suis restée avec toi quelques jours car j'avais besoin de rencontrer Quentin… On ne pouvait pas me voir ni me parler quand j'étais un fantôme, alors…
— Ça va je comprends, mais pourquoi moi ?
— Tu allais sur la planète où j'avais besoin d'aller, tu te trouvais dans le même hôtel que l'homme que je voulais voir, et puis tu aimes les mêmes chansons que moi et… tu portes le prénom de ma mère.
— Quand est-ce que John intervient ? coupa la jeune fille impatiemment.
Au grand soulagement de River, les autres filles quittèrent enfin les toilettes en les laissant seules de nouveau.
— John ?... soupira-t-elle. Il n'a rien à voir avec tout ça. Je savais que tu partais pour Modarkand, j'allais te laisser mais je voulais lire le livre sur les supraconducteurs quantiques pour mieux pouvoir discuter avec Quentin. John cherchait des ennuis à mon mari. J'étais toujours cachée en toi quand il m'a retrouvée par déduction. Il n'était pas question qu'il puisse te fasse du mal. Je me suis alors… euh… déployée pendant que tu dormais, parlant et marchant avec ton corps dans l'espoir de le faire partir.
— Et puis ?
— Et puis il n'est pas parti. Il a trouvé le moyen de m'obliger à ce qu'il reste un peu.
— Quel genre de moyen ? s'enquit Amy. Il n'y a rien qu'on puisse t'obliger à faire si tu ne le veux pas…
River eut une expression légèrement coupable.
— Je le trouvais très beau...
— Et c'est tout ? Juste pour ça ? renifla Amy avec mépris.
— Un jour, tu seras vieille toi aussi et alors tu ressentiras peut-être un peu de compassion. Quand tu te trouveras devant un homme qui te plait et qui a l'air de trouver désirable, alors que tu n'intéresses plus personne depuis des années !... J'ai commis l'erreur de le laisser rester un moment.
— Et après vous avez fait ces choses dégoutantes alors que tu étais dans mon corps ?
— Après nous avons fait l'amour, corrigea River. Et tu pourras me dire que c'est dégoutant quand tu auras essayé en étant pleinement consciente, et avec la bonne personne pour toi. Je pensais parvenir à te protéger de tout cela, mais j'ai oublié que toi tu pouvais tout à fait tomber enceinte. Voilà comment ton bébé a été conçu à ton insu. Je ne m'attends pas à ce que tu veuilles me pardonner un jour.
Amy fit la moue, manifestement en colère.
— C'est vraiment une conduite… inqualifiable. Tous ces mensonges, toutes ces manipulations ! Je ne sais pas si je vais rester sur cette planète de malheur ! Je vous déteste tous !
— Je sais Amy, tu as raison.
— J'avais confiance en toi ! Je croyais que tu étais sincère quand tu disais que tu voulais m'aider.
— Je le veux toujours !
— Mais parce que tu te sens coupable ! Pas parce que tu voulais être mon amie !
— Et les deux ne sont pas incompatibles ! Pourquoi crois-tu que Quentin veuille m'aider si ce n'est parce qu'il se sent affreusement coupable de m'avoir envoyée chez Transmat ? Est-ce que la valeur de son dévouement constant envers son frère est moindre parce qu'il se sent responsable de ce qui lui est arrivé quand ils étaient enfants ?
Un peu butée, Amy recula jusqu'à la sortie.
— Je vais rentrer. Cette soirée est horrible. Je n'ai plus le cœur à m'amuser.
— Il faut leur dire que tu t'en vas, sinon ils vont s'inquiéter…
— Qu'ils s'inquiètent, je m'en fiche complètement !
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