La petite voleuse de cookies

Chapitre 20 : C20 : La légende de St Ardwyad

5574 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 06:11

ÉPILOGUE : Le ver de mémoire

LES DOCTEURS 11 ET 12

Le Docteur avait dû regagner le Tardis à pied tard dans la nuit : le pouvoir de téléportation ne fonctionnait plus. Il ne sentait plus depuis longtemps le désir de sang le chatouiller et il y avait déjà plusieurs heures que l'invisibilité ne répondait pas non plus à l'appel.

Il sortait d'une entrevue difficile avec James Watson, Nigel Griffin, Nikola Tesla et Helen Magnus. Cette dernière l'avait beaucoup surprise en montrant un certain sang-froid. Watson et elle réfléchissaient déjà à la manière d'aider de leur mieux leur infortuné collègue Druitt, même si on sentait que Watson se montrait étrangement plus bouleversé et presque plus trahi que la fiancée… Le champion de la lucidité avait été aveuglé. Il y avait là une évidence que son orgueil avait du mal à avaler.

Lorsqu'il mit le pied à bord, il se dit qu'il fallait s'occuper maintenant du cas de son envahisseuse préférée. Même sans plus avoir le super odorat, qui l'avait si bien servi pendant toute cette affaire, il vit tout de suite qu'était posé en évidence sur la console, près du frein, un sachet de papier qui devait contenir des cookies.

Peut-être que ce qui l'avait sauvé, c'était qu'il avait voulu en remettre dans sa boîte en fer. Il avait plongé à quatre pattes sous le pied de la console pour activer la commande qui ouvrait le panneau secret, tiré la boîte émaillée dont il avait soulevé le couvercle, et avait retourné le sac dedans.

Ouh ! La surprise avait été grande : un gros ver dodu gigotait paresseusement au milieu des gâteaux aux raisins. Avec une mine un peu dégoûtée, le Docteur avait attrapé un outil dans sa caisse et écarté de son mieux la bestiole qui se tortillait en tous sens en poussant une sorte de cri subsonique strident. Comme il n'y avait pas moyen de lui faire passer les parois de la boîte, le Docteur se résigna à le prendre délicatement entre deux doigts pour le poser à côté et...

.°.

Il revint à lui un peu sonné. Ne comprenant pas comment il s'était évanoui, il regarda autour et vit la boîte en fer, les cookies et une drôle de petite chose blanche qui paraissait s'éloigner de la console en se tortillant comme elle pouvait.

Qu'est-ce qu'il faisait là ? Comment était-t-il revenu à bord ? N'était-il pas avec Les Cinq à l'instant ? Enfin les Cinq moins Druitt, mais on n'allait pas s'arrêter à ça…

Il reporta son attention vers le gros limaçon annelé mais en se levant, il sentit le papier psychique qui le grattait furieusement dans sa poche.

— Bon ok, qu'est-ce qu'il y a encore ? ronchonna-t-il en portant les mains sur lui pour savoir dans quelle poche il était rangé.

Il déplia le portefeuille et lut le message : « Ton temps est écoulé maintenant ! Rends-moi Clara ! ». Le onzième Docteur leva les yeux au ciel et sortit un crayon pour griffonner.

« Désolé, Futur-Moi, plus tard, je fais face à une menace parasitaire de classe 5 ».

« Quel genre ? »

« Blanc, vilaine bouche, quinze vingt centimètres et désorientant : je suis tombé dans les pommes en le touchant ».

« Comment ce ver de mémoire a-t-il atterri là ? »

« Sais pas. Il était dans mes cookies. C'est quoi un ver de mémoire ? ».

« Bon, je crois que je devine ce qui s'est passé… Ne le touche surtout pas sans gants ou je ne saurai bientôt plus comment je m'appelle… ».

« Et qui est Clara ? »

« Laisse tomber. Tu étais sur quoi juste avant ? Tu t'en souviens ? »

« Oui je m'occupais du cas de Jack l'Eventreur ».

« Ah, c'était donc là que tu étais… Et tu as fini ? »

« Presque. Il faudrait que j'aille régler un tout petit problème encore ».

« Fais-le, mais avant est-ce que tu es dans le Tardis ? »

« Oui ».

« Bien. Tu vois un tableau noir quelque part ? »

« Oui ».

« Bien. Il y a écrit quelque chose dessus ? »

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EPILOGUE 2 : La légende de Saint Ardwyad

LE 11e DOCTEUR

Le Tardis avait atterri dans une lande calme, non loin d'un imposant frêne solitaire.

Revêtu d'une robe de bure qui lui permettait de passer inaperçu, le Docteur avait parcouru à pied le demi-kilomètre qui le séparait de la petite bourgade médiévale frileusement blottie autour d'un vieux fort viking surplombant la Taff. Il ne prêta pas beaucoup d'attention aux pauvres masures et resta sur l'unique voie principale au pavage encore en assez bon état et qui datait des Romains. Ses pas le conduisaient vers la petite église.

Une fois devant la porte du presbytère, il frappa avec assurance et attendit avec impatience que quelqu'un daigne venir lui ouvrir car une bise acérée lui sifflait aux joues et lui giflait les mollets. Il frappa encore, pressé de se réchauffer un peu.

— Hola ! Ouvrez, je suis le légat du Pape !

Plus c'était gros et plus ça marchait. Un prêtre ne serait peut-être pas complètement analphabète et pourrait lire le papier psychique, mais il faudrait expliquer le portefeuille en cuir… Y aller à l'assurance et au culot donnait souvent des résultats amplement suffisants.

La porte s'ouvrit et la bouille poupine à peine sortie de l'enfance d'un jeune moine tonsuré apparut avec un quignon de pain entamé à la main.

— Bonjour ! Je suis le Docteur ! Je dois parler immédiatement au prêtre de cette paroisse. Comment t'appelles-tu ?

Le moinillon aux yeux bleus ouvrit la bouche et marmonna quelque chose qui ressemblait à « freyantus », puis avala sa mie de pain en donnant un petit coup de poing sur son sternum pour faire descendre, et refit une tentative :

— Frère Ignatius. Le père est en train d'officier pour les vêpres !

— Je suis envoyé par le Pape. Il me charge de lui faire un rapport sur la relique de la Sainte Ampoule qui contiendrait le Sang du Christ.

— Le Pape ! répéta le jeune homme, impressionné. Et qui nous envoie un docteur de la Foi !

Le Docteur abaissa sa capuche pour se mettre plus à l'aise et le jeune moine s'égosilla en le voyant.

— Où est passée votre tonsure ?!

— Ah ! J'ai entrepris le voyage vers Caerdydd il y a plusieurs mois ! Mes cheveux ont repoussé !

— Mais en faisant halte dans les lieux saints, un frère barbier vous aurait aidé à…

Bon, il était tombé sur un petit gars avec deux ronds de jugeote qui ne s'en laissait pas conter. Il se pencha sur lui en frottant onctueusement ses mains pour ajouter à voix plus basse :

— Frère Ignatius, tu as l'air d'un garçon sensé. Cette mission du Pape est très secrète et Sa Sainteté m'a ordonné de voyager sans me faire remarquer... Imagine un peu l'impact pour la Foi… dit-il en levant les yeux vers le plafond. J'arrive ici, auréolé de la puissance de Rome…

Sa main ouverte traça en l'air un arc de cercle lent et rêveur.

— …et je découvre que tout ceci n'est qu'une affaire banale de trafic de fausses reliques ! Ce serait la risée du monde chrétien ! Le Pape en serait mortifié et la grandeur de la Foi affaiblie…

Il avait ramené son point serré vers sa poitrine indignée.

L'estomac du petit moine s'était mis alors à gargouiller comme pour donner une approbation claire à ces dernières paroles. Il baissa la tête de confusion.

— Pardonnez-moi Doctus Legatus, je n'ai rien avalé depuis l'aube. Vous voulez que nous partagions ? demanda-t-il en levant son morceau de pain.

— Non merci, le Seigneur me soutient dans ma mission… Mais toi mange, tu sembles encore en pleine croissance…

Le jeune moine mordit voracement dans le pain et répondit d'un ton légèrement vexé :

— Nenni ! J'ai dix-sept ans révolus ! Je sers au presbytère depuis trois ans. Et la Sainte Ampoule n'est pas une fausse relique ! Elle est vraiment miraculeuse.

— En quoi ?

— Pardieu ! Elle repousse les malebêtes ! Si on applique une goutte de son contenu sur un malade ayant contracté la rage transmise par les créatures du Diable qui infestent la région, le malade peut être sauvé, avec les prières adéquates…

Le Docteur leva un sourcil intéressé.

— Les malebêtes ?

— Le Père ne veut pas que je les appelle des démons, il préfère dire « malebêtes » car ça fait un peu moins peur aux paroissiens.

— Et le Père a soigné beaucoup de malades ?

— Des centaines !

— Et alors, que se passe-t-il une fois que l'Ampoule… est vide ?

Frère Ignatius planta ses yeux bleus innocents dans ceux du Docteur et affirma tranquillement :

— Le Sang du Christ se reconstitue !

— Et… tu l'as vu de tes yeux se reconstituer ?

Le petit moine se tortilla soudain sur place d'un pied sur l'autre, en le regardant d'un air effrayé.

— Doctus Legatus, je vois bien que vous me mettez à l'épreuve… Je ne peux pas douter du pouvoir du sang de Notre Seigneur Dieu !...

— Certes non ! répliqua le Docteur avec un regard bienveillant. Mais je t'ai expliqué ma mission véritable. Je dois m'assurer que la Sainte Ampoule est bien ce qu'elle paraît être pour faire mon rapport au Pape. Si mon rapport est favorable, Caerdydd pourrait devenir un haut-lieu de pèlerinage de la Foi, et les dévots se presseront un jour ici par milliers ! Quand le Père aura-t-il fini ?

— Bientôt, répondit le jeune homme. D'ailleurs, je dois me dépêcher de finir de remettre en ordre le presbytère et de préparer sa soupe.

.°.

Le Docteur le laissa vaquer un peu à ses affaires, mais il trépignait intérieurement d'impatience que le prêtre ne revienne pas plus vite. Il fit semblant de prier un peu et puis demanda au garçon s'il pouvait lui donner une description plus précise des malebêtes.

Frère Ignatius acquiesça en pelant des tubercules incertains au-dessus d'un linge douteux avec, semblait-il, une grande habitude.

— La légende dit que ce sont des créatures noires, avec des ailes de peau, avec des griffes et des dents acérées. Elle rapporte qu'il y a bien longtemps, la première malebête est arrivée dans la région directement depuis une porte de l'Enfer dont elle s'était échappée, conta-t-il machinalement en détaillant les navets en cubes. Comme la porte s'était refermée par la volonté de Dieu, elle ne pouvait plus retourner chez Satan. La malebête erra des jours dans la lande avant de se laisser tomber d'épuisement et de faim. On dit que lorsqu'elle fut au sol, elle huma à travers la terre et sentit une odeur suave qui l'attirait. A moitié délirante, elle griffa et griffa la terre en la remuant bien pour tomber bientôt sur le corps d'un Saint qui gisait là-dessous à quelque profondeur…

Il s'essuya les mains sur un linge pendu à sa taille bien prise et fit glisser les cubes de navets de sa planche, directement dans la marmite en fonte, en les poussant avec son coutelas. Puis il attrapa une pomme de terre et entreprit de la peler aussi.

— Vous racontez fort bien, Frère Ignatius.

— Merci, dit le jeune homme en tailladant sa pomme de terre en quelques mouvements vifs comme ceux d'un chef.

— Et quel était ce Saint ?

— Ardwyad.*

— Et alors qu'a fait la malebête ?

— Elle a trouvé le corps de Saint Ardwyad, tout glorieux de lumière et aussi beau qu'au jour de sa mort, et elle s'est jetée sur lui pour en faire son festin… Mais Dieu refusa de laisser faire un crime aussi impie sur la dépouille mortelle de l'un de ses serviteurs. Il apparut sur un char céleste pour chasser la malebête dans la campagne et placer un anathème sur sa race... La malebête maudite par le Seigneur devint très malade d'avoir mangé la chair incorruptible de Saint Ardwyad mais hélas, elle ne mourut point. La légende raconte qu'un paysan l'a trouvée peu après, mise dans sa charrette et rapportée à sa ferme. Il ne fut pas récompensé de sa bonté car poussée par le Malin, la malebête a tenté également de manger son bienfaiteur… Mais cette fois, elle eut beau mordre et griffer, elle restait faible et le paysan se défendit tant et si bien qu'il réussit à la tuer d'un coup de fourche dans la gorge qui lui découpa la tête…

Le Frère Ignatius se signa et mit le restant de légumes dans la marmite où il ajouta quelques herbes avant d'aller la suspendre au-dessus de l'âtre, et d'essuyer ses mains sur sa robe brune.

— Et si la malebête est morte ce jour-là. Comment se fait-il qu'il y en ait encore aujourd'hui ? objecta le Docteur judicieusement.

— C'est difficile à comprendre mais… le Père explique que l'esprit mauvais de la bête a survécu en se nichant dans le paysan, et le fit devenir démon lui aussi… Et depuis des créatures déchues hantent le pays. Elles se cachent le plus souvent dans les profondeurs dont elles sont les filles, mais elles sortent quand elles ont trop faim.

— Mhh ! fit le Docteur. Voilà une légende propre à fortifier la Foi… Mais dis-moi Ignatius, qu'est devenue la dépouille du Saint ?

— On dit que Satan est venu et l'a recaché sous la terre pour éviter que les malebêtes ne le mangent et ne s'affaiblissent. La pureté de son corps glorieux les attire mais c'est un poison pour elles.

— Et est-ce que la légende dit où il l'aurait caché ?

— Pas très loin d'ici, près de la rivière. Il y a un gros arbre centenaire.

Le Docteur se passa une paume sur la figure. Le Tardis se serait garé juste au-dessus de la tombe d'un saint protecteur local ?

— Est-ce que le Saint s'y trouve toujours ?

Le jeune moine le regarda comme s'il était idiot.

— Non évidemment ! Il a été prudemment déplacé dans la crypte de l'église, il y a des années et des années. On a planté le frêne pour se souvenir où il était.

Le onzième Docteur acquiesça et plissa les yeux. Il fallait qu'il vérifie ça. Telles que les choses avaient l'air de se présenter, le prêtre avait construit son petit business sur une légende locale et il maintenait les fidèles dans droit chemin en leur faisant peur avec des histoires de croquemitaine…

— Tu en as vu des malebêtes ?

— Oh oui ! Elles ont décimé ma famille quand j'étais petit ! Jamais je ne pourrai oublier leurs faces hâves ! dit-il d'un ton lugubre. Pas plus tard que la semaine dernière, trois voyageurs ont encore été attaqués sur la route, égorgés et abandonnés là sans plus de cérémonie.

— Tu n'avais pas dit que le Père reviendrait bientôt ? s'impatienta le Docteur.

— Il n'était pas parti depuis longtemps quand vous êtes arrivé…

— Très bien, je vais aller au-devant de lui dans ce cas. Je te remercie Ignatius.

Le petit moine sourit d'un air timide et le Docteur quitta le presbytère en se demandant où il avait déjà vu de tels yeux bleus si doux, si graves et si tourmentés à la fois. N'était-ce pas déjà à Cardiff ? Ça finirait bien par lui revenir…

.°.

LE VALEYARD ET KOSCHEI

— On va attendre encore longtemps ? chuchota-t-il.

Koschei était déjà fin lassé de patienter depuis un bon quart d'heure devant le spectacle peu ragoutant d'une espèce de goule occupée à manger un cadavre manifestement encore frais.

— Non, répondit seulement l'homme qui se trouvait à ses côtés. Regarde.

Le Tardis venait de se matérialiser un peu plus loin et ses portes s'ouvrirent à toute volée en laissant apparaître le onzième Docteur qui galopait comme un fou avec un bidule à la main en hurlant dans la direction de la goule.

— Tu es sûr qu'il ne peut pas nous voir ?

— Oui je te dis, mais ferme-la car il pourrait nous entendre.

Koschei soupira et lança un regard peu amène à l'homme qui tenait à se faire appeler Achernar. Enfin quand il disait l'homme, c'était une vue de l'esprit. Le Valeyard n'était pas un homme. C'était une créature plus ou moins incorporelle, extrêmement puissante, dont la malfaisance l'aurait réjouie si elle avait pu aller davantage dans son sens et s'il ne s'y trouvait pas perpétuellement en butte... Cette fois, Achernar l'avait ressuscité dans une enveloppe semblable à celle qu'il avait en tant qu'Harold Saxon. Il disait que ça l'aidait à se concentrer… mais sur quoi ? Mystère !

Ce qu'il supposait être le Docteur avec une bonne tête d'imbécile heureux encore supérieurement réussie cette fois, s'était interposé en menaçant la goule avec son démodulateur à hautes-fréquences, probablement récupéré le marché aux puces sur de Karkorus VI. Mais il ne pouvait pas en jurer car il y avait un bail qu'il n'y avait plus remis les pieds.

Il s'était agenouillé près du cadavre tandis que la goule s'était reculée en mettant ses pattes griffues sur ses oreilles. Irritée par la mauvaise musique qu'il lui faisait entendre, elle devint très hargneuse et menaçait de se jeter sur le Seigneur du Temps qui se mit à tripoter vainement les réglages de son démodulateur avec fébrilité.

La goule poussa un cri et chargea. Le Valeyard eut un fin sourire en coin en voyant le Onzième en si mauvaise posture. Le Docteur après un dernier regard bizarrement triste au corps par terre, sauta sur ses pieds et se mit à courir, aussitôt pris en chasse par la furie excitée au dernier degré.

— Voilà ! fit Achernar quand le Seigneur du Temps se fut suffisamment éloigné. C'est à toi maintenant.

— A moi ?

— Pourquoi crois-tu que je t'ai amené ici ? Prends ta pelle et creuse. Et grouille-toi parce qu'il faut que tu aies fini dans la demi-heure.

— Pourquoi ?

— Parce que le venin de la goule devrait immobiliser celui-là pendant ce temps et empêcher qu'il ne se réveille… Tu n'aurais pas forcément le dessus face à lui.

— Une demi-heure ? Je suis pas Superman, moi…

Achernar le considéra avec une vague irritation condescendante, mais les ailes de son nez se pinçaient trop vivement pour ne pas trahir sa colère.

— Ok Futé, dit-il pourtant d'un ton calme. Je vais t'expliquer mieux. Si tu ne creuses pas, tu ne me sers à rien. Et si tu ne me sers à rien…

Il leva la main et fit mine de commencer à claquer des doigts. Mais Koschei qui savait ce que ça signifiait pour lui, empoigna la pelle sans un mot de plus et se mit à dégager mieux le trou où devait avoir été le cadavre. Achernar faisait les cent pas à côté, les mains dans les poches, les yeux rivés sur le corps du mort.

— Dépêche-toi, je ne supporterai pas de voir ce type encore longtemps. Les protégés d'Offerdith me font vraiment vomir… Il faut toujours qu'elle donne dans une surenchère écœurante…

Achernar s'accroupit et passa un doigt dégoûté sur le fil de la mâchoire du cadavre nette et ferme, elle était ornée d'une fossette.

— Regarde-moi ça ! Même mort, il suinte l'attraction sexuelle par tous les pores de sa peau.

Koschei s'arrêta de creuser et essaya de retrouver son souffle en s'appuyant sur le manche de la pelle avant de proposer en souriant :

— Vous voulez que je vous laisse seuls, tous les deux ?

— Je n'accepterais pas tes restes, Maître. Je sais que tu lui as déjà fait subir les pires sévices quand il était à ta merci… ça ne serait pas intéressant. Il ne serait pas surpris… Allez sors de là, ça ira comme ça. Bouge-toi et colle-le dans le trou.

— Je le connais ?

— Comment as-tu pu oublier quelqu'un que tu as si intimement torturé ? demanda le Valeyard avec une sorte d'incrédulité.

Koschei sortit de la tombe en se hissant et s'approcha du corps par terre qu'il n'avait pas encore bien vu.

— Hey ! Mais c'est… Harkness ! Tu veux l'enterrer vivant ?

— Moi ? Pas du tout, c'est toi qui vas le faire. En plus, c'est exactement là qu'il était avant que la goule ne se jette sur lui pour en faire son quatre-heures. Je remets juste les choses en place, bien proprement.

Le blond toussa une fois.

— En parlant de proprement, personnellement je trouve que tu ne te salis pas trop, lança Koschei en tirant le corps vers la tombe pour le faire basculer dedans.

— Rebouche ! Je sens qu'il est sur le point de se réveiller.

Le creuseur de tombe obtempéra en jetant des coups d'œil à Achernar qui contemplait la scène avec des yeux entièrement dévorés de noirceur. Il devina à un moment à son sourire mauvais que quelque part, en dessous, le Capitaine avait bien refait le tour de magie horripilant qui était habituellement le sien… C'est vrai que passé les vingt ou trente premières résurrections, ce n'était plus si drôle.

Achernar étendit le bras sur la terre ameublie et lorsqu'il eut fini son mouvement, elle donnait l'impression de n'avoir jamais été creusée.

— Pourquoi fais-tu ça ? questionna curieusement celui qui n'était plus le Maître, mais rien d'autre que l'ombre avilie de ce Seigneur du Temps formidable.

Le Valeyard le toisa d'un air distant et puis se résolut à expliquer :

— Harkness est un joueur ambivalent sur la partie de Duane en cours. Mais il est globalement favorable au camp d'en face. Et à ce titre, tant qu'il est immobilisé ici, il ne leur sert à rien et ne peut pas aider le Docteur, ce qui me va très bien. Tu vois Koschei, tu as toujours été dans l'esbroufe et la démonstrativité mégalomane. Regarde comme ça t'a bien avancé… Moi je préfère mener pour l'instant un travail de sape... Et là je ne parle pas de mes goûts vestimentaires, dit-il en rajustant sa cravate avec un sourire en coin. Une petite chose par ici, une petite chose par là et la machine finit par se gripper. Le Docteur est doué pour déjouer les menaces de grande envergure, je suis bien placé pour le savoir. Mais les petites choses routinières l'ennuient profondément. Il n'y prête pas attention. Pas suffisamment en tous cas. Et le temps qu'il se rende compte – et admette – qu'il a fait une erreur, après il est trop tard…

Koshei secoua sa blondeur décolorée, fit la moue et s'ébroua parce qu'il était couvert de terre. Il ne trouvait pas que ce point de vue de gagne-petit vaille ses propres projets. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire… Mais il reconnaissait que l'aversion du Docteur pour l'ennui, pouvait être jouée utilement contre lui.

— Est-ce que la goule l'a eu au moins ? demanda-t-il, un peu curieux.

— Tu as perçu l'énergie d'une régénération quelque part ? répondit le Valeyard, avec mépris. On l'aurait su si ça avait été le cas. Alors maintenant, si tu ne veux pas finir systématiquement en casse-croute à chaque fois qu'on sort ensemble, je te suggère de ramener tes fesses par ici. Et n'oublie pas la pelle.

L'homme fit ce qu'il disait et retint la remarque qui lui venait spontanément aux lèvres. Achernar avait beau jeu de l'humilier en le traitant d'imbécile, il ne se risquait pas non plus à le ressusciter en tant que Seigneur du Temps… Mais qui sait ? Peut-être qu'un jour, il pourrait trouver comment l'y pousser ?

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LE 11e DOCTEUR

La créature lui avait sauté à la gorge et puis avait grondé affreusement pendant quelques secondes semblant hésiter un peu à le mordre, reniflant sa jugulaire de façon circonspecte. Mais sans doute poussée par la faim, elle avait eu l'air de se faire une raison. Le Docteur avait tâté ses poches désespérément et dans la panique, il s'était saisit d'un étui à cigares, offert par Churchill lui-même, dans lequel, il avait eu la bonne idée de conserver… le ver de mémoire.

Ouvrant la boîte en deux, il se résolut à empoigner le ver pour le fourrer dans la gueule de la goule qui en resta toute surprise quand elle croqua dedans. Elle commença à tituber et s'affala au sol où elle resta bientôt immobile.

Hébété et haletant, le Docteur revint péniblement en direction du Tardis. Il se sentait légèrement confus, et soupçonnait que c'était parce que la créature l'avait griffée et qu'il y avait sans doute quelque chose sous ses ongles… un venin peut-être. Et ça s'ajoutait au fait qu'il avait touché le ver… S'il ne s'endormait pas, il était sûr de pouvoir conserver ses souvenirs…

Il aperçut son vaisseau mais tout autour, la lande était méconnaissable. Au sol, il ne trouva aucune marque ou trace qui aurait pu indiquer où était Jack. Tout semblait s'être volatilisé. Il serra les poings et les dents de contrariété, se mordant l'intérieur de la joue pour éviter de sombrer trop vite.

La tête lui tournait franchement maintenant et ses paupières étaient lourdes. Il se dépêcha de rentrer à bord pour tenter de scanner le sous-sol, mais sitôt qu'il fut revenu à l'intérieur, le Tardis lança seul une séquence pour se jeter dans le vortex et s'éloigner de l'aberration temporelle que représentait le Capitaine…

Avec un cri, le Docteur frappa du poing sur la console.

— Non, non ! Reviens ! On ne peut pas le laisser là !

Il tenta de manipuler les commandes mais ses bras étaient de plus en plus raides et gourds, il avait du mal à les bouger. « Venin paralysant. Double origine » analysait son esprit pendant qu'il se voyait glisser au sol près de la console. « Pas une chance, malgré l'immunisation partielle offerte par l'expérience du Sang Originel… ».

Tétanisé sur la grille, il ferma les yeux car le mouvement de la pompe à void lui donnait peu à peu la nausée.

Avant qu'il ne sombre, une ultime pensée tournoya et miroita, s'accrochant désespérément au dernier vestige de sa conscience : il devrait cesser de pleurer Amy et Rory. Ce qui était en train de se passer n'aurait jamais eu lieu s'il avait eu quelqu'un avec lui. Il ne devait plus rester seul. Et trouver encore une autre personne qui accepterait de l'accompagner dans ses voyages.

Ne. Plus. Rester. Seul.

Une larme solitaire roula sur sa joue. A son réveil, il devinait qu'il ne se souviendrait plus de r…

 

FIN

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* « Protecteur » en gallois.

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