Le Loup et l'Agneau

Chapitre 2 : Le clandestin - Unexpected offsprings

2578 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/05/2016 16:25

LE LOUP ET L'AGNEAU

.

Le clandestin

Il s'en revenait de Madrona parfaitement détendu et content, quand le phénomène lumineux bizarre se produisit de nouveau dans son périmètre immédiat.

Les bras chargés de paniers d'offrandes, il avait pris congé du peuple de cette planète qui l'avait accueilli comme un dieu. Le fait qu'il ait pu réparer leur bouclier météorologique, manifestement fourni par une espèce plus avancée, avait certainement dû contribuer à conforter leur méprise... Après leur avoir répété deux ou trois fois qu'il n'était qu'un savant, il s'était résigné quand il avait compris qu'il les vexait en soutenant une vérité qu'ils prenaient pour un mensonge évident…

Quand il les avait trouvés, à la suite d'une expédition décidée par le mode aléatoire du TARDIS, les malheureux grelottaient proprement, tétanisés sous une neige incompréhensible pour eux et bien persuadés que cette pluie anormale ne pouvait annoncer que les funestes auspices de la fin du monde... Mais réparer des trucs, c'était son truc. Ce qu'il faisait le mieux. Ce n'était pas pour rien que son instrument fétiche était un tournevis... Aussi avait-il spontanément retapé leur baromètre régulateur high-tech et s'était-il vu remercier illico dans les liesses, par l'adjonction automatique et indiscutable d'une nouvelle épouse, plus un mois de cérémonies festives pour faire bonne mesure...

Au bout de ce temps, il avait décidé que ce n'était pas impoli de leur faire comprendre le plus diplomatiquement possible aux dirigeants qu'il devait regagner son « royaume céleste »... S'il avait dû compter le nombre de fois où des peuples avaient tenté de le remercier en lui offrant toutes sortes de conjoints pour le faire rester chez eux, toutes les chambres du TARDIS n'y auraient pas suffi ! Le soulagement reconnaissant dans les yeux de la princesse ne lui avait pas échappé. Celui du jeune homme de sa cité qu'elle aimait secrètement non plus.

.

Portant son bric-à-brac d'osier, il cherchait donc une pièce disponible pour entreposer tout ça quand il repéra une sorte de halo semi-consistant fait de volutes, se mouvant avec grâce et qui semblait très précisément... le suivre dans les couloirs.

Résolu à en avoir les cœurs nets, il déposa les cadeaux, y préleva les denrées périssables pour aller les mettre dans la cuisine et prit exprès un chemin compliqué pour s'y rendre. Très compliqué. Pourtant, pendant tout le trajet, il ne cessa de jeter des coups d'œil furtifs derrière lui et... rien ne se passa. Mais quand il fut sur place, aussitôt le frigo refermé et ses dents plantées dans un fruit juteux – de type kiwi mais avec une peau fine – le halo à volutes réapparut et se précipita droit sur lui.

La forme soyeuse qu'il arborait se mit à bondir partout frénétiquement, comme si elle était instable ou folle, et semblait chercher à l'attraper vainement, ne parvenant qu'à le traverser et le retraverser de part en part. La stupéfaction céda le pas à la colère après deux trois rounds de ce petit jeu. Il quitta la pièce pour revenir dans la salle de contrôle à grandes foulés énergiques et décidées.

.

Une fois là-bas, il mit en route les enregistrements des caméras intérieures et fit défiler le tout à grande vitesse. Et le résultat fut édifiant !... Il constata que des dizaines d'événements et phénomènes lumineux se produisaient régulièrement dans tout le vaisseau depuis un bon moment. Et particulièrement dans des endroits qu'il fréquentait souvent !

— Mais qu'est-ce que tu fabriques ? interpella-t-il le TARDIS tout haut. Je croyais que tu m'avais dit que tu n'avais pas de problème de surtension...

Le vaisseau bourdonna bas, offrant l'aumône d'une réponse apaisante qui répétait fort peu crédiblement qu'il allait parfaitement bien.

— Et cette lumière, alors ?

Dans son esprit télépathique, il percevait nettement ce qu'il convenait d'appeler l'embarras de son interlocuteur multidimensionnel. La réponse le surprit.

"Ne te fâche pas, mon pilote. L'enfant est turbulent et il joue, il ne comprend pas. Je lui ai dit qu'il ne devait pas interférer avec toi mais il ne veut pas m'écouter".

— Quel enfant ?

« Le mien » répondit le vaisseau en laissant le Docteur médusé.

.

Unexpected Offsprings

Les bras croisés sur son pull ajusté et bien campé sur ses deux jambes de coureur de fond, le neuvième Docteur avait ouvert la bouche en regardant le plafond, mais il avait hésité sur la formulation. Au fait qu'il s'exprimait oralement et non télépathiquement, le TARDIS comprenait bien qu'il était bouleversé par la nouvelle.

— Est-ce que je dois comprendre que tu as fait... euh… pousser un nouveau corail ?

« Oui ».

La création d'un nouveau TARDIS était une opération délicate dans son exécution mais simple dans son concept. Il savait que la croissance d'une bouture de corail prenait du temps, nécessitait beaucoup de soins et d'attentions dans des conditions spécifiques d'hygrométrie et de lumière, et il se sentait un peu inquiet et frustré d'avoir été tenu à l'écart pour quelque chose d'aussi important. Ce n'étaient pas comme s'ils étaient des étrangers quand même, il voyageait ensemble depuis des siècles.

— Et pourquoi ne me l'as-tu pas dit ? Je voulais bien aider moi...

« Le rejeton de corail va bien. J'ai arrangé une nursery où il grandit à l'abri. Je peux m'occuper seule de lui pendant que tu vaques à tes amusements de curieux ».

Le front tout sillonné de belles rides perplexes, le Docteur s'assit à demi au bord de la console et esquissa une moue mitigée en regardant toujours le plafond. Il n'était pas obligé mais il lui semblait qu'ainsi, le TARDIS était un peu plus certain qu'il ne marmonnait pas tout haut et tout seul, comme il le faisait quatre-vingt-quinze pour cent du temps…

— Cela ne m'explique pas pourquoi tu me l'as caché pendant aussi longtemps ! Si l'âme d'un petit vaisseau est active à ce point, cela veut dire qu'il a déjà plusieurs années !...

Le Gallifréen perçut un nouvel embarras très inhabituel de la part de son vaisseau.

« Ce n'est pas la bouture de corail qui est après toi. Elle n'est pas encore consciente et ne le sera pas bientôt. C'est mon autre enfant ».

— Ton quoi ?! Je ne voudrais pas me montrer excessivement intrusif mais...

« ...tu l'es quand même ».

Il leva ses yeux bleus au ciel et écarta des bras estomaqués avant de les reposer sur ses hanches, dans une posture clairement voué à l'impressionner, quoiqu'en pure perte.

— Mais bien sûr que je le suis ! Tu es ma… maison...

« Oh, quelle bonne nouvelle ! Parfois, j'ai vraiment l'impression de n'être que ta voiture... »

L'incrédulité la plus totale releva ses sourcils haut sur son front. Jamais le TARDIS ne se comportait comme ça avec lui ! Il voulait bien reconnaître qu'il aurait été certainement plus avisé de sortir « plus vieille amie » à la place de « maison »… Mais il était un rien déstabilisé. Car le TARDIS était sage, silencieux et taciturne. Il bourdonnait gentiment, il allumait des lumières, ce genre de choses. Les communications en langage formé étaient rares et réservées à des situations de la plus extrême urgence et gravité. Ces conciliabules se tenaient le plus souvent en extrême limite basse, dans les eaux troubles de sa préconscience, plus en phase avec son instinct.

— J'y crois pas... murmura-t-il. Est-ce que tu me fais… une scène ?...

« Est-ce que ça marche ? »

— Marche pour quoi ?

« Pour que tu ailles bouder en arrêtant de me poser des questions auxquelles je ne peux pas répondre ».

— Impossibilité technique ou éthique ?

« Ethique ».

— L'enfant dont tu parles appartient au futur ?

« Oui. Mais il ne comprend pas le Temps. Il est trop jeune. Trop agité. Et impatient. Il est juste… tout comme toi ».

— La flatterie ne te mènera à rien. Je ne suis pas jeune, va !

« Pour moi tu l'es. J'ai un peu vécu avant qu'on ne s'enfuie tous les deux, figure-toi ».

Avec animation, le Docteur se mit involontairement à faire les cent pas autour de la console parce qu'être en mouvement facilitait sa réflexion et sa concentration. C'était en général la raison pour laquelle il bougeait tout le temps...

— Bon, alors je suppose que tu ne vas absolument rien me dire qui permettrait d'expliquer comment cet enfant a pu arriver là, ni pourquoi tu dis qu'il est à toi ?

« Correct. Il est né de mon cœur, donc il est à moi. Mais ce n'est pas la bouture de corail ».

— Mpff, admettons. Et qu'est-ce qu'il me veut ?

« Je ne sais pas pourquoi, mais il a l'air de te trouver vraiment très intéressant... »

— Est-ce que tu te paies ma tête ?

« Pas beaucoup ».

Le TARDIS reprit presque aussitôt plus sérieusement.

« En réalité, il ressent qu'il est né de ton amour et cela l'attire irrésistiblement et le fascine. Il meurt d'envie de communiquer avec toi. Je sais qu'il essaie de le faire en dépit de mes interdictions formelles répétées ».

Le Docteur se figea et écarquilla les yeux, pâlissant et rougissant alternativement. Pour cause de jambes un peu flageolantes, il se laissa tomber sur le siège de pilotage.

— Quoi ? Hola, attends, attends, s'étrangla-t-il, supérieurement gêné à son tour. Qu'est-ce que tu es en train de dire avec ton « né de ton cœur » et « né de mon amour » ? Tu ne peux pas être en train de suggérer que toi et moi... nous aurions pu... euh… Comment dire ?... Nos espèces ne sont pas compatibles, de toute évidence... hein ?

« Tu es très amusant. Mais sache que si j'en ai l'occasion un jour, je te ferai regretter le dégoût que tu affiches en ce moment. Ne viens pas faire l'étonné si je te mords en représailles... ».

— Arrête à la fin ! s'écria-t-il épouvanté. Tes circuits sont sûrement infectés par quelque chose !

« Mes circuits vont parfaitement bien, merci ! Et tu aurais bien besoin que quelqu'un te dise un peu plus souvent les choses. Tu te prends beaucoup trop au sérieux pour un petit bipède à quatre dimensions ».

La bouche ouverte en un vague sourire complètement stupéfait, il hésitait entre paniquer et rire, mais la frontière était floue. Il afficha toutefois un air un peu offusqué pour continuer :

Excuse-moi d'être un peu bouleversé d'apprendre que toi et moi nous sommes censés être « parents » d'un enfant commun à un moment du futur ! Je me sens très désorienté à cette idée. Et quoique je ne souhaite pas te vexer, que tu sois un excellent vaisseau et un support indéfectible avec lequel j'aime visiter l'univers...

« C'est ça, rattrape-toi donc aux branches maintenant. Tu as donc si peur que ta prochaine douche finisse glacée ? » soupira ostensiblement le TARDIS.

— Malgré tout ça donc, reprit-il avec une ostensible imperturbabilité, je pensais qu'il était tacitement admis entre nous depuis longtemps que tu étais davantage… une figure protectrice et bienveillante qui…

« …qui te loge, te conduit, te nourrit, lave ton linge, refait ton lit, et fait la même chose avec tes petits animaux de compagnie… ».

Le neuvième Docteur fronça des sourcils inquiets, incertain des raisons qui poussaient son vaisseau à être à la fois aussi bavard et aussi fidèlement semblable… à une parfaite mère juive de substitution ! L'idée l'aurait fait sourire si penser à sa mère et à son destin ne l'avait pas autant attristé.

— Es-tu en train de me dire que tu en as assez de voir l'univers avec moi ? chercha-t-il à clarifier.

« Évidemment que non ».

— Où est l'évidence quand je remarque que c'est la première fois que tu me critiques aussi ouvertement ? rétorqua-t-il en s'appuyant de côté, les bras croisés, sur l'un des coraux qui soutenait le plafond de la salle de commandes.

Le vaisseau ne trouva rien à répondre et le Docteur sourit en coin.

oOo

.

Laisser un commentaire ?