Le Loup et l'Agneau

Chapitre 5 : Bonus : Fish and chips

Chapitre final

3623 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/02/2019 22:50

* Ce one-shot a été inspiré par le Défi d'écriture Mots Improbables de juin 2016 du site Fanfictions.fr.Il s'agissait d'insérer 12 mots de vocabulaire ou expressions imposés : requin, excellente initiative, tertiaire, il pleut comme vache qui pisse, propolis, lémurien, trapéziste, dithyrambique, sabre, amanite tue-mouches, Google est ton ami, sinécure.



FISH AND CHIPS

.

Tout près du City Hall qui nous domine de toute sa taille, nous sommes assis en bordure de pelouse publique, sur la plus haute des trois marches s'étirant le long des quais de la Tamise. Depuis sa rive sud, le fleuve nous offre le panorama apaisant des bateaux remontant ou descendant son cours, ainsi qu'une vue imprenable sur l'imposant Tower Bridge. La foule des badauds, réjouis par le soleil clément de ce début d'après-midi, grouille paresseusement à nos pieds en se gorgeant de sodas et de crèmes glacées qui confèrent à cet instant comme un petit air de vacances.

Casés entre nous deux, dans les vingt frustrants et salvateurs centimètres qui nous séparent, il y a deux grosses boîtes en carton odorantes et fumantes qui embaument la friture bon marché à plein nez. Les jambes croisées en tailleur, Rose y plonge sa petite main à intervalles réguliers pour aller récupérer une pincée de frites qu'elle enfourne comme une ogresse, entre deux bouchées avides de son nugget de poisson. A la voir faire, je réalise qu'elle n'a rien mangé pendant que nous étions sur la Plateforme Une mais il faut avouer que sur le moment, nous étions pris par d'autres préoccupations... Elle ne s'est plainte de rien. Ou pas de ça. Pourtant, elle vient de finir un second poisson et lèche consciencieusement ses petits doigts gras.

Comme un peu plus tôt aujourd'hui, le soleil tape dur et… j'ai retiré ma lourde veste de cuir. Un non-événement total pour elle, j'en ai bien peur ! Tout le monde fait ça ici, surtout quand il fait chaud. C'est banal. Mais à moi, ça ne m'arrive pas souvent et je me sens… exposé. Elle-même a ôté son blouson zippé à capuche et ne porte plus que son tee-shirt gris à la découpe compliquée qui laisse voir ses épaules. Pour une raison inconnue, peut-être parce que j'ai l'air d'avoir le double de son âge, les gens paraissent nous regarder avec cet air. Un peu lointain, assez entendu, vaguement réprobateur. Envieux ?

Parce que de temps à autre, ma main frôle la sienne quand j'essaie de piquer une frite, moi aussi. J'ai l'impression que les hommes me scrutent avec un sourire de requin. Et quoique je ne fasse rien de mal, je les enverrais bien tous au diable. J'ai envie de rire sous cape pourtant en constatant son air concentré et combien ces légers contacts purement pratiques, ne semblent pas la troubler outre mesure. Nous sommes là, côte à côte, baignant dans la lumière d'un astre en bien meilleure forme que tout à l'heure, absorbés dans la plénitude de ce que les autochtones appellent un « companionable silence ». Je ne la dévisage pas ouvertement mais j'ai conscience que ma posture nonchalante et savamment étudiée est indéniablement tournée vers elle. Comme un stupide tournesol gallifréen.

Avec enthousiasme, elle attaque un troisième morceau de poisson mais ses épais sourcils sombres sont toujours froncés. Elle réfléchit, la mignonne, figurez-vous. Je le sais bien. Elle pense à tout ce qu'elle a vu un peu plus tôt et qui fait sûrement un peu beaucoup pour elle… Des aliens de toutes formes et de toutes espèces. Des bleus, des verts, des roses vifs… Des arbres vivants. Des araignées mécaniques hostiles. Une tête géante dans un aquarium. Une vieille peau en forme de trampoline. Et puis sa mère planète toute entière réduite en tas de gravats cosmiques… Ça, plus le fait qu'aujourd'hui, elle a failli mourir au moins deux fois…

O Rassilon, mais qu'est-ce qui m'a pris ? J'ai vraiment pas été sympa avec elle… Première fois ensemble et la meilleure idée que j'ai, c'est de l'emmener assister à la destruction de son monde ! Bien Docteur, excellente initiative, bravo ! Tellement impressionnant ! Des fois, je me filerais des claques... Je l'ai testée tout du long, et secouée avec mes affirmations choquantes faussement flegmatiques…

Ignorant mes ruminations coupables, elle dorlote dans son giron possessif le carton de frites croustillantes qu'elle a annexé sans sommation. Le vent léger souffle des petites mèches folâtres autour de ses joues cuites par l'excès d'UV qu'elle a pris sur la Plateforme, quand les filtres solaires se sont mis à dérailler. J'aurais pu la perdre, voilà à quoi moi je pense.

Il y a du sel sur ses lèvres et je déglutis en imaginant… des trucs vraiment pas malins. Quand je tends la main vers elle, presque automatiquement, elle lève le carton en offrande pour que je puisse piocher une pomme de terre dorée.

— J'ai presque tout mangé, remarque-t-elle avec une moue rien moins que satisfaite.

Elle la fait suivre d'un sourire géant et d'une œillade amusée, comme si je n'étais pas le dernier des connards de lui avoir fait un coup pareil, ou de m'être comporté deux fois minimum en patriarche autoritaire et obtus, plus du tout habitué à être contredit... Techniquement, nos deux premières disputes et tout ça le même jour ! Ça promettait !

J'esquisse un sourire rentré parce qu'en fait, j'ai adoré sa réaction. Pas la mienne, par contre, car j'ai été brutal et injuste. Plus tard, je lui ai sorti sèchement devant tout le monde que si elle n'avait pas le cran d'encaisser mes décisions, elle pouvait rentrer chez elle… « Mon vaisseau, mes voyages, mes règles ». Ses lèvres avaient frémi de ce qu'elle s'était retenue de me dire, une ombre de tristesse et de déception avait voilé son regard pendant quelques secondes. Une latence affreuse, pendant laquelle j'étais soudain démuni du filtre à perception qui me protège de son jugement, et durant laquelle je n'étais plus qu'un étranger qu'elle ne connaissait pas si bien. Juste un alien à peine moins effrayant que tous les autres... J'étais en colère. Pas contre elle mais contre moi, parce que j'ai réalisé qu'elle affichait une bonté naturelle que je n'étais plus capable d'éprouver. Pour moi, ce tambour inutile (ce trampoline ?) de Cassandra O'Brien δ.17 méritait de mourir. Et c'était tout. Est-ce que je peux encore être l'homme des secondes chances, après tout ce que j'ai vu ?

Je lui réponds que ce n'est pas grave et qu'elle avait l'air d'avoir faim. Elle me jette un petit coup d'œil en biais légèrement impatienté avec un soupir. OK, qu'est-ce que j'ai encore dit ?

— Il en reste plus qu'une, et c'est tout ce que vous méritez, déclare-t-elle secouant la boîte avant de regarder dans le fond.

Elle lisse ses cheveux indisciplinés derrière son oreille et de l'autre main, elle attrape la frite et me la tend, joueuse et pourtant sans arrière-pensée – je crois. Je lis dans ses yeux qu'elle s'attend à ce que j'y morde sans faire de façons. En vérité, je suis à deux doigts de le faire mais je m'abstiens, parce que ça me grise mais qu'on n'en est pas là, tous les deux. Oh que non !

Tout à l'heure, quand je lui ai dit que je n'avais pas d'argent pour payer notre dinette, elle m'a asséné que j'étais le rencard le plus fauché qu'elle ait jamais eu !… Rencard, c'est elle qui l'avait dit. Ce n'était pas que dans ma tête, donc. Et soyons clairs, c'est… vraiment pas normal. Mais dès le début, j'ai commencé à jacasser qu'elle était avec moi et sorti le papier psychique en plastronnant : « Le Docteur et son 'plus un' : Rose Tyler ». Je me sentais si fier d'avoir cette douce blonde curieuse, pendue à mon bras rassurant. En un sens, si puéril et et heureux qu'elle veuille bien marcher dans la combine de ce jeu de rôles.

Étonnant de voir pourtant combien je perds tout sens commun, avec elle dans les parages. Je l'ai compris quand la délégation des Forêts de Cheem s'est présentée. Quoique leurs ancêtres aient déjà été présents à l'ère Tertiaire, il s'agissait aujourd'hui d'une espèce végétale anthropomorphe intelligente dont j'avais devant moi un fort joli spécimen... La sylve Jabe, qui pour être un arbre n'en était pas moins femme, m'a tout de suite circonvenu de flatteries suggestives, en me considérant avec cet air. Non, pas le même que celui dont je parlais à l'instant. Celui qu'ont les femmes quand elles convoitent un homme au bras d'une autre. Elle voulait savoir si elle avait le champ libre et je crois bien que j'ai été encore moins subtil qu'elle… Seigneur ! Mais quel genre de crétin fini se met à flirter ouvertement avec une autre, pile devant celle dont il rêve en secret ? J'ai la réponse, si ça vous intéresse : un grand abruti de Seigneur du Temps qui s'appelle le Docteur !

Quand la Plateforme a montré des signes de défaillance, j'ai demandé à Jabe son avis ; elle a proposé de me conduire aux tunnels de maintenance ; j'ai dit oui… Furieuse de s'être fait traiter de concubine et de prostituée juste sous son nez, Rose nous laissés aller avec aigreur en nous envoyant « polliniser » ailleurs. Je l'ai sûrement encore plus déçue quand j'ai susurré à la sylve que j'étais donc tout à elle... Macho imbécile, flatté que deux belles se disputent pour lui : je ne savais pas que j'avais ça en moi... Du coin de l'œil, j'ai vu chez Rose une acceptation résignée incompréhensible. Comme si c'était normal qu'on l'abandonne comme ça… J'avoue que j'y pense toujours. Peut-être parce que Jabe s'est sacrifiée pour que nous survivions.

Je baisse la tête en soupirant.

.

Je ne sais pas comment elle fait, mais quand Rose me considère avec ce petit air goguenard qui m'intimide, j'en frissonnerais si j'étais moins maîtrisé. Oui, parfaitement. Qui m'intimide. Et pourtant, d'autres ont souvent bien essayé d'y parvenir et sans grand succès. Alors pour faire diversion, je lui demande plutôt à quoi elle pense, et qui la fait réfléchir si fort.

— Pardon, souffle-t-elle avec un peu d'embarras perceptible. Vous savez, j'ai pas été beaucoup à l'école et j'vis pas dans un très bon quartier, c'est sûr. Ma mère dit tous les jours des trucs comme « il pleut comme vache qui pisse », reconnait-elle en roulant des yeux effarés. Ou pire.

— Pire ?

— Oh oui, et vous ne voulez pas savoir ! glousse-t-elle en aplatissant les cartons avant de se lever pour aller les mettre dans une poubelle publique proche et pas trop débordante.

Son rire délicieux cascade sur ma peau et je peux vous dire que si j'en suis déjà aux synesthésies, c'est que c'est vraiment grave ce qui m'arrive… Elle revient vers moi et me tend la main pour m'aider à me relever. Je crève d'envie de la garder dans la mienne mais je la lâche pourtant pour ramasser ma veste par terre. Elle sort une petite boîte de bonbons de sa poche, vantant les vertus médicinales de la propolis, et en avale un sans m'en proposer, car de son propre aveu « c'est dégueu ».

Mais elle ne fait pas mine de se remettre en route tout de suite. Et je ne fais pas mine de vouloir y aller non plus, debout face à elle, les poings dans les poches, légèrement hypnotisé par le bout de son nez recuit qui commence à peler. En fait, je n'ai pas du tout envie de la ramener chez elle, mais chez moi. Enfin... par « ramener chez moi », je veux dire… pas ça, hein ? Au TARDIS, évidemment. Simplement pour repartir et tâcher de lui proposer une autre virée moins calamiteuse que la première…

— Toutes ces choses que j'ai vues avec vous, murmure-t-elle avec hésitation, la tête penchée de côté en évitant mon regard. Être ici, et puis hop dix minutes après, être là-bas. Dans des milliards d'années. En sachant mes os sont quelque part sur la planète. Je suis morte et vivante la même seconde… ça bugue dans ma tête ! Et maintenant, on est de nouveau ici. Tout est redevenu normal mais vous savez quoi ? J'ai toujours toutes ces pensées qui tournicotent et ne s'en vont pas pour autant… J'sais pas si j'explique bien.

— Après cinq milliards d'années, tes os ne sont plus sur la planète… Ils sont rapidement biodégradables, tu sais ?

Elle m'adresse un petit sourire dépité.

— Vous devez nous trouver à peine plus futés que des singes, pas vrai ?... Non, pire que ça ! Dites-moi, qu'est-ce qu'il y avait avant les singes ? Des lémuriens ? Pour vous, on est rien que des lémuriens crétins, c'est ça ? » demande-elle en tournant ses grands yeux inquiets vers moi, dans l'attente d'une réponse dont elle ne sait pas si elle la veut honnête.

Repassant ma veste, je secoue la tête en claquant la langue impatiemment. Et ce faisant, je surprends son regard sourcilleux qui s'attarde sur mes épaules et mon torse. Une seconde incrédule me suffit pour comprendre ce qu'il veut dire : elle est déçue que je la remette. Peut-être qu'elle aime mon pull favori ?

Et peut-être aussi que je délire tout debout !...

Elle n'a pas bougé d'un pouce, indifférente au tableau légèrement équivoque que nous offrons de l'extérieur et qui attire les murmures subreptices, et je comprends qu'elle attend ma réponse, plantée là, juste devant moi. Je bas des paupières deux fois, hésitant encore à me remettre en marche pour la raccompagner en direction de Peckham.

— Qu'est-ce qui te fait croire que je pense ça ?

— Oh, vous avez jamais vu votre tête quand je sors un truc idiot !… plaisante-t-elle. Faites pas semblant de pas comprendre ce que je dis ! Vous êtes là, vous connaissez tout sur tout, et vous êtes déjà allé partout. Vous planez au-dessus de tout ça, comme un trapéziste, vous voyez ? Ces des mecs qui se jettent dans le vide et se rattrapent en donnant l'impression que c'est facile et que c'est rien à faire. Tellement gracieux, tellement classes…

Nouveau sourire débile de ma part. Moi, elle me trouve gracieux ? J'étouffe un ricanement rien qu'à l'idée et elle me tape sur le bras, un peu vexée, pour me faire arrêter. Oh, ma toute petite, elle croit que je me moque d'elle…

— Ma chère Rose Tyler, apprenez que j'ai la triste réputation de devenir vite dithyrambique envers les lémuriens crétins…

Et j'ajoute mentalement avec un regard sûrement trop direct : « Surtout s'ils te ressemblent ». On dirait qu'elle m'a entendu quand je l'ai pensé, parce qu'elle baisse aussitôt les paupières avec confusion. Ou en tous cas, elle rougit un peu par-dessus son coup de soleil, ce qui n'est pas rien.

— C'est quoi d'abord cette expression… 'dix tirs en biques' ?! Comme on dit, j'espère pour vous qu'aucun animal n'a été maltraité pendant le tournage…

Malgré moi, j'éclate d'un rire bref et sonore parce qu'elle m'a eu par surprise. Qu'est-ce qu'elle imagine donc que je pourrais faire avec ces pauvres bêtes… Oh non. Pitié. Elle est si jeune… Trop pour ne pas me pousser dans les cordes de vieux réflexes paternalistes. Ou disons éducatifs.

— Dithyrambique, c'est un adjectif qui veut dire… Oh et puis tiens, repasse-moi ton téléphone portable…

Paume levée devant moi, je la scrute en affichant une moue sévère. Cela me laisse un bref répit avant qu'elle ne sache ce que je pense vraiment d'elle.

Elle m'obéit aussitôt et elle ne devrait pas. Miséricorde ! Que son innocence et sa confiance sont capiteuses !… Elle m'obéit mais j'ai éprouvé une telle reconnaissance aujourd'hui quand elle m'a tenu tête en voulant épargner Cassandra… Certes je me suis montré des plus bornés mais je ne veux pas au fond qu'elle se laisse embobiner si facilement par mon numéro d'avaleur de sabre… Je ne veux pas qu'elle puisse s'empoisonner avec n'importe quelle amanite tue-mouches alien, parce qu'elle m'aura fait aveuglément confiance…

Je décapote l'arrière de son appareil et d'un simple réglage lumineux du sonique sur la pièce que j'ai ajoutée tout à l'heure, je lui installe en plus une connexion internet qui a dix ans d'avance, avant de lui rendre l'objet, d'un air probablement très suffisant et dont j'ai bien le secret.

— Cherche. Google est ton ami, maintenant.

Elle sourit aux anges, face à son petit galet communicant dont elle manipule les touches à une vitesse effarante. Je lis de l'admiration et puis de la joie quand elle lève le nez de son écran minuscule. Elle doit avoir lu la définition… Elle le rempoche très vite, passe son bras sous le mien et pose la tête sur mon épaule avant de m'entraîner dans la mauvaise direction.

— On y va ? demande-t-elle.

— Pour rentrer chez toi, c'est au sud. D'ici ça doit faire une petite heure à pieds…

— Non… glousse-t-elle tout bas. Si j'ai bien compris, il est quinze heures et ma mère ne m'attend pas avant dix-huit… Allons dans votre TARDIS… Quelque part ailleurs, encore… Vous me ramènerez à temps, n'est-ce pas ?

J'adore positivement qu'elle apprenne si vite mais… je crois qu'elle n'imagine pas un instant ce que c'est de vivre avec moi... Tout sauf une sinécure ! Et voilà que ça me reprend. « Vivre avec moi »… Ou comment je prends à peine mes désirs pour des réalités…

Pourtant, j'acquiesce d'un ton léger, parce que je n'ai pas envie de lui refuser quoi que ce soit et que je veux me faire pardonner.

— Tu voudrais voir le passé cette fois ? Quelque part où il fait plus beau ? En Italie ?

Les yeux brillants d'anticipation, elle opine vigoureusement et me ressert son sourire caractéristique : avec son impossible petit bout de langue aventureux qui pointe. J'allonge le pas bien malgré moi. Je vais l'emmener à Naples. On contemplera le coucher de soleil sur la baie, et comme ça la journée finira bien mieux qu'elle n'a commencé. En tous cas pour elle, car pour moi elle était… déjà fantastique.

.

Le TARDIS est en vue dans une ruelle en cul de sac. Je lui tiens la porte et je commence à lui parler du vestiaire en lui demandant de songer à choisir une tenue qui passera inaperçue en 1847… Elle part en trombe dans les couloirs du vaisseau sans presque écouter mes indications pour trouver la salle en question.

Quand elle revient enfin, je reste temporairement saisi par sa beauté. Sur des bottines lacées à talons évasés, elle porte une robe composée d'un long jupon de taffetas bourgogne, d'un corset noir emperlé de bakélite qui étrangle sa taille à la mode de l'époque, et – comme elle s'attend à un climat doux – ses épaules et sa gorge sont largement découvertes, tandis elle a relevé ses cheveux en chignon souple orné d'un nœud de tissu assorti.

Quand elle me remercie, c'est là que je comprends que j'ai parlé à haute voix. Avec un léger trouble que je peux tout à fait dissimuler, je la regarde nouer une petite cape très courte autour de son cou qui couvre la rondeur suave de ses appâts. Je lui souris pourtant quand elle m'asticote sur le fait que moi, je ne me suis pas changé. En fait, cela n'a aucune importance car personne ne saurait me remarquer alors qu'elle est si féminine à côté de moi…

Je l'entraîne vers la porte, et quand elle l'ouvre, elle tourne vers moi des yeux dubitatifs.

— Docteur, depuis quand il neige l'été en Italie ?

— Il a dû y avoir une petite erreur quelque part… réponds-je en refermant la porte du vaisseau, pas décidé à me laisser arrêter par quelques flocons inattendus.

J'ai le temps de la voir écarquiller les yeux avec un petit hochement de tête et un frisson qui lui fait resserrer sa cape…

— C'est rien de le dire… Vous avez promis l'été et on tombe en plein hiver… Par contre, c'est extraordinaire comme l'Italie de cette époque ressemble vraiment à l'Angleterre au 19e siècle…

J'étouffe un rire en lui tendant la une d'un journal que je viens de ramasser.

— C'est parce qu'on est à… Cardiff !

Son regard courroucé s'adoucit bien vite. Elle s'approche un peu plus de moi pour chercher à se réchauffer pendant que nous marchons dans la rue.

Je laisse faire, mais n'allez pas croire que j'en profite pour quoi que ce soit... Parce que je suis de la vieille école, et ce qui est pire, de celle de Gallifrey. Parce que des cris horrifiés viennent de retentir à quelques pas de là, nous signalant qu'une situation requérant toute mon attention est probablement en cours…

Et parce que pour ma pénitence, j'allais découvrir que je suis quand même le genre de gars qui n'embrasse pas avant le douzième rendez-vous.

.

FIN

 


 

Laisser un commentaire ?