Ad Vitam Aeternam

Chapitre 3 : Incompréhension.

3076 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/08/2022 05:50

La voute des arbres s’étendait sous ses yeux noisettes, formant des dômes fantasques, semblables aux arches des cathédrales ; une cathédrale végétale. Cette comparaison s’était imposée à son esprit, bien qu’il ne fût guère familier de ces lieux, n’ayant connu que la petite chapelle attenante au monastère près de Cordoan, où il avait vécu la majeure partie de sa vie. Les cimes étaient hautes ; si hautes que l’on ne pouvait qu’imaginer les sommets de ces arbres séculaires et par-delà, l’image d’un ciel d’azur, que l’on ne pouvait distingué d’en bas. Mais les cieux devaient être cléments, car les rayons du soleil caressaient délicieusement les traits de son visage. C’était apaisant ; c’était si tranquille. Peut-être même, était-ce trop tranquille. Le chant des oiseaux était d’une douce et reposante mélodie, à qui le souffle du vent dans les branches donnait la mesure. Qui aurait pu croire, qu’au-delà de Bréciliane, la guerre faisait rage ; que l’Engeance rasait tout sur son funeste passage ? Et pourtant…


Le jeune garde des ombres porta à ses narines, les pétales délicats d’une rose rouge écarlate, s’enivrant un instant de son parfum sucré et entêtant. Ce faisant, il repensa à Lothering, non sans une once de tristesse, s’interrogeant sur ce qu’il aurait pu faire de plus ; ce qu’ils auraient dû faire de plus. Première victime de l’échec conjoint du roi de Férelden et de la Garde des Ombres, le village n’était désormais plus que cendres et souvenirs émus, pour les rares survivants. Et pour Alistair, ce souvenir prenait vie dans la rose qu’il tenait en ce moment, dont la douceur caressait ses lèvres closes. C’était stupide ; c’était candide. Un moment de naïveté, dans la gravité de la réalité omniprésente, que d’avoir cueillit cette fleur à peine éclose, pour la soustraire à la destruction vulgaire et brutale de l’Engeance. Un instant de simplicité afin de conserver encore un peu de sa candeur juvénile, car tout ce qui faisait jusqu’ici sa vie était sur le point de changé. Tout ce qui faisait sa personnalité - fraîche, spontanée, mais non moins teinté d’absurdité – se voyait lentement, mais irrévocablement mise à mal par la situation inextricable, lui rappelant trop souvent que le monde vit dans une certaine forme de cruauté.


— Vous allez bien, Alistair ? le questionna une petite voix douce et chantante dans son dos, dont nul n’aurait pu soupçonné qu’elle appartenait à une si farouche compagne de guerre.


Tirant sa tête en arrière, les yeux noisettes du garde des ombres se tournèrent en arrière, sur la présence à ses côtés, détaillants les traits fins, délicats, quasiment angéliques de la jeune femme rousse. Dire que lui aussi s’était laissé berner par ces deux grands yeux bleus glacés et son apparence de dévote au service du Créateur ; qui n’aurait pas été berné après tout. Léliana et ses douces paroles, elles l’énervaient parfois, autant qu’elles pouvaient le rassuré de temps à autres. Surtout sa compassion et son empathie maladive qui, la poussait à se tracasser constamment d’autrui, s’immisçant ainsi comme un serpent enduit de miel dans l’intimité des gens. Toute cette pseudo douceur, illusion parmi tant d’autres, ne faisait qu’amplifier les souvenirs d’Alistair ; de désagréables souvenirs.

Il se revoyait enfant, propulsé malgré lui au sein de la Chanterie et acceptant mal d’être ainsi séparé de ce qui pour peu, formait la seule famille qu’il ait jamais eu. Les mielleuses paroles des sœurs et des frères, qui ne faisaient que déguisé les amères punitions qui suivraient ensuite, lui faisant regretter la brutalité animale des mabaris, avec lesquels il avait grandi jusque-là. Mis au pied du mur d’un destin tout tracé : ‘’Tu seras Templier, petit.’’ Quel immonde destin, que celui-là ! Oui, il aurait préféré rester à grandir parmi les chiens. Alors oui, la sœur chantriste, toute aimable soit-elle, avait l’art de lui hérisser les poils, simplement parce qu’elle lui rappelait toutes ces femmes en robe rouge et blanche de son enfance, et surtout celle contre laquelle il fallut se battre pour que soit accepté son départ pour devenir garde des ombres. Mais, il n’avait pas le cœur à faire des reproches à Léliana, pas alors qu’elle était la seule à l’avoir rejoint, ici, loin du campement des Dalatiens.


— Oui. Je pense. Répondit-il sans assurance, s’interrogeant en vérité lui-même, sur son état mental depuis le début de cette aventure ; cette mission suicide.


— Je peux ? Elle désigna du doigt, l’herbe à ses côtés, s’assurant sans doute, qu’elle ne le dérangerait pas de sa présence. Pour toute réponse, il acquiesça en silence et reporta son attention sur la voute des arbres, jouant à faire rouler la rose sur ses lèvres closes.


Le silence fût à nouveau troublé, par le bruit cliquetant de l’armure cloutée de Leliana, qui s’installait à ses côtés, sans ajouté mots. Même si, elle l'exaspérait parfois, sa présence lui était apaisante, voir réconfortante. Il n’en dirait pas autant des autres membres de leur éclectique groupe et camarades d’infortune. En effet, outre l’agaçante sœur chantriste et l’insupportable Morrigan, Ayël s’était attaché deux nouveaux compagnons. 


L’elfe avait ainsi recruté, Sten. Un puissant et intriguant guerrier Qunari, doublé d’un meurtrier de sang-froid, que la révérende mère de Lothering, avait laissé à pourrir dans une cage en bordure du village. Le géant n'inspirait guère confiance à Alistair, mais il devait admettre, que son sort fût loin d’être enviable ; voir même atroce. Rester enfermé, en attendant à coup sûr la mort par la main de l’Engeance, il connaissait plus réjouissant et, surtout moins humiliant pour un tel combattant. Toutefois, il s’était étonné que leur leader eut décidé de plaider en faveur du colosse face à la révérende mère ; il n’avait jamais montré d’empathie envers quiconque avant cela. Il ne mit cependant pas longtemps à comprendre, que l’un comme l’autre, avaient une approche assez similaire des choses. Sans parler de la redoutable efficacité du Qunari au combat. Rien que pour cela, même lui, aurait accueilli Sten avec plaisir. C’était donc moins par pitié, que par intérêt, que Sten demeurait parmi eux, afin de trouver l’expiation ; si toutefois, il la trouvait.


Le dernier venu, ils l’avaient accueilli quelques jours plutôt. Tandis qu’ils faisaient route vers Bréciliane ; leur petit groupe tombant dans une embuscade, dont ils eurent bien des peines de se sortir. Ainsi, lorsque tout fut fini, Ayël s’entêta à vouloir interroger le seul rescapé ; un elfe aux cheveux blonds et au visage marqué d’un étrange tatouage. En apparence, l’idée du garde des ombres était bonne et, les informations reçues digne d’intérêt, mais… de là à l’enrôler ?! Malgré certaines protestations, tout à fait fondées, le dénommé Zevran se joignit à eux ; pour réchauffer la couche d’Ayël selon ses dires ; grand bien lui fit. Néanmoins, Alistair ne pouvait contester que l’elfe citadin eût des utilités et ses talents utiles ; autre que celle de beau-parleur.


Le jeune homme n’avait pas été surpris, de se retrouver d’abord à quérir l’aide des dalatiens ; le contraire l’aurait étonné. Dès leur arrivée à Bréciliane, il s’était fait silencieux spectateurs de l’attachement d’Ayël aux siens ; ceux-là qu’ils ne reverraient sans doute plus. Au fond de son cœur encore trop émotif, il avait décelé une once de sympathie pour son antipathique compagnon. Un éclair fugace, qui fût mis à mal en quelques lieues parcourues à la fin.


— Vous êtes bien silencieux. Commenta Léliana, rompant le charme du silence. Ce n’est pas dans vos habitudes.


Pour toute réponse, le garde des ombres soupira longuement, sans mots dire. Oui, il était connu pour être un gai luron, un joyeux bavard et un intarissable plaisantin. Toutefois, il n’avait pas le cœur à cela en ce moment. En son esprit, il cherchait encore à vaincre les démons qui se moquaient de lui et de son utopie ; de lui et de son lamentable manque de confiance en lui.


Le monde est cruel ; cela avait toujours été une certitude pour lui. Il avait simplement décidé de lui tirer un constant pied de nez, en continuant à être désinvolte. Il n’aurait jamais cru, que ce fusse au cœur de la forêt, qu’il gouterait à une telle amertume.


— Je me demande simplement, si nous avons fait les bons choix… Dit-il à mi-voix.


Les dalatiens. Victime de l’attaque de loup-garou, leur Archiviste avait accepté de rejoindre le combat contre l’Enclin, à condition qu’ils règlent le problème de ces nuisibles. Cela ne semblait guère compliqué ; c’était surtout périlleux. Combattre des monstres était dans les attributions des gardes après tout et, même Sten s’était trouvé une raison à prendre part à cela. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’était de développer une certaine empathie pour ces créatures.


Dès l’instant où, Garrol leur avait adressé la parole à l’orée de la forêt, Alistair s’était interrogé sur le fond de cette mission. Plusieurs fois, il avait encouragé leur leader à réfléchir ; à ne pas foncer tête baissée ; à pouvoir entendre la voix de ces créatures.


— Ce sont des monstres, rien de plus ! Avait tonné Ayël, sur un ton qui ne souffrait aucune contre argumentation.


Le jeune homme s’était tût et avait battu en retraite, demeurant spectateur du drame qui s’était alors joué. Peut-être, que les loup-garou étaient des monstres, ou peut-être que les véritables monstres n’avaient pas toujours un visage cauchemardesque. Et si les monstres, les vrais, c’étaient eux ? C’est finalement la leçon, qu’Alistair avait tiré de tout ceci. Lorsqu’il avait découvert avec les autres, le fin mot de l’histoire. Parfois, les monstres n’étaient pas ceux que l’on croyait ; pas ceux que l’on a condamné par avance. Les pires créatures des ténèbres avaient parfois un visage bien humain et même, charmeur. Comme Ayël.


L’elfe n’avait pas fait grand cas des révélations, sur l’utilisation d’une magie proscrite, pour venger sa famille de Zathrian. Ce qui lui était arrivé était horrible, de cela le jeune garde des ombres n’en disconvenait pas, mais de là à condamner des générations entières ; de là à se condamner lui-même à un poison mortel perpétuel. Néanmoins, Alistair n’avait protesté que pour la forme, bien conscient de ne pas être écouté et, encore moins entendu. Face à l’attaque des créatures, il s’était défendu, tout en tâchant de ne pas prendre une vie, si ce n’était pour sauver la sienne.


Et lorsque tout fut fini, qu’en fin ils prirent la sortie de cet immonde endroit, là encore le dalatien le surpris. L’archiviste eût droit au même sort que les créatures, sous couvert de trahison, une fois qu’il se fut assuré que sa première saurait lever la malédiction sur son peuple. De cela, Alistair ne savait dire s’il était satisfait ou non ; si cela était un juste retour des choses ou un écart de plus sur la voie de l’humanité. Une première scission venait de se créer en son esprit et son cœur, entre lui et le reste du groupe.


— Il y en aura d’autres, avant la fin de cette histoire, Alistair. La voix douce de sa compagne du moment, le ramena à la réalité. Il serait sage de vous y préparer.


— Peut-être. Soupira-t-il, posant ses yeux noisette sur la rose, qui bientôt se fanerait. Ou alors, je peux continuer de nier la réalité, et vous embêtez tous autant que vous êtes. Un sourire taquin se dessina sur ses lèvres, tandis qu’il regardait Léliana.


Cette dernière lui sourit de concert, en une douce invitation à rester ce qu’il était, malgré les difficultés de cette époque sombres et troublées. En cela, il puiserait le réconfort dont il avait grand besoin et la stabilité, afin de ne pas flancher.


— Vous êtes ridicules, tous les deux. Commenta alors Morrigan, d’un ton acerbe et moqueur, alors qu’elle venait de les rejoindre. Deux enfants. Seriez-vous donc en train de compter les nuages ? Ou plutôt les feuilles des arbres. En voilà, une activité digne de la garde des ombres.


— Ah, Morrigan… Alistair poussa un soupire exaspérer et fatigué ; las du comportement de l’apostate. Je me demande ce que je ferais, si vous n’étiez pas là, pour me rappeler d’être adulte. Ah si, je serais sans doute beaucoup plus paisible et la vie me paraîtrait moins pénible.


Après tout, qu’est-ce que cela pouvait bien lui faire, qu’il soit allongé dans l’herbe, même à compter les feuilles des arbres ? Quand bien même, ce serait là son choix !


— Voyez-vous cela, le petit Alistair a appris à mordre désormais. Les loups-garous vous auraient-ils gratifiés de leurs largesses en matière de comportement ? La mage posa ses yeux si étranges sur les mains du jeune garde des ombres, avant de soupirer plus avant. Encore en train de vous morfondre avec cette satané fleur…


— Écoutez, Morrigan, ce n’est pas ma faute, si vous avez la capacité émotionnelle d’un dé à coudre. Lança un Alistair amer, tandis qu’il se remettait sur ses jambes et saisissait son paquetage, afin d’y accrocher la fleur. De toute façon, réjouissez-vous d’avance, cette fleur ne sera pas éternelle et sera bientôt hors de votre vue ! Alors, en attendant, laissez-moi profiter de ce que je trouve si beau, dans ce monde si laid.


— Donnez-moi ça, Alistair. Les yeux du garde fixèrent la main tendue de l’apostate ; les siens ne le lâchaient pas du regard.


Il y eut un instant un duel entre eux. L’impassibilité de Morrigan, contre l’incompréhension d’Alistair. La fermeté de la mage, face à la douceur candide et parfois puérile, du garde des ombres. Il ne voulait pas céder ; elle ne le lâcherait pas. L’un d’eux devrait pourtant se résigner et par avance, Léliana savait qui allait perdre. Il n’y eût pas un mot de plus échanger. La rose passa de la main tremblante de colère d’Alistair, à la paume ouverte et calme de Morrigan. Et dans le même mouvement, le jeune homme chargea son paquetage, avant de fuir la scène.


— Pourquoi faites-vous ça, Morrigan ? Demanda Léliana, à moitié curieuse et à moitié réprobatrice.


— J’espère l’aider à grandir, avant que les circonstances ne l’y force. Et ne me jugez pas, sœur Léliana, cela ne vous sied guère. Conclu l’apostate, avant de disparaître énigmatiquement dans les fourrés.


Le groupe reprit sa route le lendemain matin, abandonnant les dalatiens à leur forêt, avec leur promesse de leur venir en aide au moment venu. Combien de temps s’écoulerait-il, avant que leurs chemins ne se croisent à nouveau ? Seul le temps et la force de leurs convictions pourrait le dire. Le clan survivrait-il seulement à l’avancée des engeances ? Rien n’était moins sûre ; il y avait-il seulement quelque chose de certains en ce monde désormais la proie de la désolation. Il en était une en effet.


Ce soir-là, lorsqu’ils s’arrêtèrent, rompus de fatigue, Alistair comprit au moins une chose : il ne faut jamais juger un livre à sa couverture. Ce soir-là, lorsqu’il vit atterrir sur son couchage, la rose qu’il avait donné précédemment, à contre cœur, à Morrigan. D’incompréhension, il n’osa se saisir de la fleur ; cette dernière once de beauté dans Férelden bientôt en flammes. Les mots de l’apostate, à cet instant, il les garderait à jamais dans son esprit.


— Tant que vous vivrez, elle vivra aussi. Et ne me demandez pas comment j’ai fait, ou je vous traite d’imbécile jusqu’à votre trépas, Alistair. Lança-t-elle de son ton hautain et supérieur, lui signifiait que malgré tout, c’est ainsi qu’elle le voyait.


— C’est donc, que malgré tout, vous avez un cœur, Morrigan ? Répondit Alistair avec effronterie, malice et une once de taquinerie. La mage soupira largement, avant de lui tourner le dos pour s’en retourner à son couchage. Merci, Morrigan.



Le jeune garde des ombres ne sût jamais, si elle l’avait entendue. Peut-être voulait-il croire, qu’elle ne l’avait pas entendu, afin que jamais elle ne crut qu’il se sentait réellement redevable envers elle. Toujours est-il que, malgré toutes leurs chamailleries passées et à venir, le jeune homme se rappelait à chaque fois ce cadeau, qui l’empêchait d’aller trop loin. Jamais, il ne l’interrogea sur la façon dont elle s’était prise pour ensorceler cette rose. Afin de ne pas en savoir de trop et d’éviter de trahir bien des choses ; parce qu’il le savait pertinemment au fond de lui.


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