Inquisition

Chapitre 0 : Prologue

2175 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/06/2025 22:06

Voilà deux jours que la Divine était au Saint temple cinéraire à Darse et Lédara ne s’était toujours pas décidée à aller la voir. C’était pourtant l’occasion pour elle de la remercier d’une aide qui lui avait été précieuse, il y avait de cela presque dix ans. En effet, la Divine, anciennement révérende mère Dorothéa, lui avait donné sa bénédiction pour quitter le carcan de la Chantrie et vivre librement sa vie, loin de ses obligations familiales imposées par ses origines nobles des Marches Libres.

C’était à présent l’occasion idéale, et peut-être la seule qui lui serait donnée, de revoir mère Dorothéa. Celle-ci, dorénavant à la tête de la Chantrie du Sud de Thédas, avait organisé un Conclave à Darse, dans un lieu hautement symbolique qui avait, dit-on, abrité les cendres de la Sainte Prophétesse Andrasté elle-même. Cette réunion devait rassembler les dirigeants de deux camps s’opposant dans une guerre civile qui faisait rage depuis plusieurs mois dans tout Thédas : les mages et les templiers.

Cela faisait bien longtemps que les relations entre les mages et les templiers n’étaient plus au beau fixe : les mages, à cause de leur don pour manipuler la magie, étaient envoyés depuis leur plus jeune âge dans des Cercles afin qu’ils apprennent à contrôler leurs pouvoirs. Seulement, une fois entrés dans un Cercle, ils ne pouvaient plus en ressortir que pour certaines occasions exceptionnelles et ce toujours sous haute surveillance des templiers. En effet, ceux-ci avaient la charge de garder les Cercles et de chasser les mages dits « apostats », les mages vivant en dehors des Cercles, considérés comme dangereux. Les templiers étaient formés aux arts du combat et étaient réputés pour être les meilleurs combattants de tout Thédas. Mais ils étaient également dépendants de la Chantrie qui avait la mainmise sur tous les Cercles, car les templiers possédaient un pouvoir particulier qui consistait à annihiler toute forme de magie, et ce pouvoir, c’était la Chantrie qui le leur procurait sous forme de lyrium. Cette substance bleutée qui jaillissait en cristaux dans les roches au plus profond de la terre possédait différentes qualités suivant son utilisateur ; cependant, celle-ci créait une dépendance inexorable pour son consommateur. Néanmoins, sans le lyrium, les templiers ne seraient que de simples soldats rompus au combat.

Ainsi, les relations entre mages et templiers ressemblaient plus à une relation prisonnier-geôlier qu’à la relation apprentis-protecteurs qu’avait souhaitée la prophétesse à l’origine de la fondation de la Chantrie : la Sainte Andrasté. Suite aux événements de Kirkwall dans les Marches Libres, les mages s’étaient soulevés contre l’ordre établi ce qui avait engendré cette guerre qui ravageait depuis plusieurs mois tous les royaumes de Thédas.

Lédara sortit de la petite chambre qu’elle avait louée dans la seule auberge du village de Darse, qui s’avérait être une taverne accueillante, laissant derrière elle son arc de chasse mais ayant tout de même caché un petit couteau sous son manteau, glissé à sa ceinture. Le Conclave avait certes pour but de rétablir la paix entre les mages et les templiers, la tension entre les deux camps n’en restait pas moins palpable dans toute la région et jusque dans les ruelles terreuses du village de pèlerins. Elle descendit les escaliers pour rejoindre le rez-de-chaussée où le bruit des conversations retentissait. De nombreux hommes et femmes étaient attablés dans la grande salle de la taverne, buvant une chope de bière ou mangeant un casse-croûte préparé par la belle tavernière blonde. Celle-ci salua sa cliente lorsqu’elle l’aperçut avant de reprendre son plateau pour servir une nouvelle tablée. Lédara lui rendit son salut puis jeta un œil discret sur les différents visages présents. Passablement de templiers se détendaient ici, alors que quelques mages se tenaient dans un coin de la pièce, craintifs. La Divine Justinia avait instauré un cessez-le-feu précaire dans le village : aucun des deux camps ne devait s’affronter que ce soit physiquement ou verbalement afin de maintenir un semblant d’ordre. Toutefois, Lédara remarqua que certains soldats n’appartenaient à aucune des deux factions ; ils arboraient une tenue sobre, certains en plate et d’autres en cotte de mailles, mais tous possédaient gravé sur un insigne un emblème inconnu d’une épée transperçant un œil rayonnant.

Sans insister trop sur son inspection des lieux afin de ne pas attirer l’attention sur elle, Lédara sortit de l’auberge l’air contrarié, ne trouvant pas ce qu’elle cherchait depuis son arrivée à Darse. A l’extérieur, l’air était froid, il avait à nouveau neigé toute la nuit et une épaisse couche de neige recouvrait le toit des chaumières et de l’église de la Chantrie qui siégeait sur la colline du village. La jeune femme s’emmitoufla dans sa large écharpe de laine beige et en fit un petit capuchon afin de couvrir sa longue chevelure roux sombre retenue en une longue tresse, se cachant des regards curieux, puis prit la route du Saint temple cinéraire.

C’était un long chemin arpentant la montagne mais parfaitement balisé d’une route dallée et de petits tertres de pierres surmontés d’un feu pour les pèlerins qui souhaitaient voyager de nuit. Elle marchait d’un pas vif malgré l’air glacial qu’elle inspirait car elle souhaitait atteindre le Saint temple au plus vite. Elle espérait y trouver enfin ce qu’elle cherchait en même temps qu’elle ferait le détour pour rencontrer la Divine, si on le lui permettait car aborder les grandes prêtresses de la Chantrie avait été proscrit depuis l’assassinat de la Grande prêtresse Elthina à Kirkwall il y avait de cela quelques mois. Alors obtenir un rendez-vous avec la Divine serait sûrement impossible, mais Lédara n’avait pas l’habitude de se laisser démonter par les difficultés qu’elle pouvait rencontrer.

Une fois arrivée devant l’enceinte du Saint temple, Lédara fit la queue pour son enregistrement dans les répertoires des visites, passage obligatoire pour les pèlerins pour toute la durée du Conclave en ces lieux. L’endroit était fortement gardé par les templiers de la Flèche Blanche, le Cercle de Val Royeaux en Orlaïs où trônait également la Grande Cathédrale qui abritait le siège de la Divine. Toutefois, ils ne devaient plus être très nombreux au service de sa Sainteté suite à la rébellion des mages puisque les templiers étaient partis les chasser aux quatre coins de Thédas. On pouvait également apercevoir quelques groupes de mages disséminés, sur leurs gardes et ne se promenant jamais seuls.

Ce fut le tour de la jeune femme de s’enregistrer auprès du gardien. C’était un prêtre chantriste d’une cinquantaine d’années, les rares hommes qui intégraient la Chantrie occupant exclusivement des postes administratifs.

-    Votre nom, grinça le prêtre d’une voix nasillarde.

-    Lédara Margaret Trevelyan, répondit la jeune femme.

-    Hmm, Trevelyan… marmonna le vieil homme, des Marches Libres ? Une famille très pieuse et respectée. Vous venez participer au Conclave ?

-    Euh oui, répondit Lédara avec hésitation.

-    Je vois en effet que vous êtes sur la liste, Trevelyan, là…

Le prêtre lui montra un parchemin officiel contenant la liste des personnes invitées à participer au Conclave. Il n’y avait pas de prénom spécifié à côté de son nom de famille, une chance se dit-elle.

-    En effet, je suis la déléguée de la famille Trevelyan, dit-elle avec une fausse assurance.

La jeune femme sortit de son manteau une petite chevalière en or massif qui portait le blason de sa famille. Le vieil homme marqua une légère pause, observa la bague, puis examina de haut en bas la Marchéenne qui avait plus l’air d’une vagabonde que d’une noble dame des Marches Libres avec son manteau et ses bottes de cuir usés ainsi que sa large écharpe qui l’encapuchonnait, masquant ses cheveux et assombrissant son visage.

-    Signez ici, grinça-t-il à nouveau en désignant la marge du document. Possédez-vous une ou plusieurs armes sur vous ?

-    Non, répondit Lédara sans hésitation cette fois-ci.

Elle saisit la plume que le prêtre chantriste lui tendait et apposa sa signature d’un trait léger et élégant qui le convainquit, la laissant ainsi entrer dans l’enceinte du temple.

Dès qu’elle eut passé les hautes portes du bâtiment principal, Lédara retira sa capuche par respect pour ce lieu saint, puis s’adressa à un autre prêtre qui semblait s’occuper de l’accueil des participants au Conclave. Elle demanda alors une audience avec la Divine, ce qu’il ne lui refusa pas. Toutefois, elle devait attendre qu’il soit allé la voir avant de pouvoir elle-même se présenter à elle. La jeune femme attendit donc dans l’immense hall où les pas et les murmures résonnaient entre les colonnades de marbre gris. Elle observa à nouveau les différents visages présents, cherchant une personne en particulier, mais fut à nouveau déçue de ne pas trouver ce qu’elle cherchait désespérément depuis le début.

Le prêtre se présenta à nouveau à elle, lui annonçant que la Divine acceptait de lui tenir audience dans ses appartements privés. Il ne pouvait l’y accompagner car de nouveaux arrivants requéraient son aide, mais lui indiqua brièvement le chemin. Elle hocha la tête en guise de remerciement et quitta le hall pour rejoindre les appartements réservés à la Divine.

Au détour d’un couloir, Lédara fut surprise de croiser la route de deux étranges personnes : le premier semblait être un soldat, mais son armure n’était pas celle d’un templier. Il était accompagné d’une femme encapuchonnée dans une large toile de lin mauve qui cachait son visage, avec une étrange cotte de maille d’une élégance et d’un raffinement rare sur un champ de bataille. Ces deux-là ne semblaient appartenir à aucun des deux camps en guerre ; ils ne portaient pas d’emblème de la Chantrie non plus, toutefois l’insigne était le même que celui porté par les quelques soldats que la jeune Trevelyan avait remarqués à la taverne. Elle ne put s’empêcher de dévisager le soldat, notant ses traits féreldiens vaguement familiers et une cicatrice qui fendait sa lèvre supérieure, ce qui le rendait plutôt séduisant. 

Le soldat se retourna sur son passage, remarquant cette femme qui le dévisageait discrètement, mais de manière trop insistante à son goût.

-      Un problème, Commandant ? demanda la femme encapuchonnée.

-      Non, simplement cette femme que nous venons de croiser, elle m’a étrangement dévisagé et j’ai l’impression de la connaître.

-      Voulez-vous que j’enquête ?

-      Ce ne sera pas nécessaire, Léliana, se ravisa le Commandant. Elle doit sûrement faire partie de la Chantrie.

-      Ce n’est pas certain, je me renseignerai tout de même. Bien, vous me parliez des troupes en cours de formation.

-      Oui, cela avance. Même si l’Inquisition n’a pas encore été proclamée officiellement, des recrues se présentent spontanément. J’espère tout de même que le Conclave aboutira à une paix entre les mages et les templiers, et qu’elle ne sera pas nécessaire.

-      Comme nous tous, Commandant. Cependant, je suis moins optimiste que vous sur l’issue de cette assemblée.

Ils continuèrent leur discussion tout en quittant le Saint temple, mais le Commandant ne put se détacher du souvenir de cette femme. Il savait où il l’avait rencontrée pour la première fois… ses cheveux couleur de l’aube, il ne les avait jamais oubliés.

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