Inquisition
- Tu ne t’en tireras pas comme ça, Florianne !
- Prépare-toi à mourir, Inquisitrice ! En garde !
- Mais non ! s’écria la jeune fille à sa petite sœur, elle aurait jamais dit ça, la duchesse !
- Pardon Shanna, marmonna la petite fille toute penaude.
- Bon, remets-toi en place Atala, on recommence, lui dit la jeune fille de quinze ans.
La petite sœur souleva sa petite épée de bois, mais ne semblait plus avoir d’entrain pour leur jeu et observa un court instant la plus haute tour de Fort Céleste ; de la cour inférieure où soldats, éclaireurs, marchands et nobles allaient et venaient, celle-ci semblait inaccessible et magnifique parce qu’elle abritait les appartements de l’Inquisitrice Trevelyan. Il arrivait d’ailleurs qu’on l’aperçoive sur son balcon, tôt le matin, qui observait le fort à son réveil.
- Pourquoi c’est toujours toi qui joue le rôle de l’Inquisitrice ? lança alors la petite fille à sa sœur, exaspérée et jalouse.
- Parce que je suis l’aînée et c’est moi qui décide ! rétorqua Shanna.
- Elle n’a pas tort, intervint un jeune garçon qui jouait avec elles, tu prends toujours le meilleur rôle, alors que nous, on joue toujours les méchants. J’aimerais bien faire autre chose que Corypheus…
- Stephen a raison, et moi autre chose que le dragon, renchérit un autre garçon.
- Moi, ça me va, haussa des épaules encore un autre, du même âge que Shanna.
- Normal Anton, quand tu daignes jouer avec nous, tu as le rôle du Commandant ! rétorqua Stephen.
Anton, adossé à un petit muret de pierres, sourit en lançant une pièce dans les airs et la rattrapant avec habileté entre ses doigts et répondit :
- On a la classe ou on ne l’a pas.
- Hé ! les amis ! s’écria un garçon qui courait à travers la cour à leur rencontre.
- Qu’est-ce qu’il y a, Daron ? lui demanda Shanna exaspérée.
- Une troupe revient de mission, dit Daron tout essoufflé, C’est peut-être l’Inquisitrice !
Tous les enfants eurent le visage illuminé à la perspective de voir l’Inquisitrice de près. Ils lâchèrent leurs accessoires de bois, épées, casques, protections, et coururent en direction du pont levis. Mais dès qu’ils arrivèrent devant les portes grandes ouvertes, deux soldats leur barrèrent la route :
- Reculez et laissez passer, les mômes, dit l’un des soldats.
Les enfants reculèrent, laissant le passage libre aux arrivants. Leur déception fut grande quand ils s’aperçurent que ce n’était qu’un groupe d’éclaireurs qui revenait de mission et qui allait faire son rapport à la Maître-espionne. Le petit groupe s’en retourna dans la cour ramasser leurs jouets, triste de ne pas avoir pu rencontrer l’Inquisitrice.
Tous ces enfants étaient arrivés avec leur famille après la fuite de Darse à l’exception d’Anton qui était le seul à avoir vécu la catastrophe. Tous les autres étaient fils et filles de marchands ou d’hommes et de femmes qui avaient rejoint l’Inquisition après avoir entendu parler des exploits de la Messagère d’Andrasté et de sa nomination en tant qu’Inquisitrice. Venus avec leur famille, leurs enfants s’intégrèrent à la vie de Fort Céleste, certains encore trop jeunes pour entrer dans l’armée ou devenir agent à part entière. C’était entre ces hauts murs que le petit groupe se rencontra et se lia d’amitié, jouant ensemble quand ils avaient fini les tâches domestiques qui leur incombaient.
Anton, le plus âgé de la bande avec Shanna, dit alors aux autres de le suivre. Une fois que le passage par le pont levis fut libre, les six enfants partirent en direction des terrains d’entraînement installés à l’entrée de la forteresse, après le large pont aérien. Ils restèrent cependant à bonne distance et le garçon emmena ses amis sur un petit promontoire à l’abri des regards d’où l’on pouvait observer les soldats s’entraîner. Tous se cachèrent et observèrent la vue : le terrain avait été divisé en plusieurs parties, la première était dédiée aux archers à l’orée de la forêt de pins enneigés où des cibles avaient été accrochées ; par petits groupes des archers partaient dans la forêt suivant un parcours précis et semé d’embuches et de cibles à atteindre. A quelques pas des archers se trouvaient les mannequins d’entraînement déjà élimés par les coups d’épée des futurs soldats. Enfin, de l’autre côté de la route se trouvait l’arène : un immense espace en cercle avait été libéré et protégé par une barrière de bois autour de laquelle des soldats attendaient leur tour. Au centre de l’arène, deux soldats armés de boucliers et d’épées s’entraînaient en duel, arbitré par un soldat à l’allure imposante.
- Regardez, fit Daron aux autres, c’est le Garde Blackwall !
- Plus que deux jours et je pourrai me présenter aux entraînements, dit alors Anton qui observait avec envie le duel.
- Pourquoi pas maintenant ? demanda la petite sœur de Shanna.
- Parce que mes parents refusent tant que je n’ai pas encore seize ans, répondit-il sombrement. Mon père m’avertit à chaque fois qu’il rentre de mission que ce n’est pas une vie facile, mais je veux le faire… je suis décidé à aider l’Inquisition.
- Je me présenterai avec toi, Anton, lança Daron, galvanisé par la vue de tous ces soldats.
Un court silence se fit, tous les compagnons d’Anton admirant sa détermination. Ce dernier leur avait finalement raconté ce qu’il s’était passé à Darse après les supplications véhémentes de ses camarades. Sa famille et lui habitaient Darse depuis plusieurs générations et son père était absent ce jour-là. Il était devenu éclaireur pour le compte de la Maître-espionne dès la création de l’Inquisition, alors petite organisation avec peu de moyens. Anton restait à Darse et aidait les réfugiés avec sa mère. Cependant, dès qu’il avait un moment, il n’avait cessé d’observer la formation des recrues à l’art de la guerre. Il s’était déjà entraîné plusieurs fois avec des amis de son père qui avaient accepté de lui enseigner les bases, mais n’avait pu intégrer officiellement l’armée sous l’ordre de son père.
Le lendemain du jour où la Messagère avait refermé la Brèche, lorsque l’armée des templiers rouges envahissait le village et que le dragon de l’Ancien incendiait tout sur son passage, il avait fui avec les autres habitants et les réfugiés. Il avait été dans les derniers à rejoindre la Chantrie, et quand il avait vu que sa mère avait été prise au piège dans sa propre maison en flammes, il n’avait pu se résoudre à la laisser mourir, malgré la présence des templiers rouges enragés. Il avait alors essayé d’ouvrir un passage, mais la porte était restée bloquée, et il entendait les cris de sa mère et de son petit frère derrière. Ce fut à ce moment-là que la Messagère d’Andrasté était arrivée avec ses compagnons. Le Garde Blackwall avait défoncé la porte de son bouclier sous son ordre et elle était entrée dans la bâtisse en feu pour en ressortir avec sa mère et son frère. La Messagère leur avait alors ordonné de rejoindre la Chantrie et Blackwall les y avait accompagnés.
Anton avait vu la Messagère entrer dans la Chantrie, puis en ressortir avec quelques-uns de ses compagnons après une discussion avec le Commandant de l’Inquisition. Il ne savait alors pas ce qui se passait et avait suivi les ordres de l’ancien templier et tous s’étaient échappés par les tunnels abandonnés du Saint temple cinéraire. Ce n’était qu’une fois arrivés de l’autre côté de la montagne et qu’ils avaient entendu un grondement qu’Anton avait compris que la Messagère s’était sacrifiée pour les sauver. Dès ce moment, il avait pris la décision de s’engager dans l’Inquisition, et lorsqu’il avait aperçu la jeune femme à moitié morte dans les bras du Commandant, cela ne fit que renforcer son intention. Le Créateur la protégeait, cela valait la peine de risquer sa vie pour la cause qu’elle défendait.
- Eh bien moi, je me présente demain devant Maîtresse Dila, lança soudain Shanna pour attirer l’attention sur elle, et je pourrai voir l’Inquisitrice tous les jours.
- Sauf quand elle est en mission, lui fit remarquer Anton, ce qui est très souvent le cas.
- Ma mère travaille déjà pour elle, rétorqua Shanna, elle est l’une de ses couturières. Elle la voit souvent. Je pourrai sûrement obtenir une bonne place.
- Maman dit que la dame Inquisitrice est très « humble et modeste », récita de mémoire la petite Atala, et que tu devrais en « prendre de la graine ».
Ils riaient tous de Shanna quand soudain ils virent tous les soldats et archers s’arrêter dans leur entraînement, rengainer leurs armes et s’aligner en larges rangs le long de la route par section : les archers et manieurs de petites lames d’un côté, les combattants au bouclier de l’autre. Le Garde Blackwall aboyait des ordres par-ci par-là, mais tous les hommes et femmes obéissaient sans se faire prier. Ainsi rassemblés, ils paraissaient encore plus nombreux, des centaines, un millier.
- Regardez ! fit Daron en pointant du doigt l’entrée de la forteresse.
Un homme vêtu d’un manteau en veston surmonté d’une large cape de fourrure rouge sombre élégamment drapée sur ses épaules et retenue à la ceinture, l’épée au côté, marchait d’un pas assuré en direction des troupes réunies ; il était accompagné de deux autres soldats dont un éclaireur. Quand il arriva devant les soldats, ceux-ci le saluèrent solennellement sur son passage.
- Le Commandant Cullen, murmura Shanna en soupirant.
L’ancien Chevalier-capitaine s’arrêta au niveau du Garde Blackwall, observa les recrues et soldats puis, d’un geste bref de la main, leur fit reprendre l’entraînement. Tous les soldats reprirent leur place et l’activité qu’ils avaient laissée. Le Commandant resta auprès du Garde, échangeant quelques paroles tout en donnant un parchemin à l’éclaireur qui l’accompagnait qui repartit en courant à la forteresse. Un autre éclaireur surgit auprès de lui, amenant un autre parchemin que Cullen ouvrit, parcourut du regard et replia rapidement. Il congédia l’éclaireur et continua son inspection des troupes :
- Comment se passe l’entraînement au bouclier ? demanda le Commandant en se tournant du côté de l’arène.
- Ça avance, répondit Blackwall, les recrues sont motivées et apprennent vite. Votre présence les motive encore plus, et je pense qu’une visite de l’Inquisitrice aurait un impact conséquent sur eux. Je me souviens quand elle s’entraînait à Darse parmi tous les autres, les recrues avaient ensuite l’impression de pouvoir soulever des montagnes !
- Je comprends ce que vous voulez dire, répondit Cullen, je lui en toucherai un mot à son retour. Continuez comme ça, c’est du bon boulot.
- Merci, Commandant, fit Blackwall avec fierté.
Cullen jeta un dernier regard sur les terrains d’entraînement, satisfait, puis s’en retourna à la forteresse. Sur la route, il ressortit la lettre qu’il venait de recevoir ; il avait tout de suite reconnu l’écriture rapide et élégante de Lédara. Arrivé sur le pont aérien, il ralentit et commença à lire attentivement le parchemin :
Cullen,
Nous sommes arrivés dans les Plaines Exaltées et avons déjà rallié les remparts sud. La région est très instable, on ne peut faire un pas sans rencontrer un démon ou des déserteurs agressifs, les mêmes qui se faisaient appeler « les Hommes Libres de Dalatie » aux Tombes Emeraudes. Plusieurs failles ont été signalées, et on dirait que cela fait un moment qu’elles sont ouvertes vu le nombre de démons que nous avons déjà croisés. Mon séjour ici risque de s’allonger quelque peu au vu des détours que cela me fait faire, mais je fais mon possible pour régler le problème au plus vite.
Pour ce qui est des communications rompues, la situation est étrange et je soupçonne une manigance de Corypheus derrière tout cela : quand nous sommes arrivés aux premiers remparts, l’emplacement semblait désert, seul un petit groupe de soldats orlésiens combattait des cadavres, comme ceux rencontrés à Boscret. J’ai d’abord cru à une faille d’où les esprits sortiraient et posséderaient les corps du champ de bataille, mais quand nous avons exploré les remparts, un lieu était protégé par une barrière magique. Lorsque nous avons réussi à briser la barrière, nous avons constaté que c’était une sorte de fosse ; nous y avons mis le feu, les cadavres ont alors cessé de se réveiller. Solas pense à un sort puissant lancé pour semer la pagaille dans les rangs orlésiens.
Je vais enquêter sur ce phénomène, et j’imagine retrouver cette situation aux autres remparts. Un contingent de soldats s’était barricadé dans les tranchées souterraines, ils réinvestissent maintenant les lieux et les volontaires nous accompagnent aux prochains remparts.
Je vais bien, ne vous inquiétez pas.
Je vous embrasse,
L. T.
Cullen esquissa un sourire : elle était aussi factuelle qu’il pouvait l’être dans ses écrits. Il replia la lettre et la rangea dans sa ceinture avant de reprendre sa route en direction de son bureau.
Le lendemain, Shanna s’était levée aux aurores car c’était pour elle une journée importante : c’était aujourd’hui que Maîtresse Dila choisirait une nouvelle main pour entrer au service de l’Inquisitrice. Sa mère lui donnait ses derniers conseils avant que la jeune fille ne rejoigne la salle de réunion des domestiques.
- Ne te réjouis pas trop vite, ma fille, disait-elle en coiffant Shanna, il y a beaucoup de candidats et je n’ai pas su quel poste allait pourvoir la personne qui serait choisie.
- Ne vous inquiétez pas, ce sera moi, fit la jeune fille trop sûre d’elle.
- Moins d’égoïsme et plus de modestie, répliqua sa mère.
- Pardon, Maman.
- Allez, va, ne te mets pas en retard.
Shanna embrassa sa mère et courut en direction de la salle de réunion où une trentaine de jeunes gens attendaient déjà. Au fond de la salle se trouvait une petite porte qui s’ouvrit soudainement, laissant entrer quatre personnes : la première s’avança devant la foule qui attendait, c’était un grand homme robuste à la barbe rousse.
- Pour l’armurerie, suivez-moi, dit-il d’une voix bourrue.
Une dizaine de jeunes garçons et quelques filles se regroupèrent derrière lui et le suivirent à l’extérieur. Ensuite, un autre homme, bien plus jeune que le premier s’avança, élancé et un peu frêle :
- L’intendance, c’est par ici, fit-il presque hésitant.
Cinq autres candidats se réunirent et partirent par la petite porte avec l’Intendant. Ce fut au tour d’une femme à l’allure imposante de faire son annonce :
- Les cuisines, on se regroupe ! lança-t-elle d’une voix forte et éraillée.
Neuf autres personnes sortirent de la salle avec la Cheffe des cuisines. Il ne restait plus que quatre jeunes filles dont Shanna qui attendait d’être appelées. La quatrième personne, une elfe vêtue simplement mais avec une assurance rayonnante, se dirigea alors vers elles, se présentant :
- C’est pour le service, je présume ? Je suis Dila.
Les quatre jeunes filles hochèrent la tête, intimidée par la prestance de l’elfe.
- Suivez-moi, continua l’elfe en se détournant des quatre candidates.
Toutes la suivirent sans discuter ni poser de questions, sachant que la sélection allait commencer, et avait même peut-être déjà commencé. Elles passèrent la petite porte et s’engouffrèrent dans un long couloir débouchant dans les cuisines.
- Bien, fit Dila tout en continuant sa route d’un pas rapide, je recherche une petite main, c’est-à-dire que plus vous savez faire de choses différentes, mieux c’est. Nous voici dans les cuisines, mémorisez où elles se trouvent et comment y aller. Et prenez ces plateaux avec vous.
Dila désigna une série de plats avec des petits en-cas. Les quatre jeunes filles regardèrent autour d’elles de plus en plus anxieuses, tentèrent de se créer des points de repérage et chacune prit un plateau. Shanna connaissait bien les cuisines car elle y allait souvent pour récupérer les petites madeleines que sa sœur aimait tant. Elle se retrouva avec deux plateaux et les prit sans rechigner. Le petit groupe de femmes se dirigea ensuite vers une volée d’escaliers montant dans les étages du bâtiment principal et arriva sur une coursive donnant sur le jardin intérieur de Fort Céleste. Le long de la coursive se trouvaient toute une série de portes.
- Nous voici dans les quartiers des invités, annonça Dila en s’arrêtant et se tournant brièvement vers les quatre jeunes filles, c’est l’endroit le plus calme de la forteresse, hormis les quartiers de l’Inquisitrice et la salle de Commandement. C’est ici que nous logeons les nobles et invités de l’Inquisition. Chaque chambre doit être prête à tout moment à recevoir et un service est fourni durant tout le séjour de chacun des invités. Ce dernier doit être impeccable : qui peut me dire ce qu’elle ferait pour un tel service ?
Les quatre jeunes filles réfléchirent à toute allure et une jeune elfe blonde leva vivement la main, manquant de faire tomber son plateau :
- Dans un premier temps je me renseigne sur les moments où la chambre est vide pour pouvoir y faire les lits, passer les poussières, ordonner les affaires si nécessaire, lança la petite elfe, puis je me tiendrais à la disposition discrète des invités s’ils ont des envies particulières, fringales nocturnes, plats spécifiques…
- Un bon point pour toi, dit Maîtresse Dila.
Shanna se mordit la lèvre, mécontente de n’avoir pas répondu plus vite.
- Le service doit être impeccable, reprit Dila en reprenant sa route, non pas parce que ce sont des nobles, mais parce que nous véhiculons l’image de l’Inquisition et que c’est la plupart d’entre eux qui nous financent. Ainsi, nous aidons à notre manière l’Ambassadrice dans les relations diplomatiques.
Dila fit porter les plateaux dans chacune des chambres et rebroussa chemin par la volée d’escaliers, bifurquant cette fois-ci du côté de la Rotonde et des volières.
- Si vous êtes envoyées dans cette partie du fort, ne touchez pas aux oiseaux, lança Dila, laissez les éclaireurs s’en occuper et vous donner le message requis. C’est à eux que vous délivrez votre rouleau, ils s’occuperont de l’envoi. Ces oiseaux sont très précieux à la Maître-espionne, c’est elle qui les élève.
Dila emmena ensuite ses candidates dans la bibliothèque de la Rotonde. Celle-ci regorgeait maintenant de livres et l’ambiance était entièrement vouée à l’étude. On y croisait beaucoup de mages qui y avaient un libre accès, ainsi que l’Enchanteresse Vivienne et le mage tévintide Dorian Pavus, fidèle compagnon de la Messagère. Quelques templiers parcouraient les lieux en toute discrétion, rendant leur présence la moins pénible possible aux mages selon les instructions de l’Inquisitrice. Ces derniers étaient d’ailleurs eux-mêmes des érudits profitant de la bibliothèque, les templiers lourdement armés ne surveillant que les accès du quartier des mages.
- Hé Dila ! lança Dorian en voyant l’elfe passer. Alors, ce sont vos petites ouailles ou vos petites oies ?
- Dorian, rit Maîtresse Dila en s’arrêtant à sa hauteur, on a besoin d’une petite main polyvalente.
Dila désigna le groupe de jeunes filles.
- Si cela ne tenait qu’à moi, fit le mage avec un clin d’œil, je les engagerais toutes.
- Oui, eh bien vous n’êtes pas moi ! J’ai un budget à respecter.
- Alors bonne visite les filles, lança Dorian avec un sourire charmeur.
- Merci, répondirent timidement les quatre jeunes filles avec une petite révérence.
Dila reprit sa route en continuant la présentation des lieux, puis s’arrêta soudain :
- J’ai besoin d’un exemplaire des Marches exaltées : examen des méthodes militaires chantristes de sœur Pétrine, lança-t-elle, trouvez-le-moi.
Les quatre filles se regardèrent un court instant, puis partirent toutes à la recherche de l’ouvrage dans les rayons de la bibliothèque. Shanna savait lire, mais elle ne connaissait pas du tout l’ordre de rangement de la bibliothèque et décida de demander. Elle s’approcha du mage tévintide qui la regardait du coin de l’œil.
- Oui ? dit Dorian lentement, avec son éternel sourire charmeur.
- J’ai besoin d’un ouvrage, dit timidement Shanna, mais je ne sais pas où le trouver…
- Son titre ?
- Marches exaltées : examen des méthodes militaires chantristes de sœur Pétrine...
- Voyons voir, dit le mage en se tournant vers les rayons.
Il fit quelques pas le long du couloir de la Rotonde, puis s’arrêta devant un rayonnage qu’il parcourut du bout des doigts et en sortit un lourd volume.
- Le voici, jeune fille.
- Je vous remercie, Seigneur Pavus, dit Shanna les joues rouges de timidité.
- Appelez-moi Dorian, ma chère, dit-il avec un clin d’œil amical.
- Merci Dorian, fit-elle en souriant.
Shanna retourna auprès de Dila et lui présenta le livre. Les autres candidates, quand elles virent que les recherches ne servaient plus à rien, revinrent auprès de l’elfe.
- Bonne présence d’esprit, fit Dila, ton nom ?
- Shanna, ma dame.
- Shanna a tout simplement demandé à quelqu’un de plus expert qu’elle pour trouver rapidement l’ouvrage. Bon point pour toi, Shanna.
La jeune fille exulta intérieurement ; elle était en bonne voie. Dila lui fit signe de garder l’ouvrage en main et toutes reprirent leur route. La maîtresse elfe les fit descendre au rez de la Rotonde, traverser le bureau de Solas, puis elles passèrent une petite porte et atterrirent sur un pont de pierre restauré qui survolait la cour inférieure jusqu’aux remparts. Une fois sur les hauts murs de la forteresse, elles tournèrent à gauche et se dirigèrent vers une large tour de surveillance, dominant l’entrée de Fort Céleste. Dila s’arrêta devant la porte et toqua légèrement avant d’ouvrir le battant. Elle fit ensuite signe à Shanna de l’accompagner à l’intérieur, les autres devant rester dehors. Quand Shanna entra, elle ne s’attendait pas le moins du monde à se retrouver face au Commandant Cullen. Elle ne l’avait jamais vu de si près et elle se mit à trembler, à la fois stupéfaite et ravie.
- Voici ce que vous aviez demandé, Commandant, dit Dila en faisant signe à Shanna de donner le livre.
- Merci, Dila, répondit le Commandant en récupérant l’ouvrage sans lever les yeux de son bureau jonché de cartes.
- Autre chose ? demanda l’elfe, prévenante.
- Hum, oui, fit Cullen en sortant un parchemin d’on ne savait où sous ses cartes. Pouvez-vous porter ceci à Joséphine ?
- Bien sûr, Commandant, fit Dila en prenant le parchemin qu’il lui tendait.
- Votre nouvelle recrue ? lança alors l’ancien templier en voyant Shanna.
- Potentielle seulement, fit l’elfe en souriant.
- Bonne chance alors, dit Cullen à l’adresse de la jeune fille.
- Merci, Commandant, balbutia Shanna.
Le Commandant lui avait parlé ! Elle était aux anges, il ne lui manquait plus que rencontrer l’Inquisitrice et elle pourrait mourir heureuse. Les deux femmes ressortirent rapidement du bureau pour se diriger avec les autres candidates vers le grand hall par la cour supérieure. Elles descendirent des remparts et traversèrent la cour jusqu’aux escaliers, puis passèrent les lourdes portes de la grande salle principale. Là, Dila s’arrêta et posa une question aux allures très simples, mais qui s’avérait plutôt complexe :
- Quelle porte amène au bureau de l’Ambassadrice ?
La petite elfe blonde fit un bond et désigna une porte sur la droite. Dila resta impassible et écouta les autres candidates. Toutes les autres désignèrent une même porte. L’elfe se tourna alors vers Shanna qui n’avait pas encore parlé :
- Celle-ci, ma dame, dit-elle en désignant la deuxième porte sur la gauche, la première mène aux jardins intérieurs et la troisième aux quartiers de l’Inquisitrice. A droite, au fond c’est pour descendre dans la crypte et celle-ci pour accéder à la Rotonde.
Dila acquiesça, appréciant la précision de la jeune fille. Elles reprirent alors leur route et arrivèrent dans le bureau de l’Ambassadrice. Celle-ci était à son bureau, accompagnée de la Maître-espionne.
- Dame Montilyet, fit Dila discrètement, ceci pour vous de la part du Commandant.
- Ah, merrrci Dila, dit Joséphine en récupérant le petit parchemin qu’elle lut rapidement. L’Inquisitrrrice a prrréféré rallier Jean-Gaspard à l’Inquisition, l’écarrrtant de la succession du duché de Lydes, dit-elle alors tout haut à Léliana.
- Il reste encore Caralina et Monette en lice, remarqua la Maître-espionne. Il faut qu’elle prenne aussi une décision là-dessus. Qu’a répondu dame Forcithia ?
- Qu’elle prrréférait être « fouettée vif » plutôt que d’aider son frrrère, répondit Joséphine.
- Ça lui ressemble bien, fit Léliana en esquissant un sourire.
Dila dirigea les quatre filles dans le grand hall, laissant les deux dirigeantes continuer leur discussion paisiblement. Elles s’arrêtèrent au milieu du grand hall et Dila fit face aux quatre candidates :
- Je vous remercie pour être venue vous présenter, dit-elle de manière générale, puis se tourna vers l’une des quatre en particulier. Shanna, je vous attends demain matin en salle de réunion.
- Bien, ma dame, répondit-elle les joues rouges d’exaltation.
Elle avait réussi. Quand elle rentra dans le dortoir retrouver sa mère, elle sautait de joie, mais une mauvaise surprise l’attendait :
- Shanna, calme-toi ! lui dit sa mère paniquée, as-tu vu Atala ? Réponds-moi !
La jeune fille perdit aussitôt son sourire.
- Elle n’est pas avec…
- Non ! s’écria sa mère, j’étais sur un raccommodage et quand j’ai eu fini, elle n’était plus à côté de moi ! ça fait des heures que je la cherche…
- On va la trouver, ne t’inquiète pas Maman, la rassura Shanna qui partit aussitôt dehors.
******
Quand Atala vit sa sœur partir, elle savait que la journée serait longue sans elle, mais ce qui l’inquiétait le plus, c’est qu’elle avait perdu son doudou. Toute la nuit elle avait pensé à sa petite poupée que lui avait cousue sa maman et qu’elle gardait toujours avec elle, réfléchissant où elle aurait bien pu la perdre. Elle avait décidé de la retrouver toute seule pour prouver à sa mère qu’elle était maintenant une grande fille.
Dès qu’elle vit que sa mère était absorbée par son travail de couture, elle s’éclipsa et se rendit dans la cour inférieure, là où sa sœur et elle avaient joué avec les autres. Elle chercha désespérément mais ne trouva rien.
- Bah alors ? Que fais-tu ma petite ? lança Séra à Atala.
La petite fille se tourna vers l’elfe aux guenilles.
- Je ne retrouve pas mon doudou, balbutia-t-elle pour toute réponse.
- Mais une fille aussi grande que toi n’a plus besoin de doudou ! s’écria joyeusement Séra.
Mais quand l’elfe vit les larmes monter aux yeux de la petite fille, elle se ravisa et changea de stratégie.
- T’as cherché partout ? T’es sûre ? lui demanda-t-elle alors.
Atala hocha la tête, ravalant ses larmes.
- Il va pas tarder à ressortir alors, dit Séra pour la rassurer, ce qu’il faut, c’est plus y penser pendant suffisamment longtemps pour qu’il réapparaisse ! Comment tu t’appelles ?
- Atala, marmonna la petite fille.
- C’est joli, ça ! s’exclama gaiement Séra, Atala, ça te dit de m’aider à faire une farce ou deux à certaines personnes ? Ce serait drôle, non ?
La petite hocha la tête, amusée par l’elfe.
- Allez, viens ! Prends ma main.
Atala suivit alors Séra et toutes deux se dirigèrent vers les volières. Elles passèrent par de petits chemins dont seule Jenny la Rousse connaissait l’existence pour avoir exploré de fond en comble la forteresse, épiant les moindres faits et gestes de tout le monde : son passe-temps favori. Une fois arrivées, Séra vérifia que Léliana n’était pas à son poste et que les éclaireurs ne faisaient pas attention à elle avant de se faufiler jusqu’à une pile de parchemins.
- Tu vois, Atala, ça, dit Séra en désignant le monceau de lettres et rouleaux, c’est le courrier d’aujourd’hui pas encore distribué. Regardons un peu qui a reçu une lettre…
La petite fille regarda avec de grands yeux Séra feuilletant les parchemins.
- Rapport barbant… rapport barbant… encore un rapport… une confirmation d’invitation, ça c’est pour Josie… Oh !
Séra se mit à rire toute seule, et Atala la regarda, curieuse :
- C’est quoi ?
- Ça, justement, je ne sais pas ! se réjouit l’elfe, regarde : une lettre scellée, avec seulement écrit « Pour le Commandant de l’Inquisition ». J’ai encore jamais vu un rapport se présenter comme ça, et notre cher Commandant ne reçoit quasiment pas de courrier personnel. En fait, il n’en reçoit pas. C’est pour ça que c’est si intéressant !
On entendit soudain des pas : quelqu’un s’approchait des deux intruses. Séra glissa la lettre dans une poche de sa chemise et prit Atala par la main pour se cacher derrière de lourdes caisses de bois.
- Allez, je te ramène dans la cour ! chuchota Séra.
- Mon doudou y est réapparu ? demanda la petite fille.
- On verra !
Dans la cour, Atala ne retrouva toujours pas son doudou, et elle vit Séra disparaître soudainement avec sa fameuse lettre. Elle refit encore une fois le tour de la cour, mais la tristesse la gagna peu à peu et des larmes se mirent à couler le long de ses joues.
- Tu ne sais plus où est ton doudou, dit une voix douce derrière elle. Il est important, il te permet de dormir en paix, sans cauchemars.
Atala se mit à pleurer.
- Je vais te le retrouver, dit encore cette voix, déterminée.
- Attendez ! s’écria la petite fille en se retournant et se retrouvant face à un jeune homme blond au large chapeau, je viens avec vous.
- Tu me vois ? s’exclama Cole stupéfait.
- Bah oui… marmonna Atala.
Cole ne sut comment réagir : il avait pris l’habitude d’aider les gens en ne se faisant pas voir, ou en se faisant oublier juste après. Comment ce faisait-il que son don ne marche pas sur cette petite fille ? Il s’approcha doucement d’elle et Atala lui saisit alors la main.
- Ne me laissez pas toute seule, renifla-t-elle.
- Je ne te laisserai pas, on va trouver ton doudou, murmura Cole, désorienté mais décidé.
Après une bonne heure de recherches, Cole retrouva la petite poupée de chiffon ; celle-ci était tombée derrière un tonneau devant la taverne, dans la cour supérieure. Quand Cole la saisit pour la donner à la petite fille, il ressentit des vibrations étranges provenant de l’objet. Il l’examina quelques instants, puis le rendit à Atala.
- Tu caches tes cauchemars dans ta poupée, dit-il alors.
Atala le regarda sans mot dire, puis hocha lentement de la tête.
- Tu as un don particulier, lui expliqua-t-il, mais tu ne le sais pas encore, et ta famille non plus. Retourne chez toi, ta mère s’inquiète et ta sœur aussi.
La petite courut alors en direction des dortoirs où elle retrouva sa mère soulagée. Cole poussa un petit soupir et s’éclipsa dans le vent, voulant rencontrer l’Enchanteresse Fiona : une mage était en devenir.
******
Séra jubilait à l’idée de détenir un secret concernant le Commandant de l’Inquisition entre ses mains et voulait à tout prix savoir ce que contenait ce pli si mystérieux. Cependant, elle souhaitait partager sa trouvaille avec quelqu’un d’autre, car seule c’était moins drôle. L’elfe accourut alors dans la bibliothèque et trouva Dorian qui donnait un livre à une jeune fille. Quand celle-ci fut partie, elle attira le mage dans un coin discret :
- Encore en train de séduire ces pauvres jeunes filles ? lui lança-t-elle en gloussant.
- Pourquoi « pauvres » ? rétorqua Dorian partageant sa bonne humeur.
- Parce que tu es d’une telle lourdeur ! c’en est écœurant.
Séra mima le geste d’une régurgitation, ce qui fit frémir le mage de dégoût.
- Toujours aussi élégante, fit Dorian pour clore le sujet. Qu’est-ce qui t’amène ?
- J’ai quelque chose de croustillant sur notre cher Commandant, gloussa-t-elle en sortant la lettre de sa chemise.
- Où as-tu eu ça ? lui lança plus sérieusement Dorian en lui prenant le pli des mains.
- Dans le courrier d’aujourd’hui, quelle question !
Dorian examina le parchemin et reconnut l’écriture de l’Inquisitrice. Le mage rangea alors rapidement la lettre dans son pourpoint, à l’abri de la curiosité malsaine de Séra.
- Qu’est-ce que tu fais ! s’énerva Séra en voulant récupérer la lettre.
- Tu n’as pas à lire ça, Séra, fit-il en ensorcelant son pourpoint d’un sort de protection.
- Je l’ai trouvée, c’est à moi !
- Je refuse ! C’est moi qui l’ai écrite, dit alors Dorian pour couvrir les deux amants.
Séra s’arrêta soudain et crut dur comme fer au mensonge du mage tévintide.
- Non… Tout s’explique alors ! Et depuis quand ? demanda-t-elle en gloussant de plus belle.
- Avec cette lettre, j’allais le lui avouer, mentit encore Dorian. Mais finalement, tu as tout gâché, et de toute manière, il ne voudra jamais. Il est trop dévoué à l’Inquisition pour ce genre de chose.
- T’as raison, renchérit Séra, il est pas humain, on dirait qu’il dort jamais.
Séra s’appuya contre le mur, près d’une meurtrière, déçue.
- J’ai perdu mon jouet du jour, fit-elle exaspérée, mais j’en ai découvert un encore plus croustillant…
- Tu n’as pas intérêt à dire quoi que ce soit, Séra, tu le sais, dit lentement Dorian en esquissant un sourire.
- Ne me… Je dirai rien ! s’écria-t-elle affolée, Ne me menace pas de ta magie…
Dorian éclata de rire.
- Et pourtant, dit-il de sa voix grave et sérieuse, si j’entends ne serait-ce qu’une rumeur, je saurais d’où cela viendra. Et personne ne se rendra compte de ce que sera devenue la petite Séra…
- Pas de magie ! s’exclama Séra en se protégeant de ses bras.
- Allez, file, lui dit le mage.
Séra s’en alla rapidement, disparaissant par les petits chemins inconnus de Fort Céleste. Dorian sortit enfin la lettre de son pourpoint, brisant son sort au passage, et poussa un petit soupir en l’observant avant de la remettre en lieu sûr et de se diriger vers le bureau du Commandant.
Le mage tévintide entra en trombe dans les quartiers de l’ancien templier. Un éclaireur était avec lui et recevait ses ordres, puis Cullen le congédia en voyant l’entrée fracassante de Dorian. Celui-ci s’approcha élégamment du bureau et, une fois seuls, déposa la lettre de l’Inquisitrice sur les cartes étalées là. Le Commandant reconnu la fine écriture et jeta un regard interrogateur au mage.
- Vous devriez faire plus attention, vous deux, lui lança alors Dorian. J’ai dû me mouiller jusqu’au cou pour vous protéger.
- Où l’avez-vous trouvée ? demanda Cullen ne comprenant toujours pas.
- Cela ne va pas vous plaire, c’est Séra qui l’avait récupérée dans le courrier du jour.
- Séra ! s’étouffa presque le Commandant, elle l’a lue ? Sait-elle quelque chose ?
- Je viens de vous dire que je m’étais mouillé pour vous, fit Dorian entre ses dents. Elle croit que c’est moi qui l’ai écrite et que j’ai une préférence pour les hommes.
Cullen lui jeta à nouveau un regard interrogatif.
- Si elle raconte quoi que ce soit, continua Dorian, c’est ma réputation que cela entachera, pas la vôtre, ni celle de l’Inquisitrice.
Le Commandant s’assit dans son fauteuil, observant la lettre sur son bureau.
- Dorian… merci.
- Il y a de quoi ! lança le mage de son ton triomphant, bonne lecture, Commandant.
Dorian sortit du bureau en drapant son étoffe par-dessus son épaule d’un geste théâtral, laissant Cullen seul. Celui-ci saisit la lettre, brisa le sceau et déplia les parchemins :
Cullen,
J’ai appris que ma première lettre avait mis plus de temps que prévu à vous parvenir, j’espère que vous ne vous êtes pas inquiété. Les communications se rétablissent lentement, mais sûrement ; cette lettre devrait vous parvenir peu de temps après la première.
Depuis, nous avons rejoint les remparts ouest et trouvé le Commandant Bastien Proulx des armées de Gaspard. Il avait ordonné le repli dans le fort, n’arrivant pas à briser le sort des esprits et était assailli par des démons. Les soldats orlésiens volontaires se sont bien battus, mais nous sommes repartis seuls avec Cassandra, Solas, Bull et Varric. La concentration de démons était plus forte par-là, j’avais donc supposé la présence d’une faille. Je ne m’étais pas trompée, nous avions bien trouvé une déchirure du Voile, mais nous nous étions perdus dans la forêt qui borde les Plaines. Ce sont des elfes dalatiens qui nous ont retrouvés et amené à leur « haravel », c’est comme cela qu’ils appellent leur campement.
Je vous écris donc depuis leurs caravanes. Il a fallu du temps pour que l’archiviste de ce clan nous fasse confiance, et je trouve normal qu’ils se méfient de nous. Mais je crois que nous pouvons nous faire des alliés parmi les clans dalatiens : ils sont tout aussi effrayés par les failles et les démons ne les épargnent pas, et quand ils ont vu que je les refermais, ils m’ont conduit vers toutes les déchirures qu’ils avaient recensées. Ce fut un gain de temps précieux pour nous, mais je dois dire que… refermer autant de failles à la fois m’a épuisée. Heureusement, Solas est là pour m’aider, mais j’aurais souhaité ne plus sentir la marque rien qu’une minute.
Demain, nous repartons pour les remparts est et nord, en espérant trouver la source de ces sortilèges. Iron Bull suspecte les Hommes Libres d’être manipulés par les Venatori, comme c’était le cas aux Tombes Emeraudes. Selon Solas, il nous faut trouver le mage responsable ; si nous arrivons à le capturer vivant, nous l’interrogerons. Quand ce sera chose faite, je pourrai rallier les armées orlésiennes et marcher en direction de Sahrnia.
Il doit être près de deux heures du matin à l’heure où je vous écris, la lune termine sa course. Elle est très lumineuse ces temps, et je me demande si, de votre côté, vous la regardez aussi, en ce moment. Je sais, c’est ridicule, surtout que vous recevrez ce pli dans deux jours, et que cet instant sera passé depuis longtemps… Mais quand je ferme les yeux, je me retrouve sur les remparts de Fort Céleste, et je sens votre présence. Je frissonne… le vent me direz-vous, soit. Mais dans deux jours, quand vous recevrez ma lettre, je serai à nouveau sous les étoiles, et laisserai le vent me faire frémir… Et vous ?
L. T.
Cullen ne manqua pas le rendez-vous : vers les deux heures du matin, il se rendit sur les remparts vers les nouveaux trébuchets où il s’assit face à la chaîne de montagne. La vue était imprenable, la lune était étincelante au milieu du ciel nocturne et faisait briller d’une lueur argentée la neige des montagnes qui entouraient Fort Céleste. Quelques nuages parsemaient le ciel, mais les étoiles étaient bien visibles. Il ferma les yeux et sentit le vent en petites rafales sur son visage. Il sourit. Pour toute réponse, il lui avait envoyé un simple billet :
Cette brise qui vous a caressé le visage venait forcément de moi…
******
Anton et Daron descendirent aux terrains d’entraînement avec assurance ; le grand jour était arrivé pour Anton, il venait d’avoir ses seize ans et avait enfin l’accord de ses parents pour se présenter comme recrue de l’Inquisition. Les deux garçons se présentèrent directement au Garde Blackwall, alors en pleine observation d’un combat entre deux soldats.
- Que voulez-vous ? dit Blackwall en voyant les deux jeunes garçons s’avancer vers lui.
- On aimerait rejoindre l’armée de l’Inquisition, dit Daron en bombant le torse.
- Le recrutement, c’est le vendredi, répondit le Garde en continuant d’observer le duel des deux soldats.
- Et alors ? vous avez besoin de bras, on est là ! lança Anton impatient.
Le Garde des Ombres se tourna face aux deux garçons et les regarda de haut en bas.
- Pourquoi pas, dit-il enfin. Qu’on leur amène l’équipement d’entraînement ! aboya-t-il à un soldat qui s’exécuta immédiatement. Allez vous équiper, ensuite vous vous présenterez ici, on va voir de quoi vous êtes capables.
Les deux garçons hochèrent de la tête et revêtirent les protections que leur amena le soldat. Ils choisirent tous les deux l’épée et le bouclier, puis se présentèrent à nouveau au Garde des Ombres. Blackwall fit alors signe aux deux soldats de quitter l’arène pour laisser entrer les deux aspirants. Il ramassa son propre bouclier et une épée d’entraînement et les suivit au centre de l’arène.
- Bien, fit le Garde, voyons ce que vous avez dans le ventre.
Blackwall se mit en garde et les deux jeunes garçons l’imitèrent, un peu angoissé d’être testé par le Garde des Ombres. Daron attaqua en premier et fut facilement repoussé. Anton, s’agrippa à son bouclier et chargea à son tour, faisant preuve de stratégie. Cependant, il fut bien vite repoussé par Blackwall.
- Encore, fit le Garde aux deux garçons.
La même scène se déroula sous les yeux des autres soldats et recrues qui s’étaient rassemblés autour de l’arène. Anton se distinguait par sa ténacité et ses coups réfléchis. Soudain, tous les spectateurs se mirent au garde-à-vous. Daron et Anton ne réalisèrent pas tout de suite que le Commandant de l’Inquisition était arrivé et qu’il observait leur combat. Quand Blackwall eut repoussé ses deux adversaires avec aisance, il se tourna vers Cullen et le salua.
- Ces deux jeunes souhaitent rejoindre l’armée, dit-il simplement.
- Les sélections se font le vendredi, répondit Cullen, autoritaire.
- C’est ce que je leur ai dit, mais… ils avaient l’air d’en vouloir, alors je n’ai pas pu m’en empêcher, sourit Blackwall.
Le Commandant récupéra un bouclier et une épée d’entraînement et entra à son tour dans l’arène. Les deux jeunes garçons sentirent leur cœur battre si fort qu’ils n’entendaient plus ce qui se disait autour d’eux. Une rumeur parcourut le terrain d’entraînement et tous les soldats se réunirent autour des barrières de bois pour observer ce qui allait se passer. Cullen fit signe à Blackwall de se retirer, puis se mit en garde devant les deux garçons.
- Toi d’abord, dit le Commandant en désignant Daron.
L’ancien templier ne l’épargna pas, chaque charge du garçon était parée et la riposte doublée. Daron se retrouva rapidement à terre, sentant ses articulations et ses muscles douloureux. Le Commandant fit ensuite signe à Anton d’approcher ; ce dernier avait observé impuissant le combat de Daron et la peur lui était montée à la gorge. Mais il tint bon et se présenta devant le Commandant, le salua et se mit en garde. Cullen n’attendit pas et chargea le jeune homme qui esquiva de justesse, mais reçut un coup de pommeau. Il posa un genou à terre et se releva aussitôt pour parer de son épée un violente frappe. Anton reculait sous les coups, parant de son bouclier et de sa lame, mais tenait bon. Il tomba plusieurs fois au sol, mais se relevait toujours ; il tenta même quelques percées, parées avec élégance et facilité par l’ancien Chevalier-capitaine. Cullen l’épargna pas non plus et s’arrêta quand il vit son adversaire à bout de forces. Il planta alors son épée dans le sol.
- L’impatience peut vous tuer sur un champ de bataille, dit le Commandant en regardant les deux garçons à terre devant lui. Si vous voulez vraiment rejoindre les forces de l’Inquisition, il faudra d’abord apprendre à respecter les ordres.
Il s’approcha d’Anton et lui présenta son bras ; le jeune homme le saisit, sentit toute la force du Commandant le soulever et il fut remis sur ses pieds.
- Quel âge as-tu ? lui demanda Cullen.
- Seize ans, Ser.
- Ton nom ?
- Anton Forcart, Ser.
- Et toi ? lança le Commandant en se tournant vers Daron pour l’aider à se relever.
- Daron Lhenan, j’ai quatorze ans, Ser.
Cullen observa les deux garçons, puis fit un signe à Anton.
- Toi, je veux te voir sur le terrain d’entraînement dès demain. Daron, rentre chez toi.
Le Commandant quitta l’arène et allait repartir en direction de la forteresse quand il entendit le dénommé Daron derrière lui :
- Quoi ! c’est à cause de mon âge ?
Cullen s’arrêta.
- Où c’est parce que je suis un elfe ! lança encore Daron, furieux.
Le Commandant se retourna vivement et fixa le jeune garçon droit dans les yeux.
- Elfe, nain, humain, Qunari, une fois mort sur le champ de bataille, que feras-tu ? Tu as une place dans l’Inquisition, petit, mais pas ici. Pas encore.
Daron resta stupéfait de cette réponse et regarda le Commandant s’en aller dans le fort. Mort… il n’y avait jamais songé, mais il avait maintenant peur de ce que signifiait l’entraînement. Ils apprenaient à mourir et à donner la mort, Daron n’était pas prêt. Il quitta l’arène, ébranlé. Anton avait déjà médité cet aspect, et savait ce que signifiait que d’intégrer les forces armées, mais pas le jeune elfe. Daron rendit l’équipement au soldat qui accompagnait le Garde des Ombres et s’en retourna lentement à la forteresse, laissant son ami sur le terrain.
Le soir, les six jeunes amis se réunirent après dîner, tous voulant raconter leurs différentes expériences de ces derniers jours. Toutefois, ils ne se réunirent pas dans la cour comme à leur habitude mais suivirent Shanna dans les quartiers des mages.
- Pourquoi nous emmènes-tu là ? demanda Anton, intrigué.
Shanna garda le silence et les conduisit dans une salle au sommet d’une petite tour. Celle-ci n’était pas encore aménagée, leur offrant un endroit calme pour discuter et jouer ensemble. Là, ils rejoignirent la petite Atala qui les attendait.
- La Grande Enchanteresse Fiona est venue nous voir ma mère et moi, expliqua alors Shanna, il s’avère qu’Atala possède des dons magiques.
- Ils vont te l’enlever alors ? lança Daron inquiet.
- Non, en fait, répondit Shanna, elle va vivre dans le quartier des mages, mais on peut venir la voir quand on veut et jouer avec elle. Simplement elle n’habitera plus avec Maman et moi.
- Ce n’est pas comme avant avec les Cercles ? dit Daron stupéfait. Ma sœur, elle… On nous l’a enlevée sans explication, un jour. Des templiers sont venus dans le bas-cloître et l’ont emmenée… On ne l’a plus jamais revue après ça.
- C’est différent ici, dit Shanna, les enchanteresses Fiona et Vivienne de Montsimmard en ont discuté, et ont reçu l’aval de l’Inquisition pour procéder comme ça. Atala doit apprendre à contrôler ses dons, mais ne sera pas coupée de sa famille ni de ses amis.
- T’en pense quoi, Atala ? dit Anton en regardant la petite.
Elle souriait et semblait heureuse.
- Tout le monde s’occupe de moi, ici ! lança-t-elle gaiement.
- Oui, fit Shanna, tous les mages sont adorables avec elle. C’est rassurant.
Tous s’installèrent alors dans l’espace des combles, s’asseyant sur de vieilles caisses ou à même le sol, des chandelles installées au centre de la petite pièce.
- Alors Shanna, fit Anton en premier, t’as été prise ?
La jeune fille hocha vivement de la tête, frétillante, toute exaltée de raconter dans les moindres détails sa sélection. Elle n’omit aucun instant ou paroles dites, et garda le meilleur pour la fin :
- Et j’ai vu le Commandant Rutherford ! dit-elle en gloussant. Il m’a même parlé ! Il m’a souhaité bonne chance pour la sélection ! ça vous en bouche un coin, n’est-ce pas ?
Anton fit signe à Daron de se taire, voulant laisser croire à Shanna qu’elle était la seule à l’avoir rencontré.
- Ensuite, j’ai aussi rencontré Sœur Léliana et dame Montilyet, continua-t-elle fièrement. Et maintenant que j’ai été engagée, je vais certainement les côtoyer régulièrement. Si vous aviez vu Maîtresse Dila, les trois dirigeants sont tous familiers avec elle !
Elle soupira d’extase, heureuse d’avoir pu enfin raconter sa journée et se vanter auprès de ses amis.
- Et toi, Anton ? tu as pu intégrer l’armée ?
Anton esquissa un petit sourire en coin avant de lui répondre :
- Figure-toi que oui, et même que c’est le Commandant lui-même qui m’a testé.
Le jeune homme savoura l’effet qu’eut la nouvelle sur Shanna.
- Daron aussi a pu se mesurer à lui, tout comme on s’est mesuré au Garde Blackwall également.
La mâchoire de la jeune fille en tombait à s’en décrocher.
- Il est donc logique que je lui ai parlé, ajouta Anton avec délectation, car il m’a posé plusieurs questions et qu’il m’a accepté à l’entraînement. « humble et modeste : prends-en de la graine » !
Shanna lui lança un regard assassin et tous éclatèrent de rire.
- Et toi, Daron, tu as aussi été pris ?
- Non…
Le jeune garçon se renferma un peu, ne voulant pas s’attarder sur ce sujet. Après une bonne heure, un mage vint les prévenir qu’il fallait aller dormir et les six amis redescendirent, laissant Atala aux mains expertes des mages. Les autres se séparèrent dans la cour, mais Daron ne rentra pas directement dans son dortoir. Tous ses amis avaient trouvé leur place dans l’Inquisition sauf lui et cela le déprimait. Il erra jusqu’aux écuries où il aimait à passer du temps avec les chevaux. Il aidait souvent les palefreniers en apportant l’eau et le foin, et quand la nuit tombait, venait s’asseoir sur la palissade et admirait les différentes montures. Il y avait un cheval qu’il aimait particulièrement : un alezan au caractère fougueux, mais qui avait été blessé lors de la fuite de Darse. Il lui apporta un petit morceau de pomme qu’il avait gardé de son dîner et le lui donna. La bête appréciait la présence de l’elfe et le laissait lui caresser la crinière.
- Sais-tu que tu es l’une des rares personnes à pouvoir approcher ce cheval ? dit une voix derrière lui.
Daron se retourna et aperçut le Garde Blackwall, appuyé contre la palissade. Il se redressa et s’approcha du jeune garçon ; le cheval se mit à hennir, et Daron le calma d’un geste de la main.
- Le Commandant Cullen peut paraître dur, fit Blackwall au jeune elfe, mais sache qu’il est juste, et ne mettrait jamais la vie de quelqu’un en danger pour rien.
Daron poussa un petit soupir, mais n’en voulait pas au Commandant.
- Tous mes amis ont trouvé leur place dans l’Inquisition, dit-il alors, vidant son sac. Ils font tous quelque chose pour aider, sauf moi.
- Tu as l’air doué avec les chevaux, dit le Garde.
Le jeune elfe haussa des épaules.
- Je ne plaisante pas, ajouta Blackwall, cet alezan, là, c’est Orkaan. C’était la monture de la Messagère quand nous étions encore à Darse. C’est un cheval difficile et très capricieux, et les seules personnes qui puissent l’approcher sont l’Inquisitrice et Maître Dennet.
- Il a été blessé, dit Daron.
- Oui, quand on a fui Darse, raconta le Garde, l’Inquisitrice Trevelyan en a été très affectée. Elle l’aime beaucoup, et vient d’ailleurs régulièrement le voir ici. Je sais que si elle avait plus de temps, elle le monterait rien que pour le plaisir.
Daron caressa le museau de la bête qui lui lécha les doigts.
- Elle serait heureuse de savoir que quelqu’un en prend soin quand elle ne peut pas le faire, finit par dire Blackwall.
- Vous me proposez de travailler aux écuries ? officiellement ? fit Daron, mais le Maître Dennet n’embauche personne, et ce n’est pas vous qui décidez…
- Non, en effet, continua le Garde, par contre, si c’est l’Inquisitrice qui le demande…
- Vous parleriez de moi à la dame Inquisitrice ?
Blackwall hocha la tête, heureux de voir un sourire se dessiner sur le visage du jeune elfe. Daron regarda Orkaan, imaginant la perspective de travailler là.
- Merci, Ser.
- Appelle-moi Blackwall.
- Merci, Blackwall.