L'épée et le lys
Chapitre 1 : Cullen - L'inquisition recrute
3169 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 13/10/2025 20:16
Ses pas résonnaient sur le sol en pierre de la chanterie de Darse. Il marchait d'un pas décidé vers la salle de commandement où une réunion de dernière minute l'attendait. Sa main gauche, crispée, était posée sur le pommeau de son épée, tandis que la droite tenait un parchemin signé par les sœurs chantristes. Il devait s'agir de la quatrième lettre qu'il recevait en une semaine. Les sœurs chantristes désapprouvaient la mise en place de l'inquisition et les traitaient d'hérésie salissant la mémoire de la Divine Justinia. Elles leur ordonnaient de mettre fin à ce blasphème. Elles se répétaient encore et encore. Bien qu'agacé, Cullen Rutherford n'était pas surpris, ce que Cassandra lui avait rapporté de la rencontre entre le Messager d'Andrasté et les sœurs de Val Royaux était une vraie catastrophe. La chanterie ne soutiendra pas l'inquisition... Et l'ordre des Templiers non plus. Cette nouvelle l'avait déstabilisé. Il n'attendait rien de la part des sœurs chantristes, mais les templiers... Il avait été des leurs par le passé. Il ne comprenait pas leur aversion.
Il salua Dame Gisèle qui lui avait assuré que la chanterie finirait par entendre raison. Mais quand ? L'inquisition était toute fraîche et fragile, comme un nourrisson à peine sorti du ventre rond d'une mère aimante. Sans soutien, difficile pour elle de grandir.
Il replia le courrier. Il le donnera à Joséphine. Elle aurait les mots pour calmer la chanterie, lui, il était incapable de tant de diplomatie. Il était bien trop tenté par l'idée de leur répondre qu'elles n'étaient toutes que des vieilles folles inconscientes des dangers qui rôdent en dehors des murs trop propres de leur chanterie...
Ce serait une bien mauvaise idée.
Il entra dans la salle de commandement et posa immédiatement les yeux sur ceux qui l'attendaient en silence.
Joséphine lui sourit avant de tremper sa plume dans l’encrier, prête à prendre des notes. Léliana sortit de l'ombre et lui adressa un simple hochement de tête en guise de salutation. Elle avait les yeux rougis. Avait-elle pleuré ? Il ne l'imaginait pas capable de verser une larme, mais après tout, elle avait perdu un être cher à son sein du conclave. Justinia n'était pas simplement la Divine, elle était aussi l'amie la plus proche de la maître espionne.
Au bout de la table, en train d'examiner la carte de Thédas, Solas, l'elfe apostat qui avait rejoint l'inquisition de son plein gré et qui semblait désireux de comprendre les failles apparues dans le ciel, lui adressa à peine un regard. Cullen devait admettre que sa présence était une bénédiction. Solas était un puits de science. Il connaissait tout - ou presque - de l'immatériel et des démons qui surgissaient un peu partout dans Thédas. Sans lui, ils n'auraient jamais su refermer la moindre faille.
À côté du mage, se tenait Adan, l'apothicaire de l'inquisition. Il avait la mine boudeuse des mauvais jours, mais c'était une personne qui avait l'estime du commandant. Après tout, il avait soigné le Messager d'Andrasté. Pourtant, Cullen connaissait peu l'apothicaire. Il n'avait que rarement besoin de ses services. Mais d'après Léliana, Adan était une personne de confiance et de compétences. Cullen avait foi en son jugement... et en les nombreux rapports qu'elle recevait de tous ses espions au sujet de chaque nouveau membre qui rejoignait l'inquisition.
« Ravie que vous ayez pu nous rejoindre, commandant, déclara Joséphine en trempant une nouvelle fois sa plume dans le pot d'encre. Nous pouvons commencer la réunion.
— Quel est l'ordre du jour ? demanda-t-il tout en cherchant à s'en souvenir par lui-même.
— Notre apothicaire a une demande spécifique à formuler, répondit Léliana en ramassant des documents sur la table pour les rassembler. »
Cullen se tourna vers Adan et observa un moment ses traits tirés. Il dormait sans doute peu. Comme eux tous.
« Les réfugiés arrivent en masse à Darse, commença Adan. Beaucoup d'entre eux fuient le conflit des mages et des templiers dans les Marches Solitaires. Et beaucoup d'entre eux sont soit malades, soit blessés.
— Et vous manquez d'herbes pour les soigner ? interrogea Cullen. Nous pouvons envoyer quelques agents sur le terrain afin d'en récolter si nécessaire. Je suis certain de trouver des volontaires dans nos rangs. Il vous suffit de me dresser une liste des plantes dont vous avez besoin.
— Effectivement, mes réserves s'épuisent mais ce n'est pas l'unique problème. Je ne peux pas tous les soigner. Certains attendent des heures, d’autres n’ont que des bandages de fortune. Ce n’est pas suffisant.
— Des mages ne peuvent-ils pas prendre le relais, suggéra Joséphine entre deux prises de notes. J'ai déjà vu certains d'entre eux refermer des plaies en un clin d'œil.
— Malheureusement, non ! s'exclama l'apothicaire soudain agité. Ils ne veulent pas. Les gens, les blessés. Ils refusent d'être touchés par la magie ! »
Cullen jeta un regard interrogateur à son équipe. Mais ni Léliana ni Joséphine ne purent en dire davantage. Solas secoua la tête et fit un pas en avant.
« Je confirme les dires de notre ami. Plusieurs mages, qui ont rejoint spontanément nos rangs, ont proposé leur aide. Mais le conflit entre les mages et les templiers a alimenté la peur. Certains préfèrent mourir que de voir un mage à leur chevet.
— C'est... ennuyeux, déclara Joséphine dépitée.
— Comprenez-les, ambassadrice, continua Solas. Les Marches Solitaires sont ravagées par une guerre. La magie y tue plutôt qu'elle ne guérit. »
Un silence suivit cette révélation. La magie tue. Cullen le savait. Il l'a toujours su. Il en a été témoin. Le cercle... Les horreurs qu'il y avait vues le hantaient encore. Il secoua la tête, cherchant à effacer ses maudits souvenirs.
« Que proposez-vous ? demanda-t-il en se tournant vers l'apothicaire.
— J'ai besoin d'un collègue. J'ai besoin que quelqu'un prenne le relais. Je ne suis pas un surhomme. Je ne dors plus. J'ai à peine le temps de manger. Ça ne peut plus durer ou vous n'aurez plus personne pour soigner vos blessés.
— C'est compréhensible. Vous avez quelqu'un en tête ? demanda Léliana.
— Non, ceux que je connais sont loin. Ou morts dans le conflit. Mais par pitié, trouvez-moi quelqu'un de compétent. N'importe qui fera l'affaire, tant que cette personne sache ce qu'elle fait et que je ne dois pas passer mon temps à la former. »
Il ferma les yeux un moment et poussa un profond soupir. Cullen pouvait ressentir sa fatigue. Les débuts de l'inquisition étaient un peu chaotiques pour tout le monde. Mais ça allait changer. Plus il y aurait de recrues, plus ce serait facile. Il leur fallait être patient et tenir bon. Mais était-ce possible ? Tout le monde n'avait pas une formation comme la sienne. Tout le monde n'était pas un soldat.
Adan n'attendit pas leur réponse. Il quitta la salle en poussant un nouveau soupir de désespoir. Il fut rapidement suivi par Solas qui se contenta de hocher la tête à l'attention des conseillers.
Cullen se passa une main dans la nuque. Il s'étonna de la trouver si raide.
« Où trouve-t-on des guérisseurs ? demanda Cullen en poussant un soupir. Vous pensez qu'il y en a déjà dans nos rangs ? Cela m'arrangerait... »
Lui aussi était épuisé. Quand avait-il dormi pour la dernière fois. Il y a un peu plus de 24 heures ? 30 ? Peut-être plus. Il ne savait plus.
« Mes rapports parlent d'une... cousine de notre palefrenier qui pourrait faire l'affaire. Je m'en souviens parce que leur lien de parenté m'avait semblé confus, annonça Léliana. Ce que je sais, c'est que cette femme est herboriste. Elle connait les plantes et crée des baumes et des potions efficaces qu'elle revend sur le marché de Golefalois.
— Si elle est aussi compétente qu'on le dit, ce pourrait être une aide précieuse et Adan serait soulagé. Maître Dennet pourrait sûrement nous en dire plus. Je le fais quérir sur le champ, déclara Joséphine avec enthousiasme avant d'appeler un agent. »
Cullen détourna les yeux de l’ambassadrice qui marchait dans la chanterie comme une monarque en pays conquis. La dame Antivane était une allié capitale pour l’inquisition. Elle tissait des liens avec la noblesse Orlésienne et Féréldienne comme un maitre artisan travaillait ses plus belles broderies : avec élégance et fermeté. Pour le commandant, l’art de la diplomatie était un mystère. Tous ces ronds de jambes pour plaire et satisfaire un interlocuteur était une perte de temps. Il aurait été bien incapable de trouver les mots justes pour rassurer une duchesse quant à la présence de dentelle inacceptable sur les bas d’une rivale. Mais Joséphine avait les mots. Ceux qu’il faut quand il faut. Le ton aussi, toujours posé et conciliant sans pour autant être obséquieux. Elle parvenait à éveiller l’intérêt de la noblesse dans une institution qui, à peine commencée, perdait déjà l’appui de la chanterie ET des templiers. Le seul vrai langage que l’ancien templier connaissait était celui des armes et de la guerre.
Il se pencha sur la carte. A l’heure qu’il est, le Messager d’Andrasté se trouvait dans les terres marécageuses du Bourbier Délaissé afin de secourir des soldats de l’inquisition retenus prisonnier par les Alvar. Le Messager avait des alliés bien étranges à ses côtés, mais Cullen n’était pas inquiet. Chacun d’entre eux était un élément intéressant. La présence de Dame Vivienne au sein de l’inquisition avait suscité l’intérêt de nombreuses familles nobles d’Orlaïs. Iron Bull représentait la force et magnait son équipe d’une main de fer. La présence de la charge avait une influence positive sur les recrues de l’inquisition. Solas étudiait l’immatériel et le voile, sans lui, les conseillers seraient davantage perdus face aux failles qui s’échappaient du ciel déchiré. Varric, en plus d’être un combattant émérite, savait comment booster le moral d’un soldat défaitiste en lui comptant mille et une aventure du héraut de Kirkwall. Blackwall, bien qu’un peu solitaire, était le seul garde des ombres à avoir rejoint leur rang. Il se battait pour défendre la veuve et l’orphelin et ne manquait pas de courage face aux dangers. Même l’agaçante Sera, avec ses mystérieux amis de Jenny la rousse, avait son utilité. Cullen n’était pas encore certain de laquelle, mais il était persuadé que sa présence au sein de l’Inquisition ne se résumait pas à des farces et des abeilles.
Les doigts de Cullen glissèrent sur la carte de Férelden et s’attardèrent un moment sur la silhouette sombre du lac Calenhad et ses falaises avant d’atteindre la Tour du Cercle. Un frisson l’envahit…
« Commandant ? »
La voix de Joséphine le rappela à l’ordre. Maitre Dennet se tenait face à la table d’état-major. Il avait croisé les bras sur son torse, visiblement mécontent d’avoir été enlevé à ses montures.
« Alors, qu’est-ce que vous me voulez ? s’impatienta-t-il.
— Nous avons quelques questions à vous poser concernant votre… cousine, répondit Léliana.
À la façon dont elle avait prononcé ce dernier mot, Cullen comprit qu’elle doutait de ce lien de parenté, sans savoir encore comment le prouver. Malgré lui, la curiosité le gagna. Ce brave Dennet cachait-il une enfant illégitime ? Ou une amante ? Le palefrenier lança un regard hostile à la maitre espionne la défiant de creuser le sujet. Il avait redressé le torse et le menton. Il avait changé de position pour se tenir plus fermement sur ses deux pieds. Dennet n’était pas un soldat mais sa posture montrait clairement qu’il était près à en découdre si besoin. Joséphine fut la première à réagir au changement d’atmosphère palpable.
« Vous êtes probablement informé que de nombreux réfugiés affluent à Darse afin de fuir le conflit des templiers renégats et des mages rebelles…
— Et alors ? Vous voulez que je les case dans mes écuries ? Impossible ! Les chevaux ont déjà à peine assez d’espace pour eux.
— Non, pas du tout, poursuivit Joséphine un tantinet étonnée par la vivacité de cette réponse négative. Beaucoup d’entre eux sont blessés…
— Je ne suis ni mage ni guérisseur. Je n’y connais rien aux gens. Moi, je soigne les bêtes : elles me sont plus sympathiques, et surtout moins bavardes.
— Ce que notre ambassadrice essaie de vous dire, intervint Cullen, c’est que nos rangs auraient grandement besoin d’un herboriste compétent supplémentaire.
— Et d’après mes rapports, les onguents et les potions préparés par votre parente sont très efficaces. Sa présence au sein de l’inquisition serait un avantage considérable.
Le palefrenier fronça les sourcils avant de détourner les yeux. Ses épaules s’affaissèrent et sa mâchoire se décontracta. C’était bon signe.
« Je n’aime pas l’idée de mêler Théa à toute cette agitation… »
Cullen grimaça. Il appréciait moyennement que l’inquisition soit traitée d’agitation, surtout par un de ses membres.
« Des vies sont en jeu, argumenta Joséphine. Adan est débordé, les mages sont impuissants. L’aide de votre cousine serait précieuse. Elle sera, bien entendu, accueillie comme il se doit et payée pour ses services. Sa solde pourrait être équivalente à…
— Ce n’est pas ce qui me préoccupe. Si l’argent intéressait Théa, elle ne vivrait pas aussi loin de la ville ou bien serait déjà mariée à un bon parti. Mais elle mène une vie de recluse, elle chérit le calme et sa tranquillité. Ici, avec tous ces soldats, ce bruit…
— Une vie tranquille ? s’étonna Léliana. Dans les Marches Solitaires ? Au cœur du conflit mage-templier ? Etes vous certain qu’elle soit en sécurité ? »
Dennet fronça une nouvelle fois les sourcils et plongea son regard sur la carte de Férelden.
« Vous avez dressé des tours de guet, les routes sont plus sûres, se défendit-il.
— Mais des villages brulent toujours, rappela Cullen à regret. L’inquisition fait son maximum pour garantir la sécurité des civils mais nous ne sommes encore qu’une poignée. »
Le palefrenier poussa un soupir. Cullen avait touché un point sensible. Dennet cherchait à protéger l’herboriste, mais il n’était pas idiot et conscient du danger. Des gardes de l’Inquisition patrouillaient régulièrement près de ses fermes afin d’assurer la sécurité de sa famille, mais cette cousine vivait loin. Seule. Donc sans défense. Dennet le savait, et il commençait à être de plus en plus inquiet.
« Elle serait plus en sécurité ici, insista le commandant.
— Darse ne possède pas de remparts bien solides, le contredit le palefrenier en jetant un regard moqueur à Cullen. »
Ce dernier resta de marbre et ne détourna pas le regard. Dennet disait vrai : Darse était une bourgade bien inoffensive en temps normal, un simple lieu de pèlerinage et en cas d’invasion, Cullen comptait surtout sur la protection du Créateur pour préserver ses habitants. Néanmoins, il déployait des moyens pour assurer la sécurité de la ville, en développant les défenses autant qu’il le pouvait. La construction de trois trébuchets en était la preuve.
Dennet finit par se frotter la barbe avant de baisser les bras.
« Théa vit dans une cabane dans la zone boisée à l’ouest des Marches Solitaires.
— Le bois Hafter ? Cette zone regorge de coupe-jarrets et d’ours sauvages, s’exclama Joséphine. Il est impératif qu’elle nous rejoigne !
— Je vais envoyer quelques agents pour lui demander de venir à Darse le plus rapidement possible, déclara Cullen en saisissant d’une main libre un listing d’agents disponibles et de confiance pour cette mission.
— Je vous conseillerai une approche moins formelle, commandant, intervint Dennet en frottant sa barbe blanche. Un détachement officiel ne lui donnera que l’envie de fuir. Envoyez une personne de confiance. Quelqu’un qui parle sans détour et qui ne se contente pas de répéter des ordres ou de transmettre un message. Théa est une personne simple et son interlocuteur doit lui ressembler. »
Dennet sembla réfléchir à la question, tandis que Joséphine attrapait les notes que tenait Cullen pour parcourir le listing et trouver l’agent idéal pour cette mission. Cullen secoua la tête. S’il le pouvait, il irait lui-même chercher l’herboriste. Mais il était épuisé. Il était d’ailleurs temps que cette réunion s’achève et qu’il puisse aller boire un verre à la taverne pour décompresser. Puis, cette idée le fit grimacer : Sera serait dans les parages et ne pourrait pas s’empêcher de lui chercher des noises avec ses pitreries. Il n’avait pas l’énergie nécessaire pour y faire face, cette fois en tout cas.
« Je pense que ce conteur, Varric, serait parfait pour cette mission, décida Dennet.
— Je crains que Varric Tethras ne soit en mission avec le Messager, répondit Léliana.
— Dans ce cas, une personne proche du peuple, comme lui, suggéra son interlocuteur. »
Cullen hocha la tête et ne put retenir un sourire en coin. Il connaissait la personne parfaite dans ce cas, et si cette dernière partait en mission, alors il ne craindrait plus de boire une bière à la taverne sans que sa tranquillité ne puisse être menacée.
« Parfait, répondit-il à maitre Dennet. Je me charge de cela. »
Le palefrenier le regarda droit dans les yeux durant plusieurs secondes avant d’acquiescer. Il se dirigea vers la porte puis marqua un temps d’arrêt avant de se tourner une dernière fois vers Cullen.
« Commandant, me garantissez-vous que ma cousine sera en sécurité ici ? »
Cullen se redressa, posa une main sur le pommeau de son épée.
« Non, mais je peux vous assurer que j’y veillerai personnellement. »