Dragon le prix du silence

Chapitre 1 : Dragon: les conséquences de l'oubli

2011 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/07/2025 08:57

"BAM ! BAM ! BAM !"

Trois grands coups secs résonnèrent sur la lourde porte de la chambre.

« Gouverneur ! Gouverneur ! Vous êtes attendu au port ! Quelque chose d’anormal est en train de se passer, le capitaine de la garde me demande de vous y amener sans tarder ! »

Orven ouvrit les yeux péniblement. La chaleur tropicale l’empêchait habituellement de dormir correctement — ça, et les moustiques qui le harassaient systématiquement lui rendaient ses nuits interminables.

Mais là non, il avait réussi à bénéficier d’un courant d’air frais, il dormait bien, il en était presque arrivé à oublier cette île maudite dont il était le Gouverneur. Gouverneur de trois cents couillons qui avaient cru à la promesse d’un nouveau monde plein de richesses et d’opportunités, et qui s’étaient échoués sur un caillou tropical inhospitalier où tout essayait de vous tuer.

Ils s’étaient établis le long de la côte, seul endroit à peu près habitable.

Ils avaient baptisé l’endroit Haroldion, en hommage à l’homme d’État, l’explorateur, l’ingénieur Harold. Sacré hommage ! Un nom grandiloquent pour un endroit abandonné de tous, et loin de tout, à des semaines en bateau de la capitale.

Seul intérêt de l’île : le guarana, cette liane complexe à cultiver, mais dont le fruit se revend à prix d’or à la bourse de Beurk. Mais cet eldorado a un prix : tout le reste est un enfer à cultiver. Les moutons sont tués par les serpents et les prédateurs qui pullulent sur l’île, les céréales ne survivent pas aux insectes locaux.

Les habitants en sont réduits à la chasse, à la pêche et à la cueillette pour survivre. Résultat : on chope la chiasse tous les deux jours, on n’est jamais certain que l’eau soit potable.

Heureusement, la flotte marchande, en venant rechercher le précieux fruit, amenait avec elle son bout de civilisation : nourriture, boisson, nouvelles de la capitale, etc. Mais comme d’habitude, cette flotte était en retard et tout le monde sur l’île était à cran.

BAM ! BAM ! BAM !

Trois nouveaux coups.

Cette fois-ci, la porte s’ouvrit et la servante déboula dans la chambre :

« Orven ! Vous êtes attendu ! Il se passe quelque chose d’inhabituel au port, il faut que tu viennes ! »

On était très loin de la capitale. Tutoyer un gouverneur, c’était un motif suffisant pour enterrer une carrière, mais ici, on faisait avec ce qu’on avait. Et elle le savait très bien.

« Vous êtes dans la chambre du gouverneur, bon sang ! s’indigna-t-il. Je pourrais vous licencier sur-le-champ. »

« Le gouverneur ? Allons donc ! Vous gouvernez quoi ici-bas ? Je sais pas quelle connerie vous avez dû faire à la capitale pour vous retrouver ici, mais vous avez dû en faire une sévère ! Bon, vous vous grouillez, oui ? J’ai jamais vu le capitaine dans un tel état d’agitation, et il y a une foule là-bas. Il y a un feu sur l’eau ! »

« Un feu sur l’eau ? Mais qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ?! »

« Écoutez, moi, on m’a demandé de faire mon job et de venir vous chercher. Si vous avez décidé de pas faire le vôtre, bonne nuit. Mais avec cette attitude, pas étonnant que vous ayez fini sur cette île ! »

« Ça va, ça va… »

« Je leur dis quoi alors ? Vous venez ? Ou j’annonce à la population ce qu’ils savent déjà : que vous êtes une déception et qu’il ne faut pas attendre de vous quoi que ce soit, si ce n’est de présider la fête du Grand Départ ? »

« J’arrive ! Foutez-moi le camp et attendez-moi dehors ! »

En s’habillant, il chercha frénétiquement le reste de whisky beurkien, mais en remettant la main dessus, il s’aperçut que la bouteille était vide.

« Pas étonnant que je dormais bien, pensa-t-il », en mettant sa toge officielle.

En parcourant les rues sombres qui le séparaient du port, il prit conscience du calme anormal et surréaliste qui régnait. Haroldion n’était pas une cité animée, surtout pas en pleine nuit, mais là, c’était différent : un silence absolu, comme si toute la ville avait déserté.

En arrivant au port, il fut surpris par le nombre de personnes présentes sur la digue. La servante lui avait dit qu’il y aurait peut-être du monde, mais c’était toute la ville qui était là en réalité. Plus loin, le capitaine de la garde, avec les quelques volontaires de la force publique — des bénévoles — tentaient de maintenir un semblant d’ordre.

« Capitaine ! Capitaine, je suis là ! fit Orven en agitant les bras. Que se passe-t-il ? »

« J’en sais foutre rien ! Regardez la mer là-bas : elle est en feu ! »

« Mais qu’est-ce que vous racontez ? »

En jetant un regard au loin, il vit en effet des lueurs orangées perçant la nuit noire : ce qui ressemblait étrangement à un feu gigantesque brûlant dans la nuit.

« C’est sûrement une île tropicale en feu », lâcha-t-il en haussant les épaules.

« Il n’y a aucune île dans cette direction, Gouverneur », soupira le capitaine, probablement las de son incompétence.

« Mais allez chercher une longue-vue alors, vous n’en avez pas ? »

« Heu… si, dans la tour de guet, sous clef. C’est notre seul exemplaire », avoua le capitaine.

« Ah, et vous attendez une occasion spéciale pour vous en servir, c’est ça ? »

« Oui ! Bon, bon ! Ça va ! Allez me chercher la longue-vue ! »

Quinze minutes plus tard, un jeune volontaire arriva dégoulinant de sueur.

« Ça y est, on l’a trouvée ! »

« Hé bah, la force publique, quand on n’est pas habitué, c’est impressionnant », lâcha le gouverneur avec humeur.

« Venant de l’élite intellectuelle de Beurk, je prends le compliment », rétorqua le capitaine du tac au tac. « Bon, voyons ça de plus près. »

Le capitaine brandit la longue-vue et resta un long moment en direction du feu. Après plusieurs instants, il baissa la longue-vue et sembla chercher ses mots.

« Bon alors ! C’est quoi ? » lâcha le gouverneur.

« La flotte marchande… Il n’en reste rien. C’est elle qui brûle. »

« Quoi ?! Mais… »

Le gouverneur arracha la longue-vue et la braqua vers le feu.

Ce qu’il vit était terrifiant. Au loin, les mâts des bateaux s’effondraient les uns sur les autres, les voiles étaient en feu, un nuage de braises s’élevait vers le ciel.

Ce qui l’intrigua le plus, c’était que des jets de flammes semblaient venir du ciel, attaquant directement les bateaux.

« Capitaine, vous voyez ce que je vois ? On dirait que les flammes viennent du ciel. Qu’est-ce qui se passe, bordel ?! Capitaine ! CAPITAINE ! »

Le capitaine était comme figé, il ne répondait plus à rien. Lorsque le Gouverneur finit par le secouer, ce dernier bredouilla :

« Ma femme… Mon fils… Le bateau… »

La population massée sur la digue commençait à s’agiter de plus en plus. Des discussions toujours plus animées, l’information que c’était la flotte qui brûlait n’était pas encore claire ni visible, mais les rumeurs s’amplifiaient et les gardes, qui étaient des volontaires, n’avaient absolument pas le professionnalisme requis pour ce genre de situation.

« Vous allez nous dire ce qui se passe, oui ?! »

« Ils ne savent pas eux-mêmes ! »

« C’est la flotte qui a un problème ? »

« Peut-être une aurore boréale ? »

« Une aurore boréale orange ? On se doute que t’as pas fait l’académie, mais quand tu l’ouvres, ça ne fait plus aucun doute. »

Un jeune conscrit s’approcha du capitaine et du gouverneur.

« Je pense qu’il serait bon de calmer la foule et de s’adresser à elle. »

Le capitaine était complètement paralysé. Orven essayait de réfléchir le plus vite possible. Dire la vérité risquait de créer un vent de panique. La cargaison apportée par les navires était attendue depuis longtemps. Sans elle, c’était encore six mois sans médicaments, nourriture correcte, lettres, etc. Et le capitaine avait soudain rappelé à Orven que des familles voyageaient peut-être avec les bateaux… mais combien ? Il n’en savait rien, car ça ne l’intéressait pas. Mais les gens allaient lui poser des questions, et il n’avait aucune réponse.

« Je… Oui… sûrement… »

Soudain, le vent changea de direction et souffla en direction de l’île.

Le calme morbide qui régnait jusqu’alors fit place aux cris d’horreur des marins qui hurlaient de douleur, essayaient de survivre à l’enfer. On entendait le désespoir, mais aussi le craquement du bois qui cède et sombre dans l’oubli… et un bruit inconnu : des sortes de rugissements surnaturels, indescriptibles.

« Mon dieu, mais c’est la flotte ! » s’écria une personne dans la foule.

« Il faut les aider ! Envoyer de l’aide ! »

« Mais quel est ce phénomène ?! »

« Des dragons ! » s’écria une voix dans la foule.

« Taisez-vous, débile ! Vous voyez bien que c’est sérieux ce qui se passe, gardez vos histoires pour enfants ! »

« Mon fils est du voyage ! Que quelqu’un l’aide, par pitié ! » cria hystériquement quelqu’un.

Le jeune garde se retourna vers les deux officiels, paniqué.

« Alors, vos ordres, Capitaine ? Vos ordres ! »

« Je… » prononça le capitaine.

« Tout est perdu », murmura le gouverneur.

Il le savait. Personne ne lui pardonnerait cet évènement, même s’il n’y était pour rien. Il venait d’une famille ruinée, qui avait réussi à faire un bon mariage avec une famille noble qui n’avait eu que des filles. Il avait réussi à se faire passer pour beaucoup plus riche et plus influent qu’il ne l’était en réalité, et avait épousé la plus jeune des filles.

Quand elle s’en rendit compte, il était trop tard, et s’installa une haine cordiale entre eux. Elle essaya néanmoins de lui trouver un poste dans la marine marchande, mais son manque de charisme et de talent éclata au grand jour. Et comme on ne pouvait pas faire partie de la classe dominante sans dominer, elle avait postulé pour lui à un poste de gouverneur dans une colonie agricole aux tréfonds du monde connu.

« Au moins là, si tu fais des conneries, tout le monde ici s’en foutra », lui asséna-t-elle le jour de la nouvelle.

Il avait, au début, l’espoir naïf mais réel de faire de cette colonie une colonie prospère, qui apporterait sur lui suffisamment de prestige, et qui, grâce à des résultats exceptionnels, lui permettrait de regagner les grâces de la capitale.

C’était sans compter les sécheresses, l’incompétence et le manque de connaissances des agriculteurs… et de lui-même.

Mais ça… ça, c’était bien plus qu’impardonnable.

Une flotte marchande qui disparaît entièrement en une nuit, sans explication : c’est lui qui sera exécuté pour ça, si la population ne le lynche pas d’abord.

Un bruit sourd se fit entendre, d’abord lointain. Des ombres semblaient danser dans le ciel nocturne, mais ces dernières devenaient de plus en plus grandes, et un bruit de claquements d’air devenait de plus en plus persistant et sonore.

Un début de panique commença à se répandre dans la population.

Soudain, le capitaine sortit de sa torpeur, arracha la longue-vue et la brandit vers le ciel.

Blême, il se mit à crier :

« Ne restez pas là ! Les femmes et les enfants, à l’intérieur des terres, vite ! »

À ce moment-là surgit de derrière la foule une ombre gigantesque, de la taille d’un temple, ce qui stupéfia la foule qui s’interrompit brusquement de parler. D’autres ombres apparurent à son côté.

Quelqu’un hurla dans la foule :

« DES DRAGONS !!!!! »

Et le feu jaillit.



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