De sang et d'os

Chapitre 2 : Le premier combat

5800 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 13:22

D’un coup de talon, elle fit partir son cheval au galop. Aussitôt, ses servantes partir à sa suite. Guerrières vêtues d’armure d’acier et épées battant à leur hanche, elles suivirent leur princesse à travers les forêts jouxtant Jianye, leurs chevaux soulevant de lourds nuages de poussière. Elles étaient parties à l’aube. Les seigneurs Sun JIan et son fils aîné, Ce, ayant rejoint les forces de l’empereur Han au nord, c’était le cadet des Sun, Quan, qui était à la tête de la seigneurie. Des villageois s’étaient présentés deux jours auparavant, apeurés. Des brigands commettaient des raids sur leur village, pillant, violant et tuant autant qui le voulaient avant de disparaître et de revenir quelques jours plus tard pour commettre les mêmes méfaits.

Quan avait au départ demandé à des lieutenants de son armée de se charger de ces criminels mais Shangxiang s’était proposée. Après une âpre discussion avec son cadet, elle avait réussi à le convaincre de la laisser partir avec sa garde personnelle pour régler ce problème. L’occasion était trop belle, elle se devait de faire ses preuves et de montrer aussi bien à son peuple qu’à sa famille qu’elle était aussi apte que n’importe quel homme pour livrer bataille. Son père avait fermement refusé qu’elle l’accompagne au combat, à sa plus grande frustration :

« Tu es encore trop jeune, avait-il dit, tu sais te battre mais tu ignores tout d’un champ de bataille. Ce est un homme fait et mon héritier, il est naturel qu’il soit à mes côtés. Ce sera la guerre, Shangxiang, je n’aurais pas le temps de m’inquiéter pour toi alors que l’Empire des Han est en train de s’effondrer. Reste auprès de Quan et observe-le diriger, il aura aussi besoin de ton soutien pendant mon absence. »

Elle eut beau supplié son père, ce dernier ne céda pas, se contentant de lui promettre de l’emmener pour la prochaine bataille s’il l’en jugeait capable. Elle avait beau avoir seize ans et être une femme faite, le patriarche ne semblait pas prêt à lui donner sa chance. Si elle parvenait à défaire les pillards qui attaquaient ce village, elle pourra démontrer au Tigre de Jian Dong qu’elle était aussi brave et féroce que lui.

La jeune fille avait avec elle pas loin de cent femmes en armes, sa garde rapprochée. Entraînées et vaillantes, la princesse se plaisait à penser qu’elles étaient une petite armée sous ses ordres. Elles s’exerçaient avec elle au maniement des armes depuis des années, sous le regard souvent interloqués, parfois réprobateurs, des autres soldats.

La forêt laissait défiler devant elles sa haie d’honneur d’arbres. D’ici une ou deux heures, elles seraient au village, prêtes à affronter le moindre ennemi se présentant à elles. Shangxiang n’avait aucune idée de la manière dont le combat allait se dérouler ou même si les brigands se présenteraient bel et bien au village. Il y avait fort à parier que, se doutant que des représailles ne tarderaient pas à tomber, ils aient fuis vers un autre lieu à détruire ou qu’ils cherchent à se faire oublier en attendant que les forces des Sun quittent le village. Quant à la stratégie, elle s’était tourné vers Lu Su, un tacticien de son père, afin de savoir quelle approche serait la plus efficace.

« Ce sont des bandits, pas des guerriers. Ils frappent vite et fort puis s’enfuient, ils s’attaquent à des villageois sans défense mais seront incapables de rivaliser avec un adversaire en armes. Prenez-les au dépourvu et éliminez-les. »

Alors que le soleil était déjà haut dans le ciel, elles pénétrèrent dans le village.

La troupe fut accueillie par un vieillard, visiblement le doyen, qui s’inclina avec respect devant Shangxiang :

« Nous attendions votre venue ! Béni soit notre seigneur de vous avoir envoyez ! »

« Les brigands sont-ils dans les environs ? » demanda aussitôt la princesse

« Ils ont attaqué hier, ils ne doivent pas être loin… ils ont assassiné deux de nos fermiers. Un homme et son fils… il n’avait que dix ans. »

Jetant un coup d’œil par-dessus l’épaule de son interlocuteur, elle remarqua alors deux corps posés à même le sol, sobrement recouverts d’un voile blanc. Une femme inconsolable était agenouillée près des dépouilles, pleurant et hurlant sa peine. La jeune fille serra les poings et détourna les yeux, la rage au cœur. Elle savait quelles horreurs perpétraient les assassins sévissant dans les environs mais les voir était autre chose, un sentiment de douleur et de haine mêlées renforcé par la vue des cadavres que ces criminels laissaient derrière eux.

« Vos morts seront vengés, jura-t-elle entre ses dents, nous ne laisserons pas ces crimes impunis, soyez-en certain. »

Sans attendre la réaction du doyen, elle se retourna vers ses suivantes et leur ordonna de se préparer.  Aussitôt, les guerrières mirent pied à terre et sortirent leur lame du fourreau. Certaines exhibaient un arc, une flèche déjà encochée. Shangxiang attacha ses chakrams à sa ceinture et pris elle-même son arc en main. Les anneaux d’acier étaient devenus son arme de prédilection. Précis et mortels, ils lui permettaient de combattre au corps à corps dans un ballet redoutable tout en conservant ses ennemis à bonne distance.

Le village était suffisamment étroit pour que sa garde puisse l’encercler convenablement afin de prévenir toute attaque surprise. Revêtue de sa cuirasse d’acier, Shangxiang noua autour de son front un bandeau rouge sang, la couleur de sa famille, et attendit auprès de ses gardes à l’entrée du village.

Les heures s’écoulèrent sans qu’aucun bandit n’apparaisse. Au fur et à mesure que le temps passait, la jeune fille sentait sa patience s’amenuiser. Elle était venue pour affronter des brigands, et voilà que ces derniers restaient sagement hors de vue. Elle savait que cela était à prévoir mais elle ne pouvait s’empêcher d’être frustrée et déçue, comment pouvait-elle prouver à son père qu’elle était une combattante digne de ce nom si elle n’avait aucun adversaire dans lequel ficher sa lame ?

Alors que la nuit commençait à tomber, le bruit assourdissant de chevaux lancés au galop s’éleva au loin, depuis la forêt. Quelques instants plus tard, des cris retentirent, échos à ceux des villageois qui se barricadèrent dans leur maison. Une cinquantaine d’hommes à cheval apparurent alors, vociférant, épées au clair. Shangxiang se tendit, un frisson d’excitation parcourut son échine tandis qu’elle ressaierait son emprise sur son arc. Le combat allait enfin avoir lieu.

Les brigands se stoppèrent devant la ligne de défenseurs formée par la princesse et sa garde. Mettant pied à terre, ils s’avancèrent, nullement impressionnés par les femmes en armes devant eux. L’un d’eux prit la parole, exhibant un large cimeterre encore tâché de sang :

« Voilà donc la fabuleuse réponse du vieux Tigre ? Une bande de putains ?! »

Lui et ses acolytes partirent dans un immense éclat de rire. Alors qu’une bouffée de colère la saisissait, Shangxiang encocha une flèche à son arc et le leva en direction de l’énergumène qui venait de l’insulter.

« Je te ferais payer tes crimes et ton insolence, bâtard ! »

Le brigand ricana de nouveau :

« On verra si tu as autant de verve lorsque tu seras sous moi ! Je te ferais hurler, sale… »

Sa phrase mourut dans un gargouillis sanglant et il s’effondra, une flèche plantée dans la gorge. Les autres hommes le regardèrent mourir, surpris. Décidant de profiter de ce moment, la jeune fille lança l’assaut et elle et ses gardes s’élancèrent en hurlant. Les sbires se reprirent et firent face. Femmes ou pas, il était hors de question de retenir leurs coups.

Abandonnant son arc, Shangxiang saisit ses chakrams et se jeta dans la bataille. Aucune peur en elle, juste le sentiment d’être au bon endroit au bon moment, dans le bon temps. Ses anneaux décrivaient des cercles argentés autour d’elle, tranchant chair et os, n’accordant qu’un bref coup d’œil vers ses soldates afin de voir lesquelles semblaient en difficulté.

Le combat fut bref et sanglant.

Lorsqu’il apparut clair aux hommes restants que celles qu’ils affrontaient les surpassaient, certains décidèrent de fuir, montant précipitamment sur leur destrier pour s’échapper. Une volée de flèches les frappa dans le dos, achevant ce qu’il restait de brigands. Les bras engourdis et haletante, Shangxiang observa les alentours. Des cadavres jonchaient le sol, ceux des bandits mais également certains de ses gardes, frappées mortellement. Reniant ses larmes, elle ramassa ses armes et rassembla ses troupes. Bon nombre d’entre elles étaient blessées et Shangxiang elle-même présentait plusieurs entailles mais l’heure n’était pas à la médecine.

Une fois les villageois assurés que plus aucun brigand ne les attaquerait pour le moment, ils ramassèrent les dépouilles des guerrières et élevèrent un bûcher funéraire en leur honneur. Incapable de prononcer un mot, la jeune fille se contenta de s’incliner devant le sacrifice de ses gardes, la gorge nouée. Elles repartirent le lendemain, encore marquées par le combat qu’elles venaient de vivre. La princesse restait silencieuse, plongée dans ses pensées. Elle savait ce qu’était la guerre, le sang, la violence, elle avait entendu tant de fois les hommes en parler au palais. Elle avait déjà été blessée, avait déjà saignée mais jamais elle n’avait songé à la charge qu’était d’être un guerrier.

Elle n’avait ressentie aucune émotion particulière en tuant ces bandits, se contentant de frapper ceux qui se dressaient devant elle. Pas un instant elle n’avait songé à la mort de ses soldats ou à la sienne, elle n’avait songé qu’à la perspective excitante de l’affrontement et au besoin de se mesurer à un réel adversaire. Elle avait à présent goûté à la véritable sensation du sang éclaboussant sa peau et ses armes, au fait de voir un homme tombé sous ses coups et ne pas se relever mais la bile lui montait à la gorge, écœurante. Les assassins avaient été abattus, les villageois vengés mais elle avait la sensation d’avoir perdu. Perdue l’innocence naïve qui lui avait soufflé que rien ne pouvait la blesser ou la tuer, elle et ses soldates. Perdue la colère qui lui disait que son père ne lui faisait pas suffisamment confiance pour l’emmener en guerre avec elle.

L’idiote !

Ce n’était pas une histoire de confiance.

Elle n’était pas prête, ce combat lui avait prouvé. Elle n’avait eu aucun mal à se défaire de bandits mais son esprit était encore trop fragile, trop enfantin, pour se frotter aux réelles horreurs des impitoyables affrontements qui déchiraient la Chine. Comment pouvait-elle espérer devenir une vraie guerrière si elle n’avait même pas conscience de sa mortalité ? Comment pouvait-elle espérer survivre dans un contexte de massacre lorsque la douleur de perdre ses proches tordait ses tripes ?

 

Elle et sa garde rejoignirent Jianye avant midi. Elles furent accueillies par les vivats des citoyens, ravis de voir leur princesse revenir victorieuse. Shangxiang les salua d’un geste de la main et d’un sourire fugace. Elle espérait secrètement que son père était revenu du nord afin de lui confier ses troubles. Elle laissa ses servantes regagner leur demeure et se dirigea vers le palais, ses vêtements étaient encore tâchés de sang et de terre mais elle n’en avait cure. Elle revenait d’un combat et était désireuse d’annoncer à Quan la réussite de son entreprise. Après, seulement, elle pourra réfléchir à ce qu’elle avait traversé.

Elle trouva son frère dans la salle du conseil, en pleine conversation avec Cheng Pu et Han Dang, deux des plus loyaux et expérimentés guerriers au service de leur famille. Lorsqu’il l’aperçut, un sourire soulagé étira les lèvres du jeune seigneur, aussitôt suivi d’une mine inquiète devant son état.

« Shangxiang ! Tu vas bien ? Tu es blessée ? »

La jeune fille lui adressa un sourire rassurant.

« Ça va, Quan. Je me suis chargée ces brigands, ils sont morts. »

Le jeune homme accueilli la nouvelle avec un hochement de tête satisfait et l’invita à s’asseoir à ses côtés. Il laissa sa sœur narré son aventure aux deux soldats qui lui faisaient face. Ils accompagnaient le seigneur leur père depuis des années et connaissaient les rouages du combat sur le bout de leur lance. Une fois le récit du combat achevé, les deux vétérans la félicitèrent :

« Vous avez bien combattu, Princesse, même ces bandits de grands chemins peuvent faire de redoutables adversaires. Ils ne reculent devant rien, ni personne ! » commenta Cheng Pu

« Bon sang ne serait mentir ! » renchérit son compère

L’adolescente ne put s’empêcher de rougir. Être ainsi complimentée gonfla son cœur d’orgueil et un sourire fier étira ses lèvres.

« Certaines de mes gardes ont néanmoins payées cette victoire de leur vie, regretta-t-elle, nous leur avons rendu hommage et enterrées au village. »

Son sourire s’évapora. Le souvenir de ses compagnes disparues, aussi vif que ses plaies, lui noua la gorge. Elle sentie la main de son frère se poser sur son épaule :

« Elles étaient parfaitement conscientes des risques, petite sœur, dit-il d’une voix douce, elles étaient prêtes à mourir pour toi. Elles sont tombées au champ d’honneur, tu n’as rien à te reprocher. »

« Cela aurait pu être évité… si je n’avais pas foncé tête baissée comme une idiote… »

Cette fois, ce fut Han Dang qui prit la parole :

« Qui prend les armes apporte la mort, Princesse, vous ne l’ignorez pas. Vous en êtes consciente et vos gardes aussi. Ce sont ces assassins qui ont tués vos compagnes, pas vous, ils sont les seuls à blâmer. Au vu de votre jeune âge, même mettre en déroute une bande de bandits est une belle victoire dont vous pouvez vous enorgueillir. »

La jeune fille remercia le vétéran d’un sourire et se leva.

« Je vous laisse, je crois que j’ai besoin de prendre un bon bain pour me laver de cette crasse. »

« Quand tu auras fini, vas voir notre mère. Une femme s’est présentée ce matin, elle désire rejoindre ta garde personnelle. »

Shangxiang fronça les sourcils. Rares étaient les femmes suffisamment indépendantes pour prendre les armes et se présenter ici pour la rejoindre. Bridées par leur père, frère ou époux, elles devaient souvent renier leur affection pour le combat, jugé comme étant le domaine des hommes. Voilà bien longtemps qu’elle n’avait pas accueillie une nouvelle guerrière dans sa garde.

« Quel est son nom ? »

«Bu Lian Shi. »

 

~ ¤ ~

 

Une fois lavée et ses plaies pansées, Shangxiang se revêtit, attachant un simple sabre à sa ceinture. Non pas qu’elle craignait de se faire attaquer au sein du palais de son propre père mais elle aimait le contact rassurant d’une lame contre sa jambe. Elle se dirigea vers les appartements de sa mère, Wu Guotai. Intriguée par cette étrangère qui espérait être recrutée, elle n’avait guère pris le temps de réfléchir aux événements de la veille. L’arrivée de cette femme lui permettrait au moins de s’occuper l’esprit. Pour le moment.

Les gardes en faction s’inclinèrent devant elle lorsqu’elle se présenta devant la porte de sa mère, elle leur rendit leur salut d’un geste de la main et frappa.

« Entre, Shangxiang. »

La jeune fille pénétra dans la pièce. L’éternelle odeur d’encens qui imprégnait la salle la saisit aux narines. Sa mère avait toujours parfumé sa chambre de cette manière, aussi loin qu’elle s’en souvienne. La matriarche de la famille Sun, enveloppée dans une longue robe de soie rouge, conversait posément avec une jeune femme, d’une vingtaine d’années. Cette dernière se leva à l’apparition de la princesse et s’inclina profondément.

« Je te présente Bu Lian Shi. »

L’étrangère qui lui faisait face possédait une longue chevelure noire nouée en une queue de cheval, des formes voluptueuses à faire rêver tous les hommes et un regard saisissant. Elle lui adressa le sourire le plus charmant et courtois qu’il existe. La jeune fille l’observa un moment. Rien dans son port ni dans sa tenue ne lui indiquait qu’elle était formée au maniement des armes, elle semblait au contraire plus être femme à apprécier toutes ces choses « féminines » qui désespéraient tant Shangxiang.

« C’est un honneur de vous rencontrer, ma Dame. »

La voix de Lian Shi était douce, posée, mature.

« Honneur partagé, répondit la princesse en souriant, tu n’es pas armée ? »

« Figure-toi que toutes les femmes ne se baladent pas avec une épée à la ceinture. » intervint Wu Guotai avec un coup d’œil réprobateur sur le sabre qu’abordait sa fille.

Elle ne prit pas la peine de répondre. Si son père avait toujours accepté l’amour des arts martiaux de sa fille avec fierté, il n’en allait pas de même pour sa mère. Cette dernière avait longtemps espéré que sa fille unique abandonnerait sa lubie de s’entraîner au combat pour s’intéresser à des activités plus communes aux femmes. Peine perdue, Shangxiang continuait d’accrocher des armes dans ses appartements, à défaut de fleurs et voiles faits de soie.

« J’ai laissé mon arbalète  à l’entrée du château, ma Dame, comme ordonné par les gardes en faction. »

La jeune fille fronça le nez. L’arbalète lui semblait être une arme encombrante et peu utile, à la différence de l’arc. Peu maniable et longue à recharger, elle lui avait toujours préféré la simplicité d’un bon bois et d’une corde tendue.

« Pourquoi désires-tu rejoindre ma garde personnelle ? » demanda-t-elle à l’étrangère

« J’ai à cœur de servir la famille Sun, répondit-elle, mon père voue une grand admiration au votre ainsi qu’à vos frères. De plus, vous avez la réputation d’être une féroce guerrière également. Être à vos côtés serait un immense honneur. »

Un nouveau sourire étira les lèvres de la jeune fille, tandis que sa mère levait les yeux au ciel. Il lui restait néanmoins une dernière chose à faire.

« Ce soir, avant le repas. »

« Plaît-il, ma Dame ? » Lian Shi lui lança un regard surpris

« Je veux voir ce que tu sais faire, expliqua Shangxiang, je te propose donc de m’affronter à mains nues, ce soir, sur la place d’armes. Avant le dîner. Comme ça, nous pourrons avoir une conversation intéressante pendant le repas ! »

 

~ ¤ ~

 

« Que penses-tu d’elle, Mère ? »

« C’est une femme charmante. Mature et simple, elle te plaira, j’en suis sûre. Ton frère Quan semble en tout cas déjà l’apprécié. »

« Il suffit qu’une fille soit jolie pour qu’elle plaise à Quan. »

« Elle fera une excellente compagnie pour toi. Et ce ne sera pas plus mal que tu aies une suivante qui se comporte réellement comme une femme ! »

 

~¤~

 

Le soleil commençait à décliner lorsque Shangxiang se présenta à la place d’armes. La majorité des soldats avait achevé leur entraînement et était rentré chez eux. Rares étaient les badauds encore présents, ce qui lui convenait parfaitement. Moins de monde il y avait, plus elle pourra se concentrer sur les capacités de sa peut-être future garde. L’idée d’un combat à mains nues lui plaisait, peut-être pourrait-elle après la défier dans un concours de tir ou bien…

« Je suis prête, ma Dame. »

Shangxiang se retourna. Lian Shi venait d’arrivé, elle avait troqué sa robe pour une tenue de toile plus propice à un entraînement martial. La jeune fille hocha la tête et lui indiqua un cercle tracé dans un coin de la place, spécialement prévu pour les affrontements à mains nues.

« Tous les coups sont permis, dit-elle, celle qui reste debout à la fin gagne. Vu ? »

Les deux femmes se positionnèrent  face à face. Tout en se mettant en garde, Shangxiang remarqua que le regard de Lian Shi avait changé. Plus aucune douceur dans les yeux noisette mais une détermination sans faille. Sa pose de combat, simple et efficace, évaporèrent les doutes que l’adolescente avait encore sur l’étrangère : c’était une guerrière qu’elle avait en face d’elle.

Cette nouvelle certitude ancrée en elle, Shangxiang bondit. La force physique n’avait jamais été son fort mais elle compensait ce manque par une vitesse et une agilité exceptionnelles. Lançant son pied droit en direction de l’abdomen de Lian Shi, cette dernière l’évita au dernier moment, pivota sur ses hanches. Shangxiang baissa la tête, juste à temps pour éviter le coude de son adversaire qui lui aurait pulvérisé la mâchoire. Elle passa dans le dos de Lian Shi, frappa du tranchant de la main dans les côtés, un sourire dur étira ses lèvres lorsqu’elle l’entendit grogner de douleur. Reculant vivement pour esquiver une riposte fulgurante, elle ne put empêcher le genou de la jeune femme de la heurter à l’estomac.

Le souffle coupé, elle s’écarta. Lian Shi était rapide, précise dans ses coups. Si elle l’avait au premier abord pris pour une dame de compagnie tout à fait banale, elle se devait de reconnaître qu’elle s’était lourdement trompée. La jeune fille bondit vers l’avant, enchaînant les coups de poings. Son adversaire lui répondit avec la même fougue, bloquant ses frappes et ripostant quand elle apercevait une faille dans la garde de la princesse. Shangxiang lança son poing gauche. Au dernier moment, ce fut son droit qui heurta la pommette de Lian Shi, la faisant basculer. Certaine de l’emporter, elle s’élança sur elle, prête à la plaquer au sol mais la jeune femme se rattrapa au dernier moment et, du plat du pied, la heurta violemment à l’épaule.

Poussant un gémissement, l’adolescente recula tandis que Lian Shi se remettait en garde, une lueur surprise dans le regard. Sans s’attarder sur la douleur fusant de son épaule, la princesse repassa à l’attaque, usant de frappes courtes et précises pour affaiblir l’étrangère. Quand son enchaînement le lui permit, elle lança sa tête en avant, assénant un formidable coup de front en plein visage de Lian Shi. Sans lui laisser le temps de tomber à la renverse sous la violence du choc, elle la saisit par une épaule et lui lança son genou dans l’abdomen, la pliant en deux.

Saisissant la longue chevelure de la jeune femme, elle la jeta à terre et recula, persuadée d’avoir remporté le combat.

« Déjà ?, lança-t-elle, provocante, Ne me dis pas que c’est tout ce que tu… »

Elle n’acheva pas sa phrase. Lian Shi s’était relevé, un fin filet de sang coulant de son arcade sourcilière ouverte. Elle souriait et, outre l’hémoglobine sur son visage et la poussière sur ses vêtements, rien ne montrait qu’elle était en plein combat.

« Navrée, ma Dame, dit-elle, je retenais mes coups, craignant de vous blesser. Je remarque que cette mesure était inutile. Je vais donc pouvoir me mesurer à vous avec toutes mes capacités. »

Shangxiang grimaça. L’étrangère ne semblait même pas souffrir. Certes, elle ne l’avait pas frappée de toutes ses forces mais elle avait espérée l’avoir au moins diminuée suffisamment pour écourter leur combat. Reprenant courage, elle se jeta à nouveau sur Lian Shi. L’une et l’autre déterminée à vaincre, elles s’affrontèrent encore, recouvrant leur corps d’ecchymoses et de plaies, refusant de céder à la fatigue ou à la souffrance. Les minutes s’écoulaient, des éclats de voix s’élevaient dans leur dos, de plus en plus intenses. Ni l’une, ni l’autre n’accordèrent la moindre importante à cette agitation.

Ce fut finalement le retour du seigneur Sun Jian qui interrompit leur combat.

« Mais que ce se passe-t-il ici ?! »

Encore aux prises avec Lian Shi, Shangxiang sursauta et s’écarta de la jeune femme. Son père se tenait face à elle, encore assis sur son destrier de guerre. Son regard allait de sa fille à Lian Shi, interloqué. Délaissant son adversaire, l’adolescente se rapprocha de son père. Un attroupement de soldats revenus avec leur seigneur s’était formé autour de la place d’armes, observant les deux guerrières bouche bée :

« Navrée, Père, je combattais avec Dame Bu Lian Shi qui a émis le souhait de rejoindre ma garde. »

Mettant pied à terre, Sun Jian regarda longuement sa fille, avant de tourner ses yeux d’ambre vers Lian Shi.

« Cela fait beaucoup de sang et de bleus pour un simple entraînement, tu ne trouves pas ? »

Shangxiang baissa la tête. Ses vêtements étaient déchirés, du sang et de larges ecchymoses témoignaient de la brutalité du combat qu’elle venait de livrer et elle remarqua que Lian Shi ne se portait guère mieux qu’elle. Gênée, la jeune femme ne semblait pas savoir où se mettre, mal à l’aise que le maître des lieux la rencontre dans cet état.

« Je… balbutia la princesse, confuse, je ne pensais pas à la blesser. Pardonne-moi, Lian Shi, je ne voulais pas me montrer violente. »

« Vous n’avez pas à vous excuser, ma Dame. Je suis seule fautive. »

Sun Jian secoua la tête, un sourire étirant finalement ses lèvres.

« Vas donc te changer, dit-il à sa fille, je meurs de faim et je suis sûr que tu m’en voudrais si je commençais à raconter ce qu’il s’est passé sans que tu sois là pour l’entendre. Dame Bu, vous joindrez-vous à nous ? Je suis certaine de nos dames de compagnies vous trouveront une tenue  votre convenance. »

Lian Shi joignit les mains et s’inclina gracieusement :

« J’en serais honorée, Seigneur. »

Sun Jian lui rendit son salut et posa une main sur l’épaule de Shangxiang :

« Je pense que vous avez plu à ma fille, autant donc que vous vous habituiez dès maintenant à son sale caractère ! »

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