Oasis
Il y a dans l'eau chaude quelque chose de très réconfortant. J'adorais les douches brulantes, celles qui font rougir votre peau, et qui détendent tout vos muscles, vous donnant l'impression que vous allez tomber dans le pommes d'une minute à l'autre. Elles ont quelque chose de presque surnaturel.
Mais ces derniers temps, je n'arrive plus à les supporter. Premièrement, parce que ça doit bien faire une semaine que je suis restée enfermé dans ma chambre à macérer dans mon propre jus, et deuxièmement parce que je brule trop de l'intérieur que pour tolérer que mon corps s'enflamme à son tour.
C'est interessant de constater que l'eau glacée rend la peau violette, compresse encore plus vos muscles, et vous tient en haleine. Même si mon corps me hurle d'augmenter la température, je me force à laisser couler, doucement, contre tout mes membres. L'eau gelée qui goutte de vos cheveux c'est le pire. Mais je préfère ça. Je préfère ça à me sentir inerte et dépourvu de sensations. Ça faisait des jours que je n'avais pas bougé: j'avais besoin de me réveiller. Et quoi de mieux qu'une douche froide pour ça?
En sortant j'ai le membres qui tremblent, mais je ne me dépêche pas de prendre ma serviette pour essuyer tout ça ou de m'emmitoufler dans un peignoir. Je me place, pieds joints, devant la grande glace à l'extérieur de la douche. Pas d'eau chaude, bas de buée : il n'y a que moi face à cette glace légèrement humide, et l'ambiance de frigo qui émane dans la salle. Je suis un peu plus présentable comme ça...
Mais à peine.
Dans le miroir, j'observe que j'ai la peau sèche, des cernes violettes sous les yeux, des boutons sur le front et que mes cheveux sont toujours aussi emmêlés. Mes épaules sont anguleuses et je vois bien que j'ai perdu du poids, mes seins pendent un peu et je distingue très aisément l'os de mes hanches. J'avais déjà constaté ma fonte corporelle à mon arrivé au QG. Évidement : le rationnement de nourriture m'avait changé de mes habitudes alimentaires sur Terre. Mais là, c'était catastrophique. Le peu de muscle que la marche et les entrainements quotidien m'avaient fait gagnés avaient disparus. J'étais laide.
Ce corps terne et creux avait beau être propre, je ne me sentais toujours pas mieux. Alors c'était vraiment le corps de la fille aux yeux vides? Celui qu'elle habitait? Celui qu'elle hantait?
En écho à mes pensées, mon ventre se mit à gargouiller. Il est vrai que j'avais comblé ma faim avec de l'eau et du sommeil, quand c'était possible. Rien de plus. Rester encore enfermé ne m'aiderait pas. Je ne devais pas montrer que ça m'affectait. Tout allait bien, je ne devais pas attirer l'attention sur moi, je n'ai pas besoin de pitié.
Il ne manquerait plus que ça.
Je me suis habillé rapidement, troquant le petit haut bleu et le short que Miiko m'avait prêté contre une blouse ample qui descendait un peu au dessus de mes genoux. Mes cheveux plein de fourche m'agaçait, je les relevais en queue de cheval haute pour dégager mon visage. Mauvaise idée. Mes cernes étaient encore plus visible, mes traits encore plus tirés et mes sourcils encore plus broussailleux. J'ai éparpillé quelques une de mes mèches et ma frange trop longue pour couvrir mon visage. C'était pas encore ça mais c'était un peu mieux.
J'ai quitté la salle d'eau, déposer mes affaires dans ma chambre et prier pour ne croiser personne.
Pensée idiote. Quelques membres que je ne connaissais pas terminaient de manger, Karenn et Alajéa étais assise, un plateau intacte devant elle. J'avais beau avoir trainé aussi longtemps que j'avais pu dans la salle de bain dans l'espoir de dépasser l'heure de table. J'aurai du me douter que Karenn était plus coriace que moi à ce niveau là. Déjà qu'elle m'avait obligé à aller me doucher... Il fallait que j'arrête de me comporter comme une assistée.
J'ai redressé les épaules, soufflé un bon coup et me suis dirigé vers le self. Mon plateau glissait, et s'alourdissait - tout comme mon coeur d'ailleurs - au fur et à mesure.
Couverts, vert d'eau, morceau de pain, fruit.
Finalement j'arrivais à la hauteur du plan de travail qui séparait la cuisine de la cantine. Peut-être que si je ne regarde pas, il ne dira rien, ou que par chance c'est quelqu'un d'autre qui me servira. C'est ça que j'ai pensé, j'ai lancé un « bonjour » rapide. Le bruit d'une louche, d'une sorte de ragout de légumes qu'on jette dans mon assiette. Un signe de tête en guise de remerciement et me suis retourné en remerciant le ciel de ne pas être tombé sur lui quand mon plateau a heurté quelque chose. Ou plutôt quelqu'un.
« Oh, une revenante »
Karuto était debout devant moi, l'air bourru, une serviette sur l'épaule.
J'ai retenu un soupir.
« Salut »
« Ça fait un moment qu'on t'a pas vu, t'as eu le temps de retourner chez toi avant de réaliser que c'était génial ici » il a ironisé l'air fière de sa blague.
Chez moi. Retourner chez moi. Revenir ici.
J'ai ris en m'imaginant lui lancer mon plateau au visage.
« Quelque chose ne vas pas? » a-t-il demandé?
« Rien, j'ai un peu mal au ventre donc... »
Il m'a fixé pendant un petit moment avant d'hausser des sourcils
« Oooh ce genre de mal de ventre »
« Oui, oui » ais-je oscillé. Quitte à croire quelque chose autant qu'il pense ça. C'est très bien.
Il m'a finalement libéré après m'avoir demandé si je ne voulais pas une tisane spéciale mais j'ai décliné avant de rejoindre les filles.
« Bonjour » aie-je lâché en tirant ma chaise.
Je m'attendais à ce qu'elle me face une remarque sur mon retard ou autre chose mais elles n'ont rien dit. Elles m'ont toute les deux souris en agissant comme si de rien était. Pendant le repas on a échangé des banalités. Je les aies laissé potasser sur une certaine Aria, en chipotant dans mon ragout.
Je n'avais pas la force de manger ça. J'avais beau avoir faim, rien ne me convenait. Je ne comprenais pas. Agacé par mon indécision, j'ai saisi la banane sur mon plateau et me suis forcé à l'avaler entière avant de vider mon verre d'eau d'une traite.
« Tu ne manges pas? » a demandé Alajéa la bouche en coeur.
« Non j'ai pas super faim et puis je vous ai fais attendre super longtemps donc, partagez tant que c'est chaud » j'ai poussé mon assiette de leur coté. Mais Karenn l'a repoussé
vers moi, visiblement contrariée. Elle doit m'en vouloir de l'avoir fait attendre.
« T'en fais pas pour nous, tu devrais finir ton assiette. »
Devant mon expression décontenancée, elle insista.
« Ce n'est pas une proposition »
J'ai soupiré à nouveau et mangé sérieusement. Ou plutôt je me suis forcé sérieusement. L'impression de mâcher de la colle, voilà ce que j'avais. Je n'arrivais pas à m'enlever cette image de la tête. Je n'avais pas la force de manger un vrai plat, de mordre dans les morceaux, des les tranches, de les avaler. Je n'en avais pas envie. Finalement j'ai fini mon repas sous le regard attentif de Karen. Le ventre ballonné et un poids désagréable sur la poitrine.
Elle m'a félicité et Alajéa a débarrassé mon plateau. Je voyais très clair dans leur jeu et je savais qu'elles essayait tant bien que mal de s'occuper de moi. Mais je n'ai rien dit. Je me suis contenté de sourire et de remercier, l'air benêt. Je ne sais pas quoi leur dire. Leur en parler ne me semble même pas être une option. Comment leur raconter? Pourquoi le faire? Et qu'attendre de leur réactions? Je n'en ai ni l'envie, ni le courage. Mais en contrepartie je dois faire semblant d'être de bonne volonté. Du coup, après manger elles ont pensé qu'aller faire un petit tour dans les jardins serait sympa. Ce qui aurait pu l'être, si elles n'avaient pas décidé de m'inclure dans la conversation.
« Tu te sens de sortir ce soir? Après tout c'est Venus Nox» avait lancé Alajéa des étoiles pleins les yeux. C'est quelque chose qui m'avait légèrement surprise en arrivant sur Eldarya, mais contrairement à nous sur Terre il n'avait pas vu les noms des jours de la semaine évolué. Les variantes de langages sont quelques choses d'intéressant, j'en ai noté quelques autres depuis mon arrivé ici : que ça soit les variations de leurs expressions ou le fait qu'énormément de langues parlées ici n'existent probablement pas chez nous. Mais ça, ça ne concernait que le langage. Il semblerait que d'une culture à l'autre, il y'ai toujours un jour bien défini pour faire la fête.
« Ouais, ça serait super génial on pourrait aller au Subastrum » avait surenchéri Karenn sur le même ton que son acolyte.
Le Subastrum en question était une sorte de pub de fortune aménagé dans une des maisons du refuge ou se rendait une fois quelques soirs par semaine la jeunesse du QG.
« Pas ce soir les filles vraiment je... »
« Noooon, tu peux pas refuser, tu trouves toujours des excuses! Maintenant qu'on peut enfin toute rentrer sans devoir y laisser tout nos manaas tu peux pas nous faire ça »
Effectivement, Alajéa avait fêté son anniversaire quelques jours auparavant. Non, que leur âge à toute les deux eut été un blocage auparavant, mais elles s'y rendait moins souvent même si j'avais cru comprendre que Karenn connaissait beaucoup de monde là-bas. Rien d'étonnant de la part d'une créature de la nuit.
Aller au bar c'est sympa. C'est une activité qui me plaisait beaucoup à une époque, sortir avec des inconnus, pouvoir être libre le temps d'un soir, sans pression, sans avoir a trop utiliser sa raison. Mais là, ma raison c'était tout ce qu'il me restait.
Evidement, elles ont insisté.
« C'est super gentil les filles mais je passe mon tour, amusez-vous bien » et j'avais fini par partir, le coeur lourd et les membres tremblants.
Je voyais bien qu'elles étaient déçue. Compréhensible après tout les efforts qu'elles avaient fournis pour me sortir de ma tanière ces derniers jours. Mais c'était au dessus de mes capacités. Tout ce que je voulais maintenant c'était rentré dans ma chambre et y rester jusqu'au lendemain.
Pourquoi je me force? Pourquoi j'le ferais ? A quoi ça m'amène?
Leur faire plaisir?
Je me rattraperai la prochaine fois.
Je me sentais mal, nauséeuse, j'avais l'estomac lourd et l'impression que j'allais m'écrouler d'une minute à l'autre. Prise de haut-le-coeur, je me suis rendu dans les latrines.
Courbée au sol, j'ai remis tout ce que j'avais ingurgité une heure plus tôt, la vision de mon vomi qui avait exactement la même apparence de ragout d'origine me fit vomir d'avantage. J'étais pitoyable, couchée à même le sol dans les toilettes. Puante et en sueur, dégoûtée et malade.
L'eau dans ma bouche fit disparaitre ce goût infect, alors que je m'apprêtais à regagner ma chambre, quelque peu soulagée, je l'aperçu au détour d'un couloir.
Lui.
« Il manquait plus que ça » soupirai-je.
Je me suis plaqué contre le mur dans l'optique de m'en aller le plus loin possible quand je discernais des chuchotements.
« Tiens, sa clé » ça devait-être Karenn
« Non. Gardes là, on ne sait jamais que ça arrive encore. »
« C'est étonnant...Vous qui étiez si proche. Pourquoi tu ne t'en occupes pas toi-même, Nev'?!»
« Quoi? C'est ton ami : tu devrais l'aider. Tu sais que je suis très occupé. »
« C'est pas le problème...C'est juste que je ne comprends. Tu sembles l'éviter pourtant tu me poses toujours des questions sur elle, c'est très bizzare »
Un soupir.
« C'est... compliqué, puis disons que si ça vient de toi ça serait plus efficace. Vieilles sur elle ok? Pour moi.»
« Oui, oui... » se lamenta la jeune fille
« T'es un amour!! Bon, je file. Sois sage! »
Le bruit de ses pas s'éloigna, bientôt suivi de celui de Karenn, me laissant seule, silencieuse et bouillante de rage.
Quel hypocrite. Si je n'avais pas plus rien à rendre, j'aurai encore gerbé devant ce spectacle ridicule. De dégout, d'amertume, et de mélancolie.