Oasis

Chapitre 2 : La poussière

2720 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 28/03/2019 14:02

 

C’est la même ville. Les mêmes gens qui slaloment d’un trottoir à l’autre, les mêmes enfants qui pleurent dans la poussettes, la même odeur de pizza et de parfum mélangés dans l’air. C’est toujours les mêmes grattes-ciels. Je suis déjà venu ici. Et comme la dernière fois, je jette un coup d’oeil au papier que je tiens en main: un avis de recherche. C’est la même feuille, sauf que les bords semblent légèrement rongés. Dessus y ait représenté le même visage. Pourtant j’ai du mal à le reconnaitre. Est-ce la même fille? Elle me ressemble toujours autant, à peu près du même age, à peu près de la même morphologie, à peu près de la même ville. Mais celle-ci à quelque chose de different, elle n’a plus se regard sévère et ses traits durs. Son visage est ingrat, creux, sa peau terne et ses yeux. Ses yeux tout violacés, fatigués et abattus. Vides. Je suis parcouru par un frisson. Il y a trop de lumière. Je dois mal voir. 


Une semaine passa pendant laquelle je me motivais à aller chercher des missions tout les matins. Ce qui ne fut pas mince affaire évidement. Mais me dépenser m’évitait de penser. Et penser était la dernière chose dont j'avais envie. Bien entendu, il aurait été trop beau qu’Ykhar me confie une tâche compliquée impliquant de la rigueur et de la précision, dans laquelle j’aurais pu me plonger jusqu’à la noyade. Bien entendu. À la place, je jouais les larbins. Les effectifs manquaient dans l’équipe de nettoyage, dans celle des cuisines, ou chez les Purrekos. Des tâches domestiques m’étaient attribuées quotidiennement, si bien que moi qui une semaine auparavant avait oublié l’essence du mot « douche » ne pouvait supporter le moindre petit grain de poussière. Dans un premier temps, ça m’avait légèrement gênée  d’accomplir ses tâches bénignes. Sur terre, je n’avais jamais eu à prendre un balai et bien que je sache vaguement à quoi ça ressemble, la femme de ménage était toujours là pour passer derrière moi. Pas étonnant que je me sente ridicule…Moi et ma serpillière bien que séparés par nos statuts, avions en réalité la même forme. Ce tissu malléable était devenu mon meilleure ami. Faire le ménage est distrayant. Evidement, je me suis profondément ennuyé à récurer la graisse des cuisines mais mon objectif premier était atteint : je ne pensais à rien. L’être humain est une créature curieuse. Et je suis bien contente que les problèmes et les tâches domestique ne fassent pas bon ménage. Tout se passait bien, et je pensais pouvoir me mouler dans ce quotidien aussi longtemps qu’il le faudrait : déjeuner, nettoyer, cuisine, nettoyage, cuisine, repas, nettoyage, au lit. Le peu de temps libre que je m’accordais était régulé par des sorties dans le parc ou je tentais vainement de discuter avec mes camarades du QG ou d’observer le Refuge. J’essayais de m’épuiser au maximum, pour tomber de fatigue et éviter de rêver. Ça ne marche pas tout le temps. Je l’ai compris bien vite, on ne peux pas échapper à ses rêves. Encore moins à ses cauchemars. 


Un matin ou j’avais passé une nuit extrêmement pénible, on m’avait relégué de l’autre côté du comptoir à l'heure du repas. Moi et mes cernes immondes on s’était efforcé de faire le travail sans trop être désagréable. Ça se passait plutôt bien jusqu’à ce qu’un paire de mains blafardes apparaissent dans mon champs de vision. Le prolongement de celles-ci était une combinaison moulante digne d’un catwalk de 2010, verte et blanche. Le contraste de ces petites tresses parfaitement noués à contrario de ses cheveux en bataille n’arriva même pas à m’arracher un sourire. À ce point. J’avais même pas essayer de lui faire un signe pour le saluer. Il avait les sourcils haussés, l’air d’attendre une réaction, ou de ne pas trop savoir comment agir : je ne sais pas vraiment. Sur le moment j’aurai préféré qu’il s’en aille. Mais ça ne s’est pas vraiment passé comme ça. On s’est contenté de rester en silence à se regarder sans rien dire, avant d’être interrompu par la file naissante derrière lui. Il a alors raclé sa gorge et posé son plateau très fermement sur le comptoir, m’a demandé si je lui en voulais sans quitter mon regard une seule fois. Il a les yeux tellement vert. Pour la comparaison, j’hésite entre la variété de pomme que je préfère et ses serpents exotiques qui me terrifient. « Suivant » ai-je maugré. Mais il n’est pas parti, malgré la queue, malgré que tout le monde nous épie et que l’ambiance soit lourde. C’est là que je l’ai aperçu dans le fond. Nerva était debout, statique, ils nous dévisageaient aussi. Ça devait bien faire une dizaine de jours que je ne l’avais pas vu. Nos regards se croisèrent et il baissa les yeux avant de sortir. Des larmes de rage me montèrent aux yeux. C’est tout ce qu’il pouvait faire? Baisser les yeux et fuir? C’était tellement facile, de me laisser là, à jouer les bonniches. Leiftan au contraire, avait toujours le yeux rivés sur moi, le regard ferme et déterminé. 


« Oui » j’ai murmuré. C’était coincé en travers de ma gorge, comme une glaire, comme un morceau de pain, comme un bout de verre. 

Je l’ai senti se détendre et s’adoucir. 


« J’aimerai qu’on discute, rejoignons nous après ton service je t’attendrais » 


Et il est parti. Je savais ni ou, ni si je voulais y aller. Je me suis contenté de ravaler mes larmes et de continuer à faire ce que j’avais à faire. J’étais énervée. Très énervée. Extrêmement énervée.

Pourquoi avait-il fuit? Pourquoi ça ne me convenait pas? Et pourquoi l’insistance de Leiftan pouvait me convenir et m’agacer simultanément?


La question ne m’a pas quittée de la matinée, tout le service, pendant que je déjeunais, sous la douche. Jusqu’à ce que je me retrouve là à errer dans le QG sans trop savoir si je voulais le voir ou pas. Si je voulais en parler ou pas. 

Il est évident que j’avais des choses à dire, mais au final : étaient-elles si importantes? Si nombreuses? Ces choses douteuses qui troublaient mes nuit et maintenant mes jours, qui me faisaient déambuler atour du QG comme un vautour? Le contact d’une main soudaine sur mon épaule me fit sursauté. 


« Leiftan! » 


« Désolé, si je t’ai effrayé » 


Son visage était doux, rieur. Ça me rassura un peu. 


« Tu me cherchais? » demanda-il.


« Je ne sais pas » et c’était vrai. Du moins, jusqu’à maintenant. 


« Moi je pense que si, j’ai bien fais de ne pas te donner de point de rendez-vous. » 


Il se doutait que j’aurai erré dans le QG? Nous avons plongés nos regards l’un dans l’autre pendant un instant, et j’ai eu ma réponse. Oui. 


« Asseyons-nous » il désigne les bancs sur notre droite et fit mine de me laisser passer devant. 


Je m’installais sur le banc, les fentes du fer forgé étaient désagréables contre mes fesses, je les entourai de mes doigts. 

Un silence apaisant régnait. Le ciel était toujours aussi bleue, les même gazouillis des familiers toujours aussi étranges, les mêmes essences fleurantes émanant des jardins. Encore et toujours la même chose, pas une variation à l’horizon, rien de neuf à laquelle se raccrocher. Tout était pareil, et tout le serait toujours désormais. Je senti les doigts de Leiftan s’enrouler légèrement autour des miens, les stabilisant. Je n’avais pas réalisé que j’avais pressés mes doigts autour des barreaux tellement fort qu’ils avaient blanchis.


« Je sais que tu te sens coincée, prisonnière et seule » avait-il finit par lâcher en chuchotant.


Je n’ai pas chercher à repousser sa main. Sa peau était rugueuse et chaude, d’une chaleur différente de la mienne. Le feu qui nous animait était complètement diffèrent. Il n’empêche qu’il m’avait comprise, qu’il m’avait entendu. Alors, il avait eu raison? J’avais été contente qu’il me force la main? Qu’il me la prenne, et qu’il me dise des choses que je n’arrivais pas a sortir de ma tête? 


« Suis-je si facile à lire? » Il esquissa un sourire devant mon air inquiet. 


« Non, tu as juste le regard d’un animal en captivité, une sorte de folie furieuse refoulé aux fonds des yeux. Je vois bien que le QG t’apparait comme une cage » 


Sa voix était si douce, et ces mots si violents mais je n’arrivais pas à pleurer. 


Alors c’est de ça que j’ai l’air? De ces animaux de cirque qui agissent par mimétisme pour combler leur frustration et leur douleur? Arraché à leur milieux dans un dessein égoïste? 


« C’est égoïste, c’est égoïste et déguelasse, Leiftan » 


« Je sais bien » 


« Vous ne m’avez laisser aucune issue, aucune chance. Retourner sur Terre dans cette situation... Je mourrai avant d’avoir pu recommencer…Je n’existe plus. Plus pour personne » Son expression faisait écho à la mienne, et je suis troublée : ressent-il de la culpabilité à mon égard? 


« Est-ce que tu t’en veux Leiftan? » 


Il a hésité avant de répondre. 


« Je suis désolé que tu aies eu à payer le prix mais… Ce sentiment est surpassé par la satisfaction que j’éprouve à savoir que tu vas bien, que tu manges à ta faim, que tu es à l’abri à un endroit ou nous pouvons te protéger. » 


« Me protéger? Me protéger… C’est vraiment cette motivation ridicule que la présence de mercenaires qui vous a poussé à cet extrême? On protège les gens en les blessant Leiftan? » Hors de moi, j’ai poussé ma main d’un geste brusque et me suis relevé. 


« Rina c’était un mal pour un bien, tu exagères : il y a tou… »


Furieuse, je ne le laisse même pas finir sa phrase? « J’exagère, j’exagère…Et qui te dis que ça ne m’aurait pas plu de me faire délivrer par ces mercenaires? »


« Erina je… » 


 « Tu sais quoi Leiftan, laisse tomber…Tu dois avoir raison: je dois exagérer. Je ne suis pas partie jusqu’alors parce que je n’ai n’ai pas eu l’occasion. Mais si elle venait à se présenter à nouveau, je n’hésiterai pas une seconde. L’enfer sera probablement mieux qu’ici désormais! » 


Et je suis partie, sans un mot de plus. Il a essayé de me rattraper mais le silence soudain de ses pas derrière me fit comprendre qu'il s’était résigné à me suivre. C’était mieux comme ça. Il n’y avait plus rien à dire. 




Dans mon lit, j’observe le plafond. Les scènes de ma discussion avec Leiftan rejouent en boucle dans ma tête. Moi, abandonnée à mon sort depuis des jours, j’avais été heureuse qu’on s’occupe de moi, qu’on cherche à avoir de mes nouvelles, à discuter. Mais quelle issue à cet échange? Je me sens encore plus pitoyable qu’avant! Je ne suis plus qu’une étrangère partout ou j’irai.

Plus que ça! Dorénavant, je suis une étrangère incomprise partout ou j’irai.


Pourtant, en un regard, en un contact, il avait lu en moi. Là ou tout le monde avait vu une flamme éteinte au feu de mes yeux, il avait vu qu’elle était plus ardente que jamais. Pendant une seconde j’ai cru qu’il comprenait ce que je ressentais. Avais-je eu tords? Ai-je tords? De me mettre dans cet état? De m’énerver comme ça? Suis-je si égoïste? Je comprends leurs motivations dans un sens, mais je n’arrive pas à comprendre ce que j’ai fais pour mériter une peine pareille. Payer le prix d’un monde auquel je n’appartiens pas, à porter le poids de mon sang et d’un malheureux hasard. 

Comme je regrette d’avoir été si naïve! Mais est-ce que je leur en veux d’avoir menti? De m’avoir manipulé? De l’avoir utilisé lui? Lui qui commençait à devenir cher à mon coeur? Aucune alternative vraiment? Aucune? Même dans la forme? S’il n’y avait aucune chance que je retourne chez moi, sur Terre, alors ils auraient pu simplement le foutre dans ma nourriture et garder cette histoire secrète! Au lieu de me briser, de m’humilier, de la pire sorte qui soit…

 Non! Je suis satisfaite de savoir. Et si au contraire j’étais rentré sur terre et que ça m’étais tombé dessus comme ça. Pouf. « Qui es-tu, ou sont tes papiers, tes diplômes? Tu n’es enregistré nul part pourtant tu ne peux venir que d’un endroit développé? Racontes la vérité, pourquoi tu n’existais pas avant aujourd’hui, et si tu existais, comment tu peux le prouver? » Je n’ai pas le courage d’entendre ça. Ça m’aurait dévasté. On m’aurait peut-être envoyé en asile psychiatrique. Mais rester ici finira aussi par me rendre folle. Comme la mère de Mery. Pour tout les gens du Refuge au nom de qui on a volé mon existence. Suis-je si égoïste? Devrais-je me féliciter d’avoir été la victime de cette tragédie altruiste? Combien de vie mon sacrifice a-t-il épargné? Et quelle gratitude recevrais-je, si ce n’est la mienne et celle de mes bourreaux? 

Est-ce que j’exagère vraiment?



J’ai beau essayer de me dire que c’est un choix logique qu’ils ont fait, que j’aurais peut être fait le même à leur place, que la situation est délicate et qu’il ne faudrait pas l’amplifier, que ce n’est la faute de personne, que c’est juste comme ça et qu’il faut faire avec, qu’il faut vivre avec désormais; je n’y arrive pas. Je ne peux l’accepter. Mon coeur est si lourd et je me sens dépérir. Est-ce que ça ira si je fais semblant d’aller mieux? Si je joue le jeu? De la bonne gardienne, sage et, docile, si je suis les consignes? Est-ce que j’exagère vraiment? 

Je me suis relevée en sursaut et j’ai passé une main dans mes cheveux. Dans la glace, mon reflet me parait toujours aussi fade, toujours aussi laid. Mes yeux vides, si vide, comme dans ses rêves, ils sont vides, si vides, et je suis si seule. Et cette vision commence à devenir familière. Je l’a voit trop ces derniers temps. Elle qui venait hanter mes nuits, compte elle aussi bercer mes jours d’insomnies? Cette phrase tourne en écho dans ma tête, et je ne peux pas empêcher mes yeux de se gonfler de larmes, parce que c’est l’unique porte que le deuil ouvre.

Et il s'agit du mien.


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